CA Douai, 3e ch., 21 novembre 2019, n° 18-03887
DOUAI
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Nord Inox (SA)
Défendeur :
Generali Iard (SA), Lamigo (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Château
Conseillers :
M. Pety, Mme Bertin
Exposé du litige, de la procédure et des prétentions des parties :
M. Boris C. est décédé le 17 septembre 2011 au cours de l'incendie de son appartement, [...], logement donné à bail par la SCI Lamigo.
Le rapport d'expertise amiable déposé le 18 octobre 2011 à la requête de la Macif, assureur du locataire décédé, concluait à un départ de feu situé au niveau de la cuisinette.
Le juge des référés au tribunal de grande instance de Lille a, par ordonnance du 5 juin 2012, désigné M. M. en qualité d'expert judiciaire, lequel a déposé son rapport le 17 mars 2014 en concluant en ce que l'incendie survenu pendant le sommeil de la victime avait été déterminé par un rayonnement thermique dû au fonctionnement de la plus grande de deux plaques de cuisson de la cuisinette " prestige " de Pyramis, placée, par la flexion de la tôle d'égouttoir cannelé, fortuitement en contact rapproché avec la surface supérieure du réfrigérateur intégré de la cuisinette. La mise sous tension de la plaque électrique de cuisson, la flexion de la tôle d'acier inoxydable formant égouttoir et la matière formant le revêtement de surface du réfrigérateur ont été des éléments constitutifs de la mise à feu. Ces trois conditions cumulatives ont été accidentellement réunies dans des circonstances non élucidées. Sous l'effet d'un objet pesant, le fléchissement de la surface de la tôle d'acier formant égouttoir et support des plaques électriques de cuisson a provoqué une exposition accrue au flux thermique des plaques de cuisson, ce qui constitue un danger potentiel d'incendie à l'insu de l'utilisateur. Aucun isolant thermique n'existe entre les plaques de cuisson et le réfrigérateur.
Considérant que ces expertises avaient mis en évidence l'existence d'un équipement défectueux, M. Alain C., Mme Louise D., M. Yvan C., M. Igor C., Zoé C., représentée par M. Alain C., tous agissant tant à titre personnel qu'en qualité de représentants du défunt, ainsi que Mme Denise B. épouse C., Mme Elodie G. et la Macif, ont fait assigner en responsabilité devant le tribunal de grande instance de Lille la SCI Lamigo, la société Generali Iard, son assureur, la société Nord Inox ainsi que la MGEN par actes d'huissiers des 3, 7, 8 et 15 avril 2015.
Par jugement du 1er septembre 2016, le tribunal de grande instance de Lille a notamment :
- dit que la SCI Lamigo avait manqué à son obligation de sécurité au titre du logement donné en location à M. Boris C.,
- en conséquence, condamné in solidum la SCI Lamigo et la SA Generali Iard à payer à M. Alain C., à Mme Louise D., à M. Yvan C., à M. Igor C., à Zoé C. représentée par M. Alain C., en leur qualité d'ayants droit de M. Boris C., la somme de 8 000 euros de dommages et intérêts en réparation des souffrances endurées par le défunt,
- condamné in solidum la SCI Lamigo et la SA Generali Iard à payer à M. Alain c., à Mme Louise D., à M. Yvan C., à M. Igor C., à Zoé C. représentée par M. Alain C., en leur qualité d'ayants droit de M. Boris C., la somme de 5 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice de mort imminente subi par le défunt,
- condamné in solidum la SCI Lamigo et la SA Generali Iard à payer à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice d'affection à :
- M. Alain C., la somme de 15 000 euros,
- Mme Louise D., la somme de 15 000 euros,
- M. Yvan C., la somme de 10 000 euros,
- M. Igor C., la somme de 10 000 euros,
- Zoé C., représentée par M. Alain C., la somme de 10 000 euros,
- Mme Denise C., la somme de 8 000 euros,
- Mme Elodie G., la somme de 1 500 euros,
- condamné in solidum la SCI Lamigo et la SA Generali Iard à payer à M. Alain C. la somme de 5 456,48 euros en remboursement des frais d'obsèques,
- condamné in solidum la SCI Lamigo et la SA Generali Iard à payer à la Macif la somme de 8 534,32 euros en remboursement des prestations servies par cet assureur suite au sinistre litigieux,
- déclaré recevable l'action dirigée par M. Alain C., Mme Louise D., M. Yvan C., M. Igor C., Zoé C. représentée par M. Alain C., Mme Denise B. épouse C. et Mme Elodie G. contre la société Nord Inox,
- condamné in solidum la SCI Lamigo et la SA Generali Iard à payer à M. Alain C., à Mme Louise D., à M. Yvan C., à M. Igor C., à Zoé C. représentée par M. Alain C., à Mme Denise B. épouse C. et à Mme Elodie G. la somme de 8 750 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Avant dire droit, ordonné la réouverture des débats et sursis à statuer sur les autres demandes,
- Fait injonction aux consorts C. agissant en leurs noms personnels d'avoir à conclure sur la recevabilité de leur action au titre des articles 1386-1 et suivants du Code civil,
- Fait injonction à la SCI Lamigo et à la SA Generali Iard de conclure sur le cumul d'action exercé contre la société Nord Inox ainsi que sur la recevabilité de leurs demandes au titre des articles 1386-1 et suivants du Code civil,
- Débouté les parties de leurs autres demandes, condamné in solidum la SCI Lamigo et la SA Generali Iard aux dépens déjà exposés, les autres dépens étant réservés.
Par jugement du 30 janvier 2018, le tribunal de grande instance de Lille a :
- déclaré recevable l'action engagée par M. Alain C., Mme Louise D., MM. Yvan et Igor C., Zoé C. représentée par M. Alain C., agissant tant en leurs noms personnels qu'en leur qualité de représentants légaux du défunt, ainsi que par Mme Denise B. épouse C., Mme Elodie G. et la Macif contre la société Nord Inox au titre du régime de responsabilité du fait des produits défectueux,
- dit que la SA Nord Inox sera tenue, in solidum avec la SCI Lamigo et la SA Generali Iard, de payer à M. Alain C., à Mme Louise D., à MM. Yvan et Igor C., à Zoé C. représentée par M. Alain C. agissant tant en leurs noms personnels qu'en qualité de représentants légaux du défunt, ainsi qu'à Mme Denise B. épouse C. et Mme Elodie G. les condamnations prononcées en leur faveur aux termes du jugement du 1er septembre 2016,
- dit que la SA Nord Inox sera tenue, in solidum avec la SCI Lamigo et la SA Generali Iard, de payer à la Macif les condamnations prononcées en sa faveur aux termes du jugement du 1er septembre 2016, et ce dans la limite de la somme de 8 034,32 euros,
- débouté la SCI Lamigo et la SA Generali Iard de leur action récursoire contre la SA Nord Inox au titre du régime de responsabilité du fait des produits défectueux,
- déclaré recevable l'action récursoire de la SCI Lamigo et de la SA Generali Iard contre la société Nord Inox au titre de l'article 1382 du Code civil,
- condamné la SA Nord Inox à relever et garantir la SCI Lamigo et la SA Generali Iard du paiement des condamnations prononcées à leur encontre aux termes du jugement du 1er septembre 2016,
- condamné in solidum la SCI Lamigo, la SA Allianz Iard et la SA Nord Inox aux dépens, en ce compris les frais de référé et d'expertise judiciaire exposés par les consorts C. et la Macif,
- condamné la SA Nord Inox aux dépens exposés par la SCI Lamigo et la SA Generali Iard,
- dit que la SA Nord Inox sera tenue, in solidum avec la SCI Lamigo et la SA Generali Iard, au paiement de l'indemnité de procédure allouée aux consorts C. et à la Macif le 1er septembre 2016,
- condamné la SA Nord Inox à verser à la SCI Lamigo et à la SA Generali Iard une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs autres demandes.
La SA Nord Inox a interjeté appel de ce jugement, son recours portant sur les chefs suivants :
- déclare recevable l'action récursoire de la SCI Lamigo et de la SA Generali Iard contre la société Nord Inox au titre de l'article 1382 du Code civil,
- condamne la société Nord Inox à relever et garantir la SCI Lamigo et la SA Generali Iard du paiement des condamnations prononcées à leur encontre aux termes du jugement du 1er septembre 2016,
- condamne la société Nord Inox aux dépens exposés par la SCI Lamigo et la SA Generali Iard,
- condamne la société Nord Inox à verser à la SCI Lamigo et à la SA Generali Iard une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- déboute les parties de leurs autres demandes.
La société appelante demande par voie de réformation à la cour de dire tant irrecevables que mal fondées les sociétés Lamigo et Generali Iard en leur demande de garantie à son encontre sur le fondement de l'article 1382 ancien du Code civil au motif que la faute serait constituée par le défaut de sécurité du produit, en conséquence débouter ces deux personnes morales de toutes leurs demandes et les condamner à lui verser une somme de 5 000 euros du chef des frais irrépétibles de première instance et d'appel, outre les entiers frais et dépens de première instance (sur l'appel en garantie) et d'appel.
Au soutien de ses demandes, la société Nord Inox rappelle que les premiers juges ont retenu sa responsabilité sur le fondement de l'ancien article 1382 du Code civil en motivant leur décision en ce sens qu'elle était tenue de vendre un produit présentant toutes les garanties de sécurité attendues du fonctionnement normal d'un combiné plaques de cuisson-réfrigérateur fonctionnant à l'électricité. Or, les magistrats de première instance retiennent que le processus d'auto-combustion du réfrigérateur a été rendu possible en l'absence de matériau isolant le flux thermique dégagé par le fonctionnement des plaques électriques de la partie supérieure du réfrigérateur. Le tribunal de grande instance de Lille a considéré que ce montage, réalisé par un professionnel, était constitutif d'un manquement de la société Nord Inox à son obligation de sécurité, ce qui engageait sa responsabilité délictuelle envers la société Lamigo et son assureur.
La SA Nord Inox fait valoir que le manquement ainsi retenu à son encontre n'est autre que le défaut de sécurité du produit. Or, sans démonstration d'une faute distincte du défaut du produit, une action en responsabilité ne peut être fondée à l'encontre du producteur que sur les articles 1386-1 et suivants du Code civil. Sur ce fondement juridique, les sociétés Lamigo et Generali Iard ont été déboutées de leurs prétentions dirigées contre Nord Inox, action qui était en toute hypothèse irrecevable. En définitive, cette dernière ne peut être condamnée à garantir.
La société Nord Inox ajoute que la SCI Lamigo ne peut être qualifiée de victime. Elle était le loueur du meublé équipé d'une kitchenette objet du litige. La qualité de victime ou de tiers des parties intimées est indifférente pour l'argumentation qu'elle développe et qu'elle n'a du reste jamais invoquée.
La SA Generali Iard et la SCI Lamigo concluent pour leur part à la confirmation en toutes ses dispositions de la décision entreprise et à la condamnation de la SA Nord Inox aux entiers dépens de la procédure.
Ces personnes morales intimées rappellent en premier lieu que la société Nord Inox a procédé à la conception et à l'assemblage de la cuisinette. Cette société était tenue de livrer au fournisseur/distributeur (SAS Rexel) ayant lui-même vendu le produit à M. T., le poseur de la cuisinette et des plaques, un produit exempt de tout défaut ainsi que l'exige l'article 1603 du Code civil (le vendeur a en effet deux obligations principales, celle de livrer et celle de garantir la chose qu'il vend). Le vendeur et le fabricant sont ainsi soumis à une obligation de sécurité. En l'occurrence, le tiers, la SCI Lamigo et son assureur, la compagnie Generali, sont recevables à invoquer la violation de l'obligation de sécurité pesant sur la société Nord Inox, laquelle a procédé à la conception et à l'assemblage de la cuisinette. La jurisprudence de la cour de cassation du 17 mars 2016 invoquée par la société Nord Inox est sans pertinence en l'espèce puisque la SCI Lamigo et son assureur ne sont pas les victimes de la défaillance du produit de sorte que leur action récursoire articulée sur un fondement délictuel du fait d'un défaut de sécurité du produit est parfaitement justifiée. La SCI Lamigo est un tiers au contrat de vente portant sur les plaques litigieuses. C'est la raison pour laquelle les premiers juges ont rejeté son action récursoire sur le fondement de la garantie des produits défectueux. Il a néanmoins accueilli le recours de ladite SCI en qualité de tiers au contrat de vente sur un fondement délictuel. La SA Nord Inox a manqué à son obligation de sécurité de résultat, ce qui justifie qu'elle soit condamnée à garantir intégralement la SCI Lamigo et la compagnie Generali.
L'instruction du dossier a été clôturée par ordonnance du 17 septembre 2019.
Motifs de la décision :
- Sur l'action en garantie de la SCI Lamigo et l'action récursoire de la SA Generali Iard :
Attendu qu'il est constant que si le régime de la responsabilité des produits défectueux n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, c'est à la condition que ceux-ci reposent sur des fondements différents de celui d'un défaut de sécurité du produit litigieux telles la garantie des vices cachés ou la faute ;
Attendu, en l'occurrence que la SCI Lamigo et son assureur, la SA Generali Iard, entendent rechercher la garantie de la SA Nord Inox sur le fondement de l'article 1382 ancien du Code civil, désormais 1240 dudit Code, en ce que cette personne morale était tenue de livrer un produit exempt de tout défaut, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce ;
Qu'il s'avère en cela que la SCI Lamigo, loueur du logement meublé occupé par M. Boris C., occupant décédé dans les lieux par asphyxie, invoque comme tiers au contrat de vente et sur le terrain de la responsabilité délictuelle la faute de la société Nord Inox en ce que cette dernière a conçu une cuisinette qui comportait un vice de fabrication directement à l'origine du sinistre survenu dans ce logement dans la nuit du 16 au 17 septembre 2011 ;
Qu'il sera rappelé que l'effet relatif des contrats n'interdit pas aux tiers d'invoquer la situation de fait créée par les conventions auxquelles ils n'ont pas été parties, si cette situation de fait leur cause un préjudice de nature à fonder une action en responsabilité délictuelle ;
Qu'il est acquis et non contesté par les parties que la SA Nord Inox n'a pas vendu à la SCI Lamigo le matériel d'équipement litigieux, la cuisinette conçue par Nord Inox ayant été montée dans le logement occupé par M. C. par M. T., artisan, lequel s'est fourni auprès de la société Rexel France ;
Que, pour autant, la SA Nord Inox, qui a vendu à la société Rexel France la cuisinette litigieuse, a livré un matériel déficient, non exempt de vice, étant ici précisé que le fabricant concepteur de l'équipement est débiteur envers les utilisateurs de son produit d'une obligation de sécurité au sens de l'article L. 221-1 du Code de la consommation, et ce dès lors que les conditions d'utilisation sont normales ou normalement prévisibles par le professionnel ;
Que l'expert judiciaire a en effet relevé qu'entre les plaques électriques de cuisson de 1,5 kW et la surface supérieure du réfrigérateur intégré à la cuisinette, il existe un intervalle limité compris entre 1,4 et 1,8 centimètres, que les plaques électriques de cuisson génèrent un flux thermique qui impacte la surface supérieure du réfrigérateur, que sous l'effet d'un objet pesant, le fléchissement de la tôle d'acier inoxydable cannelé formant égouttoir et support des plaques électriques de cuisson provoque une exposition accrue au flux thermique des plaques de cuisson, ce qui constitue un danger potentiel d'incendie à l'insu de l'utilisateur, qu'il faut enfin noter l'absence d'isolant thermique entre les plaques de cuisson et le réfrigérateur intégré ;
Qu'aucun élément du dossier ne permet de retenir que M. Boris C. aurait fait de l'équipement litigieux un usage inapproprié, le phénomène de fléchissement anormal de la tôle portant les plaques électriques de cuisson ne pouvant caractériser un usage anormal par l'occupant de la cuisinette en question, le défaut de résistance de cette tôle ne pouvant être analysé comme un phénomène non prévisible pour un concepteur professionnel ;
Qu'il doit être ajouté que l'absence de matière isolante entre le dessous des plaques de cuisson et le revêtement supérieur du réfrigérateur constitue un vice auquel le concepteur professionnel pouvait facilement remédier, la mise sur le marché d'une cuisinette équipée supposant divers essais de fonctionnement de la part du concepteur-assembleur, ce qui devait appeler de ce dernier des aménagements quant à l'usage en toute sécurité de son produit ;
Que, dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu le manquement de la société Nord Inox à son obligation de sécurité, ce que cette personne morale ne cherche pas du reste à éluder, sa contestation portant uniquement sur le fondement juridique de l'action du loueur du logement et de son assureur ;
Que la décision dont appel sera en conséquence confirmée en toutes ses dispositions querellées, c'est-à-dire relatives à l'action en garantie de la SCI Lamigo et de son assureur, la SA Generali Iard, envers la SA Nord Inox sur le fondement de l'article 1382 (désormais 1240) du Code civil, cette personne morale étant ainsi condamnée à relever et à garantir la SCI Lamigo et son assureur des condamnations mises à leur charge par le jugement du tribunal de grande instance de Lille prononcé le 1er septembre 2016 ;
- Sur les dispositions accessoires :
Attendu que l'équité justifie l'indemnité de 3 000 euros arrêtée par les premiers juges au profit de la SCI Lamigo et de son assureur, la SA Generali Iard, indemnité à la charge de la SA Nord Inox ;
Que cette disposition sera également confirmée ;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions querellées aux termes de la déclaration d'appel de la SA Nord Inox du 5 juillet 2018 ; Y ajoutant, Condamne la SA Nord Inox aux entiers dépens d'appel, dont distraction au profit de maître Patrick K. conseil de la SA Generali Iard et de la SCI Lamigo, et ce conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.