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Décisions

Cass. com., 4 décembre 2019, n° 18-13.768

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Manufacture Française des Pneumatiques Michelin (SCA)

Défendeur :

Dream Objects (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Rapporteur :

Mme Sudre

Avocat général :

Mme Pénichon

Avocats :

SCP Célice, Soltner, Texidor, Périer, SCP Baraduc, Duhamel, Rameix

T. com. Paris, du 3 juin 2013

3 juin 2013

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 janvier 2018), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 26 avril 2017, pourvoi n° 16-12.881), que la société Manufacture française des pneumatiques Michelin (la société Michelin), qui entretenait des relations commerciales avec la société Dream Objects (la société Dream) pour la fourniture d'objets publicitaires, l'a informée le 19 décembre 2008, du lancement d'un appel d'offres pour choisir son futur prestataire ; qu'ayant participé à cet appel d'offres, la société Dream a été informée, le 9 avril 2009, que sa candidature n'était pas retenue ; que la société Dream a assigné la société Michelin en paiement de dommages-intérêts pour rupture brutale d'une relation commerciale établie ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société Michelin fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Dream une certaine somme pour rupture brutale d'une relation commerciale établie alors, selon le moyen, que pour déterminer la durée du préavis qu'un commerçant doit, selon l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, accorder à son partenaire commercial avant de rompre les relations nouées avec celui-ci, il convient de tenir compte, notamment, des usages commerciaux et de la durée des relations nouées entre les parties ; que ce préavis ayant pour objet de garantir le respect des usages commerciaux et de permettre à la partie qui supporte la rupture de réorganiser son activité, la nature et la durée de relation dont il doit être tenu compte pour déterminer la durée de ce préavis sont celles de la relation à laquelle il est mis fin ; que si, pour déterminer la durée du préavis qui doit lui être accordé en propre, la partie qui supporte la rupture peut se prévaloir, à l'encontre de son partenaire commercial, de la durée des relations que ce dernier a précédemment entretenues avec un tiers, c'est à la condition d'avoir poursuivi aux mêmes clauses et conditions la relation nouée entre ceux-ci ; que pour juger en l'espèce que le préavis que la société Michelin devait accorder à la société Dream Objects devait tenir compte à la fois de la durée de la relation que ces sociétés avaient entretenues et de la durée des relations que la société Michelin avait précédemment nouées avec une société Dakota, la cour d'appel s'est bornée à relever que " l'objet des contrats conclus " entre ces différentes parties était " identique " et que cette " identité d'objet condui[sait] à juger que la relation initialement nouée entre Dakota et Michelin s'[était] poursuivie au moyen du contrat signé le 6 octobre 2004 entre Dream et Michelin " ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à justifier que la société Dream Objects, qui ne venait pas aux droits de la société Dakota, avait poursuivi aux mêmes clauses et conditions la relation commerciale nouée entre les sociétés Michelin et Dakota et par des motifs conséquemment impropres à justifier que la société Dream Objects puisse se prévaloir, à l'encontre de la société Michelin, de la durée de la relation que celle-ci avait précédemment entretenue avec une société tierce, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;

Mais attendu qu'après avoir relevé que le contrat conclu le 6 octobre 2004 par la société Michelin avec la société Dream, du groupe Dakota, mentionne, en son article 1er, qu'il annule et remplace les contrats précédemment signés les 23 septembre 1999 et 6 juillet 2001 entre les sociétés Michelin et Dakota, l'arrêt retient que l'objet du contrat du 23 septembre 1999, la fourniture d'objets publicitaires et promotionnels, est identique à celui du 6 octobre 2004 ; que par ces seuls motifs, dont elle a déduit que la relation commerciale initialement nouée entre les sociétés Dakota et Michelin s'était poursuivie au moyen du contrat signé le 6 octobre 2004 entre les sociétés Dream et Michelin et que la date de commencement de cette relation devait être fixée à la date de conclusion du premier de ces contrats, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen : - Attendu que la société Michelin fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen : 1°) que le préavis prévu à l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce a pour objet de permettre à la partie supportant la rupture de réorganiser son activité et de trouver de nouveaux débouchés ; qu'il en résulte que pour apprécier le caractère brutal de la rupture d'une relation commerciale établie et évaluer l'indemnité accordée à ce titre à la victime de la rupture, laquelle doit être évaluée en considération de la marge brute escomptée durant la période de préavis qui aurait dû être accordée et qui n'a pas été exécutée, le juge doit tenir compte du préavis effectivement accordé par l'auteur de la rupture et non du délai qu'il a initialement notifié ; qu'en l'espèce, la société Michelin rappelait qu'elle avait, jusqu'au 31 décembre 2009, continué à réceptionner et à régler les commandes passées auprès de la société Dream Objects ; qu'elle rappelait que si la plupart de ces commandes avaient, conformément au schéma prévu par les parties, été passées en année N-1, il n'en demeurait pas moins qu'elles avaient été exécutées en 2009, qu'un flux financier et un courant d'affaires avaient été maintenus et que la société Dream Objects avait réalisé, sur l'exercice 2009, un chiffre d'affaires de 2 412 639,96 euros, similaire à celui qu'elle avait réalisé au cours des précédents exercices grâce aux commandes du groupe Michelin et selon le même schéma ; qu'en refusant de tenir compte du maintien d'un flux d'affaires au cours de cette période pour déterminer la durée de préavis dont la société Dream Objects avait réellement bénéficié aux motifs que l'annonce de la conclusion d'un nouveau contrat avec le soumissionnaire retenu à compter d'avril 2009 " rendait vaine la prétention d'un préavis jusqu'au 31 décembre 2009 ", que " les prestations publicitaires sont réalisées dans le cadre d'une collection et que le report d'une année pour des commandes passées en 2008 pour des livraisons à intervenir tout au long de l'année 2009 (...) n'est pas contraire à une fin des relations contractuelles, décidée par Michelin par la mise en œuvre d'une procédure d'appel d'offre initiée en novembre 2008 " et " que la signature d'un nouveau contrat avec un nouveau fournisseur en avril 2009 avait ouvert un nouveau cycle de fabrication et mis fin au préavis ", la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser une rupture des relations commerciales dès le mois d'avril 2009 et à écarter les prétentions de la société Michelin sur ce point, a violé l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; 2°) qu'en statuant comme elle l'a fait, sans expliquer en quoi la société Dream Objects n'avait pas été en mesure de réorganiser son activité et de trouver des débouchés de substitution dès l'annonce des résultats de la première phase de l'appel d'offres et jusqu'au 31 décembre 2009, période au cours de laquelle elle avait réalisé, dans ses rapports avec le groupe Michelin, un chiffre d'affaires identique à celui dégagé au cours des précédents exercices, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 3°) qu'en cas de rupture brutale d'une relation commerciale établie, seul doit être indemnisé, sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture, lequel doit être évalué en considération de la marge brute escomptée durant la période de préavis qui aurait dû être accordée et qui n'a pas été exécutée ; que la réparation d'un tel préjudice doit se faire sans qu'il n'en résulte ni perte ni profit pour la victime ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que la société Dream Objects aurait dû bénéficier, à compter de novembre 2008, d'un préavis de douze mois, de sorte qu'elle était en droit d'obtenir une " indemnisation de sept mois compte tenu des cinq mois laissés à Dream " de " novembre 2008 " à " avril 2009 " ; qu'en allouant à la société Dream Objects une indemnité de préavis de 369 849 euros correspondant à la marge brute moyenne réalisée par cette dernière sur sept mois d'activité, c'est-à-dire une indemnité couvrant la période courant d'avril 2009 à la fin de l'année 2009, quand il résultait de ses propres constatations que " tout au long de l'année 2009 ", la société Michelin avait continué à réceptionner et à régler les commandes qu'elles avait passées à la société Dream Objects, la cour d'appel, qui a alloué à la société Dream Objects une somme correspondant à une marge brute dont elle n'avait pas été privée et qu'elle avait effectivement réalisée, a méconnu le principe de réparation intégrale du préjudice, ensemble l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; 4°) qu'en s'abstenant de rechercher, comme elle y était invitée, si, tout au long de l'exercice 2009, la société Dream Objects n'avait pas réalisé un chiffre d'affaires identique à celui dégagé au cours des exercices précédents et si, dès lors, en octroyant à la société Dream Objects une indemnité de préavis couvrant la période courant d'avril 2009 à la fin de l'année 2009, elle ne permettait pas à celle-ci de s'enrichir indûment au détriment de la société Michelin, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;

Mais attendu que l'arrêt retient souverainement qu'eu égard à la durée de près de dix ans de la relation nouée par les parties, à la spécificité de l'activité de la société Dream, qui s'inscrit dans un cycle annuel de production, avec livraison tout au long de l'année 2009 des commandes passées en 2008, et au chiffre d'affaires réalisé, un préavis de douze mois était nécessaire ; qu'il relève qu'en novembre 2008, la société Michelin a annoncé à la société Dream sa décision de recourir à un appel d'offres, manifestant ainsi son intention de ne pas poursuivre la relation commerciale aux conditions antérieures et a fait ainsi courir le délai de préavis ; qu'il retient encore que la signature, en avril 2009, d'un contrat liant la société Michelin au fournisseur retenu à l'issue de l'appel d'offres a permis à celui-ci d'entreprendre la réalisation d'un nouveau cycle de production pour opérer des livraisons à compter de 2010, ce qui a mis fin au préavis, la relation commerciale n'ayant ainsi été effectivement maintenue aux conditions antérieures que pendant cinq mois, entre novembre 2008 et avril 2009 ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu, sans méconnaître le principe de la réparation intégrale du préjudice, retenir que, compte-tenu du préavis effectivement laissé à la société Dream, une indemnité de préavis correspondant à une perte de marge brute pendant sept mois était due ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le troisième moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi.