CA Aix-en-Provence, 1re et 8e ch. réunies, 18 novembre 2019, n° 17-01431
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Eleven (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Coulange
Conseillers :
Mmes Fillioux, Deparis
FAIT ET PROCÉDURE :
Le 28 juin 2012, Monsieur Guillaume S.-A. a acquis auprès du garage Eleven un véhicule Mercedes de type ML 400 CDI indiquant un kilométrage de 113 852 kms au compteur, pour un montant de 11 500 .
A la suite de dysfonctionnements constatés sur le véhicule, Monsieur S.-A. a fait effectuer un diagnostic au garage " De Oliveira Automobiles " qui a révélé un kilométrage erroné du véhicule.
Par deux ordonnances de référé successives du 10 avril 2013 et du 11 décembre 2013 du Président du tribunal de grande instance de Grasse, une expertise judiciaire du véhicule Mercedes a été confiée à Monsieur Jean M. qui a déposé son rapport le 6 janvier 2015.
Le 23 janvier 2014, le véhicule, objet du litige, a été déclaré économiquement irréparable suite à un accident, Monsieur S.-A. était indemnisé pour sa perte à hauteur d'une somme de 5 500
Par jugement contradictoire en date du 15 décembre 2016 le tribunal d'instance d'Antibes a déclaré forclose l'action en garantie des vices cachés et prescrite l'action en garantie de conformité et a condamné Monsieur Guillaume S.-A. à payer à la société Eleven la somme de 1 000 en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens de l'instance.
Le premier juge a retenu que l'action en vice caché devait être intentée dans le délai de deux ans suivant la découverte du vice, qu'en l'espèce celui-ci a été découvert le 24 août 2012, date à laquelle il a été confirmé que le véhicule acquis en juin présentait un problème de kilométrages sous évalués, que le délai de forclusion, qui avait démarré le 24 août 2012, a été interrompu par l'expertise judiciaire ordonnée le 10 avril 2013 par le juge des référés du Tribunal de grande instance de Grasse et a recommencé à courir à nouveau à cette date, que l'extension des expertises n'étant pas une cause d'interruption, l'action en garantie des vices cachés est forclose depuis le 10 avril 2015.
Le premier juge a rappelé que le délai de prescription de l'action en garantie de conformité était de 2 ans à compter de la délivrance du bien soit le 28 juin 2012, mais que ce délai était suspendu par une mesure d'instruction qu'ainsi en l'espèce, l'ordonnance de référé du 10 avril 2013 a suspendu le délai de prescription jusqu'à la décision de l'expert et le dépôt de son rapport, soit jusqu'au 6 janvier 2015, date à laquelle le délai de prescription a recommencé à courir, que la tentative de règlement amiable n'ayant pas fait l'objet d'un enregistrement au greffe, n'a ni interrompu ni suspendu le cours de la prescription, qu'en conséquence, le délai de prescription a couru entre le 28 juin 2012 et le 22 juillet 2016, date de l'assignation, pour une durée totale de 2 ans 3 mois et 28 jours, l'action en garantie de conformité est prescrite.
Monsieur Guillaume S. -A. a relevé appel de ce jugement par déclaration au greffe en date du 23 janvier 2017.
Les dernières écritures de Monsieur S.-A. ont été déposées le 27 février 2019 et celles de la SARL Eleven le 10 mai 2017.
PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Monsieur Guillaume S.-A., dans le dispositif de ses dernières écritures du 27 avril 2019 auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé demande à la cour, au visa des articles 1604 et 1641 du Code civil et de l'article L 211-1 et suivants du Code de la consommation, de déclarer l'appel bien fondé et de :
- infirmer le jugement entrepris,
- constater le défaut de conformité du véhicule et l'existence d'un vice caché,
- condamner la SARL Eleven à restituer à Monsieur Guillaume S.-A. la somme de 5 000 au titre du prix indûment perçu, lui rembourser 1 966,79 au titre des frais exposés pour l'expertise et non compris dans les dépens et 2 000 à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive.
- débouter la SARL Eleven de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- la condamner à lui payer la somme de 6 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens y compris les frais d'expertise.
Monsieur Guillaume S.-A. conteste l'analyse du premier juge concernant la forclusion de l'action en garantie des vices cachés en indiquant que l'ordonnance de référé du 10 avril 2013 a initié un nouveau délai de deux ans qui n'a recommencé à courir que le 10 septembre 2014, puisqu'en effet, les appels en cause effectués par la société Eleven à l'encontre de la société SNAE laquelle a mis en cause Monsieur R. par ordonnance du 10 septembre 2014, ont également interrompu le délai de forclusion qui n'a recommencé à courir que le 10 septembre 2014, que l'assignation délivrée le 22 juillet 2014 n'est pas forclose.
En sus, il soutient que ce moyen ayant été abandonné à la barre du tribunal par la SARL Eleven, et n'étant pas une fin de non-recevoir d'ordre public, il ne pouvait être soulevé d'office par le juge de première instance.
Concernant l'action en garantie de conformité, il indique que le délai de prescription de deux ans court à compter de la délivrance du bien, qu'il a été suspendu en raison de la mesure d'instruction prononcée le 10 avril 2013 jusqu'au 6 janvier 2015, date de remise du rapport mais que ce délai a été interrompu du fait de l'ordonnance de référé du 10 avril 2013 de sorte qu'il a recommencé à courir le 6 janvier 2015 pour une durée de deux ans, que l'assignation délivrée le 22 janvier 2016 n'est pas hors délai.
Monsieur Guillaume S.-A. fait valoir qu'en matière de ventes de véhicules automobiles l'erreur de kilométrage constituait un défaut de conformité, qu'en l'espèce des différences de kilométrages ont été constatées par deux garagistes, dont un concessionnaire Mercedes et par l'expert judiciaire, que les incohérences relatives au kilométrage laissent supposer une fraude.
Par ailleurs il soutient que l'expert judiciaire a constaté que des désordres mécaniques étaient à l'état de germe avant la transaction, rendant le véhicule impropre à sa destination, qu'aucune réparation n'ayant été effectuée pour résoudre les désordres, la responsabilité de la SARL Eleven est engagée sur les articles 1640 et 1641 du Code civil.
Concernant l'indemnisation au visa des articles L. 211-9 et L. 211-10 du Code de la consommation et eu égard au fait que le véhicule étant accidenté, il souligne que seule la restitution d'une partie du prix reste envisageable.
Eu égard au kilométrage réel du véhicule et aux désordres l'affectant, lesquels n'étaient pas indiqués dans le procès-verbal du contrôle technique du 27 juin 2012 il sollicite la somme de 5 000 correspondant à la différence de prix existant entre celui payé lors de l'achat du véhicule et la valeur réelle du dit véhicule à cette même date et de son réel kilométrage.
La SARL Eleven, dans le dispositif de ses dernières écritures en date du 10 mai 2017 auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé demande à la cour au visa de l'article 1604 du Code civil de :
- Réformer le jugement rendu par le Tribunal d'Instance d'Antibes le 15 décembre 2016 en ce qu'il déboute Monsieur Guillaume S.-A. de ses actions en garantie des vices cachés et en garantie de conformité aux motifs respectifs de la forclusion et de la prescription,
- Confirmer le jugement en ce qu'il octroie à la SARL Eleven la somme de 1 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Débouter Monsieur Guillaume S.-A. de l'ensemble de ses demandes.
A titre subsidiaire,
- Constater le caractère abusif des sommes sollicitées par Monsieur Guillaume S.-A.,
- Débouter Monsieur Guillaume S.-A. de l'ensemble de ses demandes,
- Condamner Monsieur Guillaume S.-A. au paiement de la somme de 4 000 au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
La SARL Eleven fait valoir que le véhicule était en parfait état de marche lors de la vente, preuve en est que Monsieur Guillaume S.-A. a utilisé le véhicule litigieux sans difficulté jusqu'au 23 janvier 2014, date d'un accident de la circulation dont il a été victime, que le rapport d'expertise établi lors de l'accident qualifie le véhicule de " Normal ", sans mentionner de moins-value résultant de vices cachés.
Elle soutient que Monsieur Guillaume S.-A. qui a été indemnisé en intégralité de la valeur de son véhicule, ne peut prétendre aujourd'hui être à nouveau indemnisé de son véhicule par son vendeur pour de " prétendus "' vices cachés alors que ces derniers n'ont pas été retenus par l'expert qui a évalué le véhicule suite à l'accident.
A titre subsidiaire, la concluante fait valoir sa bonne foi relative à la vente du véhicule. En effet elle précise avoir acquis le véhicule de la société SNAE, laquelle l'avait acquis auprès d'un particulier, qu'elle a fait réaliser un contrôle technique par un organisme agrée le 27 juin 2012 soit avant la remise du véhicule le 28 juin 2012, qui n'a révélé aucun défaut à corriger, que si le contrôle mentionne les 113 866 kilométrages inscrits au compteur, elle a précisé qu'il s'agissait des kilométrages indiqués mais non du kilométrage réel, puisque les véhicules Mercedes contiennent des informations kilométriques dans plusieurs éléments et que le remplacement d'un de ces organes par un similaire mais d'occasion peut entraîner la modification du kilométrage au compteur.
La concluante demande enfin à la Cour d'une part, de débouter Monsieur Guillaume S.-A. de l'ensemble des sommes sollicitées, lesquelles seraient abusives, l'appelant ayant roulé plus de 50 000 kilomètres avec le véhicule et seul l'accident l'a empêché de continuer à l'utiliser.
Sur ce :
Attendu que la société Eleven sollicite la réformation de la décision de première instance et ne soutient pas la prescription de l'action en garantie de conformité relevée par le juge de première instance ;
Attendu qu'en application des dispositions de l'article L. 217-4 du Code de la consommation, le vendeur doit livrer un bien conforme au contrat et répond des défauts de conformité existants au jour de la délivrance, que selon les termes de l'article L. 217-12 du Code de la consommation, l'action résultant du défaut de conformité se prescrit par deux ans à compter de la délivrance du bien ; que Monsieur S.- A. s'oppose à toute prescription de l'action mettant ainsi cette question dans le débat judiciaire, que de surcroît, l'article R. 632-1 du Code de la consommation autorise le juge à relever d'office toutes les dispositions du Code de la consommation dans les litiges nés de son application lorsque la prescription résulte des faits litigieux dont l'allégation comme la preuve incombe aux parties ;
Attendu que le véhicule a été livré à Monsieur S. A. le 28 juin 2012, date de départ du délai de prescription de deux ans, que la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription à la condition que la demande renferme une prétention incompatible avec la prescription commencée, que la demande doit être telle que son admission consacrerait le droit de l'autre partie ;
Attendu que par assignation du 3 décembre 2012, Monsieur S. A. a saisi la juridiction des référés afin de voir ordonner une expertise de son véhicule en soutenant que le kilométrage indiqué lors de la vente était inexact, manifestation d'une volonté de le tromper ; que cette assignation a interrompu le délai de prescription jusqu'au jour où l'ordonnance a été rendue soit le 10 avril 2013, date à laquelle un nouveau délai de 2 ans a commencé à courir, que néanmoins, la mesure d'instruction ordonnée par la décision du 10 avril 2013 a suspendu le nouveau délai jusqu'au jour où la mesure est exécutée, que le rapport a été rendu le 6 janvier 2015, que l'assignation délivrée le 22 juillet 2016 par Monsieur S. A. n'est pas tardive et que son action est recevable, qu'il convient d'infirmer la décision du juge de première instance ;
Attendu que Monsieur S. A. a acquis le 13 juin 2012 un véhicule Mercedes pour un montant de 11 500 ; que le bon de commande, le contrôle technique et la déclaration de cession mentionnaient un kilométrage de 113 852 km, que Monsieur M., expert judiciaire désigné par ordonnance du 10 avril 2013, concluait à l'impossibilité de déterminer le kilométrage exact du véhicule à la date de l'acquisition, nécessairement plus important que celui affiché au compteur, en raison des incohérences existant sur l'historique des opérations d'entretien enregistrées sur le calculateur du véhicule qui affiche lors du premier entretien 87 200km, puis 110 300km, puis 135 500 km pour se réduire à 113 700 km démontrant une anomalie certaine ;
Attendu que la société Eleven n'a pas respecté son obligation de délivrance d'un véhicule conforme au kilométrage affiché et annoncé, dès lors que le kilométrage lors de la vente devait être nécessairement supérieur à 135 500km, que le kilométrage affiché au compteur est manifestement sous-évalué, que le kilométrage inexact ne constitue pas un vice de nature à rendre le véhicule impropre à son usage, Monsieur S. A. ayant lui -même effectué plus de 50 689 km avec son véhicule depuis l'achat, que cependant la société Eleven n'a pas respecté son obligation de délivrer un véhicule conforme au kilométrage affiché et annoncé dans le contrôle technique dès lors que le kilométrage réel était supérieur ainsi que l'a souligné l'expert qui a examiné l'historique des opérations d'entretien et constaté l'incohérence du kilométrage parcouru entre les différentes visites ;
Attendu que la mention " au compteur " figurant sur le bon de commande ne saurait permettre à la société Eleven de vendre un véhicule dont le kilométrage n'a rien à voir avec celui réellement parcouru et dont le compteur rend tout calcul réel impossible ;
Attendu que Monsieur S. A. qui a été victime d'un accident de la circulation au volant du véhicule litigieux en février 2014 a été indemnisé à hauteur de 5 500 , son véhicule n'ayant pas été jugé économiquement réparable, que l'expertise diligentée par sa compagnie d'assurance afin de déterminer la valeur du véhicule n'émets aucune considération sur le kilométrage réel du véhicule ; que nonobstant l'indemnisation obtenue suite à l'accident survenu en février 2014, Monsieur S. A. a subi un préjudice pour avoir acquis pour un montant de 11 500 un véhicule présenté comme ayant roulé 113 852 km alors qu'il avait au minimum effectué 135 500 km ; que la société Eleven se prévaut du remplacement d'une pièce du moteur ayant entraîné une modification des kilométrages au compteur, affirmations qui ne sont corroborées par aucune pièce probante ;
Attendu qu'il convient d'indemniser Monsieur S. A. en lui allouant la somme de 5 000 et de condamner la société Eleven au paiement d'une somme de 2 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Attendu que le droit d'agir en justice est ouvert à tout plaideur qui s'estime lésé dans ses droits, son exercice ne dégénérant en abus qu'autant que les moyens qui ont été invoqués à l'appui de la demande sont d'une évidence telle qu'un plaideur, même profane, ne pourra pas ignorer le caractère abusif de sa démarche ou qu'il n'a exercé son action qu'à dessein de nuire en faisant un usage préjudiciable à autrui ; qu'en l'espèce, l'appréciation inexacte de ses droits par l'intimée n'est pas constitutive d'une faute ; que s'estimant lésée dans ses droits elle a pu sans abus, demander à ce qu'il soit statué sur ses demandes ; que la demande de dommages et intérêts pour résistance doit être rejetée ;
Par ces motifs LA COUR statuant publiquement, par mise à disposition et par arrêt contradictoire après en avoir délibéré conformément à la loi et en dernier ressort, Infirme le jugement de première instance, Dit recevable l'action en garantie de conformité engagée par Monsieur S. A., Condamne la société Eleven à lui payer la somme de 5 000 en indemnisation du préjudice subi, La Condamne aux entiers dépens y compris ceux de première instance et les frais d'expertise judiciaire ainsi qu'à la somme de 2 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.