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Décisions

Cass. com., 20 novembre 2019, n° 18-11.966

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Business France (EPIC)

Défendeur :

Wine 4 Trade (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Sudre

Avocat général :

M. Debacq

Avocats :

SCP Waquet, Farge, Hazan, SCP Spinosi, Sureau

T. com. Paris, 1re ch. A, du 9 sept. 201…

9 septembre 2014

LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi principal formé par l'établissement public industriel et commercial Business France que sur le pourvoi incident éventuel relevé par la société Wine 4 Trade ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que l'établissement public industriel et commercial Ubifrance, aux droits duquel est venu l'établissement public industriel et commercial Business France (l'EPIC), ayant pour mission de favoriser le commerce extérieur français dans le domaine de l'agroalimentaire et, en particulier, dans celui des vins et spiritueux, en permettant aux entreprises qu'il accompagne de bénéficier du label " France " et en finançant, par une dotation budgétaire de l'Etat, des projets d'exportation, a développé, à partir de 2006, une relation commerciale avec la société Wine 4 Trade, ayant pour activité d'accompagner à l'exportation des viticulteurs français ; qu'à compter de 2010, l'EPIC a mis en place un " Programme France 2010 ", qui a eu pour effet de modifier le mode de financement des salons organisés, en raison d'une réduction des dépenses publiques ; que de 2010 à 2012, la relation entre l'EPIC et la société Wine 4 Trade a donné lieu, sans support écrit, à l'organisation de seize salons à l'étranger ; que par courriel du 19 juin 2012, l'EPIC a indiqué à la société Wine 4 Trade que le salon de Londres, prévu en 2013, ne se tiendrait pas et qu'elle prendrait une part plus importante dans l'organisation de celui de Cologne, l'invitant à signer, pour l'ensemble des autres événements, un contrat de partenariat d'une durée d'une année, avec reconduction possible à la fin du mois de juin de chaque année ; que le 14 novembre 2012, la société Wine 4 Trade a accepté de signer un contrat relatif à deux manifestations, qui ont été annulées d'un commun accord entre les parties ; que la société Wine 4 Trade, reprochant à l'EPIC une rupture brutale de leur relation commerciale établie et des actes de concurrence déloyale, de parasitisme et d'abus de position dominante, l'a assignée en paiement de dommages-intérêts ; qu'en cause d'appel, la société Wine 4 Trade a, en outre, formé une demande en réparation au titre de son appauvrissement du fait de l'appropriation abusive par l'EPIC de son fonds de commerce et subsidiairement pour concurrence déloyale ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en ses première, deuxième, troisième et quatrième branches : - Attendu que l'EPIC reproche à l'arrêt de dire qu'il a brutalement rompu une relation commerciale établie avec la société Wine 4 Trade et de le condamner à lui verser une certaine somme alors, selon le moyen : 1°) que des motifs inintelligibles équivalent à un défaut de motifs ; que la cour d'appel a déduit l'existence d'une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce des motifs suivants : " De 2007 à 2010, chaque salon faisait l'objet d'un contrat écrit de labellisation entre Ubifrance et la société Wine 4 Trade lequel fixait le montant de l'appui financier alloué par Ubifrance, la société Wine 4 Trade devant atteindre un objectif minimum de participants variable selon les contrats allant de 30 à 70 et, à l'issue de chaque opération, envoyer à Ubifrance copie de chaque facture acquittée adressée à chacune des entreprises françaises participantes faisant apparaître le prix de la prestation et le montant de la remise consentie au titre de la labellisation sans qu'il soit stipulé un mode de fixation de celle-ci ; en conséquence le financement alloué à la société Wine 4 Trade ne constituait pas une subvention destinée aux exploitants exposants mais un financement à la disposition de la société Wine 4 Trade dans le cadre de leur partenariat sauf pour celle-ci à accorder une remise aux participants ; A compter de 2010, Ubifrance a modifié son programme intitulé " Cap Export " remplacé par le " programme France 2010 " ; celui-ci il comportait cinquante opérations dont six salons créés et organisés par la société Wine 4 Trade dont ceux de Londres et Cologne ; " aucun nouveau contrat écrit n'a été conclu ; pour autant il n'est pas contesté que seize salons ont été organisés et que seules les modalités de paiement ont été modifiées en ce que uxx a facturé directement les exposants, clients de la société Wine 4 Trade, déduction faite des financements alloués, a pris à charge le paiement des fournisseurs qu'elle réglait directement à la société Wine 4 Trade qui par ailleurs lui facturait des prestations sous forme d'honoraires fixés forfaitairement en fonction du nombre d'exposants soit 350 euros par exposant. En conséquence, depuis 2007, que ce soit dans le cadre du programme " Cap Export " ou " Programme Export France " , Ubifrance a, comme le prévoyait son objet qui était de mettre en place un programme élargi d'actions collectives de promotion de l'offre française, apporté un financement qui profitait, d'une part, à la société Wine 4 Trade, d'autre part aux exploitants participants " ; qu'en statuant par de tels motifs, inintelligibles, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 2°) qu'en affirmant qu'à compter de 2010 le Programme France 2010 d'Ubifrance comptait six salons portant sur les villes de Bruxelles, Londres, Copenhague, Amsterdam, Cologne et Varsovie alors que, selon les conclusions des parties, seuls quatre salons s'étaient tenus en 2010 et qu'aucun salon ne s'était tenu cette année-là à Bruxelles ou Amsterdam, la cour d'appel a méconnu les termes du litige, violant ainsi l'article 4 du Code de procédure civile ; 3°) qu'en vertu de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, la rupture d'une relation commerciale établie sans préavis suffisant engage la responsabilité de son auteur ; qu'une relation commerciale établie est régulière, significative et stable ; que tel n'est pas le cas d'une relation entre une société commerciale privée et un établissement public dont le budget est constitué de fonds publics ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a qualifié d'établie la relation commerciale existant entre la société Wine 4 Trade et l'établissement public Ubifrance, au motif que ce dernier entendait pérenniser les opérations à l'origine de cette relation ; qu'en statuant ainsi, après avoir relevé que le budget d'Ubifrance était abondé par des fonds publics, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé ; 4°) que le juge ne peut statuer par voie d'affirmation sans indiquer l'origine de ses constatations ; qu'en déduisant la stabilité de la relation commerciale litigieuse de ce que l'établissement Ubifrance entendait pérenniser les opérations donnant lieu à cette relation sans justifier cette affirmation ni indiquer sur quoi elle reposait, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'après avoir relevé que l'EPIC avait noué, à compter de 2006, une relation commerciale avec la société Wine 4 Trade et que si, à compter de 2010, les modalités de paiement avaient été modifiées, seize salons ont, cependant, été organisés, à l'étranger, entre 2010 et 2012, l'arrêt retient que lors de la réunion qui s'est tenue le 7 février 2012 afin d'organiser le planning des salons 2013, l'EPIC s'est déclaré satisfait de son partenariat avec la société Wine 4 Trade pour le salon de Londres et a proposé de le faire évoluer, entretenant ainsi la société Wine 4 Trade dans l'assurance de la continuation de son partenariat pour ce salon ; qu'il retient ensuite que la circonstance que l'EPIC dispose, en tant qu'établissement public, de fonds publics, n'est pas de nature à rendre précaire une relation qui reposait sur des opérations pérennes jusqu'à ce que la signature d'un nouveau contrat introduisant une clause de précarité soit proposée, en 2012, à la société Wine 4 Trade ; qu'en cet état, c'est sans méconnaître l'objet du litige et les conséquences légales de ses constatations que la cour d'appel, qui ne s'est pas bornée à statuer par voie d'affirmation, a retenu que la relation commerciale qui avait commencé en 2006 et s'était poursuivie de manière stable jusqu'en 2012, était établie ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et, sur le moyen unique du pourvoi incident : - Attendu que la société Wine 4 Trade fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement d'une certaine somme au titre de l'appauvrissement subi du fait de l'appropriation par l'EPIC de ses fichiers et de sa clientèle alors, selon le moyen, que tout jugement ou arrêt doit être motivé à peine de nullité ; que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, en se contentant d'examiner, pour débouter la société Wine 4 Trade de sa demande en paiement de 462 261,00 euros à titre de réparation de l'appauvrissement qu'elle avait subi du fait de l'appropriation, par l'EPIC, de ses fichiers et de sa clientèle, le seul moyen tiré d'un enrichissement sans cause sans répondre à son moyen subsidiaire, péremptoire, qui fondait cette même demande sur les faits de concurrence déloyale imputables à l'EPIC, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ;

Mais attendu que sous le couvert d'un défaut de réponse à conclusions, le moyen critique une omission de statuer, laquelle peut être réparée par la procédure prévue à l'article 463 du Code de procédure civile ; que le moyen n'est pas recevable ;

Mais, sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa cinquième branche : - Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 ; - Attendu que pour retenir le caractère brutal de la rupture de la relation commerciale établie entre l'EPIC et la société Wine 4 Trade, l'arrêt relève qu'après avoir organisé, à compter de 2010, seize salons pour lesquels seules les modalités de paiement ont été modifiées, l'EPIC a, par courriel du 19 juin 2012, notifié à la société Wine 4 Trade la fin de leur partenariat pour le salon de Londres de 2013, cependant que la salle avait été louée par celle-ci, et lui a annoncé une modification de l'organisation opérationnelle du salon de Cologne dont elle prendrait en charge l'essentiel ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si ces éléments modifiaient de façon suffisamment substantielle, dans un sens défavorable à la société Wine 4 Trade, la relation commerciale existant entre les parties, condition pour que soit caractérisée, en cas de refus de cette dernière, une rupture, serait-elle partielle, de la relation, imputable à l'EPIC, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

Et, sur ce moyen, pris en sa huitième branche : - Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 ; - Attendu que si la rupture d'une relation commerciale établie sans préavis suffisant peut engager la responsabilité de son auteur, une simple proposition de modification des conditions contractuelles ne peut être qualifiée de rupture au sens du texte susvisé si elle est négociable ;

Attendu que pour statuer comme il fait, l'arrêt relève encore que si l'EPIC a proposé à la société Wine 4 Trade un nouveau contrat pour les sept autres événements inscrits au programme de l'année 2013, cette proposition avait, toutefois, pour effet de transformer une relation pérenne en une relation précaire ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans constater que cette proposition contractuelle n'était pas négociable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal : rejette le pourvoi incident ; et, sur le pourvoi principal : casse et annule, sauf en ce qu'il dit la société Wine 4 Trade irrecevable en sa demande fondée sur l'enrichissement sans cause, l'arrêt rendu le 22 décembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.