CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 20 novembre 2019, n° 17-18040
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Vinicom (SARL)
Défendeur :
Vignobles Fontan (EURL), Saint Preignan (SARL), Vignocaves (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
Mme Bodard-Hermant, M. Gilles
FAITS ET PROCÉDURE
La société Vinicom a pour activité le courtage de vins et spiritueux.
Les sociétés Vignobles Fontan et Saint Preignan sont spécialisées dans la culture de la vigne.
La société Vignocaves est spécialisée dans le commerce de gros de boissons.
Le 27 juillet 2011 les sociétés Vignobles Fontan et Saint Preignan ont informé la société Vinicom de la rupture de leurs relations commerciales à compter du 1er septembre suivant, délai ensuite prorogé au 31 janvier 2012.
Par actes des 2 et 7 février 2012, la société Vinicom a assigné les sociétés Vignobles Fontan, Saint Preignan, et Vignocaves au visa des articles 1382 du Code civil et L. 442-6 I 5° du Code de commerce devant le tribunal de grande instance de Rennes, qui, par jugement du 24 juillet 2017, a :
- débouté la société Vinicom de l'ensemble de ses demandes ;
- débouté les sociétés Saint-Preignan et Vignocaves de leurs demandes reconventionnelles ;
- débouté la société Vignobles Fontan de ses demandes reconventionnelles ;
- condamné la société Vinicom à verser à la société Saint Preignan, à la société Vignocaves et à la société Vignobles Fontan la somme de 5 000 euros chacune sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
La société Vinicom est appelante de ce jugement suivant déclaration du 24 juillet 2017 et par conclusions déposées et notifiées le 20 septembre 2018 elle demande à la cour, au visa des articles 1382 du Code civil et L. 442-6, I-5° du Code de commerce, de l'infirmer et de :
- débouter la société Vignobles Fontan de l'ensemble de ses demandes ;
- dire que la société Vignobles Fontan a abusé du droit de rompre sa relation commerciale avec elle et n'a respecté aucun préavis effectif ;
- dire que cette faute et ces agissements constitutifs de concurrence déloyale engagent sa responsabilité civile délictuelle à son égard ;
- la condamner en conséquence à lui payer la somme de 300 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis ;
- la condamner à lui verser une indemnité de procédure de 10 000 euros et aux dépens.
Se présentant comme une société de prestation de services et non un simple courtier, elle soutient que l'échec des pourparlers de décembre 2010 tendant à contractualiser leurs relations commerciales ne justifie pas la rupture d'une relation commerciale établie depuis 2005, qui masque la volonté de la société Vignobles Fontan, de concert avec la société Saint Pregnan, de s'accaparer sa clientèle, via la plate-forme de distribution par l'intermédiaire de la société Vignocaves qu'elles ont créée le 22 juillet 2011 sur le modèle de la sienne pour lui nuire et que le préavis accordé n'a pas été respecté du fait d'actes de concurrence déloyale commis avec la complicité de M. X, son ancien salarié devenu directeur et associé de la société Vignocaves.
La société Vignobles Fontan, intimée, par conclusions déposées et notifiées le 28 août 2018 demande à la cour, au visa des articles L. 442-6 5° du Code de commerce et 1382 du Code civil, devenu 1240 du même Code après introduction de la présente instance, de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, y ajoutant, de condamner la société Vinicom à lui payer la somme de 30 000 euros à titre de dommages intérêts pour procédure abusive outre une indemnité de procédure de 20 000 euros ainsi qu'aux dépens distraits conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.
Elle soutient que la société Vinicom pouvait être remerciée sans motif ni préavis en sa qualité de courtier, qu'en tout état de cause, son comportement tentant de la couper de sa clientèle de cavistes et de lui imposer son modèle économique justifie la rupture et qu'elle a respecté un préavis de six mois accédant à la demande formulée par le conseil de la société Vinicom dans sa lettre du 31 août 2011. Elle conteste tout acte de concurrence déloyale, faisant valoir que M. X n'a été le salarié de la société Vinicom que pendant 12 jours et que cette société ne peut se prévaloir d'une propriété de clientèle.
L'appel de la société Vinicom à l'encontre des sociétés Saint Preignan et Vignocaves, intimées, a été déclaré irrecevable par ordonnance du conseiller de la mise en état du 13 février 2018.
La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.
SUR CE LA COUR
L'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, applicable en l'espèce, dispose qu'engage sa responsabilité et s'oblige à réparer le préjudice causé, celui qui rompt brutalement une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale.
Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée, au moment de la notification de la rupture, pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont la dépendance économique, l'ancienneté des relations, le volume d'affaires et la progression du chiffre d'affaires, les investissements spécifiques effectués et non amortis, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause.
Au vu des pièces produites, les premiers juges ont exactement retenu :
- quant à la rupture, que dans le contexte de l'échec des pourparlers tendant à la contractualisation des relations commerciales établies entre les parties depuis 2005, chacune des parties avait légitimement entendu mettre fin à celles-ci, la société Vignobles Fontan ayant annoncé sa volonté en ce sens par lettre du 27 juillet 2011 ce dont la société Vinicom a " pris acte " après avoir envisagé clairement par mail du 25 mars 2011 de rompre les relations commerciales si un accord de partenariat n'était pas conclu, ce qui est effectivement arrivé,
- quant à la durée du préavis, qu'il était suffisant comme étant adapté aux spécificités de la profession,
- et quant à la concurrence déloyale alléguée pendant le préavis, que la société Vinicom invoquait sans pièce une convention d'exclusivité à son profit, qu'elle n'articulait pas de faits précis, imputables à la société Vignobles Fontan, qui caractériseraient, une concurrence déloyale ou parasitaire, en particulier par l'embauche par celle-ci de M. X qui n'était pas un de ses salariés et que la baisse de 20 % de 2010 à 2011 du chiffre d'affaires de la société Vinicom représenté par les ventes de produits de la société Vignobles Fontan (309 823,25 euros contre 245 235 euros) ne caractérisait nullement une exécution déloyale par celle-ci de ses obligations.
Il suffira d'ajouter que la société Vinicom n'apporte rien de nouveau au soutien de son appel, le démarchage de M. X au profit de la société Vignocaves résultant prétendument de ses pièces 64 et 57 n'étant pas, en l'état de ce qui précède, suffisant pour établir le détournement par ce dernier de son fichier client et ne caractérisant pas un acte de concurrence déloyale de la société Vignobles Fontan qui ne dirige pas cette société.
De même l'augmentation quasi continue du courant d'affaires entre les parties jusqu'en 2010 (pièce Vinicom 42) invalide la thèse de la tentative de désorganisation de la société Vinicom par la société Vignobles Fontan alors que sa baisse amorcée en 2011 peut trouver sa cause dans le contexte des pourparlers infructueux entamés en décembre 2010. Ce d'autant que la société Vinicom n'explique pas en quoi elle aurait été désorganisée.
Il s'ensuit que la société Vinicom ne démontre ni que la société Vignobles Fontan a rompu ses relations commerciales établies avec elle depuis 2004 dans le seul but de détourner sa clientèle et pour lui nuire ni qu'elle n'a pas exécuté loyalement ses engagements pendant le préavis de six mois accordé, soit un préavis suffisant compte tenu des spécificités de la profession et de l'ancienneté de ces relations commerciales.
La société Vignobles Fontan ne justifie pas d'un préjudice au titre de la procédure abusive distinct de celui qu'indemnise l'indemnité de procédure. Sa demande de ce chef ne peut donc aboutir.
Conformément aux articles 696 et 700 du Code de procédure civile, la société Vinicom, partie perdante doit supporter la charge des dépens sans pouvoir prétendre à une indemnité de procédure et l'équité commande de la condamner à ce dernier titre dans les termes du dispositif de la présente décision.
Par ces motifs LA COUR, Confirme le jugement entrepris ; y ajoutant, Rejette la demande en dommages-intérêts pour procédure abusive ; Condamne la société Vinicom aux dépens d'appel distraits conformément à l'article 699 du Code de procédure civile ; Condamne la société Vinicom à payer à la société Vignobles Fontan une indemnité de procédure de 20 000 euros et rejette toute autre demande.