CA Bordeaux, 1re ch. civ., 28 novembre 2019, n° 19-01743
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
La Patate d'eux (SAS)
Défendeur :
French Burgers Holding (SAS), Selarl Christophe Mandon (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Patrie
Conseillers :
M. Franco, Mme Brisset
Le 20 mai 2016, la SAS French Burgers Holding a signé avec M. X et la SAS La Patate d'eux un contrat de franchise. M. X et la société La Patate d'eux s'y interdisaient d'exploiter directement ou indirectement un service de restauration ou de brasserie pour la fabrication et/ou la vente de burgers dans le local objet de la franchise pendant un an à compter de la résiliation du contrat.
Invoquant une continuation de l'exploitation après la rupture du contrat de franchise, la société French Burgers a, par acte du 13 décembre 2018, fait assigner M. X et la société La patate d'eux devant le juge des référés du tribunal de commerce de Bordeaux aux fins devoir ordonner différentes mesures sous astreinte tendant à la cessation de la commercialisation de burgers et d'utilisation d'éléments d'identification se rattachant à French Burgers.
Par ordonnance du 5 mars 2019, le juge des référés a ainsi statué :
Condamnons Monsieur X et la société La patate d'eux SAS de cesser immédiatement toute commercialisation de Burgers en application de l'article 14.1 du contrat, sous astreinte de 500 euros par jour, à compter de la signification de la présente décision, pendant un mois, passé ce délai, il sera à nouveau fait droit,
Interdisons Monsieur X et la société La patate d'eux SAS d'utiliser sans autorisation préalable de la société French Burgers Holding SAS, la marque French Burgers Made In Chef ou tout autre élément d'identification se rattachant à ce concept.
Condamnons Monsieur X et la société La patate d'eux SAS à déposer leur enseigne le tout sous astreinte de 500 euros par jour, à compter de la signification de la présente décision, pendant un mois, passé ce délai, il sera à nouveau fait droit,
Condamnons à titre provisionnel en application de l'article 873 du Code de procédure civile, Monsieur X et la société La patate d'eux SAS à payer à la société French Burgers Holding SAS la somme de 3 000 euros par mois et ce à compter du 6 octobre 2018 jusqu'à cessation effective de la vente de burgers,
Déboutons Monsieur X et la société La patate d'eux SAS de leurs demandes reconventionnelles,
Condamnons Monsieur X et la société La patate d'eux SAS à payer à la société French Burgers Holding SAS la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamnons Monsieur X et la société La patate d'eux SAS aux dépens.
Pour statuer ainsi le juge a retenu une résiliation unilatérale du contrat par les franchisés qui continuaient d'exploiter.
M. X et la société La Patate d'eux ont relevé appel de la décision le 28 mars 2019 reprenant dans leur déclaration d'appel l'ensemble des chefs critiqués de l'ordonnance. Ils ont intimé outre la société French Burgers Holding, la Selarl Christophe Mandon en sa qualité de mandataire judiciaire.
Dans leurs dernières écritures en date du 18 octobre 2019, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, M. X, la société La Patate d'eux et la SCP Silvestri Baujet prise en sa qualité de mandataire judiciaire demandent à la cour de :
- Infirmera l'ordonnance de référé du 5 mars 2019 du juge des référés du tribunal de commerce de Bordeaux en ce qu'il a condamné Monsieur X et la société La Patate d'eux à cesser immédiatement toute commercialisation de burgers en application de l'article 14.1 du contrat sous astreinte de 500 euros par jour, à compter de la signification de la présente décision, pendant un mois, passé ce délai, il sera à nouveau fait droit ; a interdit à Monsieur X et la société La Patate d'eux d'utiliser sans autorisation préalable de la société French Burgers Holding la marque French Burger Made In Chef ou tout autre élément d'identification se rattachant à ce concept ; a condamné Monsieur X et la société La Patate d'eux à déposer leur enseigne le tout sous astreinte de 500 euros par jour, à compter de la signification de la présente décision, pendant un mois, passé ce délai, il sera à nouveau fait droit ; a condamné à titre provisionnel Monsieur X et la société La Patate d'eux à payer à la société French Burgers Holding la somme de 3 000 euros par mois à compter du 6 octobre 2018 jusqu'à la cessation effective de la vente de burgers ; a débouté Monsieur X et la société La Patate d'eux de leurs demandes reconventionnelles ; a condamné Monsieur X et la société La Patate d'eux à payer à la société French Burgers Holding la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; et a condamné Monsieur X et la société La Patate d'eux aux dépens.
Et statuant à nouveau
- ordonnera qu'il n'y a pas lieu à référé et prononcera l'irrecevabilité de la demande de provision formulée à l'encontre de la société La Patate d'eux ;
- admettra que Monsieur X est dépourvu de qualité ; et déclarera en conséquence irrecevable l'ensemble des demandes de la société French Burgers Holding formulées à l'encontre de Monsieur X.
- À titre principal, ordonnera qu'il n'y a pas lieu à référé pour l'ensemble des demandes formulées tant à l'égard de la société La Patate d'eux que de Monsieur X ; À titre subsidiaire, déboutera la société French Burgers Holding de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
- ordonnera à la société French Burgers Holding d'approvisionner la société La Patate d'eux en supports PLV pour la mise en avant des trois burgers de la carte French Burgers, et ce sous astreinte de 300 euros par jour de retard commençant à courir huit jours après la signification de l'arrêt à intervenir.
- condamnera la société French Burgers Holding à payer à la société La Patate d'eux et à Monsieur X la somme de 5 000,00 euros chacun au titre de l'article 700 du Code de procédure.
- condamnera la société French Burgers Holding aux dépens de première instance et d'appel.
Y ajoutant :
- déclarera recevable et bien fondée l'intervention volontaire de la société SCP Jean-Denis Silvestri - Bernard Baujet mandataires judiciaire à la liquidation des entreprises près les tribunaux de la cour, représentée par Maître Silvestri, ès qualités de mandataire judiciaire de la société La Patate d'eux.
M. X soutient ne pas être engagé contractuellement et la société La Patate d'eux précise qu'elle bénéficie d'une procédure de sauvegarde. Ils font valoir que le contrat de franchise s'est heurté à de nombreuses difficultés tenant aux manquements du franchiseur à ses obligations. Ils invoquent une sortie du contrat de franchise qui leur a été proposée selon trois options et soutiennent avoir opté pour la solution numéro deux qu'ils ont respectée. Ils considèrent qu'il n'y avait pas lieu à référé et ajoutent qu'ils ne soulèvent pas une incompétence mais une question de pouvoir du juge des référés, alors qu'il existe des contestations sérieuses relevant uniquement du juge du fond et tenant en particulier au contrat applicable. Ils s'expliquent sur chacun des chefs critiqués de l'ordonnance et la société La Patate d'eux demande que lui soient livrés sous astreintes les supports de publicité en exécution du contrat.
Dans leurs dernières conclusions en date du 29 octobre 2019, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, la société French Burgers Holding et la société Ekip venant aux droits de la Selarl Christophe Mandon ès qualités demandent à la cour de :
- Juger que la combinaison de la règle de l'arrêt des poursuites individuelles, et du caractère provisionnel de la condamnation en référé, a pour effet de rendre irrecevable les demandes de condamnation formulées par la société French Burger Holding à l'égard de la seule société La Patate d'eux ;
- Dire n'y avoir lieu à référé à l'encontre de la seule société La Patate d'eux soumise à une procédure collective ;
- Renvoyer la société French Burger Holding à suivre la procédure de vérification des créances et à la décision du juge-commissaire nommé dans le cadre de la sauvegarde de la société La Patate d'eux ;
- Rejeter toute demande tendant à la condamnation de la société French Burger Holding à payer une somme au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ou aux dépens ;
- Déclarer la société French Burger Holding recevable et bien fondée en ses demandes à l'égard de Monsieur X ;
- Rejeter la demande nouvelle présentée par Monsieur X pour la première fois en cause d'appel tendant à dire n'y avoir lieu à référé ;
- Confirmer l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Bordeaux du 5 mars 2019 en toutes ses dispositions rendues à l'égard de Monsieur X, à savoir en ce qu'elle a :
Condamné Monsieur X à cesser immédiatement toute commercialisation de burgers en application de l'article 14.1 du contrat, sous astreinte de 500 euros par jour, à compter de la signification de la présente décision, pendant un mois, passé ce délai, il sera à nouveau fait droit,
Interdit à Monsieur X d'utiliser sans autorisation préalable de la société French Burgers Holding SAS, la marque French Burgers Made In Chef ou tout autre élément d'identification se rattachant à ce concept.
Condamné Monsieur X à déposer leur enseigne le tout sous astreinte de 500 euros par jour, à compter de la signification de la présente décision, pendant un mois, passé ce délai, il sera à nouveau fait droit,
Condamné à titre provisionnel en application de l'article 873 du Code de procédure civile, Monsieur X à payer à la société French Burgers Holding SAS la somme de 3 000 euros par mois et ce à compter du 06 octobre 2018 jusqu'à cessation effective de la vente de burgers,
Débouté Monsieur X de ses demandes reconventionnelles,
Condamné Monsieur X à payer à la société French Burgers Holding SAS la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamné Monsieur X aux dépens.
- Débouter la société La Patate d'eux et Monsieur X de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;
- Condamner Monsieur X à payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Ils indiquent que suite à la mise sous sauvegarde de la société La Patate d'eux, compte tenu de l'arrêt des poursuites individuelles et s'agissant d'une instance en référé qui ne constitue pas une instance en cours, il n'y a plus lieu à référé à l'encontre de cette société, les demandes de la société French Burger étant devenues irrecevables en référé. Ils invoquent à l'encontre de M. X le contrat de franchise dont il était titulaire à titre personnel, se portant garant du respect des engagements. Ils soutiennent que la demande tendant à l'incompétence du juge des référés ou à son absence de pouvoir est présentée pour la première fois devant la cour de sorte qu'elle doit être rejetée. Ils se prévalent de la clause de non-concurrence figurant au contrat de franchise et considèrent que les échanges de courriers dont se prévalent les appelants ne pouvaient valoir offre et acceptation à défaut d'offre ferme et précise. Ils estiment en conséquence qu'il y a lieu à confirmation de l'ordonnance.
Au visa de l'article 905 du Code de procédure civile, l'affaire a fait l'objet le 5 avril 2019 d'une ordonnance de fixation à bref délai à l'audience du 31 octobre 2019.
Par ordonnance du 6 juin 2019, la première présidente a rejeté la demande d'arrêt de l'exécution provisoire.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La recevabilité de l'intervention de la SCP Silvestri Baujet ès qualités n'est pas contestée.
La cour est saisie dans le cadre d'un référé étant ainsi rappelé que sa décision sera dépourvue d'autorité de la chose jugée au principal, alors qu'il est constant que le juge du fond a été saisi de sorte que la portée de l'arrêt sera nécessairement très limitée.
L'instance en référé tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une provision n'est pas une instance en cours interrompue par l'ouverture de la procédure collective du débiteur en ce qu'elle ne tend pas à obtenir une décision définitive. Mais toute demande en paiement est devenue irrecevable en vertu de la règle de l'interdiction des poursuites édictée par les dispositions de l'article L. 622-21 du Code du commerce.
L'intimée en tire d'ailleurs les conséquences en admettant dans ses dernières écritures qu'il n'y a plus lieu à référé à l'encontre de la société La Patate d'eux placée en procédure de sauvegarde.
Le débat oppose ainsi uniquement M. X à la société French Burgers Holding. Il ne saurait être opposé par l'intimée une nouveauté de la prétention tendant à voir dire qu'il n'y a pas lieu à référé de ce chef. En effet, il ne s'agit pas d'une question de compétence qui devrait être soulevée in limine litis ou d'une prétention nouvelle au sens de l'article 564 du Code de procédure civile mais d'une question des pouvoirs du juge des référés étant rappelé que dès la première instance les appelants s'opposaient aux prétentions de leur adversaire.
L'intimée soutient que M. X est personnellement engagé à raison du contrat de franchise alors que celui-ci considère qu'il existe de ce chef une difficulté sérieuse dès lors que le franchiseur ayant abandonné la franchise un nouvel accord est intervenu entre la société La Patate d'Eux et la société French Burgers Holding qui n'engageait pas M. X à titre personnel.
S'agissant tout d'abord des mesures d'interdiction sous astreinte, et indépendamment même du débat sur les conditions de la rupture du contrat de franchise, c'est au jour où la cour statue qu'il convient de se placer.
La clause de non-concurrence dont se prévaut l'intimée faisait interdiction d'exploiter à partir du local objet de la franchise la fabrication et/ou la vente de burgers pendant une durée d'un an à compter de la rupture. La rupture dont se prévaut l'intimée est datée du 6 octobre 2018. Dès lors, le délai d'un an est expiré, de sorte que sans qu'il y ait lieu d'entrer davantage dans le détail de l'argumentation des parties, aucune interdiction ne peut plus être faite à M. X comme solidairement tenu de cet engagement. Seul pourrait subsister un débat indemnitaire qui relèverait du juge du fond.
Quant à l'interdiction d'utiliser tout élément d'identification se rapportant au concept French Burger, aucun des éléments produits à la cour, dont le plus récent est d'avril 2019, ne permet de caractériser au jour où la cour statue qu'il subsisterait de tels éléments faisant référence à la marque French Burger. D'ailleurs dans les conclusions au fond devant le tribunal de commerce qui sont produites devant la cour, il n'est plus sollicité la dépose de l'enseigne. Il n'y a donc pas davantage lieu de faire cette interdiction à M. X et le débat ne pourrait là encore être qu'indemnitaire relevant du seul juge du fond.
Subsiste ainsi uniquement au titre des prétentions de l'intimée la demande de condamnation à titre provisionnel sur le fondement de l'article 873 du Code de procédure civile au paiement de la somme de 3 000 euros par mois à compter du 6 octobre 2018 et jusqu'à cessation effective de la vente de burgers.
Il incombe à la société intimée de justifier d'une créance non sérieusement contestable en son principe et en son quantum. Or, force est de constater en l'espèce qu'il existe une contestation sérieuse.
En effet, les conditions de la rupture du contrat de franchise laissent place à une interprétation qui relève du juge du fond. Ainsi, il a été proposé aux appelants plusieurs options pour sortir du contrat de franchise. Il subsiste un débat que seul le juge du fond pourra trancher sur le point de savoir si une autre relation contractuelle s'était nouée ou s'il s'agissait uniquement d'une entrée en pourparlers. Mais il n'en demeure pas moins que cette situation est de nature à avoir des conséquences sur la portée de la clause de non-concurrence après résiliation. Surtout, la société French Burgers qui doit établir la réalité d'un préjudice non sérieusement contestable procède uniquement par affirmations. Elle indique que la somme de 3 000 euros est bien évidemment très largement en-deçà du préjudice réellement subi eu égard aux redevances que versait la partie adverse auparavant. Ceci ne constitue pas une démonstration alors en outre que le préjudice indemnisable ne pourrait être que celui en lien de causalité avec la violation de la clause de non-concurrence. Cela pose d'autant plus difficulté qu'il est sollicité cette somme jusqu'à la cessation effective de la vente de burgers et non jusqu'à la fin de la durée de la clause.
Le débat indemnitaire relève du seul juge du fond et il n'est donc pas établi de créance non sérieusement contestable dans son principe et dans son quantum.
Au jour où la cour statue c'est donc pour l'ensemble des prétentions de la société French Burgers qu'il n'y a pas lieu à référé.
À titre reconventionnel, les appelants sollicitent que la société French Burgers soit tenue sous astreinte de les approvisionner en supports de publicité sur le lieu de vente (PLV). Ceci se heurte toutefois à plusieurs difficultés étant rappelé qu'il est demandé une condamnation sous astreinte à l'encontre d'une société en redressement judiciaire. Mais surtout, ceci suppose que soit tranchée la question de la nature des relations contractuelles existant entre les parties après la rupture du contrat de franchise. Les appelants ne sauraient à la fois opposer cette difficulté sérieuse à leur adversaire au titre de la rupture du contrat de franchise et considérer qu'il résulte de l'évidence qu'une nouvelle relation contractuelle s'est formée ouvrant droit à fourniture de PLV en référé.
C'est donc pour l'ensemble des prétentions qu'il n'y a pas lieu à référé et l'ordonnance entreprise sera infirmée en ce sens.
Au regard des circonstances, de la situation respective des parties et le juge du fond ayant été saisi, il n'apparaît pas inéquitable que chacune des parties conserve à sa charge les frais et dépens par elle exposés tant en première instance qu'en cause d'appel étant rappelé que chacune des parties a présenté des demandes en référé.
Par ces motifs : LA COUR, Reçoit la SCP Silvestri Baujet ès qualités en son intervention volontaire, Infirme l'ordonnance entreprise et statuant à nouveau, Dit n'y avoir lieu à référé, Laisse à chacune des parties la charge des frais et dépens par elle exposés en première instance et en cause d'appel.