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Décisions

ADLC, 17 septembre 2019, n° 19-DCC-170

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à la prise de contrôle exclusif de la Société de Manutention et de Consignation Maritime par la société Terminal Investment Limited

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

La présidente, Isabelle de Silva

ADLC n° 19-DCC-170

17 septembre 2019

L'Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 12 août 2019, relatif à la prise de contrôle exclusif de la Société de Manutention et de Consignation Maritime par la société Terminal Investment Limited, formalisé par un contrat de cession en date du 4 juillet 2019 ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ; Vu les éléments complémentaires transmis par la partie notifiante au cours de l'instruction ; Vu les autres pièces du dossier ; Adopte la décision suivante :

I. Les entreprises concernées et l'opération

1. Terminal Investment Limited (ci-après, " TIL ") développe et exploite des terminaux à conteneurs dans des ports du monde entier. La société TIL est une filiale de Terminal Investment Limited Holding SA (ci-après, " TIL Holding "), société luxembourgeoise holding du groupe TIL. TIL Holding est indirectement contrôlée de manière conjointe par MSC Mediterranean Shipping Company Holding SA (ci-après, " MSC ") et par deux fonds d'investissement gérés par Global Infrastructure Management (les fonds dits GIP I et GIP II) (1).

2. La Société de Manutention et de Consignation Maritime (ci-après, " Somacom ") est une société de manutention portuaire, active sur le port de Pointe-des-Galets à La Réunion. Préalablement à l'opération, Somacom est contrôlée exclusivement par la Société Maritime de Financement.

3. L'opération envisagée, formalisée par un contrat de cession en date du 4 juillet 2019, consiste en l'acquisition par TILde la totalité du capital et des droits de vote de Somacom.

4. En ce qu'elle se traduit par la prise de contrôle exclusif de Somacom par TIL, l'opération notifiée constitue une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce.

5. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d'affaires hors taxe total sur le plan mondial de plus de 75millions d'euros (TIL (2) : [= 75millions] d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2018 ; Somacom : [= 75 millions] d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2018). Chacune de ces entreprises a réalisé, à La Réunion, un chiffre d'affaire supérieur à 15 millions d'euros (TIL : [= 15 millions] d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2018 ; Somacom : [= 15 millions] d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2018). Compte tenu de ces chiffres d'affaires, l'opération ne relève pas de la compétence de l'Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au III de l'article L. 430-2 du Code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.

II. Délimitation des marchés pertinents

6. L'opération n'entraîne pas de chevauchement d'activité. En revanche, l'acquéreur est présent sur le marché du transport maritime régulier par conteneurs, présentant un lien vertical avec le marché des services de manutention portuaire de marchandises en conteneurs, sur lequel Somacom est active (3).

A. LES MARCHÉS DES SERVICES DE TRANSPORT MARITIME RÉGULIER PAR CONTENEURS

1. MARCHÉ DE SERVICES

7. L'Autorité de la concurrence, à l'occasion de la décision n° 13-D-15 du 25 juin 2013 (4), a distingué le marché de transport maritime régulier par conteneurs : le service offert est considéré comme distinct des services de transport maritime non-régulier ou des services de transport maritime de marchandises en vrac. La pratique décisionnelle de la Commission européenne est similaire (5). La Commission européenne a, de plus, envisagé, au sein de ce marché de services, une segmentation selon que les conteneurs sont réfrigérés ou non, lorsque, sur une route (dans les deux sens), au moins 10 % du fret est constitué de conteneurs réfrigérés (6).

8. En l'espèce, la question de la délimitation exacte du marché des services de transport maritime régulier par conteneurs peut être laissée ouverte dans la mesure où, quelle que soit la délimitation retenue, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurent inchangées.

2. MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES

9. La pratique décisionnelle, tant nationale qu'européenne, retient qu'un marché de services de transport maritime régulier se définit par route. Une route associe deux zones géographiques, les différents trajets reliant ces deux zones étant substituables.

10. La Commission européenne a envisagé de retenir un marché pour chacun des deux sens d'un trajet.

11. L'Autorité de la concurrence a considéré qu'en Europe, la zone " Europe du Nord " devait être distinguée de l'Europe du Sud (7).

12. Dans une récente décision n° M. 8459 du 31 juillet 2017 TIL / PSA / PSA DGD, intéressant le même groupe MSC, la Commission européenne, a estimé, sans trancher en l'espèce la définition des marchés pertinents, que onze routes pouvaient être distinguées, dans la continuité de sa pratique décisionnelle précédente (8) : il s'agit des routes entre l'Europe du Nord et les zones Australie/Nouvelle-Zélande, Afrique de l'Ouest, Afrique du Sud, Afrique de l'Est, Caraïbes et Amérique Centrale, Extrême-Orient, Sous-continent Indien, Moyen-Orient, Amérique du Nord, Côte Est de l'Amérique du Sud et Côte Ouest de l'Amérique du Sud.

13. En l'espèce, pour les routes qui présentent un lien avec l'activité de Somacom, l'acquéreur est présent au départ/à l'arrivée de la zone Afrique du Sud.

14. La question de la délimitation géographique exacte du marché des services de transport maritime régulier par conteneurs peut néanmoins être laissée ouverte dans la mesure où, quelle que soit la délimitation retenue, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurent inchangées.

B. LES MARCHÉS DES SERVICES DE MANUTENTION PORTUAIRE DE MARCHANDISES EN CONTENEURS

1. MARCHÉ DE SERVICES

15. La pratique décisionnelle des autorités française (9) et européenne (10) considère que le marché des services de manutention portuaire peut être subdivisé selon les trois principales catégories de fret : i) marchandises en colis (en particulier, marchandises conteneurisées), ii) marchandises en vrac sec et iii) marchandises en vrac liquide.

16. La pratique décisionnelle a également envisagé la possibilité de subdiviser le marché des services de manutention portuaire pour le vrac sec selon le type de marchandise manutentionnée : grand vrac (charbon et minerai de fer), vrac agricole (céréales, semences, etc.) et autres vracs secs (concentrés de zinc et autres concentrés non ferreux, clinkers de ciment, fonte brute, kaolin, phosphates et autres minéraux, cokes, cokes de pétrole, anthracites, etc.) (11).

17. Une possible distinction a également été envisagée entre les services de manutention par flux de trafic : trafic hinterland (depuis ou vers l'arrière-pays du port) et trafic de transbordement (d'un navire à un autre) (12).

18. En l'espèce, la question de la délimitation exacte du marché des services de manutention portuaire peut être laissée ouverte dans la mesure où, quelle que soit la délimitation retenue, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurent inchangées.

2.MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES

19. Les autorités de concurrence (13) définissent des marchés géographiques différents pour l'hinterland (14) et le transbordement. La méthode consiste à identifier les ports formant ensemble un territoire géographique sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes pour être distinguées des zones voisines. Pour l'hinterland, il convient d'examiner quels sont les ports de commerce qui partagent un hinterland commun avec celui concerné par l'opération. Pour le transbordement, la dimension géographique retenue est généralement plus large.

20. À l'occasion de la décision n° 11-D-01 du 18 janvier 2011 (15), l'Autorité de la concurrence s'est prononcée sur la dimension géographique du marché des services de manutention portuaire de conteneurs à La Réunion. S'agissant de l'hinterland, le marché se limite à La Réunion. S'agissant du transbordement, le marché peut inclure l'Île Maurice.

21. En l'espèce, Somacom est présente à La Réunion.

22. En tout état de cause, il n'est pas nécessaire en l'espèce de se prononcer sur la délimitation géographique exacte de ce marché de services, dans la mesure où, quelle que soit la délimitation retenue, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurent inchangées.

III. Analyse concurrentielle

23. Une concentration verticale peut restreindre la concurrence en rendant difficile l'accès aux marchés sur lesquels la nouvelle entité sera active, voire en évinçant potentiellement les concurrents ou en les pénalisant par une augmentation de leurs coûts. Ce verrouillage peut viser les marchés aval, lorsque l'entreprise intégrée refuse de vendre un intrant à ses concurrents en aval, ou les marchés amont, lorsque la branche aval de l'entreprise intégrée refuse d'acheter les produits des fabricants actifs en amont et réduit ainsi leurs débouchés commerciaux.

24. Cependant, la pratique décisionnelle considère en principe qu'un risque d'effet vertical peut être écarté dès lors que la part de marché de l'entreprise issue de l'opération sur les marchés concernés ne dépasse pas 30 %.

25. En l'espèce, au regard des activités exercées par les parties, l'opération est susceptible d'engendrer des effets verticaux entre le marché des services de manutention portuaire de marchandises en conteneurs à La Réunion et le marché des services de transport maritime régulier par conteneurs depuis/vers l'Afrique du Sud.

26. Conformément à la pratique décisionnelle (16), la probabilité que l'opération fausse le jeu de la concurrence par le biais d'effets verticaux dépend de la capacité des parties à restreindre effectivement l'accès de ses concurrents sur le marché des services de transport maritime régulier par conteneurs à des services de manutention portuaire de marchandises et/ou à réduire effectivement les débouchés des manutentionnaires concurrents, de l'incitation de la nouvelle entité à mettre en œuvre de telles stratégies et des effets de ces stratégies sur les marchés en cause. En pratique, ces trois critères sont étroitement liés.

1. VERROUILLAGE DE L'ACCÈS AUX INTRANTS

27. La nouvelle entité pourrait souhaiter restreindre l'accès des concurrents de MSC aux services de manutention portuaire de marchandises en conteneurs proposés par Somacom à La Réunion. Somacom détient néanmoins une part de marché inférieure à 30 % sur le marché de la manutention portuaire de marchandises, quelle que soit la segmentation retenue, à l'exception du marché relatif aux marchandises en conteneurs en trafic hinterland sur lequel sa part de marché est de [30-40] % à La Réunion. Il y fait face à la concurrence de SAMR (part de marché estimée par la partie notifiante à [40-50] %) et de SGM (part de marché estimée par la partie notifiante à [10-20] %). La capacité de la nouvelle entité à mettre en œuvre une stratégie de verrouillage de l'accès aux intrants est ainsi limitée.

28. Il ressort, en outre, des informations fournies par la partie notifiante que le taux d'utilisation de Somacom est [confidentiel] et qu'avant l'opération, " Somacom [confidentiel] " (17). Ce point a été confirmé par les répondants au test de marché. Les concurrents de MSC disposent ainsi d'alternatives actuelles. Une telle stratégie ne modifierait donc pas la structure actuelle des marchés concernés.

29. Compte tenu de ces relations économiques déjà intégrées, qui ne permettent pas d'envisager une intégration plus poussée à l'issue de l'opération, le risque de verrouillage des intrants peut être écarté.

2. VERROUILLAGE DE L'ACCÈS À LA CLIENTÈLE

30. La nouvelle entité pourrait choisir de n'utiliser que les services de Somacom pour des prestations de manutention portuaire à La Réunion et donc de réduire les débouchés des manutentionnaires concurrents. Une telle stratégie s'appuierait sur la position importante de MSC sur plusieurs routes du marché des services de transport maritime régulier par conteneurs depuis et vers l'Afrique du Sud (part de marché maximale de 63,5 % sur la route depuis l'Afrique du Sud vers l'Afrique de l'Est).

31. Or en l'espèce, avant l'opération, MSC ne faisait appel qu'à Somacom pour la réalisation de prestations de manutention portuaire de sorte que l'opération ne modifiera pas la structure actuelle des marchés concernés. Ce point a été confirmé par les répondants au test de marché. Les concurrents de Somacom disposent ainsi d'alternatives actuelles qui leur permettent d'être actifs sur le marché. En outre, selon la partie notifiante, compte tenu des espaces alloués par l'autorisation d'occupation temporaire (AOT), le taux d'utilisation de Somacom est généralement [confidentiel]. À cet égard, la partie notifiante a indiqué que "MSC n'a strictement aucune incitation à refuser d'utiliser les services des concurrents de Somacom, en particulier dans le cas où le volume de marchandises transporté par MSC à La Réunion excéderait les capacités de Somacom ".

32. Compte tenu de ces relations économiques déjà intégrées, qui ne permettent pas d'envisager une intégration plus poussée à l'issue de l'opération, le risque de verrouillage de l'accès à la clientèle peut être écarté.

33. En conséquence, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d'effets verticaux sur ces marchés.

DÉCIDE

Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 19-146 est autorisée.

NOTES

1 Les participations respectives sont de [...] pour MSC, et [...] % pour GIP I et GIP II.

2 Les chiffres d'affaires mentionnés ne sont pas consolidés au niveau des sociétés-mères de TIL.

3 Les activités de ces deux opérateurs ont également été présentées dans les avis de l'Autorité de la concurrence n° 19-A-12 du 4 juillet 2019 concernant le fonctionnement de la concurrence en Outre-Mer (points 302-303 et 316 à 319) et n° 18-A-09 du 3 octobre 2018 relatif à la situation concurrentielle sur les marchés des matériaux de construction à Mayotte et à La Réunion (points 116 à 120).

4 Décision de l'Autorité de la concurrence n° 13-D-15 du 25 juin 2013 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport maritime du fret entre l'Europe et les Antilles françaises.

5 Voir, pour les décisions les plus récentes, les décisions de la Commission européenne M.7268 Csav / HGV / Kuhne Maritime / Apag-Lloyd AGdu 11 septembre 2014 ; M.7908 - CMA CGM / NOL du 24 avril 2016 ; M.8120 Hapag-Lloyd / United Arab Shipping Company du 23 novembre 2016 ; M.8459 - TIL / PSA / PSA DGD du 31 juillet 2017 ; M.8594 Cosco Shipping / Ooil du 5 décembre 2017 ; M.9016CMA CGM/ Container Finance du 22 octobre 2018 et M.9093 DP World Investments / Unifeeder du 4 décembre 2018.

6 Ibid.

7 Dans sa décision n° 13-D-15 précitée, l'Autorité de la concurrence a retenu que le marché pertinent était constitué par la route reliant l'Europe du Nord aux Antilles.

8 Ibid.

9 Décisions de l'Autorité de la concurrence n° 13-DCC-64 du 5 juin 2013 relative à la création d'une entreprise commune par les groupes Arterris et Axéréal et n° 18-DCC-16 du 17 janvier 2018 relative au passage d'un contrôle exclusif par le groupe Perrigault à un contrôle conjoint avec la société TIL du terminal Porte Océane du port du Havre. Voir aussi la lettre C2006-49 du ministre des finances et de l'industrie du 10 mai 2006 aux conseils de la société Moller Maersk relative à une concentration dans le secteur de la manutention de conteneurs et la lettre du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en date du 4 juin 2003 aux conseils de la société Sea-Invest relative à une concentration dans le secteur de la manutention portuaire. Dans la décision n° 10-DCC-130 du 7 octobre 2010 relative à la prise de contrôle exclusif d'actifs du groupe Sodistock SA par la société CAF Grains, filiale du groupe Invivo, l'Autorité de la concurrence avait envisagé, plus spécifiquement, l'existence d'unmarché des services portuaires pour les céréales, compte tenu de la spécificité de ces services, du fait qu'ilsfont l'objet d'une règlementation spécifique et de l'existence de prestataires actifs au seul titre du stockage de céréales dans les seules zones portuaires. La question de la délimitation exacte de ce marché est finalement restée ouverte.

10 Voir, pour les décisions les plus récentes, les décisions de la Commission européenne M.7268,M.7908,M.8120, M.8459,M.8594, M.9016 et M.9093 précitées.

11 Ibid.

12 Ibid.

13 Ibid.

14 L'hinterland correspond aux zones d'influence économique d'un port, c'est-à-dire la zone géographique où peuvent aller et d'où peuvent venir les marchandises transitant par le port.

15 Décision de l'Autorité de la concurrence n° 11-D-01 du 18 janvier 2011 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la manutention portuaire à La Réunion.

16 Voir le paragraphe 449 des Lignes directrices de l'Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations.

17 [Confidentiel]. La partie notifiante précise que " la compagnie maritime choisie par le transitaire/commissionnaire [qui] détermine quelle société de manutention portuaire va être utilisée " et ainsi qu'" avant comme après l'opération, les transitaires/commissionnaires ayant sélectionné MSC comme compagnie maritime de transport utiliseront les services de Somacom " que MSC utilise ses propres navires ou des navires dans le cadre d'accords d'exploitation en commun de services de transport maritime de ligne.