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Décisions

CA Pau, 1re ch., 27 novembre 2019, n° 17-00041

PAU

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Sanchez Equipement (SARL), Sanfor (SARL)

Défendeur :

Fagor Collectivités (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Castagne

Conseillers :

Mme Rosa-Schall, M. Serny

T. com. Bayonne, du 5 déc. 2016

5 décembre 2016

La SARL Malex, exploitant sous l'enseigne Sanchez Equipement, a pour activité la vente et l'installation de fours et d'équipements de cuisine professionnels dont la maintenance est assurée par une société dénommée Sanfor, exerçant sous l'enseigne Sanchez Maintenance.

Dans ce cadre, la société Malex a fait l'acquisition de divers matériels de marque Fagor, distribués par la société Fagor Collectivités dont :

- un four mixte générateur vendu le 2 novembre 2011 au restaurant Domaine du Pont de l'Eyre,

- un four mixte combi-injection vendu le 29 mars 2012 au restaurant Le Bistrot Gourmand,

- un four mixte combi-injection 6 niveaux vendu le 29 juin 2012 au restaurant La Mise En Bouche.

Sur la base d'une expertise privée ayant révélé divers défauts de fonctionnement et de conception de ces équipements, les sociétés Malex et Sanfor ont obtenu, par ordonnance de référé du 2 février 2014, l'institution d'une expertise judiciaire à l'issue de laquelle M. X, expert, a déposé le 28 janvier 2015 un rapport dont les conclusions sont en substance les suivantes :

- les fours litigieux sont des fours Fagor type GN1/1, de même définition, mais avec des options différentes, fonctionnant soit en mode vapeur, soit en chaleur sèche soit en mixte,

- les désordres apparents communs qui affectent ces fours portent essentiellement sur la panne systématique (environ tous les trois mois) de l'éclairage interne, liée au défaut d'étanchéité du logement de l'ampoule d'éclairage du four, consécutif à la déformation des parois en inox de la cuve interne, entraînant des dilatations irréversibles liées à l'inadaptation de la constitution de la cuve à ses contraintes thermiques,

- il s'agit d'un défaut de conception auquel s'ajoutent pour le matériel installé au restaurant Domaine du Pont de l'Eyre des coupures intempestives d'alimentation, liées à un thermostat de sécurité inadapté,

- la réparation par le remplacement de la cuve est impossible en sorte que le four complet doit être changé pour éliminer ce défaut,

- cependant les restaurants Le Bistrot Gourmand et La Mise En Bouche continuent d'utiliser quotidiennement leur four alors que la déformation de la cuve et son absence d'éclairage interne constituent une gêne permanente, cette utilisation dégradée se justifiant uniquement par le souci des commerçants de maintenir leur activité, le four étant l'élément essentiel dans ce type d'entreprise,

- il n'en est pas de même du restaurant Le Pont de l'Eyre qui a dû se séparer du four après un an de fonctionnement à la suite de coupures fréquentes d'alimentation pendant le service, ce qui le rendait inutilisable,

- les restaurateurs demandent le remplacement ou le remboursement du four qui ne peut être utilisé indéfiniment dans de telles conditions, un risque d'incendie n'étant pas exclu par pénétration de l'humidité dans le compartiment électrique,

- les sociétés Sanfor et Malex ont dû intervenir fréquemment pour remplacer les ampoules et les joints et ont subi un préjudice financier évalué à 1 317 de pièces et déplacements supplémentaires qu'elles n'ont pu facturer à leurs clients,

- ces désordres ont entraîné la perte d'un client important, représenté par le restaurant Domaine du Pont de l'Eyre.

Par acte du 29 septembre 2015, les sociétés Malex et Sanfor ont fait assigner la Sasu Fagor Collectivités pour obtenir, sur le fondement des articles 1641 et suivants et 1147 du Code civil, sa condamnation :

- à procéder aux modifications de nature à remédier aux vices constatés par l'expert judiciaire sur les fours équipant les restaurants Le Bistrot Gourmand et La Mise En Bouche et, subsidiairement, à leur remplacement,

- après résolution de la vente du four équipant le restaurant du Domaine du Pont de l'Eyre, à payer à la société Malex la somme de 4 635,70 au titre de la restitution du prix d'achat, à la société Sanfor la somme de 2 359,47 en réparation du préjudice relatif à la perte d'exploitation, outre la somme de 10 000 chacune en réparation forfaitaire du préjudice d'atteinte à l'image.

Par jugement du 5 décembre 2016, le tribunal de commerce de Bayonne a :

- opposé une fin de non-recevoir aux prétentions de la société Sanfor et débouté celle-ci de ses demandes (considérant que celle-ci, dépourvue de lien contractuel avec la société Fagor, n'avait pas qualité pour agir),

- opposé une fin de non-recevoir aux prétentions de la société Malex et débouté celle-ci de ses demandes (considérant que seuls les derniers acquéreurs des fours ont qualité pour agir en résolution et qu'à défaut d'action à son encontre, la société Malex est dépourvue d'intérêt à agir contre son fournisseur, alors même que l'impropriété à destination des fours n'est pas caractérisée),

- débouté la société Fagor de sa demande en dommages-intérêts,

- condamné solidairement les sociétés Malex et Sanfor à payer à la société Fagor la somme de 3 000 en application de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.

La SARL Sanchez Equipement, anciennement SARL Malex et la SARL Sanfor ont interjeté appel de cette décision, selon déclaration transmise au greffe de la cour le 5 janvier 2017.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du magistrat de la mise en état en date du 24 avril 2019.

Au terme de leurs dernières conclusions du 26 décembre 2017, les sociétés appelantes demandent à la cour, réformant la décision entreprise, au visa des articles 1147, 1602 à 1604 et 1641 et suivants et 1382 du Code civil :

- de déclarer leur action recevable,

- de condamner la société Fagor à procéder aux modifications de nature à remédier aux vices relevés par l'expert judiciaire sur les appareils des établissements Le Bistrot Gourmand et La Mise En Bouche, sous astreinte de 1 000 par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- à défaut, de condamner la société Fagor Collectivités à remplacer les appareils litigieux par des appareils exempts de vices, sous astreinte de 1 000 par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- d'ordonner la résolution de la vente intervenue entre la société Fagor et la SARL Sanchez Equipement concernant le four mixte générateur de vapeur 6 niveaux de l'établissement Domaine du Pont de l'Eyre et de condamner la société Fagor à payer à la société Sanchez Equipement la somme de 4 635,70 au titre de la restitution du prix d'achat,

- de condamner la société Fagor Collectivités à payer à la société Sanfor la somme de 2 359,47 en réparation du préjudice relatif à la perte d'exploitation,

- de condamner la société Fagor Collectivités à leur payer la somme de 10 000 chacune à titre de réparation forfaitaire du préjudice d'atteinte à l'image,

- de débouter la société Fagor de ses demandes reconventionnelles,

- de condamner la société Fagor Collectivités à leur payer la somme de 7 000 en application de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Elles soutiennent, en substance :

- qu'elles justifient d'un intérêt personnel, direct et certain à exercer une action en garantie des vices cachés contre la société Fagor Collectivités, étant considéré que si l'action en garantie se transmet en principe avec la chose vendue, le vendeur intermédiaire ne perd pas la faculté de l'exercer lorsqu'elle présente pour lui un intérêt direct et certain, comme en l'espèce le caractérise le fait que les clients ont manifesté leur mécontentement, alors même qu'elles auraient intérêt et qualité pour agir sur le terrain de la gestion d'affaires et qu'une action en résolution de la vente du matériel litigieux a été engagée par la SARL Domaine du Pont de l'Eyre, selon acte du 14 janvier 2016,

- que les conditions d'application des articles 1641 et suivants du Code civil sont réunies ainsi que le révèlent les conclusions du rapport d'expertise judiciaire, s'agissant tant de l'antériorité du vice (imputable à un, défaut de conception) que de sa gravité (défaut d'étanchéité avec risque de détérioration, la multiplicité des pannes compromettant l'utilisation des appareils),

- que la responsabilité de la société Fagor est également engagée sur le fondement des articles 1603 et suivants du Code civil, les fours n'ayant jamais fonctionné conformément à leur destination,

- que leur préjudice commercial et d'image est certain.

Dans ses dernières conclusions du 14 mars 2018, la Sasu Fagor Collectivités, formant appel incident, demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action des sociétés appelantes et les a condamnées à lui payer la somme de 3 000 en application de l'article 700 du Code de procédure civile, et, le réformant pour le surplus et y ajoutant, de condamner les sociétés Sanfor et Malex à lui payer la somme de 8 000 à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et celle de 5 000 en application de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens avec bénéfice de distraction au profit de la SCP Dualé-Ligney-Madar-Danguy.

Elle soutient, pour l'essentiel :

- que les sociétés appelantes sont dépourvues de qualité et d'intérêt à agir dès lors que la garantie des vices cachés se transmet automatiquement avec la propriété de la chose vendue et que l'action correspondante ne peut être exercée que par le dernier acquéreur, le vendeur intermédiaire (seule la société Malex ayant par ailleurs cette qualité) ne pouvant agir que si sa garantie est elle-même recherchée par le dernier acquéreur et qu'en l'espèce, au moment de la délivrance de l'assignation introductive d'instance, les deux sociétés appelantes n'avaient pas été assignées en garantie par l'un quelconque de leurs propres clients,

- que les sociétés appelantes, sur l'assignation de la société Domaine du Pont de l'Eyre, ont délivré à son encontre une assignation en garantie,

- que les désordres invoqués par les appelantes ne peuvent caractériser un manquement à l'obligation de délivrance instituée par l'article 1604 du Code Civil qui impose seulement au vendeur de délivrer une chose conforme à ce qui est convenu dans le contrat ou par une référence prévue par le contrat dans sa qualité, sa quantité et son identité,

- que ces désordres (défauts d'étanchéité des hublots d'éclairage des fours à l'origine des pannes systématiques de l'éclairage) ne constituent pas plus des vices cachés au sens de l'article 1641 du Code civil en l'absence d'impropriété à destination établie,

- qu'en toute hypothèse, les demandes des appelantes s'analysent en des injonctions de faire au bénéfice de tiers et qui ne constituent aucune des alternatives prévues par l'article 1644 du Code civil,

- que la société Sanfor ne rapporte, au soutien de sa demande indemnitaire, la preuve d'aucune faute ni d'aucun préjudice en lien de causalité avec celle-ci, alors même que Fagor garantit ses distributeurs au titre de la fourniture des pièces et que ceux-ci, en contrepartie des avantages qu'ils recueillent, assument la garantie main-d'œuvre et déplacements.

MOTIFS

Il convient à titre liminaire de considérer que la société Sanchez Equipement (ex Malex), liée par un contrat de distribution avec la société Fagor Collectivités, est seule juridiquement recevable à exercer à l'encontre de son fournisseur une action contractuelle, la société Sanfor ne pouvant exercer à l'encontre de la société Fagor, en l'absence de lien contractuel entre elles, qu'une action en responsabilité quasi-délictuelle.

S'agissant des demandes formées par la société Sanchez Equipement (ex Malex), il y a lieu de considérer :

- que les actions fondées sur la garantie des vices cachés et/ou l'obligation de délivrance conforme sont des accessoires de la chose vendue qui se transmettent, avec celle-ci, au sous-acquéreur,

- que l'intérêt et la qualité à agir s'apprécient au moment de l'engagement de l'action et ne peuvent dépendre de circonstances postérieures,

- qu'en l'espèce, à la date de l'assignation introductive de la présente instance (29 septembre 2015), aucune action en résolution des ventes des fours litigieux, sur le fondement des articles 1641 et suivants et/ou 1604 du Code civil, n'avait été engagée par l'un quelconque des trois sous-acquéreurs à l'encontre de la société Sanchez Equipement (ex Malex), la - seule - assignation de celle-ci par la société Domaine du Pont de l'Eyre (en suite de laquelle la société Malex a fait appeler en garantie la société Fagor par acte du 2 mars 2016) ayant été délivrée le 14 janvier 2016,

- que l'action en garantie " préventive " engagée par la société Malex devant le tribunal de commerce de Bayonne, en l'absence de toute mise en cause de sa garantie par ses propres cocontractants, doit en conséquence être déclarée irrecevable, en l'absence de preuve d'un intérêt direct et certain à la date de son introduction, le jugement déféré étant confirmé de ce chef,

- que la SARL Sanchez Equipement ne produit aucun justificatif au soutien de sa demande d'indemnisation forfaitaire d'un prétendu préjudice d'image et d'exploitation.

S'agissant des demandes formées par la SARL Sanfor, il y a lieu de considérer :

- qu'en l'absence de lien contractuel entre elles, la société Sanfor est recevable à prétendre voir engager la responsabilité quasi-délictuelle de la société Fagor Collectivités (ainsi que sollicité en page 19 de ses conclusions) dès lors qu'elle justifierait d'une faute commise par celle-ci, en lien direct de causalité avec un préjudice indemnisable, étant rappelé qu'un manquement contractuel peut être constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité délictuelle d'un cocontractant fautif à l'égard des tiers au contrat,

- qu'en l'espèce, l'expertise judiciaire qui ne fait l'objet d'aucune contestation technique sérieuse a établi :

- que le défaut d'étanchéité des hublots à l'origine des pannes systématiques de l'éclairage interne des trois fours litigieux est lié à la déformation des panneaux en inox qui constituent leur cuve interne, que les températures élevées de fonctionnement des fours ont entraîné dès les premiers mois d'utilisation des dilatations au-delà de la limite d'élasticité de l'inox, à l'origine des déformations permanentes constatées, les cuves n'étant pas adaptées aux conditions d'environnement thermique auxquelles elles sont soumises, qu'il s'agit d'un défaut de conception qui ne peut être résorbé que par le remplacement des fours,

- que la déformation des cuves et l'absence d'éclairage intérieur ne privent pas le four de son chauffage et par conséquent de l'utiliser en dégradé, avec changement de joint et d'ampoule tous les trois mois et une cuve déformée où il n'est plus possible de maintenir correctement les panneaux internes sur leur support,

- que la société Sanchez a dû intervenir fréquemment sur les trois sites pour remédier à la défaillance des ampoules, que ces opérations n'ont pas été facturées aux clients pour un montant global de 1 317,28,

- que s'agissant d'une action délictuelle au titre de laquelle les critères de mobilisation de la garantie des vices cachés et/ou de l'obligation de délivrance sont inopérants, le seul constat d'une erreur de conception à l'origine des dysfonctionnements constatés par l'expert judiciaire est suffisant à caractériser une faute de nature à engager sa responsabilité quasi-délictuelle à l'égard de la SARL Sanfor qui justifie de l'existence d'un préjudice en lien direct de causalité, consistant dans le coût de main d'œuvre/déplacement non facturés aux restaurateurs, la SARL Sanfor devant être déboutée de sa demande d'indemnisation forfaitaire de préjudice commercial et d'image, à défaut de production d'un quelconque justificatif.

Il convient dès lors, réformant le jugement entrepris, de déclarer l'action de la SARL Sanfor recevable, de condamner la Sasu Fagor Collectivités à lui payer la somme de 1 317,28 à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice d'exploitation justifié et de débouter la SARL Sanfor du surplus de ses demandes indemnitaires.

Compte tenu de sa succombance partielle, la Sasu Fagor Collectivités sera déboutée de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour procédure abusive.

L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile en faveur de l'une quelconque des parties au litige, s'agissant tant des frais irrépétibles exposés en première instance que de ceux exposés en cause d'appel.

La SARL Sanchez Equipement (ex Malex) sera condamnée aux entiers dépens d'appel et de première instance, en ce compris les frais de référé et d'expertise judiciaire, avec bénéfice de distraction au profit de la SCP Dualé-Ligney-Madar-Danguy

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort : Vu le jugement du tribunal de commerce de Bayonne en date du 5 décembre 2016 : Confirme la décision entreprise en ce qu'elle a : - déclaré irrecevable l'action de la SARL Sanchez Equipement (ex Malex), - débouté la Sasu Fagor Collectivités de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour procédure abusive ; Réformant partiellement la décision entreprise et y ajoutant : Déclare la SARL Sanfor recevable ; Condamne la Sasu Fagor Collectivités à payer à la SARL Sanfor la somme de 1 317,28 à titre de dommages-intérêts et déboute la SARL Sanfor du surplus de ses demandes indemnitaires, ainsi que de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile en faveur de l'une quelconque des parties au litige, s'agissant tant des frais irrépétibles exposés en première instance que de ceux exposés en cause d'appel, Condamne la SARL Sanchez Equipement (ex Malex) aux entiers dépens d'appel et de première instance, en ce compris les frais de référé et d'expertise judiciaire, avec bénéfice de distraction au profit de la SCP Dualé-Ligney-Madar-Danguy.