Livv
Décisions

CA Agen, ch. soc., 26 novembre 2019, n° 17-01294

AGEN

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Norsilk (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Menu

Conseillers :

M. Benon, Mme Blum

C. Prud. Marmande, du 2 oct 2017

2 octobre 2017

FAITS ET PROCÉDURE :

Mme R. a été recrutée par la société Finn Forest France - dénommée ultérieurement Metsawood France - à compter du 1er avril 2008 en qualité de chef de secteur régional pour la division négoce, avec le statut de cadre. Son contrat prévoyait une clause de non-concurrence d'une durée de 12 mois, applicable sur le secteur géographique et professionnel correspondant à son activité et rémunérée à hauteur de 20 % de son salaire mensuel brut.

En juin 2015 le groupe forestier finlandais Metsagroup annonçait la cession de sa filiale Metsawood France à un groupe de retournement allemand, Mutares, cession qui est intervenue en octobre 2015 et a été suivie d'une grève des salariés de la société cédée qui se plaignaient de ne pas avoir été informé des modalités de la cession et des perspectives économiques envisagées par l'acquéreur.

En novembre 2015 Metsawood France a changé de dénomination sociale pour devenir Norsilk.

Le 2 décembre 2015, Mme R. a reçu par message électronique une promesse d'embauche de la société ISB, concurrente de Norsilk, pour exercer des fonctions similaires à celles qu'elle exerçait chez Norsilk, sous réserve de la levée totale de sa clause de non-concurrence.

Par un courrier recommandé en date du 3 décembre 2015, Mme R. a informé son employeur de son souhait de mettre fin à son contrat de travail dans le cadre d'une rupture conventionnelle.

Après un refus initial et de nouveaux échanges, l'employeur, par courrier du 30 décembre 2015, a indiqué à Mme R. qu'en raison de ses fonctions commerciales importantes sur un secteur stratégique et du fait que de nombreux contrats sont renégociés en début d'année, et tout en n'étant pas opposé par principe à sa requête, il ne lui était pas possible de la satisfaire avant la fin du premier trimestre 2016, délai nécessaire pour réfléchir à son remplacement.

Mme R. a été placée en arrêt maladie par son médecin traitant le 23 décembre 2015 pour " burn out ", prolongé le 4 janvier 2016 pour "syndrome dépressif réactionnel semble-t-il et d'après ses dires à des soucis dans son travail." Elle a repris le travail le 1er février 2016.

Par message électronique du 8 février 2016, l'employeur a informé Mme R. du recrutement de M. D. dont la mission consistait à alléger sa charge de travail, puis à reprendre sa clientèle.

Par courrier du 10 février 2016, Mme R. a reproché à son employeur des " pressions, harcèlement, humiliations, mesquineries " ayant pour objectif de " porter atteinte à (sa) dignité et compromettre(son) avenir professionnel. "

Le 3 mars 2016, Mme R. a saisi le conseil de prud'hommes de Marmande pour solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail, l'annulation de la clause de non-concurrence et le payement de multiples indemnités pour un montant total supérieur à 150 000 euros.

Mme R. s'étant plaint de la mise en danger de sa santé par l'entreprise, une enquête a été diligentée par le Comité d'Hygiène et de Sécurité des Conditions de Travail (CHSCT).

Lors de la réunion de la Commission paritaire sur les conditions de travail, le 18 mars 2016, Mme R., après s'être plainte du refus de l'entreprise d'accepter immédiatement sa demande de rupture conventionnelle, a indiqué qu'elle avait été embauchée dans un grand groupe et ne souhaitait pas travailler dans une PME comme Norsilk, qu'elle voulait partir aux conditions qu'elle avait décidées, qu'elle n'avait pas besoin d'aide, qu'elle allait très bien et voulait simplement quitter l'entreprise. Le procès-verbal de cette réunion mentionne in fine que " les membres de la commission paritaire considèrent tous que Mme R. n'est pas harcelée ".

Le 13 juin 2016, Mme R. et son employeur ont signé un document intitulé " rupture conventionnelle d'un contrat de travail " prévoyant, d'une part, le versement par l'employeur de la somme de 8 197 euros à titre d'indemnité spécifique de rupture conventionnelle, d'autre part, l'engagement de Mme R. de transférer l'ensemble de sa clientèle selon les instructions de l'employeur pour le 30 juin 2016 au plus tard.

Le 30 juin 2016 les parties ont signé une transaction ayant pour objet de mettre fin au litige pendant devant le CPH de Marmande, stipulant à titre de concessions de l'employeur le règlement de la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts et la libération de la salariée de la clause de non-concurrence, et en contrepartie, la renonciation de Mme R. à formuler une quelconque réclamation au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail et son engagement à se désister de la procédure engagée devant le CPH de Marmande.

Le 29 août 2016, Mme R. a été embauchée par le groupe ISB, société directement concurrente de Norsilk et dont l'un des dirigeants, M. L., était l'ancien directeur général de Metsawood France.

Par un jugement du 7 novembre 2016, le conseil de prud'hommes de Marmande a " donné acte à Mme R. de son désistement d'instance et d'action, dit que la partie défenderesse émet des réserves sur l'application de la transaction concernant les engagements de non-dénigrement, dit que la partie demanderesse émet des réserves sur cette réserve, dit que les frais éventuels de l'instance seront supportés par la partie demanderesse ".

Par une requête reçue le 16 décembre 2016, la société Norsilk a saisi le conseil de prud'hommes de Marmande afin qu'il annule la transaction, qu'il constate la violation de la clause de non-concurrence, qu'il condamne Mme R., outre aux entiers dépens, à lui payer la somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts et celle de 3 000 euros à titre d'indemnité de procédure.

Le 13 juin 2017, la société Norsilk a déposé une plainte pénale contre Mme R. pour abus de confiance et extorsion.

Par ordonnance du 20 juin 2017 rendue sur la requête de la société Norsilk, le président du tribunal de grande instance d'Agen a désigné la SCP M. & Freche, huissiers de justice à Casteljaloux, pour se rendre au domicile de Mme R. aux fins de prendre copie sur tout support de tous documents, échanges, données et informations relatifs à son embauche par la société ISB et les circonstances l'entourant, aux clients pour lesquels il existait des indices graves et concordants de détournement établis sur papier à en-tête de la société Metsawood et Norsilk.

Me Sandra M., huissier de justice, a dressé le 29 août 2017 un procès-verbal de constat des opérations effectuées le même jour au domicile et dans le véhicule de Mme R..

Par ordonnance du 26 octobre 2017, rendue sur l'assignation de Mme R., le président du tribunal de grande instance d'Agen a dit n'y avoir lieu à rétracter son ordonnance du 20 juin 2017.

Mme R. a relevé appel de cette ordonnance, appel qui fait l'objet d'une procédure distincte.

Dans la présente procédure, par jugement en date du 2 octobre 2017, le conseil de prud'hommes de Marmande a rejeté la demande de sursis à statuer dans l'attente de l'issue des poursuites pénales engagées à l'encontre de Mme R. formulée par la société Norsilk, a débouté la société Norsilk de sa demande en annulation de la transaction et l'a condamnée, outre aux dépens, à payer la somme de 7 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Norsilk a régulièrement relevé appel de ce jugement par une déclaration du 20 octobre 2017.

Par ordonnance du 3 juillet 2018 (RG 18/00141), rendue sur l'assignation délivrée par la société Norsilk à la société ISB par acte du 9 mai 2018, le juge des référés du tribunal de grande instance d'Agen a ordonné la mainlevée du séquestre de l'intégralité des documents et informations saisis dans l'ordinateur et le téléphone professionnel de Mme R. et en a ordonné la remise à la société Norsilk.

Cette ordonnance a fait l'objet d'un appel relevé par la société ISB, enregistré à la cour sous le n° RG 18/00742.

Par une seconde ordonnance du 3 juillet 2018 (RG 18/00151), rendue sur l'assignation délivrée par la société ISB à la société Norsilk par acte du 24 mai 2018, le juge des référés du tribunal de grande instance d'Agen a débouté la société ISB de sa demande en rétractation de l'ordonnance du 20 juin 2017.

Cette ordonnance a fait l'objet d'un appel relevé par la société ISB, enregistrée à la cour sous le n° RG 18/00743.

La clôture de la procédure de mise en état a été prononcée le 5 décembre 2018 par une ordonnance séparée et l'audience de plaidoiries a été fixée au 21 mai 2019.

Par conclusions d'incident reçues le 7 mai 2019, Mme R. a saisi le conseiller de la mise en état afin qu'il révoque l'ordonnance de clôture et qu'il fixe un nouveau calendrier de procédure lui permettant de produire les deux arrêts rendus le 25 mars 2019 par la chambre civile de la cour d'appel d'Agen dans les litiges opposant la société ISB à la société Norsilk.

Par ordonnance du 21 mai 2019, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande de révocation de l'ordonnance de clôture, en considérant que le prononcé le 25 mars 2019 des arrêts de la Cour d'appel sur les recours formés contre les ordonnances du juge des référés du tribunal de grande instance d'Agen du 3 juillet 2019 dans des litiges n'opposant pas les mêmes parties ne constituait pas une cause grave pouvant justifier la révocation sollicitée.

- MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Selon dernières écritures enregistrées au greffe de la Cour le 5 décembre 2018, Norsilk conclut à l'infirmation du jugement entrepris et demande à la Cour :

1°) d'annuler la transaction conclue entre les parties le 30 juillet 2016 en faisant valoir :

- que son consentement est vicié par le comportement de Mme R., qui pour extorquer à son ancien employeur la levée de la clause de non-concurrence a usé de manœuvres dolosives : demandes multiples, harcèlement constant pour exiger une rupture conventionnelle, arrêts-maladie annoncés et intervenant à des moments particulièrement stratégiques sur le plan commercial, mise à l'écart par elle du salarié embauché pour l'assister et rétention de la clientèle, affirmations répétées de sa volonté de ne plus travailler à l'avenir dans le même secteur, actes de concurrence déloyale avec la complicité de M. L., mensonges répétés, conditionnement de l'exécution loyale de ses obligations contractuelles à l'acceptation de ses exigences par l'employeur, critique et dénigrement de l'action des nouveaux dirigeants de la société Norsilk, instrumentalisation de la procédure de résiliation judiciaire ;

- que la preuve de ces manœuvres dolosives résulte du procès-verbal de constat dressé par l'huissier de justice postérieurement à l'audience du bureau de jugement du CPH ;

- que sans ces manœuvres dolosives elle n'aurait jamais consenti à la levée de la clause de non-concurrence et que le caractère déterminant de celles-ci est donc établi ;

- que la rupture conventionnelle, homologuée le 21 juillet 2016, est postérieure à l'accord transactionnel qui est intervenu dès le 15 juin 2016, date de la rencontre des volontés concordante des parties, et que dès lors elle doit être annulée ;

2°) subsidiairement, de prononcer la résiliation de la transaction pour inexécution fautive, en soutenant :

- qu'après réception le 2 décembre 2015 de la promesse d'embauche par le groupe ISB, Mme R. n'a eu de cesse de trahir son employeur en alertant son futur employeur sur la stratégie et les actions de Norsilk, en lui communiquant régulièrement des informations sur les ventes, la clientèle et les équipes de Norsilk ;

- que Mme R. n'a jamais respecté l'obligation de loyauté, puis de non-dénigrement prévue par la transaction ;

- que le 19 mai 2016 Mme R. et M. L. discutaient ouvertement du détournement de clientèle projeté et qu'en septembre 2016, Mme R. a transféré à ISB des documents de Norsilk ;

- qu'elle a également communiqué à ISB les offres de vente faites par Norsilk à Batiland Urtheler pour l'année 2017 ;

- que le constat d'huissier a permis de confirmer la divulgation par Mme R. de documents et d'informations appartenant à Norsilk ;

- que Mme R. n'a pas respecté l'obligation de confidentialité prévue à l'article 6 de la transaction ce qu'elle a d'ailleurs reconnu en indiquant qu'elle avait communiqué la partie concernant la levée de la clause de non-concurrence ;

- que depuis Norsilk a constaté un effondrement du chiffre d'affaires du secteur, de l'ordre de 30 % ;

3°) de condamner Mme R. à lui payer la somme de 565 996 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de la clause de non-concurrence et commission d'actes de concurrence déloyale en exposant :

- que le procès-verbal de constat dressé par l'huissier de justice a permis d'établir que Mme R. a activement tenté de détourner ou détourné de nombreux clients de Norsilk, ce qui était l'objectif ayant justifié son embauche par ISB ;

- que Mme R. a communiqué à ISB les prix, les produits et les volumes vendus par Norsilk pour permettre à ISB de proposer les mêmes produits à des prix moins élevés aux clients de Norsilk ;

- que Mme R. a en outre dénigré Norsilk en critiquant auprès de clients la viabilité de son activité ;

- que selon une attestation certifiée par son commissaire aux comptes le préjudice résultant des agissements de Mme R., chiffré sur la base de la perte des clients du secteur Sud-Ouest depuis le départ de Mme R., s'élève à 565 996 euros ;

- que la clause de non-concurrence étant devenue sans objet du fait de l'embauche de Mme R. par ISB, la Cour devra libérer l'employeur du payement de la contrepartie financière ;

4°) d'ordonner (sic), sous astreinte, la restitution de tous documents appartenant à la société Norsilk, et notamment ceux listés en pièce 47, et la destruction de copies faites sur tout support par Mme R. ;

5°) de débouter Mme R. de ses demandes reconventionnelles et de la condamner, outre aux dépens, à lui payer une indemnité de procédure de 5 000 euros.

Selon dernières écritures enregistrées au greffe de la Cour le 3 décembre 2018, Mme R. conclut au rejet de l'appel de Norsilk et à la confirmation du jugement entrepris, sauf à porter à 50 000 euros le montant des dommages et intérêts réparant le préjudice qu'elle subit du fait de la procédure particulièrement abusive et injustifiée engagée par l'appelante en exposant :

1°) que Norsilk ne peut qu'être déboutée de sa demande en annulation de la transaction dès lors :

- que la précarité de la thèse de Norsilk est démontrée par l'absence d'action en concurrence déloyale engagée par celle-ci à l'encontre de ISB, prétendument bénéficiaire des détournements allégués ;

- qu'aucune manœuvre dolosive ne peut lui être imputée et que la Cour ne pourra que constater l'absence totale de preuve au soutien de l'argumentation particulièrement scabreuse de Norsilk ;

- que son épuisement psychologique à la fin de l'année 2015 trouvait son origine dans le comportement malsain et humiliant de son employeur et explique son désir de quitter l'entreprise, n'ayant plus confiance en son nouvel employeur compte tenu du manque de transparence, de visibilité et de perspectives d'avenir ;

- qu'en réalité l'employeur a tout fait pour la pousser à démissionner, allant jusqu'à lui proposer de la licencier pour faute grave ;

- que la clause de non-concurrence prévoyant une contrepartie financière dérisoire était le point d'achoppement entre les parties et que dès le début des négociations elle a souhaité que cette clause soit levée ou que la contrepartie financière soit revalorisée ;

- que la procédure de résiliation judiciaire du contrat de travail qu'elle a engagé devant le CPH de Marmande était donc parfaitement justifiée ;

- qu'elle était parfaitement en droit de postuler à des emplois, même auprès de concurrents et qu'elle n'a accepté la promesse d'embauche de ISB qu'après la levée de sa clause de non-concurrence ;

- qu'elle n'a jamais refusé de transmettre les clients de son secteur commercial à son successeur et qu'à partir du 17 juin 2016 elle a pris contact avec M. D. pour la passation de son secteur commercial ;

- que par ailleurs l'annulation de la transaction au motif qu'elle n'aurait pas transféré la clientèle à son successeur M. D. ne peut être prononcée puisque la transaction n'y fait pas allusion ;

- que Norsilk ne rapporte pas la moindre preuve des prétendus agissements frauduleux avec la complicité de la société ISB, ni des prétendus dénigrements qu'elle lui impute, qu'elle ne produit notamment aucun témoignage de la clientèle ;

- que la plainte pénale déposée par Norsilk en juin 2017, 15 jours avant l'audience devant le bureau de jugement du CPH de Marmande n'est qu'un pur ajustement de cause, la plainte se fondant au demeurant sur de simples suppositions et non sur des faits réels et précis ;

- que le compte rendu du CHSCT qui s'est tenu le 18 mars 2016 n'est qu'un faux, qu'il n'a jamais été établi le 22 avril 2016 puisqu'il n'existait pas le 23 mai, qu'il devra donc être écarté des débats ;

- que la chute du chiffre d'affaires s'explique par la perte de confiance de ses clients dès l'annonce de la cession de l'entreprise au groupe Mutares ;

- que certes la transaction a été signée le 28 juin 2016, antérieurement à l'homologation de la rupture conventionnelle par l'inspection du travail, mais que la nullité relative qui en résulte est instituée dans l'intérêt du salarié et ne peut donc être invoquée par l'employeur ;

2°) que la demande de résolution judiciaire de la transaction ne peut qu'être rejetée dès lors :

- que la divulgation de documents et informations qui lui est reprochée porte sur des pièces qui sont nécessairement en possession de tous les intervenants de la profession, qu'il s'agit d'informations et documentations téléchargeables sur le site internet de tous les industriels du bois et donc à la disposition de tout public ;

- que la prétendue violation de la clause de confidentialité concerne un extrait du protocole transactionnel qu'elle a communiqué à ISB pour justifier de la levée de la clause de non-concurrence, ce qui ne saurait lui être reproché ;

3°) que les pièces complémentaires produites par l'appelante, saisies à son domicile par l'huissier de justice commis par ordonnance sur requête ne sont pas de nature à rapporter la preuve d'un détournement de clientèle ou d'actes de concurrence déloyale ; qu'elle n'a fait qu'utiliser des informations et l'expérience acquise chez Norsilk pour faire son travail au mieux chez son nouvel employeur, que l'analyse du constat d'huissier met en évidence qu'elle avait fait le constat qu'ISB pratiquait des tarifs plus chers que Norsilk et ne souhaitait pas s'aligner ; que par ailleurs les clients prétendument détournés sont en réalité des clients de longue date de la société ISB ;

4°) subsidiairement, que le chiffrage du préjudice que Norsilk prétend avoir subi est particulièrement imprécis et qu'en réalité Norsilk ne justifie d'aucun préjudice direct, certain et déterminé et qu'en conséquence l'appelante ne pourrait qu'être déboutée de l'intégralité de ses prétentions ;

5°) qu'elle ne voit aucune difficulté à restituer à Norsilk l'ensemble des documents figurant sur la pièce 47 produite par l'appelante, qui ne lui ont jamais été réclamés par celle-ci ;

6°) qu'elle a été particulièrement déstabilisée, meurtrie et choquée par la procédure engagée contre elle, alors qu'elle croyait être sortie du cauchemar dans lequel elle s'est trouvée plongée durant un an à compter du rachat de l'entreprise jusqu'à son départ effectif, et par le recours à une perquisition à son domicile sans même respecter le principe du contradictoire, qui l'ont conduit à demander la rupture conventionnelle de son contrat avec ISB ; que son préjudice moral doit être chiffré à 50 000 euros.

Elle demande enfin à la Cour de condamner Norsilk aux dépens et au payement d'une indemnité de procédure de 5 000 euros.

- MOTIFS DE L'ARRÊT :

I. - SUR LA NULLITÉ DE LA TRANSACTION :

La transaction est un contrat par lequel les parties terminent une contestation née ou à naître ; elle ne règle que les différends qui s'y trouvent compris. Elle a entre les parties l'autorité de la chose jugée, mais peut être annulée dans tous les cas où il y a dol ou violence.

Le dol est constitué lorsqu'un contractant obtient le consentement de l'autre par des manœuvres, des mensonges ou la dissimulation d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie. Il ne vicie le consentement que lorsqu'il est de telle nature que sans lui, l'une des parties n'aurait pas transigé.

En l'espèce, pour rejeter la demande d'annulation de la transaction, il suffira de relever :

- que la nullité d'une transaction portant sur les conditions d'exécution et de rupture d'un contrat de travail, résultant de ce qu'elle a été conclue avant ladite rupture, est une nullité relative instituée dans le seul intérêt du salarié et qu'elle ne peut dès lors être invoquée par l'employeur, c'est à dire en l'espèce par Norsilk ;

- que des demandes même multiples pour solliciter la conclusion d'une rupture conventionnelle ne caractérisent nullement des manœuvres dolosives, mais seulement des négociations difficiles, et que Norsilk est particulièrement mal venue de faire état de " harcèlement constant de la salariée pour exiger une rupture conventionnelle " dès lors que celle-ci n'avait aucun moyen de l'imposer et que Norsilk, détenteur d'un pouvoir disciplinaire jusqu'à la rupture du contrat, pouvait à tout moment des négociations sanctionner un comportement fautif de la salariée, qu'elle ne l'a jamais fait, ce qui confirme qu'elle ne l'a jamais considéré comme tel ;

- que le conditionnement allégué de l'exécution loyale de ses obligations contractuelles à l'acceptation de ses exigences par l'employeur, non seulement n'est pas établi, mais ne pourrait en toute hypothèse constituer une manœuvre dolosive, susceptible de déterminer le consentement de l'employeur, dès lors là encore que celui-ci disposait du pouvoir de sanctionner disciplinairement de tels manquements aux obligations contractuelles ;

- que les arrêts-maladie de Mme R. ne peuvent pas davantage être considérés comme des manœuvres dolosives, qu'ils lui ont été prescrits par son médecin traitant pour burn-out et syndrome dépressif réactionnel, que Norsilk ne produit aucun élément corroborant son allégation relative au fait que la salariée les aurait annoncés à l'avance pour le cas où ses exigences ne seraient pas satisfaites, que le fait qu'ils soient intervenus à des moments importants pour l'entreprise sur le plan commercial ne peut pas davantage être considéré comme une manœuvre dès lors qu'ils étaient médicalement justifiés ;

- que le message électronique adressé le 5 février 2016 par Norsilk à Mme R. mentionnait que M. D. avait été embauché pour l'assister et diminuer sa charge de travail, que ce n'est qu'après la signature de la rupture conventionnelle, le 15 juin 2016, qu'il lui a été demandé expressément d'assurer le transfert de sa clientèle au profit de son successeur désigné, M. D., ce qu'elle a fait dans les jours suivants, en accompagnant celui-ci en tournée pendant trois jours, puis M. P. le nouveau directeur commercial durant deux jours chez les clients les plus importants de son secteur ;

- que le grief de non collaboration avec M. D. ne peut donc pas davantage être considéré comme une manœuvre dolosive dès lors que non seulement il n'est pas établi, mais qu'au surplus s'il l'avait été, il aurait pu lui aussi donner lieu à une sanction disciplinaire et que l'employeur, après l'entretien préalable à une éventuelle sanction qui s'est déroulé à ce sujet le 23 mai 2015, n'a pris aucune mesure de cette nature, ni même formulé d'observations ;

- que c'est vainement que Norsilk invoque le caractère dolosif de l'affirmation répétée à plusieurs reprises par Mme R. de sa volonté de ne plus travailler à l'avenir dans le même secteur et du silence gardé par celle-ci sur la promesse d'embauche qu'elle avait reçu le 2 décembre 2015 de ISB, qu'en effet la levée de la clause de non-concurrence n'avait d'intérêt pour la salariée que si elle voulait travailler pour une entreprise concurrente, ce que Norsilk ne pouvait ignorer, qu'il s'en déduit que l'impossibilité pour la salariée de travailler pour un concurrent n'était pas une condition déterminante du consentement de Norsilk ;

- que les actes de concurrence déloyale, les mensonges répétés, la critique et le dénigrement de l'action des nouveaux dirigeants de la société Norsilk invoqués encore par l'appelante, même à les supposer établis ce qui sera examiné plus loin, ne constituent pas des manœuvres dolosives puisqu'ils n'avaient pas pour objet de tromper Norsilk pour l'amener à consentir à la transaction et que l'intention dolosive n'est donc pas caractérisée ;

- que c'est tout aussi vainement que Norsilk invoque l'instrumentalisation et le caractère dolosif de la procédure judiciaire en résiliation du contrat de travail et en nullité de la clause de non-concurrence introduite en mars 2016 par Mme R., qui n'aurait été engagée que pour l'amener à consentir à une transaction aux conditions fixées par la salariée, qu'en effet l'exercice d'une action judiciaire constitue en son principe un droit, qu'en l'espèce l'action engagée par Mme R. n'était pas purement fantaisiste, mais s'appuyait sur les difficultés apparues à l'occasion de la cession, en novembre 2015, de l'entreprise au Fond de retournement Mutares, qui avait provoqué des mouvements sociaux, et qui étaient selon la salariée à l'origine de la dégradation de son état de santé, que Norsilk pouvait parfaitement s'opposer judiciairement aux prétentions de la salariée si elle les estimait injustifiées et que rien ne permet donc d'affirmer que la procédure s'inscrivait dans un processus dolosif.

II. - SUR LA RÉSILIATION JUDICIAIRE DE LA TRANSACTION :

L'autorité de la chose jugée s'attachant à une transaction n'interdit pas à une partie qui se plaint de l'inexécution par l'autre d'une des obligations mises à sa charge par le protocole d'accord de solliciter la résiliation judiciaire du contrat sur le fondement de l'article 1219 (anciennement 1184) du Code civil.

En l'espèce Norsilk sollicite la résiliation judiciaire de la transaction en invoquant le non-respect par Mme R. des obligations de loyauté, de non dénigrement et de confidentialité mises à sa charge par la transaction.

Pour faire droit à cette demande et prononcer la résiliation judiciaire de la transaction, il suffira de relever :

- que la transaction stipule, en son article 6, que " Mme R. s'oblige à conserver à la présente transaction, aux pourparlers qui ont abouti à sa conclusion un caractère strictement confidentiel. En outre elle s'interdit, sans limitation de durée, de divulguer des renseignements de toute nature dont elle aura pu avoir connaissance en raison de ses fonctions du seul fait de son appartenance à l'entreprise " ;

- qu'elle stipule encore en son article 7 "les parties conviennent expressément et réciproquement de donner de bons renseignements et de ne pas se dénigrer l'un l'autre" ;

- que le constat dressé le 29 août 2017 par Me M. a permis d'établir que dans un message électronique du 18 juillet 2016 adressé à Frank F., son supérieur hiérarchique dans la société ISB Mme, R. écrivait " je ne voulais plus travailler pour ces bandits de Mutares (actionnaire unique Norsilk) de qui se nourrissent de cadavres ", qu'il s'agit là incontestablement d'un dénigrement de son ancien employeur, peu important à cet égard qu'il s'agisse d'un message interne et non d'un message destiné à un client ;

- qu'il résulte de ce même constat que Mme R. a transmis par internet, après son embauche comme elle le précise elle-même, à son nouvel employeur ISB non seulement un certain nombre de documents téléchargeables sur internet, mais également un certain nombre de documents relatifs aux relations commerciales de Norsilk avec divers clients, l'affirmation de l'intimée selon laquelle il s'agissait là également de documents accessibles sur internet n'étant pas crédible non seulement parce qu'elle n'est corroborée par aucun élément, mais encore parce qu'il n'est pas d'usage qu'une entreprise offre ainsi à ses concurrents une vue directe sur ses relations commerciales avec ses clients, qu'il s'agit là d'une violation par Mme R. de son engagement de ne pas communiquer de renseignements dont elle avait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions au service de Norsilk ;

- que par ailleurs Mme R. reconnaît elle-même avoir transmis à ISB " la partie (de la transaction) confirmant la levée de la clause de non-concurrence ", qu'il s'agit d'une violation de l'obligation de confidentialité qu'elle avait contracté, que c'est vainement que l'intimée soutient qu'elle ne pouvait pas faire autrement, qu'en effet l'obligation de confidentialité, établie avec l'assistance d'un avocat, était générale et ne prévoyait aucune dérogation et qu'il lui suffisait de transmettre à ISB le certificat de travail établi le 29 juillet 2016 par Norsilk, qui mentionnait expressément que Mme R. quittait l'entreprise libre de tout engagement ;

- que l'inexécution par Mme R. de diverses obligations mises à sa charge par le protocole d'accord, caractérisée ci-dessus, constituent des manquements d'une gravité suffisante pour justifier la résiliation de la transaction ;

- que la résiliation de la transaction a pour effet de remettre les parties dans l'état dans lequel elles se trouvaient avant sa conclusion et qu'en conséquence Mme R. est tenue de restituer à Norsilk la somme de 5 000 euros qui lui a été versée en exécution de la transaction résiliée ;

- que toutefois, en raison du caractère synallagmatique de la clause de non-concurrence, le salarié qui ne respecte pas l'interdiction de concurrence ne peut prétendre au payement de la contrepartie financière et que dès lors, Mme R. ayant été embauchée en août 2016 par ISB, concurrent direct de Norsilk en violation de la clause de non-concurrence, il y a lieu de faire droit à la demande de Norsilk et de dispenser celle-ci du payement de la contrepartie financière fixée dans la clause.

III. - SUR LA CONCURRENCE DÉLOYALE :

La SAS Norsilk sollicite la condamnation de Mme R. à lui payer la somme de 565 996 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de la clause de non-concurrence et commission d'actes de concurrence déloyale.

Pour écarter cette prétention et confirmer le jugement entrepris en ses dispositions déboutant Norsilk de cette demande, il suffira de relever :

- que celui qui exerce une action en responsabilité doit justifier de l'existence d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre eux ;

- qu'il appartient donc à Norsilk de rapporter la preuve, non seulement du comportement fautif de Mme R., mais également celle de l'existence et de l'étendue du préjudice que le dit comportement lui aurait causé ;

- que si Norsilk établit que durant l'exécution du contrat de travail, puis postérieurement à sa rupture, Mme R. a fourni à ISB divers documents internes de Norsilk et lui a communiqué les prix facturés par Norsilk à certains clients, afin de lui permettre de proposer à ces clients les mêmes produits à des conditions plus avantageuses, faits constitutifs de concurrence déloyale, force est de constater qu'elle ne justifie pas du préjudice allégué ;

- qu'alors qu'en première instance elle ne chiffrait ce préjudice qu'à 30 000 euros, elle réclame désormais à hauteur d'appel une indemnité de 565 996 euros, correspondant selon elle à la perte de marge brute (30 %), calculée sur la base de la chute du chiffre d'affaires, résultant de la perte d'un certain nombre de clients du secteur Sud-Ouest après le départ de Mme R. ;

- que la seule production, au soutien de ce chiffrage, du document intitulé " clients du portefeuille clients de A.M. R. ", faisant état d'une diminution de 908 394 euros en 2016 et de 935 597 euros en 2017 du chiffre d'affaires réalisé avec 25 clients, n'est pas de nature à justifier le préjudice allégué ;

- que le commissaire aux comptes a simplement attesté qu'il n'avait aucune observation à formuler sur les chiffres portés sur ce document, sans avoir procédé à aucune autre vérification ;

- que Norsilk ne prend même pas la peine de justifier du taux de marge retenu par elle ;

- que l'affirmation que les actes de concurrence déloyale précédemment évoqués sont directement et exclusivement à l'origine de la perte de chiffre d'affaires figurant dans ce document ne repose sur aucune démonstration, aucune analyse comptable véritable prenant en compte les gains éventuels de chiffre d'affaires réalisés par ISB avec ces mêmes clients et n'est qu'une simple allégation, étant rappelé que le secteur d'activité est hautement concurrentiel et que de nombreux contrats sont renégociés annuellement par les clients pour obtenir de meilleures conditions de prix ;

- que la carence de Norsilk dans l'administration de la preuve qu'il lui appartient de rapporter ne peut conduire qu'au rejet de sa demande en payement de la somme de 565 996 euros.

Par ailleurs il y a lieu de donner acte à Mme R. de ce qu'elle s'engage à restituer à Norsilk les documents listés en pièce 47 communiquée par Norsilk, et en tant que de besoin de l'y condamner, sans qu'il soit besoin d'assortir cette condamnation d'une astreinte.

IV. - SUR LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE EN DOMMAGES ET INTÉRÊTS :

Dès lors qu'il est fait partiellement droit aux prétentions de Norsilk, la procédure engagée par celle-ci ne peut être déclarée abusive et ouvrir droit à dommages et intérêts au profit de Mme R..

Par suite il y a lieu d'infirmer le jugement en ses dispositions faisant droit à la demande présentée de ce chef par Mme R. et de débouter celle-ci de cette prétention.

V. - SUR LES FRAIS NON-RÉPÉTIBLES ET LES DÉPENS :

Chacune des parties succombant partiellement, il y a lieu de dire que chacune conservera à sa charge ses propres frais et dépens d'instance et d'appel.

L'équité n'impose pas de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties, tant pour les frais non-répétibles exposés en première instance que pour ceux exposés à hauteur d'appel.

Par ces motifs LA COUR, statuant par arrêt prononcé par sa mise à disposition au greffe et en dernier ressort, Confirme le jugement en ses dispositions déboutant la SAS Norsilk de sa demande en dommages et intérêts pour violation de la clause de non-concurrence et concurrence déloyale ; Infirme le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions ; Statuant à nouveau des chefs infirmés et ajoutant au jugement, Déboute la société Norsilk de sa demande de nullité de la transaction ; Prononce la résiliation de la transaction conclue le 30 juillet 2016 entre les parties ; Condamne Mme R. à rembourser à la SA Norsilk la somme de 5 000 euros versée en exécution de cette transaction ; Dispense la SAS Norsilk du payement de la contrepartie financière prévue dans la clause de non-concurrence ; Donne Acte à Mme R. de ce qu'elle s'engage à restituer à la SAS Norsilk les documents listés en pièce 47 de l'appelante, et en tant que de besoin l'y condamne ; Déboute Mme R. de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive ; Déboute les parties de leurs demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Dit que chacune des parties conservera à sa charge ses propres frais et dépens d'instance et d'appel.

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site