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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 27 novembre 2019, n° 17-19564

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Protairbag (SARL), Hi-Airbag Connect (SAS)

Défendeur :

Helite (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

Mes Guerre, Robini, Santiago, Cholay

CA Paris n° 17-19564

27 novembre 2019

FAITS ET PROCÉDURE

La SARL Hélite, créée en 2002 par M. X et dirigée par lui, est spécialisée dans la fabrication de vêtements de protection équipés de coussins gonflables, destinés aux motards.

La SARL Protairbag est une société créée le 12 novembre 2003, spécialisée dans le commerce d'habillement et de chaussure. Elle a pour gérant de droit M. Y

Par acte sous seings privé du septembre 2003, la société Hélite et la société Protairbag en formation, celle-ci alors représentée par M. Y et M. Z, ont conclu un contrat à durée indéterminée dit contrat de distribution exclusive, pour la distribution des produits des marques " Hit air-Hélite " et " Hélite ".

La SAS Hi-airbag connect est une société créée le 9 juillet 2014 par M. Y, qui en est son président et dont le capital, à l'origine exclusivement détenu par MM. Y et Z, a été ouvert par une décision d'assemblée générale extraordinaire du 1er septembre 2015 qui a accueilli un troisième actionnaire.

Par lettre du 27 juillet 2015, la société Hélite a mis en œuvre la clause de résiliation du contrat de distribution exclusive conclu avec la SARL Protairbag, formulant divers griefs et se prévalant du préavis contractuel de 3 mois

S'estimant victime d'une rupture brutale des relations commerciales établies, la société Protairbag a fait adresser par son conseil, le 14 août 2015, une lettre recommandée à la société Hélite, pour contester les griefs et lui réclamer une somme de 320 750 euros, en réparation du préjudice subi. La SARL Protairbag a une nouvelle fois mis en demeure la société Hélite de s'exécuter, par lettre recommandée du 24 septembre 2015.

Par lettre recommandée du 2 décembre 2015, la société Hélite, par l'intermédiaire de son conseil, s'est adressée à M. Y, pris en sa qualité de gérant de la société Protairbag, pour contester la demande indemnitaire de celle-ci et pour se plaindre de faits de concurrence déloyale commis pour le compte de la société Hi-airbag connect.

Par acte extrajudiciaire du 17 décembre 2015 la société Protairbag a assigné la société Hélite devant le tribunal de commerce de Paris.

Par acte extrajudiciaire du 13 septembre 2016, la société Hélite a assigné la société Hi-airbag connect devant la même juridiction.

Par jugement du 16 octobre 2017, le tribunal de commerce de Paris a :

- joint les deux procédures ;

- dit la société Hélite fondée à résilier le contrat de distribution exclusive du 26 septembre 2003 ;

- dit que la société Hélite ne s'est pas rendue coupable d'une rupture brutale des relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;

- débouté la société Protairbag et la société Hi-airbag connect de l'ensemble de leurs demandes ;

- dit que la société Protairbag et la société Hi-airbag connect se sont rendues coupables d'actes de parasitisme ;

- condamné in solidum les sociétés Protairbag et Hi-airbag connect à payer à la société Hélite la somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts ;

- condamné in solidum les sociétés Protairbag et Hi-airbag connect à payer à la société Hélite la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du CPC ;

- débouté des demandes plus amples et contraires ;

- ordonné l'exécution provisoire ;

- condamné in solidum les sociétés Protairbag et Hi-airbag connect aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 172,11 euros dont 28,25 euros de TVA.

La cour est saisie des appels interjetés contre ce jugement, d'une part, le 23 octobre 2017, par la société Protairbag, et, d'autre part, le 6 novembre 2017, par la société Hi-airbag connect ; ce dernier appel a été joint au premier.

Par ordonnance du 13 mars 2018, le conseiller délégué par le premier président de la présente cour, saisi par la SAS Hi-airbag connect, a ordonné l'arrêt de l'exécution provisoire du jugement entrepris, et a condamné la SARL Hélite à payer à la requérante une somme de 750 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, dépens en sus.

Vu les dernières conclusions de la société Hi-airbag connect, déposées et notifiées le 31 janvier 2018, par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu les articles 1382 et suivants du Code civil, dans leur version antérieure au 1er octobre 2016 ;

Vu l'article 9 du Code de procédure civile ;

Vu les pièces versées aux débats ;

- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 16 octobre 2017 en ses dispositions suivantes :

" Déboute la SAS Hi-airbag Connect de l'ensemble de ses demandes qui consistaient essentiellement : au débouté de la SARL Hélite de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions et à la condamnation de la SARL Hélite à verser à la SAS Hi-airbag connect la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens " ;

" Dit que la SAS Hi-airbag connect s'est rendu coupable avec la SARL Protairbag d'actes de parasitisme " ;

" Condamne la SAS Hi-airbag connect in solidum avec la SARL Protairbag à payer à la SARL Hélite la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts " ;

" Condamne la SAS Hi-airbag connect in solidum avec la SARL Protairbag à payer à la SARL Hélite la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du CPC " ;

" Déboute des demandes plus amples et contraires " ;

" Condamne la SAS Hi-airbag connect in solidum avec la SARL Protairbag aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 172,11 euros dont 28,25 euros de TVA " ;

Statuant de nouveau,

- dire et juger que la société Hi-airbag connect n'a commis aucun acte de concurrence déloyale à l'encontre de la société Hélite ;

- dire et juger que la société Hélite ne justifie d'aucun préjudice ;

En conséquence,

- débouter la société Hélite de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

- condamner la société Hélite à verser à la société Hi-airbag connect la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société Hélite aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions de la société Hélite déposées et notifiées le 23 avril 2018, par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu le jugement du 16 octobre 2017,

Vu l'article L. 442-6 I.5° du Code de commerce,

Vu l'article 1382 du Code civil,

- confirmer le jugement ;

- constater qu'un préavis de 4 mois a été accordé à la société Protairbag ;

- dire que les fautes contractuelles invoquées par la société Hélite à l'égard de la société Protairbag excluent un préavis d'une durée supérieure ;

- dire que la société Hélite ne s'est pas rendue coupable d'une rupture brutale de relations commerciales établies ;

- débouter la société Protairbag de ses demandes d'indemnisation pour rupture brutale ;

- la débouter également de ses demandes pour rupture abusive, ce fondement ne pouvant se cumuler avec la rupture brutale ;

- constater que les sociétés Protairbag et Hi-airbag connect ont utilisé l'image de marque de la société Hélite ;

- dire que les sociétés Protairbag et Hi-airbag connect se sont rendues coupables d'actes de concurrence déloyale par parasitisme et les condamner in solidum à indemniser la société Hélite de son préjudice à hauteur de 30 000 euros ;

- donner acte à la société Hélite qu'elle renonce à toutes demandes subsidiaires pour non-respect de l'exclusivité et remboursement du trop-perçu sur le budget de communication ;

- condamner in solidum les sociétés Protairbag et Hi-airbag connect à payer à la société Hélite la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en appel ;

- la condamner en tous les dépens de l'instance qui pourront être recouvrés par Maître Martine Cholay, avocat, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions de la société Protairbag déposées et notifiées le 23 janvier 2018, par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu l'article L. 442-6. I. 5° du Code de commerce,

Vu l'article 1134 du Code civil dans sa version applicable à l'espèce,

Vu l'article 1240 du Code civil,

vu les pièces versées aux débats,

- déclarer Protairbag recevable et bien fonde e en son appel ;

En conséquence,

- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 31 août 2017 en ses dispositions suivantes :

" Dit la SARL Hélite fondée à résilier le contrat de distribution exclusive du 26 septembre 2003 "

" Dit la SARL Hélite ne s'est pas rendue responsable d'une rupture brutale de relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce "

" Déboute la SARL Protairbag et la SAS Hi-airbag connect de l'ensemble de leurs demandes

Constatons une contestation sérieuse concernant le caractère manifestement abusif ou non de sa mise en jeu opérée par la SAS La Fougère par lettre recommandée avec accusé de réception du 21 avril 2017 "

" Dit que la SARL Protairbag et la SAS Hi-airbag connect se sont rendues coupables d'acte de parasitisme "

" Condamne in solidum la SARL Protairbag et la SAS Hi-airbag connect à payer à la SARL Hélite la somme de 30 000 EUR à titre de dommages et intérêts "

" Condamne in solidum la SARL Protairbag et la SAS Hi-airbag connect à verser à la SARL Hélite la somme de 5 000 EUR au titre de l'article 700 du CPC "

" Ordonne l'exécution provisoire "

" Condamne in solidum la SARL Protairbag et la SAS Hi-airbag connect aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 172,11 euros dont 28,25 euros de TVA " ;

En conséquence, statuant à nouveau,

- dire que compte tenu de la relation commerciale établie depuis plus de douze ans entre Protairbag et Hélite, un préavis de trois mois est insuffisant ;

- dire qu'Hélite aurait dû respecter un préavis raisonnable de 30 mois ;

En conséquence,

- condamner Hélite au paiement de la somme de 244 980 euros au profit de Protairbag en réparation de la brutalité de la rupture du contrat de distribution exclusive en date du 26 septembre 2003 ;

Ensuite,

- constater le caractère fallacieux des motifs de rupture mis en avant par Hélite dans sa lettre de résiliation en date du 27 juillet 2015 ;

- dire qu'Hélite a abusivement résilié le du contrat de distribution exclusive en date du 26 septembre 2003 ;

En conséquence,

- condamner Hélite au paiement de la somme de 42 000 euros au profit de Protairbag en réparation des pertes subies par cette dernière du fait du caractère abusif de la rupture du contrat de distribution exclusive en date du 26 septembre 2003 ;

- condamner Hélite au paiement de la somme de 30 000 euros au profit de Protairbag en réparation du préjudice commercial et moral subi par Protairbag du fait du caractère abusif de la rupture du contrat de distribution exclusive en date du 26 septembre 2003 ;

- condamner Hélite au paiement de la somme de 10 000 euros au profit de Protairbag en réparation de l'atteinte à l'image et à la réputation de Protairbag du fait du caractère abusif de la rupture du contrat de distribution exclusive en date du 26 septembre 2003 ;

En outre,

- constater qu'Hélite a imposé un prix de revente de ses produits à Protairbag depuis mars 2014 ;

En conséquence,

- condamner Hélite au paiement de la somme de 30 038 euros au profit de Protairbag en réparation des pertes subies par cette dernière du fait de l'imposition de ses prix de revente par Hélite ;

Enfin,

- condamner Hélite à payer à Protairbag la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner Hélite aux entiers dépens d'instance.

SUR CE, LA COUR

Sur les actes de parasitisme

A l'appui de son appel concernant les actes de parasitisme, la SARL Protairbag et la SAS Hi-airbag connect soutiennent que le tribunal de commerce ne pouvait se fonder sur un seul article de presse indépendante pour les déclarer coupables de ce chef.

La SAS Hi-airbag connect ajoute que nulle preuve d'un acte de parasitisme ne peut résulter de l'attestation de Mme A, au moyen que rien n'interdisait MM. Z et Y, en qualité de gérant de la concluante, de faire essayer le gilet Hi airbag connect à l'attestante, faisant valoir que lors des essais pour les 24 heures du Mans, nulle vente du gilet n'avait été tentée, celui-ci présentant des caractéristiques différentes du produit Hélite et étant encore à l'époque à l'état de prototype.

Toutefois, la cour retiendra en l'espèce que les faits ci-dessous sont établis.

En premier lieu, la société la SAS Hi-airbag connect a développé un gilet de protection destiné aux motards, équipé de coussins gonflables à déclenchement électronique et sans fil, alors que la SARL Hélite avait auparavant développé un gilet à destination du même public, également équipé de coussins gonflables, mais à déclenchement filaire.

Le gilet à déclenchement électronique est un produit concurrent du gilet à déclenchement filaire, puisque destiné au même public afin de satisfaire les mêmes besoins.

En second lieu, dans le courriel qu'elle a adressé le 14 décembre 2015 à la SARL Hélite, Mme A, compétitrice aux 24 heures du Mans en mars 2015, explique de manière probante : " j'ai pu faire des tests pour un gilet airbag électronique. J'ai d'ailleurs retrouvé la carte de visite de ces messieurs. Il s'agit de Y et Z de chez "Protairbag", avec comme distributeur exclusif " Hélite " ".

Il est donc démontré que MM. Y et Z, dès avant les épreuves des 24 heures du Mans 2015 ont, pour le compte de la SAS Hi-airbag connect, concurrente de la SARL Hélite, entrepris d'utiliser tant la marque Hélite que la qualité de distributeur exclusif de la SARL Protairbag dont M. Y était le gérant, pour assurer la promotion d'un produit concurrent, développé par leurs soins au travers de la société concurrente.

C'est dans ce contexte que doit être appréciée la portée de l'article de presse retenu par les premiers juges, qui n'a fait que publier, de manière certes indépendante, l'attitude fautive de la SARL Protairbag et de la SAS Hi-airbag connect commise au préjudice de la SARL Hélite et établie par ailleurs, mais dont la cour retient que cet article de presse en a amplifié les effets dommageables, sans que les sociétés fautives établissent y avoir été étrangères.

En effet, dans un article publié le 1er décembre 2015 sur le site internet spécialisé Moto Station, à l'occasion du Salon de la moto de Paris, intitulé : " Hi-airbag connect : 1er gilet airbag moto sans fil ni capteur " et consacré au gilet développé par la SAS Hi-airbag connect, il est indiqué, après le rappel que " les technologies Airbag avancent " et l'annonce que la SAS Hi-airbag connect, " pour la sécurité, propose un gilet innovant " : " Souvenez-vous des gilets airbag Elite [sic], parmi les premiers à proposer un système à câble. Aujourd'hui son distributeur a développé un nouveau modèle employant une technologie pour la moins innovante, directement embarquée sur le gilet Hi airbag connect. Pas de fil ni de capteurs fixés à la moto, tout est directement intégré dans cet équipement homologué CE et SRA. [...] "

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a retenu que la SARL Protairbag et la SAS Hi-airbag connect se sont rendues coupables de parasitisme, dès lors que ces sociétés ont cherché à profiter, sans rien dépenser, de la notoriété de la société Hélite et des produits de ses marques pour préparer l'introduction sur le marché d'un produit concurrent.

Le jugement entrepris doit être également confirmé en ce qu'il a retenu par de justes motifs que si, par le contrat de distribution litigieux, la SARL Hélite avait accordé à la SARL Protairbag un droit de distribution exclusif des produits de la société Hélite, il n'était pas démontré pour autant que ce contrat interdisait à ce distributeur de commercialiser des produits concurrents.

L'exclusivité de fait de la distribution des produits Hélite invoquée par la SARL Hélite, et même revendiquée par la SARL Protairbag à l'appui de sa demande indemnitaire, ne peut s'analyser en l'espèce comme résultant de la renonciation claire et non équivoque du distributeur à son droit de vendre des produits concurrents.

Telles sont les raisons qui conduisent à confirmer le jugement entrepris, qui a exactement évalué le préjudice de la SARL Hélite découlant de l'immixtion dans son sillage de concurrents ayant cherché à profiter de sa notoriété sans rien dépenser.

La cour dispose en effet des éléments nécessaires pour fixer ce préjudice à la somme de 30 000 euros.

Sur la rupture brutale de relation commerciale établie

Il résulte de ce qui précède que le comportement fautif de la SARL Protairbag, particulièrement grave et préalable à la résiliation litigieuse, avait rendu impossible la poursuite de la relation commerciale avec la SARL Hélite.

Il s'ensuit que la SARL Protairbag ne peut se prévaloir valablement contre son ancien fournisseur des dispositions de l'article L. 442-6. I. 5° du Code de commerce, dans le but de se faire indemniser des conséquences de la rupture.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la SARL Protairbag de ses demandes.

Sur les autres prétentions et les frais

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté toutes les demandes de la SARL Protairbag et de la SAS Hi-airbag connect et, plus largement, en toutes ses dispositions.

La SARL Protairbag et la SAS Hi-airbag connect, qui succombent en appel, seront, in solidum, condamnées aux dépens et, en équité, verseront à la SARL Hélite une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile dont le montant est précisé au dispositif du présent arrêt.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Déboute les sociétés Protairbag et Hi-airbag connect de tourtes leurs demandes, Les Condamne, in solidum, à payer à la SARL Hélite une somme complémentaire de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Les Condamne, in solidum, aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile, Rejette toute autre demande.