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Décisions

CA Versailles, 28 novembre 2019, n° 17/06429

VERSAILLES

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Akiolis Group (Sté)

Défendeur :

Autorité de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Grasso

Avocats :

Me Brunet, Selarl Lexavoué Paris-Versailles

CA Versailles n° 17/06429

28 novembre 2019

FAITS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Par ordonnance du 18 mai 2017, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Nanterre a autorisé des rapporteurs des services d'instruction de l'Autorité de la concurrence à procéder à des opérations de visite et de saisie dans les locaux de la socité Akiolis sis <adresse> aux fins d'établir si ladite société se livre à des pratiques prohibées par les articles L. 420-1 2° et 4° du Code de commerce et 101-1 a) et c) du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (" TFUE ").

Il a également donné commission rogatoire au juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance du Mans afin de désigner les chefs de service de police ou de gendarmerie territorialement compétents pour nommer les officiers de police judiciaire qui assisteront aux opérations de visite et de saisie dans les locaux d'Akiolis et le tiendront informé de leur déroulement et de toute contestation jusqu'à leur clôture.

Le juge des libertés et de la détention commis a pris une ordonnance le 23 mai 2017.

Les opérations se sont déroulées du 30 au 31 mai 2017 et ont fait l'objet d'un procès-verbal (" PV ") de notification de l'ordonnance, d'un PV de visite et saisie et d'un inventaire.

S'agissant des fichiers informatiques sélectionnés au sein de la société Akiolis, un scellé fermé provisoire dans le but de protéger le secret des correspondances avocat-client, n'a pas été constitué, l'occupant des lieux ayant répondu qu'aucun document ne relevait de la protection précitée, comme le relatent les mentions figurant au PV de visite et de saisie.

La société Akiolis a interjeté appel de l'ordonnance et formé un recours contre le déroulement des opérations de visite et de saisie.

Par ses écritures sur l'appel de l'ordonnance déposées le 21 septembre 2019, oralement soutenues à l'audience, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la société Akiolis demande de :

- annuler l'ordonnance du 18 mai 2017,

- annuler les opérations de visite et saisies réalisées dans ses locaux et ordonner la restitution à la requérante des documents saisis sans possibilité pour l'Autorité de la concurrence d'en garder copie l'intégralité des pièces saisies

- condamner l'Autorité de la concurrence à lui payer la somme de 30 000 sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,

- condamner l'Autorité de la concurrence aux entiers dépens.

Par ses écritures sur le recours contre les opérations déposées le 19 septembre 2019, oralement soutenues à l'audience, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la société Akiolis demande de :

À titre principal,

- annuler les opérations de visite et saisies réalisées dans ses locaux et ordonner la restitution à la requérante des documents saisis sans possibilité pour l'Autorité de la concurrence d'en garder copie l'intégralité des pièces saisies

À titre subsidiaire,

- annuler la saisie de tous les documents et courriels saisis chez Akiolis Group couverts par le secret professionnel en particulier les pièces numéros 4 et 5,

- ordonner la restitution à la requérante des documents saisis sans possibilité pour l'Autorité de la concurrence d'en garder copie l'intégralité des pièces saisies

- ordonner la restitution à Akiolis Group de l'ensemble des copies des documents listés en pièce numéro 4 saisis dans le cadre des saisies informatiques

En tout état de cause,

- condamner l'Autorité de la concurrence à lui payer la somme de 30 000 sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,

Par ses écritures sur l'appel de l'ordonnance préalablement déposées et oralement soutenues à l'audience, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, l'Autorité de la concurrence demande de :

Confirmer l'ordonnance d'autorisation rendue le 18 mai 2017 par le JLD du TGI de Nanterre et, par voie de conséquence, l'ordonnance rendue sur commission rogatoire par le JLD du TGI du Mans le 23 mai 2017 ;

Rejeter toutes les prétentions de l'appelante ;

Condamner la société Akiolis au paiement de 50 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par ses écritures sur le recours contre les opérations préalablement déposées et oralement soutenues à l'audience, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, l'Autorité de la concurrence demande de :

- confirmer la régularité des opérations de visite et de saisie effectuées les 30 et 31 mai 2017 dans les locaux d'Akiolis ;

- rejeter la demande de restitution de l'ensemble des documents saisis ;

- rejeter les demandes d'annulation de la saisie et de restitution de tous les documents et courriels contenus dans les pièces adverses n° 4 et 5 ;

- rejeter la demande de restitution de l'ensemble des copies des documents contenus en pièce adverse n° 4 qui se trouveraient dans les saisies informatiques ;

- condamner la société Akiolis Group au paiement de 50 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

MOTIFS de la DECISION

I - Sur la jonction

Dans l'intérêt d'une bonne administration de la Justice, en application de l'article 367 du Code de procédure civile et eu égard aux liens de connexité entre ces affaires, il convient de joindre les instances enregistrées sous les numéros RG n° 17-06429 et, 17-06430, lesquelles seront regroupées.

II - Sur l'appel formé contre l'ordonnance du 18 mai 2017

Sur l'absence de contrôle par le juge des libertés et de la détention du bien-fondé de la demande d'autorisation

L'appelante soutient que la visite et les saisies autorisées présenteraient un caractère disproportionné et violeraient l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (" CESDH ") au motif que les pratiques recherchées par l'Autorité de la concurrence reposeraient exclusivement sur des indices relatifs aux cessions croisées de fonds de commerce et hausses tarifaires présumées, qui reposeraient sur des documents publics et facilement accessibles à l'Autorité de la concurrence

L'Autorité de la concurrence répond qu'elle est seule compétente pour reconnaître des opérations de concentration, que tel n'est pas le cas en l'espèce,

Et que le juge des libertés et de la détention s'est déterminé selon la méthode du faisceau d'indices par l'analyse de l'ensemble des faits portés à sa connaissance qui a conduit à des soupçons de comportements illicites dans le secteur de l'équarrissage et de retenir des présomptions de participation de l'appelante à une entente.

Le juge qui autorise des opérations de visite et de saisie sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code de commerce est tenu de vérifier si la demande d'autorisation doit comporter tous les éléments d'informations utiles en possession du demandeur de nature à justifier la visite ; par suite le juge doit s'assurer que les éléments produits par l'administration aient une apparence de licéité et sont suffisants pour justifier que la mesure intrusive de visite et de saisie soit justifiée ; à cette fin le juge des libertés et de la détention, qui n'est pas le juge du fond mais celui de l'apparence, doit vérifier, en se référant aux éléments d'informations fournis par l'Autorité qu'il existait des indices laissant apparaître des faisceaux de présomptions d'agissements prohibés justifiant que soit recherchée leur preuve au moyen d'une visite et de saisies de documents s'y rapportant sans qu'il soit nécessaire que soit caractérisées des présomptions précises, graves et concordantes ou des indices particulièrement troublants des pratiques ; les présomptions sont appréciées par le juge en proportion de l'atteinte aux libertés individuelles que sont susceptibles de comporter la visite et les saisies envisagées.

Seuls des indices permettant de présumer de la pratique suspectée et non des preuves matérielles de l'infraction doivent fonder la décision du juge.

Il ne s'agit donc pas de procéder à un examen éclaté de la requête en analysant un à un les indices et une à une les pièces, mais de déduire de l'ensemble des éléments produits pris dans leur globalité s'il existe des indices, qui pris isolément ne seraient pas suffisamment pertinents, mais laissant présumer, une fois rapprochés les uns des autres, que des pratiques prohibées étaient en train de se commettre.

Si la méthode du faisceau d'indices est utilisée pour apporter la ou les preuves de pratiques anticoncurrentielles, en l'absence de pièces se suffisant à elles-mêmes, elle est d'autant plus recevable pour établir l'existence d'une ou de plusieurs simples présomptions au stade de l'affaire où les investigations n'ont pas encore été réalisées en totalité. Puisque par hypothèse, les participants à une entente ou les auteurs d'un abus de position dominante collective vont tenter de dissimiler leurs agissements prohibés.

L'article L. 430-3 du Code de commerce prévoit la compétence exclusive de l'Autorité de la concurrence pour examiner les opérations de concentration ; Celle-ci est donc la seule institution compétente au niveau national pour déterminer si une ou plusieurs cessions de fonds de commerce sont susceptibles de constituer une ou plusieurs opérations de concentration contrôlables au sens de l'article L. 430-2 du Code de commerce.

Il n'appartient pas à l'appelante de qualifier elle-même une opération de cession de fonds de commerce d'opération de concentration, cette qualification relevant actuellement du collège de l'Autorité de la concurrence, puis de la cour d'appel de Paris et de la chambre commerciale de la Cour de cassation, si cette question devait être soulevée par l'appelante, à l'occasion de la contestation de griefs qui pourraient être, le cas échéant, retenus contre elle à la suite de l'instruction au fond de l'affaire.

En conséquence, il ne relève pas de la compétence du juge des libertés et de la détention de déterminer si les opérations de cessions de fonds de commerce dont s'agit sont, selon l'interprétation de la société Akiolis, des opérations de concentration économique qui n'entrent pas dans le champ d'application des articles L. 420-1 du même Code et 101§1 du TFUE.

Il est rappelé que les motifs et le dispositif de l'ordonnance d'autorisation sont réputés être établis par le juge qui l'a rendue et signée, lequel en endosse la responsabilité et qu'en l'espèce le juge des libertés et de la détention a disposé de 7 jours pour examiner la requête et les pièces ;

En l'espèce, le juge des libertés et de la détention, tenu à une obligation de contrôle, s'est assuré de la qualité des personnes ayant demandé l'autorisation (recevabilité de la demande) et du caractère suffisant des faits exposés par l'Autorité de la concurrence ayant conduit, après description et analyse, à des soupçons de comportements illicites dans le secteur de la location entretien des machines d'affranchissement postal (bien-fondé de la demande).

Il s'est déterminé en référence au 32 annexes listées avec précision dans l'ordonnance (2 articles de presse, 5 communiqués de presse des entreprises soupçonnées, 1 communiqué des syndicats actifs dans le secteur de l'élevage, extraits et documents relevant des organismes et entités actifs dans l'industrie agro-alimentaire, 8 annonces au BODACC concernant des cessions de fonds de commerce entre Saria et respectivement Monnard/Prodia et Akiolis, 16 procès-verbaux de déclaration et de prise de copie de documents de directeurs d'abattoirs ou d'éleveurs s'estimant victimes des pratiques décrites, 2 courriels d'agriculteurs s'estimant victimes des pratiques décrites, etc. ) qui permettent d'en connaître la teneur et sont utiles à la vérification et au contrôle à la fois de leur existence et de l'adéquation entre les motifs de l'ordonnance et les pièces versées au soutien de la demande d'autorisation.

C'est à la recherche d'indices suffisamment sérieux et probants de l'existence de pratiques anti-concurrentielles pouvant impliquer les personnes visées dans la requête et justifiant la mesure sollicitée que le juge des libertés et de la détention, doit s'attacher, sans être tenu de s'expliquer spécialement sur chacune des pièces versées au soutien de la demande.

Seule l'instruction et l'analyse des documents saisis permettra d'établir l'existence ou non de pratiques prohibées.

Au surplus, ont été portés à la connaissance du juge des libertés et de la détention des éléments d'information autres que les cessions des fonds de commerce, d'une part portant sur l'ensemble des agissements de différentes entreprises dans le secteur considéré de l'économie, les agissements présumés des sociétés en cause ayant été examinés par le juge à la lumière des comportements des autres acteurs du secteur économique de l'équarissage dans la mesure où l'entente soupçonnée nécessite la mise au point, par les entreprises suspectés, de stratégies et tactiques communes.

En l'espèce, la société Monnard SNC a cédé quatre fonds, un à Saria, un à Akiolis dans le Jura et deux à Akiolis dans le Gers, tandis que la société Monnard Savoie SNC a acquis quatre fonds d'Akiolis, deux dans l'Ain, un en Isère et un dans les Hautes Alpes.

En l'espèce, la pratique prohibée suspectée consisterait en une entente anticoncurrentielle entre les entreprises Akiolis, Saria et Monnard/Prodia afin de se répartir géographiquement les marchés de l'équarrissage en vue de la création de zones d'exclusivité leur conférant des monopoles locaux et la suspicion provient, au vu de l'ensemble des pièces produites et détaillées dans l'ordonnance entreprise, de ce que la répartition géographique des marchés de l'équarrissage réalisée par le biais de cessions croisées de fonds de commerce entre les entreprises Akiolis, Saria et Monnard/Prodia aboutit à la création de zones géographiques d'exclusivité d'intervention réservées à chaque entreprise susmentionnée, que différents clients de ces entreprises dénoncent la répartition des marchés de l'équarrissage et font état de refus injustifiés de prestations d'équarrissage, que des agriculteurs font aussi état des refus d'intervenir de la part des équarrisseurs sollicités accompagnés de la recommandation d'un prestataire concurrent, que des agissements anticoncurrentiels ont aussi été observés lors des appels d'offres publics et privés mettant en concurrence des entreprises d'équarrissage, que plusieurs déclarations illustrent ainsi l'absence généralisée de concurrence entre les entreprises d'équarrissage et l'impossibilité pour leurs clients de les mettre en compétition.

Ces déclarations mettent également en lumière une augmentation unilatérale et sans négociation possible des tarifs de collecte des sous-produits et une dégradation de la rémunération des coproduits valorisables par les entreprises précitées au détriment des clients des prestations d'équarrissage et ces augmentations importantes de prix simultanées sur une même période et déplorées par certains plaignants, agriculteurs ou abattoirs, et décrites par l'ordonnance qui ne sauraient être la conséquence directe et logique des clauses de non concurrence contenues dans les conventions de cession conclues entre le cédant et le cessionnaire, à moins que le cessionnaire n'ait eu l'assurance de ne rencontrer aucune forme de concurrence sur la zone géographique concernée.

La présomption d'entente en vue de l'application de hausses tarifaires est ainsi fondée sur un extrait de l'observatoire des coûts d'enlèvement des coproduits animaux de la FNICGV (annexe 23 à la requête), des PV de déclaration de plusieurs exploitants agricoles ou responsables d'abattoirs faisant état d'augmentations tarifaires à la suite du changement de prestataire (annexes 24, 25, 26, 14 et 11 à la requête) ainsi que d'un durcissement ou d'une absence totale de la possibilité de négociation (annexes 19 et 11 à la requête).

L'ordonnance s'appuie ségalement sur plusieurs PV de déclarations de professionnels de la filière et de leurs pièces jointes qui figurent aux annexes 12, 15, 20 et 20.1, 22 et 22.1, 27, 28 et 28.1, 29, 30 à la requête qui montrent des comportements particuliers, distincts des accords de cession pris individuellement, ayant eu des effets anticoncurrentiels potentiels dans le secteur d'activité concerné d'où il résulte une présomption d'entente pour se réserver l'exclusivité de la collecte de certains produits (sang, os à gélatine) auprès de clients situés dans certaines zones géographiques de sorte à pouvoir imposer des augmentations des tarifs de collecte desdits produits et, le cas échéant, permettre des compensations entre les entreprises d'équarrissage.

Si chacun des éléments produits, envisagé séparément, peut paraître peu signifiant, dès lors que juge des libertés et de la détention ne procède pas par la méthode de l'examen des indices pris isolément, mais selon la méthode du faisceau d'indice, leur appréciation d'ensemble permet de relever certaines anomalies dans le fonctionnement du marché de l'équarissage permettant de présumer de l'existence d'ententes prohibée et le parallélisme de comportement des entreprises visées peut constituer une présomption sérieuse de pratiques anticoncurrentielles.

Il résulte donc suffisamment de l'analyse et du contrôle opérés par le juge des libertés et de la détention que les entreprises Akiolis, Saria et Monnard/Prodia pourraient s'être entendues pour se réserver l'exclusivité de la collecte d'un certain nombre de produits auprès de clients situés dans certaines zones géographiques de sorte à pouvoir imposer des augmentations des tarifs de collecte concernant lesdits produits et, le cas échéant, permettre des compensations entre les entreprises d'équarrissage.

Dès lors le recours aux visites domiciliaires et saisies sollicitées et ordonnées, permettant soit d'établir soit d'écarter les pratiques irrégulières soupçonnées, se trouve justifié.

L'Administration n'a pas à rendre compte de son choix de recourir à la procédure de l'article 450-4 du Code de commerce, qui ne présente pas un caractère subsidiaire, plutôt qu'à l'enquête dite " simple " prévue à l'article L. 450-3 dudit Code.

La présomption de pratique prohibée doit être suffisante pour que l'atteinte aux droit fondamentaux que constitue une visite domiciliaire soit proportionnée aux craintes objectives de l'administration et à l'ampleur ou la complexité du processus et l'article 8 de la CEDH impose un contrôle de proportionnalité de la mesure.

Pour être admissible, l'ingérence de l'autorité publique dans le droit garanti par l'article 8-1 de la CEDH est subordonnée à une triple condition : être prévue par la loi (article L. 450-4 du Code de commerce), viser un but légitime (la recherche de la preuve de pratiques anticoncurrentielles qui constitue une mesure nécessaire au bien-être économique du pays) et être nécessaire dans une société démocratique.

En l'espèce, la mesure sollicitée tendait à vérifier si les comportements suspectés de la société Saria étaient motivés par la volonté de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse et de se répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement dans le secteur de l'équarrissage ce, en violation des dispositions et ce, en violation des dispositions des articles L. 420-1 2° et 4° du Code de commerce et 101- 1 a) et c) du TFUE.

Par suite, l'autorisation de visite inopinée des bureaux et la saisie des notes, documents et le cas échéant des messageries électroniques des principaux responsables de Saria, en charge notamment des relations avec les fournisseurs de matières premières (abattoirs, élevages, industrie agro-alimentaire, etc.) pouvaient permettre de contrôler la volonté de l'appelante d'affecter le libre jeu de la concurrence en procédant à une répartition géographique des marchés de l'équarrissage en coopération avec ses concurrents de sorte à attribuer à chaque équarrisseur des périmètres d'intervention similaires à des monopoles locaux, en appliquant systématiquement des augmentations tarifaires élevées sans réelle justification économique dès le monopole local obtenu et en refusant d'effectuer des prestations chez des clients en dehors du périmètre d'intervention alloué.

L'ordonnance du 18 mai 2017 sera donc confirmée.

III - Sur le déroulement des opérations de visite et de saisie

Sur la prétendue violation des droits de la défense

La requérante fait état de la violation du secret des correspondances avocat-client lors des saisies opérées dans ses locaux, en développant une argumentation relative aux saisies informatiques qui contiendraient des documents prétendument couverts par le secret précité ainsi qu'à la saisie de trois documents papier prétendument couverts par ledit secret.

Il est constant que la loi du 31 décembre 1971 en son article 66-5 énonce " en toute matière, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client où destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères à l'exception de celles portant la mention " officielle " les notes d'entretien et, plus généralement toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel ".

La saisie d'un document couvert par cette confidentialité doit être annulée et le document restitué.

Il appartient au juge chargé de contrôler les opérations de visite et de saisie de vérifier concrètement, en se référant au procès-verbal et à l'inventaire des opérations, la régularité de ces dernières et d'ordonner, le cas échéant, la restitution des documents qu'il estime appréhendés irrégulièrement ou en violation des droits de la défense.

L'annulation de l'intégralité des opérations de visite et de saisie

La requérante soutient que la saisie de documents papier couverts par le secret des correspondances avocat-client, en ce qu'elle viole les droits de la défense, doit donner lieu à l'annulation de l'intégralité des opérations de visite et de saisie.

L'argument selon lequel la prise de connaissance par les enquêteurs des documents relevant du privilège légal entraînerait l'annulation des opérations, n'est pas pertinent.

En effet, les enquêteurs sont amenés, lors des opérations de visite et de saisies, à visualiser des documents " papiers " ou informatiques pour pouvoir apprécier leur caractère éventuellement couvert par le secret et décider ou non de les appréhender et ensuite la pratique des scellés provisoires offre une seconde garantie pour les sociétés visitées.

La prise de connaissance éventuelle par un enquêteur d'un document protégé par l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 n'a pour effet que l'annulation de ce document et l'interdiction pour l'administration d'en faire état de quelque manière que ce soit, ainsi que le rappelle de manière constante la Haute Juridiction et la CEDH, la saisie irrégulière de certains fichiers ou documents étant sans effet sur la validité des opérations de visite et des autres saisies.

La société Akiolis indique elle même que la saisie informatique de fichiers ou courriels protégés par le secret des correspondances avocat-client ne donne pas lieu à l'annulation de l'intégralité des opérations de visite et de saisie, or, contrairement aux affirmations de la requérante qui allègue que les saisies informatiques " impliquent généralement des saisies globales de messageries électroniques ", alors que, selon elle, lors de la saisie de documents papier, " chaque document est analysé individuellement ", l'article L. 450-4 du Code de commerce ne fait pas de distinction entre les saisies papier et les saisies informatiques, les rapporteurs de l'Autorité de la concurrence procèdent à un examen individualisé des documents, indifféremment, qu'il s'agisse de documents papier ou de fichiers informatiques. Les documents, quelle que soit leur nature, peuvent être saisis en leur globalité s'il est constaté qu'ils comportent des éléments d'information utiles ou pour partie utiles à la manifestation de la vérité.

Le régime juridique est le même pour les saies informatiques et les saisies papier.

L'annulation de la saisie des seuls documents dont la juridiction constate le caractère protégé et, le cas échéant leur restitution, étant suffisante pour établir l'entreprise dans ses droits, c'est à tort que la société Akiolis soutient que la saisie de documents couverts par le secret des correspondances avocat-client serait constitutive d'une violation des droits de la défense de l'entreprise justifiant l'annulation de " l'ensemble de la procédure ayant conduit à cette violation ".

La demande tendant à l'annulation des opérations de visite et saisie et à la restitution de l'ensemble des pièces saisies ne peut donc qu'être rejetée.

L'annulation de la saisie de tous les documents et courriels saisis chez Akiolis Group couverts par le secret professionnel en particulier les pièces numéros 4 et 5, les documents papier

Les dispositions invoquées de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 font obstacle à la saisie par l'administration d'un document présentant de façon manifeste les caractéristiques d'un document protégé par le secret professionnel. A cette étape de la procédure, seule l'apparence des documents permet de déterminer s'ils sont susceptibles d'être ou non protégés.

Or en l'espèce, la requérante soutient que les 3 documents papier reliés saisis dans le bureau de M. X (qui constituent sa pièce n° 4 et les scellés n° 6 et 7) seraient couverts par le secret des correspondances avocat-client car il s'agirait, selon elle, de " rapports d'audit préparés par le cabinet Cleary Gottlieb Steen & Hamilton à l'occasion d'une enquête interne réalisée pour le compte d'Akiolis ", précisant que " les trois rapports d'audit saisis par l'Autorité dans les scellés n° 6 et 7 contenaient en tout 61 documents ".

Le scellé n° 6 correspond à un document relié, comportant l'indication : " Akiolis Internal Audit A... de Turk email selection " du 4 août 2016 et le scellé n° 7 comprend deux documents reliés, le premier comportant l'indication : " A... de Turk other documents " du 4 août 2016 et le second : " Akiolis Internal Audit review of mailbox of X Email selection " du 1er juillet 2016 et composés de divers courriels accompagnés pour certains de leurs pièces jointes.

La première page fait état de M. Y, directeur business group chez Tessenderlo, dont Akiolis est une filiale qui est donc supposé avoir établi le document et elle n'indique pas que le document aurait été réalisé par le " cabinet Cleary Gottlieb Steen & Hamilton à l'occasion d'une enquête interne réalisée pour le compte d'Akiolis ".

S'agissant en réalité d'une compilation de courriels reliés avec certaines de leurs pièces jointes, sans aucun contenu rédactionnel qui puisse s'apparenter à un travail d'analyse se concluant par un avis ou un conseil donné par un avocat à son client, la personne qui a procédé à cette compilation demeurait à l'instant de la visite inconnue et n'apparaissait pas d'évidence comme pouvant être un avocat.

La présence d'annotations succinctes pouvant figurer de petits carrés rouges sur chacun des courriels, telles que " fierce compétition + carte idéale ", " Visite Martin ALM-carte des sites ", " fichiers clients transmis par VM ", " Rdv A & B ", " Meeting avec B ", " réunion SIFCO ", " suppression de documents ", etc., dont l'auteur ne peut être aisément identifié, ne peut suffire à donner à l'ensemble du document la qualification de consultation d'avocat ou à une correspondance échangée entre le client et son avocat, malgré le titre attribué d'" Internal Audit " ;

Cette mention n'est pas en elle-même, un élément de nature à déterminer si le contenu dudit fichier est d'ordre strictement confidentiel.

Aucun élément manifeste sur ces courriels et pour certains leurs pièces jointes, en format papier, ne permet de constater qu'ils auraient été rédigés par un avocat externe du cabinet Cleary Gottlieb Steen & Hamilton et qu'il pourrait s'agir d'une consultation adressée par un avocat externe à Akiolis ou d'une correspondance entre un avocat externe et Akiolis. Il s'agit en réalité de courriels des années 2014, 2015 et 2016, imprimés depuis les boîtes de messagerie de MM. Y et X qui ont été annotés de manière concise, par un auteur impossible à déterminer à la lecture de chacun des courriels et reliés.

Nonobstant la mention " Privileged and Confidential ", l'observation des 3 documents papier reliés litigieux démontre qu'ils ne présentaient pas de façon manifeste, le jour de la visite, les caractéristiques d'un document véritablement protégé par le secret de la correspondance dont la saisie aurait constitué automatiquement une violation des droits de la défense ; puisqu'ils n'apparaissaient ni comme des consultations d'avocat ou des correspondances échangées avec un avocat en lien avec les droits de la défense de la requérante dans un dossier de concurrence, ni comme des courriels et pièces jointes échangés entre salariés qui se borneraient à reprendre exclusivement le texte ou le contenu d'une communication avocat-client.

En outre, la requérante, qui a pu prendre connaissance des 3 documents papier reliés préalablement à leur saisie et en a reçu une copie, n'a, à aucun moment pendant les opérations, contesté leur saisie auprès du juge des libertés et de la détention par le truchement de l'OPJ, ni remis de réserves écrites à celui-ci à la clôture du PV.

La constitution d'un scellé fermé provisoire pour les saisies informatiques proposé par l'Administration a été refusée par l'occupant de lieux et il n'a été sollicité aucun scellé fermé provisoire pour les saisies papier.

Or l'Autorité de la concurrence peut être amenée à saisir des documents dont le caractère confidentiel n'est pas revendiqué et prouvé par l'entreprise le jour des opérations, sans violation des droits de la défense de celle-ci dès lors qu'elle dispose d'un recours devant le premier président de la cour d'appel lui permettant de contester ultérieurement la régularité de la saisie.

Enfin, l'insaisissabilité ne porte que sur les consultations adressées par un avocat à son client et les correspondances échangées entre eux dans le cadre des droits de la défense dans un dossier de concurrence, seuls ces documents étant en eux-mêmes couverts par la confidentialité.

Il convient donc de rejeter la demande d'annulation de la saisie et de restitution de tous les documents et courriels contenus dans a pièce n° 4 de la requérante.

- Les documents informatiques

La société Akiolis invoque " une lecture conjointe des articles L. 450-4 alinéa 8 du Code de commerce et 56 du Code de procédure pénale " pour reprocher aux agents de l'Autorité de la concurrence de ne pas avoir pris de mesure afin de garantir " la protection du secret professionnel et des droits de la défense " d'Akiolis. Elle reproche aux rapporteurs de l'Autorité de la concurrence d'avoir emporté des correspondances avocat-client (dont elle estime le décompte à plus de 10 000 documents qui seraient énumérés dans sa pièce n° 5) contenues dans les fichiers informatiques finalement saisis.

Mais seul l'alinéa 9 de l'article L. 450-4 du Code de commerce renvoie à l'article 56 du Code de procédure pénale pour la réalisation des inventaires et des mises sous scellés et l'alinéa 8 énumère les personnes qui peuvent prendre connaissance des pièces avant leur saisie, à savoir les agents mentionnés à l'article L. 450-1 du Code précité, l'occupant des lieux ou son représentant ainsi que l'OPJ. Ce renvoi concerne précisément le quatrième paragraphe de l'article 56 du Code de procédure pénale, qui prévoit que " tous objets et documents saisis sont immédiatement inventoriés et placés sous scellés. Cependant, si leur inventaire sur place présente des difficultés, ils font l'objet de scellés fermés provisoires jusqu'au moment de leur inventaire et de leur mise sous scellés définitifs ".

La procédure des scellés provisoires mise en place protège précisément la confidentialité des correspondances avocat-client puisqu'elle permet à l'entreprise de faire connaître aux enquêteurs les pièces qui, d'après elle, pourraient bénéficier de la protection liée à la confidentialité des correspondances avocat-client et qu'ainsi, ces documents peuvent être rapidement supprimés des fichiers de messagerie dans lesquels ils figurent, étant précisé que la société visitée peut refuser d'utiliser cette procédure qui lui est proposée.

Cette procédure du scellé provisoire ne porte aucune atteinte aux droits fondamentaux, et notamment aux droits de la défense.

Or ainsi qu'il a été précédemment rappelé, la constitution d'un scellé fermé provisoire pour les saisies informatiques, proposée par l'Administration, a été refusée par l'occupant de lieux en la personne de M. X, directeur général qui n'avait pas choisi de se faire assister d'un conseil.

Le PV des 30 et 31 mai 2017 démontre que les ordinateurs à usage professionnel de 4 salariés seulement d'Akiolis (à savoir MM. W, Z, X et C), ainsi que certaines zones serveur ont fait l'objet de la copie d'une sélection de fichiers informatiques de sorte que sans avoir à prendre connaissance de la totalité des fichiers informatiques, l'occupant des lieux était en mesure d'indiquer si ceux-ci étaient susceptibles de contenir des correspondances avocat-client.

Il lui suffisait alors de demander à bénéficier de la protection par une simple déclaration sans avoir même à justifier de la présence potentielle de courriels ou fichiers protégés et l'ensemble des fichiers informatiques sélectionnés ayant été placé sous scellé fermé provisoire, la société Akiolis aurait disposé du temps nécessaire pour lister les courriels ou fichiers individuels concernés en vue de leur élimination ultérieure, sous le contrôle du juge des libertés et de la détention et en présence d'un OPJ. C'est à juste titre que l'Autorité a rejeté la demande la demande des conseils de la société visant à bénéficier de la procédure du scellé fermé provisoire afin de pouvoir expurger des fichiers informatiques saisis les correspondances avocat-client, qui a été formée le 29 juin 2017 un mois après la fin des opérations de visite et de saisie

En tout état de cause, à supposer que des correspondances prétendument couvertes par le secret avocat-client n'aient pas pu être éliminées avant la saisie définitive du fait de la réponse apportée par le directeur général d'Akiolis, la requérante dispose encore du présent recours qui lui permet d'obtenir l'annulation des véritables correspondances avocat-client en lien avec ses droits de la défense dans un dossier de concurrence et il lui appartient d'en justifier.

Or un fichier informatique peut être regardé comme indivisible et saisi dans son entier s'il est susceptible de contenir des éléments intéressant l'enquête et concernant l'éventuelle saisie de documents personnels, étrangers à l'objet de l'autorisation, ou couverts par le secret professionnel, il incombe à la société Akiolis d'identifier les documents dont elle sollicite que leur appréhension soit annulée et d'en préciser le contenu, afin de mettre à la présente juridiction en mesure de se prononcer in concreto sur le caractère irrégulier ou non de la mesure.

Il appartient donc à la requérante et son conseil d'identifier les correspondances ayant pour destinataire ou expéditeur direct un avocat indépendant et en lien avec les droits de la défense dans un dossier de concurrence et de justifier, pour chaque courriel ou chaîne de courriels dont la protection est invoquée, les raisons pour lesquelles il devrait relever de la protection alléguée.

Or la société Akiolis indique simplement en page 15 de ses conclusions, par une motivation générale, qu'il s'agit soit de courriels et leurs pièces jointes dont les avocats sont expéditeurs ou destinataires directs et non simplement en copie, soit des chaînes de courriels qui contiennent un ou plusieurs courriels dont les avocats sont expéditeurs ou destinataires directs et non simplement en copie, soit des documents qui ont été préparés par des avocats, par exemple des documents sur en-tête de cabinet d'avocat.

Elle produit en pièce n° 5 un tableau comportant 4477 lignes décrivant des courriels par leur chemin informatique, l'auteur, le ou les destinataires directs ou en copie, la date, l'objet et les pièces jointes annexées ainsi que chacune des pièces, mais ce tableau ne comporte pas d'indication du nom et de la qualité de l'avocat externe qui serait concerné par chaque document listé et prétendument protégé.

La requérante devait cependant produire devant la Cour de céans les documents dont la protection est demandée et expliquer pour chacun d'eux les raisons de la protection alléguée justifiant l'annulation, et notamment justifier qu'ils sont liés à l'exercice des droits de la défense, ce qui s'entend comme couvrant de plein droit toute correspondance échangée après l'ouverture de la procédure administrative ou échangée antérieurement mais ayant un lien de connexité avec l'objet de la procédure et émanant exclusivement d'avocats indépendants, non liés au client par un rapport d'emploi comme les juristes d'entreprise.

Il résulte apparaître du tableau que nombreux courriels listés sont par exemple des courriels relatifs aux vœux et aux anniversaires, ou relatifs à des branches du droit sans lien avec un dossier en matière de concurrence. Or la présence dans la saisie informatique de documents couverts par le secret professionnel ne saurait avoir pour effet d'invalider la saisie des autres éléments de cette messagerie dès lors que certains des documents ou courriels se rapportent aux faits visés par l'ordonnance d'autorisation, ce qui aurait pour effet de rendre délibérément inopérante toute saisie de messagerie qui contiendrait de façon opportune un seul document protégé à ce titre.

Faute par la requérante de permettre l'identification des documents litigieux et l'appréciation de leur caractère réellement protégé, il n'y a pas lieu à annulation des documents listés par la requérante en pièce n° 5.

IV - Sur les demandes accessoires

Aucune considération ne commande de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Partie perdante, la société Akiolis supportera les dépens.

Par ces motifs : Ordonnons la jonction des affaires inscrites sous les numéros RG 17-06429 et 17-06430 ; Confirmons l'ordonnance de visite du 18 mai 2017 ; Rejetons le recours contre les opérations de visite et saisie ; Disons n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejetons toutes autres demandes ; Disons que la charge des dépens sera supportée par la société Akiolis.