CA Paris, Pôle 5 ch. 10, 2 décembre 2019, n° 18-02467
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Courtois Bourgogne Boissons (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Loos
Conseiller :
M. de Chergé
Avocat :
Me Ferraris
FAITS ET PROCÉDURE
Monsieur X est propriétaire exploitant d'un fonds de commerce de café-restaurant sis à Auxerre (89) sous l'enseigne " Le Bar du Marché ". Il a fait l'objet d'une radiation du registre du commerce et des sociétés pour cessation d'activités le 5 octobre 2018.
La SAS Courtois Bourgogne Boissons (Courtois), immatriculée à Auxerre (89), est spécialisée dans le secteur d'activité du commerce de gros (commerce interentreprises) de boissons.
Monsieur X a conclu le 5 novembre 2008 avec la société Courtois un " marché de fourniture de boissons " aux termes duquel il s'est engagé pour une durée de 7 ans à s'approvisionner exclusivement auprès de la société Courtois selon un objectif de quantités annuelles fixé. En contrepartie, Monsieur X a bénéficié d'une subvention de 10 080 euros amortissable à raison de 18 euros TTC par hectolitre de bière et de la caution simple à hauteur de 100 % d'un prêt de 64 000 euros consenti à Monsieur X par le Crédit Agricole de Champagne Bourgogne.
Monsieur X, ayant cessé de passer des commandes à compter du 10 septembre 2015, a reçu une mise en demeure de la part de la société Courtois le 26 novembre 2015. La société Courtois l'a assigné en paiement de l'indemnité contractuelle de résiliation et de la subvention amortie devant le tribunal de commerce d'Auxerre par exploit du 20 mai 2016.
Par jugement du 18 septembre 2017 le tribunal de commerce d'Auxerre a :
- débouté Monsieur X des demandes de nullité de la clause d'approvisionnement tant pour la disproportionnalité des engagements, que du dol, de ses demandes complémentaires,
- condamné M. X à payer à la société Courtois la somme de 34 764,37 euros augmentée de l'intérêt légal à compter de la date de rupture du contrat comprenant l'indemnité de résiliation du marché de fourniture de boissons du 5 novembre 2008, soit 32 550,37 euros, et le remboursement du montant amorti de la subvention contrepartie du marché de fourniture de boissons du 5 novembre 2008, soit 2 214 euros,
- condamné Monsieur X à payer à la société Courtois la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
- dit qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire,
- liquidé les frais de greffe à la somme de 77,08 euros.
Monsieur X a interjeté appel par déclaration du 25 janvier 2018.
Par conclusions signifiées le 18 avril 2018, Monsieur X demande à la cour de :
Vu les articles 1109 et suivants et 1131 et suivants du Code civil,
Vu l'article L. 123-22 du Code de commerce,
- infirmer le jugement entrepris,
- déclarer nulle la clause contenant engagement d'exclusivité,
- débouter la société Courtois Bourgogne Boissons de l'ensemble des chefs de sa demande,
- condamner la société Courtois Bourgogne Boissons au paiement à Monsieur X de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Dans ses dernières conclusions signifiées le 17 septembre 2019, la société Courtois, intimée, demande à la cour de :
Vu l'article 1134 ancien devenu 1193 du Code civil,
- débouter Monsieur X de l'intégralité des fins de son appel et confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
A titre subsidiaire et pour le cas où la cour devait déclarer nulle la clause contractuelle d'approvisionnement exclusif prévue par le contrat du 5 novembre 2008,
- condamner Monsieur X à rembourser à la société Courtois la subvention de 10 080 euros qui lui a été versée en contrepartie de l'engagement annulé,
En tout état de cause, ajoutant au jugement entrepris :
- condamner Monsieur X à payer à la société Courtois la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés à hauteur d'appel,
- condamner Monsieur X aux entiers dépens dont le recouvrement sera assuré par Me Y, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code procédure civile.
SUR CE,
Sur les pièces justificatives de Monsieur X
La cour statuera au vu des sept pièces justificatives versées aux débats par l'appelant telles que visées dans ses conclusions signifiées le 18 avril 2018 et dans le bordereau de communication.
Sur la nullité de la clause contenant engagement d'exclusivité
Monsieur X demande que soit constatée la nullité de la clause d'approvisionnement exclusif à raison de la disproportion des engagements, en se référant aux termes de l'article 1131 du Code civil. Selon lui, la cause fait défaut en raison de l'absence d'avantage financier significatif, la subvention de 10 800 euros étant d'un montant ridicule comparée aux volumes de boissons écoulés chaque jour, ainsi que du caractère simple du cautionnement et de la solvabilité de Monsieur X, sans risque réel pour la société Courtois.
Monsieur X demande également que soit constatée la nullité à raison du dol caractérisé par le fait que la société Courtois a fourni des informations erronées sur les volumes de ventes du débit de boisson et qu'elle ne fournit pas de données sur sa capacité réelle. La société Courtois a pu convaincre son cocontractant de souscrire un engagement d'exclusivité en dissimulant le chiffre d'affaires du prédécesseur.
De son côté, la société Courtois soutient que c'est au jour de la signature du contrat qu'il faut apprécier la validité de la contrepartie. Monsieur X a accepté de signer le contrat en toute connaissance de cause. L'importance de l'aide de 10 080 euros, versée en une fois comme crédit de trésorerie, est à replacer à l'époque du versement. Cette aide est accompagnée d'un cautionnement à 100 % fourni par la société Courtois qui a permis à Monsieur X d'obtenir un prêt de 64 000 euros pour sa maison d'habitation, à amortir sur 84 mois, sans avoir à fournir de garantie réelle immobilière, et reposant sur sa solvabilité. Ce dernier ne disposait que d'un bien immobilier détenu en communauté avec son épouse et de 60 parts sociales d'une SCI FMC Immo.
La société Courtois soutient que le dol n'est pas prouvé, les griefs de l'appelant sont infondés et prescrits depuis 2013. De plus, Monsieur X avait une expérience personnelle dans la gestion d'entreprise et son épouse exploitait un débit de boissons dans la même ville. L'appelant n'a pas demandé les informations qui lui auraient manqué dans les 10 ans qui ont suivi la signature du contrat, alors qu'il a fait une offre de reprise de 250 000 euros en 2008 et qu'il a disposé d'éléments comptables à produire à sa banque. L'ancien propriétaire du fonds a disparu en 2007 et son dossier n'a pas été conservé.
Ceci étant exposé,
Le " marché de fournitures de boissons ", signé des parties le 5 novembre 2008 pour une durée de 7 ans, prévoit en son article 1 que la société Courtois accorde une subvention de 10 080 euros TTC amortissable, à raison de 18 euros TTC par hectolitre de bière, et une caution simple à hauteur de 100 % d'un prêt Crédit Agricole de 64 000 euros. Il est mentionné que Monsieur X " Reconnaît que cette contrepartie est un avantage économique et financier réel déterminant son consentement ".
L'article 2 du contrat est une clause d'exclusivité de fourniture pour l'achat des produits auprès de la société Courtois, selon des quantités conventionnelles qui doivent correspondre à la capacité réelle du débit de boissons.
L'article 3 du contrat répartit les quantités conventionnelles annuelles moyennes de produits (bière, eaux gazeuses et plates, sodas, vins, divers) par nombre de cols ou par hectolitres de bière.
L'article 4 du contrat prévoit que le prix de la fourniture résulte de la libre concurrence, usuellement pratiqué avec des clients de même nature dans la région où se trouve le fonds, et qu'il sera fixé en permanence par référence au tarif du fournisseur en vigueur au moment de chaque commande.
La cour relève que Monsieur X a donné un consentement valable à la clause d'exclusivité pour l'achat de boissons auprès de la société Courtois.
De première part en effet, l'obligation souscrite est assise sur une cause. Le marché de fournitures de boissons du 5 novembre 2008 stipule expressément que la clause d'exclusivité de fourniture est prévue en contrepartie d'un avantage économique et financier réel déterminant le consentement de Monsieur X.
Le montant de la première contrepartie financière, soit le versement de la somme de 10 080 euros, n'est pas disproportionné par rapport à la clause souscrite.
En effet, le versement de la somme de 10 080 euros en une seule fois par la société Courtois correspond au montant total de la fourniture d'une quantité de 560 hectolitres (hl) de bière sur sept ans. Or, Monsieur X a réalisé une commande de bière équivalente à 78 % des 560 hl de bière sur la période, selon le décompte de la société Courtois, disposant ainsi du produit le plus important de son fonds de commerce à titre gratuit. De plus, Monsieur X n'a pas formulé de critique ou de remise en cause du contrat, sans même produire à la cour de pièce financière ou comptable concernant la réalisation du contrat.
En ce qui concerne l'octroi de la caution simple de 100 % applicable à un prêt de 64 000 euros, cette autre contrepartie financière a recueilli l'assentiment des parties au vu d'informations produites par Monsieur X en 2008. Ce dernier ne justifie pas avoir fourni à la société Courtois la réalité de sa situation patrimoniale qui justifierait un quelconque caractère dérisoire a posteriori, engageant de ce fait sa responsabilité propre.
L'objet et l'utilisation du prêt de 64 000 euros consenti par le Crédit Agricole de Champagne Bourgogne n'ont pas été précisés, alors que ce prêt a permis à l'appelant de disposer d'un actif patrimonial, ce qui entre en ligne de compte pour l'évaluation de la contrepartie octroyée.
Au soutien de l'absence de risque alléguée pour la société Courtois, caution, Monsieur X ne décrit ni les biens éventuellement susceptibles d'être appelés en garantie par l'établissement bancaire, ni leur valeur imposable en l'absence de taxe foncière, ni leur situation juridique.
Or, l'appel en garantie prétexté aurait été fortement limité en son principe. Deux biens sont en effet détenus par une SCI dont l'appelant détient 60 parts sociales sur 100.
L'un de ces deux biens a été acquis par la SCI en 2011, soit trois ans après la signature du contrat. Un autre bien est détenu en communauté. Son estimation a été effectuée en 2013, après la signature du contrat avec la société Courtois.
Enfin, Monsieur X ne verse aucun élément aux débats sur la prétendue solvabilité de son fonds de commerce.
Il en résulte que Monsieur X ne justifie pas du caractère disproportionné de la contrepartie financière sous ses deux aspects.
De deuxième part, Monsieur X ne justifie pas de l'existence d'informations erronées à la souscription de son obligation en 2008.
Monsieur X a tout d'abord bénéficié de la cession du fonds de commerce " Le Bar du Marché " le 7 avril 2008 grâce à une procédure formelle de redressement judiciaire où les échanges d'informations ne peuvent être contestés.
De fait, Monsieur X a préparé dès le 13 novembre 2007 son offre de reprise du fonds de commerce et de ses éléments incorporels et corporels " à la faible valeur marchande ", en contrepartie d'un prix de 250 000 euros " payable comptant ", outre la reprise de deux contrats de travail et le transfert des mises à disposition de matériel et de mobilier par la société Courtois au bénéfice de Monsieur X.
Or, cette offre de reprise et ces mises à disposition de matériel et de mobilier par la société Courtois n'ont pas été versées aux débats par Monsieur X.
Monsieur X a été désigné par jugement du tribunal de commerce d'Auxerre du 15 février 2008 comme bénéficiaire des actifs de la SARL Bar du Marché, le dit tribunal constatant que " la proposition de Monsieur X répond le mieux aux exigences imposées par rapport à l'offre formulée ".
Or, cette proposition n'a pas été versée aux débats par Monsieur X.
De plus, si l'acte de cession du 7 avril 2018 prévoit que Monsieur X " dispense expressément le vendeur de l'énonciation des chiffres d'affaires et des résultats réalisés par la société et de la présentation et du visa des livres comptables et de l'inventaire ", cette dernière dispense est formellement revêtue de la signature de Monsieur X sans qu'il justifie qu'elle ait été " dictée " ni qu'il l'ait contestée. Elle ne peut en tout état de cause être reprochée à la société Courtois.
Enfin, la cession du fonds de commerce le 7 avril 2008 a précédé de six mois la signature du marché de fournitures de boissons le 5 novembre 2008. Ce laps de temps a permis à Monsieur X de disposer de toute information utile pour compléter la proposition de rachat initiale, notamment l'adéquation entre le stock annuel de boissons et la zone de chalandise du Bar du Marché, en centre-ville, et préparer la signature du marché de fournitures de boissons du 5 novembre 2008. De ce point de vue, Monsieur X ne justifie pas avoir formulé une demande d'information sur les quantités de boissons préalablement à la signature.
La cour relève que la société Courtois justifie de l'existence de variations parmi les quantités de produits livrées entre 2008 et 2015. Ainsi, la quantité réalisée en fûts de bière est presque entièrement réalisée, celle des colas, sodas, tonic, sirops et cafés est systématiquement dépassée (+35 % en 2011), compensant d'autres produits réalisés à moins de 50 % comme les eaux gazeuses et plates ou les vins en bouteille et champagnes. Ces constats illustrent l'adaptation du marché de fournitures à la réalité économique du Bar du Marché.
Il en résulte que Monsieur X ne justifie pas de l'existence d'un dol en lien avec une information sciemment erronée.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur l'indemnité de résiliation
Monsieur X demande que soit déclarée nulle la clause d'exclusivité et que la société Courtois soit déboutée de ses demandes.
La société Courtois demande de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Ceci étant exposé,
Le marché de fournitures de boissons du 5 novembre 2008 prévoit en son article 7 " inexécution " qu'il sera résilié de plein droit en cas d'inexécution par le revendeur, que le revendeur s'engage à restituer les avantages mentionnés à l'article 1 ou à les rembourser à leur valeur d'origine à la convenance du fournisseur, que le revendeur aura en outre à payer des dommages et intérêts qui ne sauraient être inférieurs à titre de clause pénale à 20 % du prix des quantités ou valeurs manquantes valorisés sur la base de la dernière facturation. Cette pénalité ne pourra être inférieure à 50 % de la contrepartie prévue à l'article 1.
La cour relève que le décompte de l'indemnité de résiliation n'est pas contesté.
C'est par une juste appréciation que les premiers juges ont condamné M. X à payer à la société Courtois la somme de 34 764,37 euros augmentée de l'intérêt légal à compter de la date de rupture du contrat comprenant l'indemnité de résiliation du marché de fourniture de boissons du 5 novembre 2008, soit 32 550,37 euros, et le remboursement du montant amorti de la subvention contrepartie du marché de fourniture de boissons du 5 novembre 2008, soit 2 214 euros.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement déféré ; Rejette toute autre demande ; Condamne Monsieur X à payer à la SAS Courtois Bourgogne Boissons la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne Monsieur X aux dépens.