Cass. com., 4 décembre 2019, n° 17-31.216
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Gineys (SAS)
Défendeur :
Glaces des Alpes (SAS), Schöller Glaces et Desserts (SAS), Nestlé Grand Froid (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Rapporteur :
Mme Sudre
Avocats :
SCP Spinosi, Sureau, SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin
LA COUR : - Donne acte à la société Gineys du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Glaces des Alpes ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 octobre 2017), que la société Gineys, spécialisée dans la distribution de glaces et produits surgelés, a conclu, le 18 octobre 2001, un contrat de coopération concernant la distribution de glaces destinées à la restauration hors foyer (RHF) avec la société Schöller glaces et desserts (la société Schöller), qui est devenue, en 2002, une filiale de la société Nestlé grand froid, devenue Froneri Beauvais ; que ce contrat, conclu initialement jusqu'au 31 décembre 2006, prévoyait une possibilité de renouvellement par tacite reconduction par période de deux ans, la dernière devant expirer à la fin de l'année 2010, une obligation d'approvisionnement exclusif auprès de la société Schöller des produits mentionnés dans le contrat et une obligation d'achats annuels minimum, en contrepartie d'avantages commerciaux, matériels et financiers ; que reprochant à la société Gineys de ne pas respecter ses obligations contractuelles, la société Schöller, après envoi d'une mise en demeure du 29 septembre 2009, l'a informée, par lettre du 17 novembre 2009, de sa décision de rompre leur relation commerciale à effet du 17 décembre 2009 ; que la société Gineys a assigné la société Schöller pour rupture brutale d'une relation commerciale établie et concurrence déloyale ;
Sur le premier moyen : - Attendu que la société Gineys fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes en paiement de dommages-intérêts formées contre la société Schöller pour rupture brutale d'une relation commerciale établie et concurrence déloyale alors, selon le moyen : 1°) que seule une inexécution suffisamment grave de ses obligations par une partie, caractérisant l'impossibilité de poursuivre une relation commerciale établie, est susceptible de justifier sa rupture brutale et unilatérale par son cocontractant ; qu'en relevant que la société Gineys avait méconnu ses obligations d'exclusivité, sans rechercher si cette violation, alléguée par des constats réalisés depuis 2011, rendait impossible le maintien du lien contractuel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ; 2°) qu'en relevant que la société Gineys avait méconnu ses engagements d'achats minimum, sans rechercher si cette violation alléguée, qui aurait pu être constatée depuis plusieurs années, rendait subitement impossible le maintien du lien contractuel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ; 3°) que la contrepartie dérisoire d'une clause d'approvisionnement exclusif équivaut à une absence de contrepartie ; qu'en se bornant à relever que le contrat de distribution prévoyait divers avantages au bénéfice du distributeur, sans rechercher si ces derniers n'étaient pas dérisoires, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 1131 du Code civil dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
Mais attendu que l'arrêt relève que le contrat conclu entre la société Gineys et la société Schöller comprend une clause d'approvisionnement exclusif et une clause d'engagement d'achat minimum de produits de la marque Mövenpick ; qu'il retient, par motifs propres et adoptés, qu'en contrepartie de la clause d'approvisionnement exclusif, la société Gineys bénéficiait d'avantages sous la forme de remise de coopération commerciale, mise à disposition gratuite d'appareils de conservation et d'un système complet de vente de conservateurs avec lots de glaces gratuits, ainsi que des avantages financiers ; qu'il retient encore, que, si la société Schöller a accepté la commercialisation, en 2005, des produits Histoires de glaces, fabriqués par la société Gineys, c'est parce qu'ils constituaient des produits complémentaires, non concurrents des produits RHF de la marque Mövenpick, fabriqués par elle, tandis que ceux incriminés en janvier 2009 étaient directement concurrents des produits RHF Mövenpick de la société Schöller, qui a constaté une baisse de 66 % des approvisionnements de la société Gineys à la fin du mois de mai 2009, à l'origine d'un effondrement du chiffre d'affaires qu'elle réalisait avec cette société ; qu'en cet état, le moyen, sous le couvert de griefs non fondés de manque de base légale, ne tend qu'à remettre en discussion l'appréciation souveraine par les juges du fond de la valeur et de la portée des éléments de preuve qui leur étaient soumis, desquels ils ont pu déduire, sans être tenus de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, que les manquements de la société Gineys à ses obligations contractuelles étaient suffisamment graves pour justifier une rupture de la relation commerciale établie après un préavis limité à trente jours ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen : - Attendu que la société Gineys fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Schöller une certaine somme pour rupture brutale d'une relation commerciale établie alors, selon le moyen : 1°) que les dommages-intérêts dus au créancier correspondent à la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé ; qu'en condamnant la société Gineys au paiement de la perte de marge alléguée par la société Schöller au titre de l'année 2010, quand elle constatait pourtant que les relations contractuelles avaient cessé en 2009, la cour d'appel a violé l'article 1149 du Code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ; 2°) que la renonciation à un droit peut être tacite ; qu'en retenant la responsabilité du distributeur au titre du non-respect des objectifs contractuels d'approvisionnement, quand la société Gineys l'invitait à rechercher si la société Schöller n'avait pas renoncé au respect de ces objectifs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1142 du Code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ; 3°) que le jugement doit être motivé ; qu'en se bornant à relever que la société Gineys ne pouvait sérieusement soutenir que les objectifs contractuels ne présentaient qu'un caractère indicatif, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code civil ;
Mais attendu qu'après avoir relevé que, par lettre du 17 juin 2009, la société Schöller avait rappelé à la société Gineys la nécessité de respecter son engagement d'approvisionnement exclusif et lui avait demandé d'organiser une rencontre sur la question de l'effondrement de 66 % de ses approvisionnements à la fin mai 2009, ce dont il résultait que la société Schöller n'avait pas renoncé à voir la société Gineys réaliser le chiffre d'affaires prévu à l'article 6 du contrat et que cet objectif de vente ne présentait pas un caractère seulement indicatif, l'arrêt, répondant à la demande de la société Schöller en réparation du préjudice correspondant au non-respect par la société Gineys des minimums d'achat depuis 2004 jusqu'au 31 décembre 2010, date jusqu'à laquelle le contrat à durée déterminée aurait dû être exécuté si la société Gineys n'avait pas manqué à ses obligations, retient que les demandes relatives aux années 2002 à 2006 sont prescrites, que les années 2007 et 2008 ne sont pas, ou très peu, déficitaires et qu'il est établi, par l'attestation du commissaire aux comptes de la société Schöller, que celle-ci a subi une perte de marge de 495 000 euros en 2009 et de 800 000 euros en 2010 ; qu'en cet état, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation du préjudice, futur mais certain, de la société Schöller que la cour d'appel a retenu qu'il y avait lieu de condamner la société Gineys au paiement de ces deux sommes ; que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.