CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 20 novembre 2019, n° 18-05709
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Les Fournils de France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
Mme Bodard-Hermant, M. Gilles
FAITS ET PROCÉDURE
La SAS Les Fournils de France est spécialisée dans la restauration rapide et anime un réseau d'affiliés opérant sous l'enseigne commune " Les Fournils de France ".
La SAS Le Fournil de Paris est une filiale de la société Les Fournils de France, les deux sociétés ayant le même dirigeant, Monsieur X.
M. Y s'est rapproché de la société Les Fournils de France en vue d'ouvrir un point de vente sous l'enseigne Fournils de France.
Le 27 septembre 2016, M. Z, frère de M. Y, a payé à la société Les Fournils de France une somme de 28 200 euros.
Aucun point de vente n'ayant été ouvert, par acte extrajudiciaire du 3 février 2017, MM. YZ ont assigné en référé la société Les Fournils de France et la société Le Fournil de Paris, sollicitant le remboursement de la somme de 28 200 euros versée au titre du droit d'entrée.
Par ordonnance du 26 avril 2017, le tribunal de commerce de Paris a mis hors de cause la société Le Fournil de Paris, dit n'y avoir lieu à référé, et renvoyé l'affaire pour qu'il soit statué au fond.
Par jugement du 7 février 2018, le tribunal de commerce de Paris a :
- constaté la mise hors de cause de la société Le Fournil de Paris par ordonnance de référé en date du 26 avril 2017 ;
- condamné la société Les Fournils de France à payer à M. Z la somme de 28 200 euros en remboursement de la somme versée le 27 septembre 2016 ;
- condamné la société Les Fournils de France à payer à M. Y la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts, et débouté pour le surplus de sa demande ;
- condamné la société Les Fournils de France à payer à MM. YZ globalement la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La cour est saisie de l'appel de ce jugement, interjeté le 16 mars 2018 par la société Les Fournils de France et intimant MM. YZ.
Vu les dernières conclusions de la société Les Fournils de France, déposées et notifiées le 12 juillet 2018, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;
- constater que, nonobstant l'absence de signature du contrat d'affiliation, MM. YZ ont validé ce contrat par son exécution spontanée et, par conséquent, rejeter les demandes de MM. YZ ;
- constater que, nonobstant l'absence de remise de l'information précontractuelle, MM. YZ ne démontrent pas que leur consentement aurait été vicié et le contrat invalidé et, par conséquent, rejeter les demandes de MM. YZ ;
- subsidiairement, dire que la société Les Fournils de France est fondée à conserver la somme de 28 200 euros versée à titre de droit d'entrée, en compensation et rémunération de l'ensemble des prestations qu'elle a fournies et réalisées dans le cadre du projet d'entreprise de MM. YZ ;
- très subsidiairement, réformer le jugement en ce qu'il l'a condamnée au paiement de 5 000 euros au titre de dommages et intérêts ;
- condamner solidairement MM. YZ au paiement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner MM. YZ en tous dépens.
Vu les dernières conclusions de MM. Y et Z, déposées et notifiées le 27 août 2019, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- recevoir l'appel incident ;
Y faisant droit,
- confirmer le jugement entrepris, sauf à augmenter le montant des dommages et intérêts alloués à M. Y ;
Vu l'article L. 330-3 du Code de Commerce,
- condamner la société Les Fournils de France à payer à M. Z la somme de 28 200 euros TTC en remboursement de la somme versée le 27 septembre 2016 ;
À titre subsidiaire,
- condamner la société Les Fournils de France à payer à M. Z la somme de 22 200 euros TTC ;
En toute hypothèse,
- condamner la société Les Fournils de France à payer à M. Y la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
En tout état de cause,
- débouter la société Les Fournils de France de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner la société Les Fournils de France à payer à MM. YZ la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et la condamner aux entiers dépens.
SUR CE LA COUR
A l'appui de son appel, la société Les Fournils de France soutient que :
- elle ne pouvait transmettre le document d'information précontractuel (DIP) à M. Y étant donné que ledit DIP doit contenir un état du marché local et détailler la nature et le montant des dépenses et des investissements spécifiques à l'enseigne ou à la marque et que la personne destinataire du projet de contrat devra engager avant de commencer l'exploitation ;
- elle considère qu'en l'absence de local choisi par le futur franchisé il lui est impossible de compléter le DIP et affirme que, pour cette raison, le seul document envoyé en août 2016 n'était qu'une information partielle et ne remplissait pas les exigences des articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce ;
- elle assume cette absence de DIP complet du fait que par la suite, M. Y n'a pas été en mesure de choisir son futur local ;
- elle se prévaut néanmoins de la validité du contrat de franchise qui, selon elle, a suivi ;
- elle fait valoir que MM. YZ ne démontrent pas en quoi l'absence d'information alléguée a vicié leur consentement ;
- elle explique que c'est par leurs refus répétés des locaux qui leur ont été soumis par ses soins que l'affiliation n'a pu aboutir ;
- elle explique devoir être indemnisée pour le travail fourni dans la quête d'un local pour MM. YZ du fait de la recherche, des visites, des métrages et autres prestations qu'elle a dû accomplir pour trouver le local adéquat de son futur franchisé ;
- elle considère en conséquence avoir le droit de conserver l'intégralité du droit d'entrée.
Les moyens soutenus par la société Les Fournils de France, au soutien de son appel relatif à son obligation de restitution de la somme de 28 200 euros, ne font, cependant, que réitérer sous une forme nouvelle, mais sans justification complémentaire utile, ceux dont le premier juge a connu et auxquels il a répondu par des motifs exacts que la cour adopte, sans qu'il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail d'une discussion se situant au niveau d'une simple argumentation.
A ces justes motifs, il sera ajouté ce qui suit.
L'article L. 330-3 du Code de commerce dispose que :
" Toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause.
Ce document, dont le contenu est fixé par décret, précise notamment, l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise, l'état et les perspectives de développement du marché concerné, l'importance du réseau d'exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ des exclusivités.
Lorsque le versement d'une somme est exigé préalablement à la signature du contrat mentionné ci-dessus, notamment pour obtenir la réservation d'une zone, les prestations assurées en contrepartie de cette somme sont précisées par écrit, ainsi que les obligations réciproques des parties en cas de dédit.
Le document prévu au premier alinéa ainsi que le projet de contrat sont communiqués vingt jours minimums avant la signature du contrat, ou, le cas échéant, avant le versement de la somme mentionnée à l'alinéa précédent. "
En l'espèce, il est constant que, d'une part, la société Les Fournils de France n'établit pas avoir adressé le document d'information précontractuel (DIP), bien qu'elle affirme l'avoir fait " fin août 2016 ", et que, d'autre part, nul contrat n'a été signé par les parties en vue de l'ouverture d'un point de vente.
Par courriel du 25 août 2016, le franchiseur accusait réception de la demande de DIP de M. Y pour la ville de Saint-Denis, mais ne mentionnait nullement qu'il avait envoyé, ou était sur le point d'envoyer un tel document ; en revanche, il adressait dans son message son " RIB pour procéder au règlement du droit d'entrée et de formation, d'un montant total de 28 200 euros ".
Ce courriel était la réponse à un courriel adressé la veille par M. Y à M. X, qui assurait celui-ci d'un prochain virement concernant le droit d'entrée et demandait le DIP.
Par courriel du 23 septembre 2016, la société Les Fournils de France écrivait à M. Y au sujet de l'implantation d'un établissement à Marseille, possibilité qu'il n'avait pu connaître que parce que le franchiseur lui en avait également parlé. De manière insistante, la société Les Fournils de France écrivait :
" Je préfère que vous sachiez que tant qu'aucun règlement n'est versé je ne peux bloquer celui-ci ".
Le versement de la somme de 28 200 euros est intervenu seulement quelques jours plus tard, le 27 septembre.
Il est encore établi que le 11 octobre 2016 seulement, la société Les Fournils de France a adressé à la signature de M. Radouane A. une fiche dite fiche de renseignements financiers personnels, précisant le sort de la somme versée, mais n'apportant toutefois aucune information sur les prestations assurées en contrepartie de la somme versée.
Il est donc établi en l'espèce que la société Les Fournils de France a demandé le versement de la somme de 28 200 euros sans respecter les prescriptions légales d'ordre public ci-dessus, pour s'être abstenue de préciser, par écrit et à temps, tant les prestations assurées en contrepartie du versement de cette somme que les obligations réciproques des parties en cas de dédit.
Un tel comportement caractérise une faute de la société Les Fournils de France, de nature à entraîner sa responsabilité à hauteur du dommage ainsi causé au créancier de l'obligation légale d'information délibérément violée.
Il en résulte que la société Les Fournils de France ne soutient pas valablement que le versement de la somme de 28 200 euros doit s'analyser comme le commencement d'exécution d'un contrat de franchise.
Au demeurant, la société Les Fournils de France ne produit pas même le projet de contrat de franchise qu'il affirme avoir adressé à MM. YZ.
S'agissant du préjudice découlant de la faute de la société Les Fournils de France, il s'évalue en l'espèce à des dommages-intérêts correspondant à la totalité du montant de la somme versée sans que les précisions préalables voulues par la loi aient été apportées.
En effet, c'est en toute ignorance des obligations réciproques des parties en cas de dédit que MM. YZ ont versé la somme litigieuse. La société Les Fournils de France ne peut donc lui opposer aucune obligation venant réduire le montant à restituer.
La cour rappelle que la société Les Fournils de France a adressé à la signature de M. Radouane A. une fiche précisant le sort de la somme versée, le 11 octobre 2016 seulement. Le caractère tardif de cette information a privé MM. YZ de toute connaissance en temps utile des conditions dans lesquelles la société Les Fournils de France avait décidé de retenir tout ou partie de la somme versée.
Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a condamné la société Les Fournils de France à payer à M. Z la somme de 28 200 euros en remboursement de la somme versée le 27 septembre 2016.
S'agissant des dommages-intérêts supplémentaires, le tribunal a alloué 5 000 euros à M. Y, en compensation du dommage subi du fait que sa volonté d'entreprendre avait été contrecarrée durablement par le refus de lui restituer son apport personnel de 28 200 euros.
En cause d'appel, M. Y soutient avoir été arrêté dans tout projet professionnel dans l'attente de la restitution des fonds constituant sa mise de départ dans la reprise d'une exploitation ; il ajoute avoir été plongé de ce fait dans la précarité économique et sociale caractérisée par la nécessité de solliciter le bénéfice du RSA ; se prévalant de la malhonnêteté du franchiseur et des conséquences de celle-ci, il sollicite 20 000 euros de dommages-intérêts.
La société Les Fournils de France soutient que les éléments de preuve au soutien de la demande et retenus par le tribunal ne sont pas probants.
La cour retient que M. Y prouve avoir conclu le 22 avril 2016 une promesse d'acquisition, avant le 1er septembre 2016, de parts sociales d'EURL, sous conditions suspensives et au prix de 51 900 euros, avec versement, par ses soins, d'arrhes à hauteur de 25 000 euros, sur le compte Carpa d'un avocat.
M. Y prouve également que cette opération n'a pas abouti et a été dénouée le 30 août 2016, date à laquelle les arrhes ont été restituées.
Ces démarches sont certes immédiatement antérieures à celles effectuées auprès de la société Les Fournils de France, mais elles attestent, néanmoins, de la sérieuse volonté d'entreprendre de M. Y, et il doit être retenu que la privation indue de la somme de 28 200 euros décidée par la faute de la société Les Fournils de France a radicalement fait obstacle à la réalisation de tout autre projet d'entreprise dans l'attente de la restitution des fonds litigieux.
C'est pourquoi M. Y, qui a également été victime de l'intention avec laquelle la société Les Fournils de France a commis la faute imputée à celle-ci, justifie d'un préjudice moral dont la cour dispose des éléments permettant de l'évaluer à 5 000 euros.
Toutefois, si M. Y prouve bénéficier du RSA depuis le courant de l'année 2017, il n'est pas établi que celui-ci aurait été capable de mieux subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille si la somme litigieuse lui avait été restituée, de sorte qu'il ne peut être retenu que sa précarité économique et sociale actuelle a été causée par la faute de la société Les Fournils de France.
Il s'en déduit que le surplus de la demande de dommages-intérêts de M. Y doit être rejetée.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en toutes ses dispositions.
S'agissant des frais de l'instance d'appel, il convient de les mettre à la charge de la société Les Fournils de France, qui succombe et qui, en équité, sera condamnée à verser à MM. YZ une somme au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, dont le montant sera précisé au dispositif du présent arrêt.
Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Déboute les parties du surplus de leurs demandes, Condamne la société Les Fournils de France à payer à MM. YZ une somme supplémentaire de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en appel, Condamne la société Les Fournils de France aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.