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Décisions

CA Papeete, premier président, 4 décembre 2019, n° 19-00002

PAPEETE

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

J.L. Polynésie (Sté)

Défendeur :

Autorité Polynésienne de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

Mes Jalabert-Doury, Dubau

TI Papeete, JLD, du 6 mai 2019

6 mai 2019

Exposé du litige :

Saisi par requête de Madame X, Rapporteure générale de l'Autorité Polynésienne de la concurrence, en date du 2 mai 2019, le Juge des Libertés et de la Détention au Tribunal de première instance de Papeete a, suivant ordonnance du 6 mai 2019, autorisé cette dernière à faire procéder et à procéder aux visites et saisies prévues par les dispositions de l'article 5 de l'ordonnance n° 2017-157 du 9 février 2017, afin de rechercher la preuve des agissements qui entrent dans le champ des pratiques prohibées par l'article LP. 200-1 du Code de la concurrence de Polynésie française, relevés dans le secteur des travaux routiers de bitumage, dans les locaux des entreprises (personnes morales de droit privé ou public, associations, syndicats, organismes professionnels divers, domiciles de personnes physiques) suivantes :

- Bernard Travaux Polynésie,

- Enrobage-Concassage et Infrastructure,

- Interoute,

- Poly-Goudronnage,

- J.L. Polynésie,

- Bitupac.

Suivant déclaration enregistrée au greffe du Juge des libertés et de la détention le 29 mai 2019, la société J.L. Polynésie a interjeté appel de ladite ordonnance.

Par conclusions déposées le 31 juillet 2019 et le 16 octobre 2019, la société J.L. Polynésie a demandé au premier président de la cour d'appel de Papeete de :

- débouter la Rapporteure générale de l'Autorité Polynésienne de la concurrence de ses moyens aux fins de faire déclarer nulles et irrecevables la déclaration d'appel et les conclusions de la société J.L. Polynésie ;

- annuler l'ordonnance du Juge des Libertés et de la Détention du 6 mai 2019 en ce qu'elle ne satisfait ni à l'exigence de présomptions suffisantes justifiant des visites et saisies, ni à l'exigence de délimitation stricte du champ des visites ;

- annuler l'ordonnance du Juge des Libertés et de la Détention du 6 mai 2019 en ce qu'elle a été adoptée en violation du principe du contradictoire ;

A titre subsidiaire,

- de juger, en tout état de cause, que le champ des opérations de visites et de saisies n'a pas été défini à suffisance de précision, en l'absence de tout indice concernant les marchés privés de travaux, le marché amont de la production des enrobés, les autres îles de la Polynésie française, les travaux relatifs aux aéroports et/ou aux parkings, les métiers du blanc et d'autres présomptions que celles d'échanges d'information dans le cadre de deux marchés publics (les marchés des travaux routiers concernant les routes de Moorea de 2015 et des routes de Tahiti de 2016) ;

- d'annuler l'autorisation de procéder à des visites et saisies au-delà du champ de ces deux présomptions d'échanges d'information dans le cadre des deux marchés des travaux routiers concernant les routes de Moorea de 2015 et des routes de Tahiti de 2016 ;

En conséquence,

- de déclarer la nullité du procès-verbal de visite et saisie du 21 mai 2019 ;

- d'interdire toute utilisation subséquente du procès-verbal de visites et saisies du 21 mai 2019 ;

- d'ordonner la restitution à la société J.L. Polynésie de l'original et toutes copies éventuelles de l'intégralité des pièces saisies sous scellés n° I à IV annexés au procès-verbal du 21 mai 2019 ;

- de rejeter la demande de la Rapporteure générale de l'Autorité Polynésienne de la concurrence de condamner la société J.L. Polynésie au paiement de la somme de 250 000 francs CFP en application des dispositions article 407 du Code de procédure civile de la Polynésie française ;

- de condamner l'Autorité Polynésienne de la concurrence aux dépens.

La société J.L. Polynésie soutient, en premier lieu, que la déclaration d'appel a été valablement formée et enregistrée par le greffe ; qu'en particulier et contrairement à ce qu'affirme le rapporteur général de l'Autorité Polynésienne de la concurrence, la déclaration d'appel n'est entachée d'aucune nullité ou irrecevabilité, qu'il s'agisse d'une prétendue difficulté d'identification de la société appelante dénommée "Jean Lefebvre Polynésie" dans la déclaration d'appel, ou du fait que la déclaration a été enregistrée par le greffier du Juge des libertés et de la détention et non point par le greffe du tribunal auquel appartient ce magistrat, ou encore du fait que dans de premières conclusions, la société J.L. Polynésie ait été indiquée comme étant représentée par son président, alors que c'est bien comme représentée par son directeur général, M. Z, (et non point par son président) que la société appelante figure dans la déclaration d'appel du 29 mai 2019.

Sur le fond, au soutien de sa demande d'annulation de l'ordonnance autorisant les visites et saisies, la société J.L. Polynésie a notamment fait valoir :

- que c'est à tort que le Rapporteur général de l'Autorité Polynésienne de la concurrence a exploité comme indices d'infraction des faits non condamnables à l'époque concernée ; qu'il en va ainsi du marché des routes de Tahiti de 2013, alors que les règles de la concurrence, et notamment l'interdiction des ententes, ne sont entrées en vigueur en Polynésie française qu'en février 2015 ;

- qu'alors même que la société appelante doit avoir la possibilité de contester les éléments sur lesquels le Juge des Libertés et de la Détention s'est appuyé pour ordonner les visites et les saisies et que le premier président doit pouvoir exercer le pouvoir de contrôle qui lui incombe, un certain nombre de pièces dont le juge aurait eu connaissance et sur lesquelles se fonde l'ordonnance, n'ont pas été soumises au débat contradictoire ; que six pièces ont ainsi fait l'objet d'occultation dont certaines, comme l'annexe 39 de la requête, de façon intégrale ; que le service d'instruction de l'Autorité Polynésienne de la concurrence aurait dû s'en tenir à la suppression des seuls secrets d'affaires n'affectant pas la teneur des prétendus indices et éventuellement des indications d'identification d'informateur ; qu'au contraire, en l'espèce, des éléments qui sont sans aucun caractère confidentiel, mais qui touchent à la teneur même de l'indice allégué, sont soustraits du débat contradictoire ; que la violation du principe du contradictoire est donc manifeste ; que le rapporteur général de l'Autorité Polynésienne de la concurrence indique lui-même dans ses conclusions que le Juge des libertés et de la détention, bien que l'ordonnance n'en fasse pas mention, a eu accès aux documents concernés en version confidentielle et reconnaît par la même que le principe du contradictoire a été violé ; que le premier président ne pourra que prononcer l'annulation de l'ordonnance ;

- qu'au surplus, aucun élément, soumis au débat contradictoire, relatif à l'appel d'offres des routes de Tahiti de 2016 n'est de nature à justifier l'autorisation de visites et saisies ; qu'ainsi, la présomption de concertation relative à cet appel d'offre doit être annulée, faute d'indice ; qu'il en va de même de la présomption relative à l'appel d'offre des routes de Moorea de 2015, dès lors, notamment, que l'affirmation selon laquelle il y aurait d'identité d'un certain nombre de prix repose exclusivement sur un tableau d'analyse du Ministère de l'Equipement dont le contenu a été totalement occulté;

- qu'enfin, l'ordonnance encourt également l'annulation, dès lors que le champ des opérations de visites et saisies n'était pas suffisamment délimité et qu'ainsi ces visites ayant un objet indéterminé ou général, ne peuvent être considérées comme constituant une ingérence proportionnée dans le droit du respect du domicile et de la vie privée.

Le Rapporteur général de l'Autorité Polynésienne de la concurrence a, par voie de conclusions, demandé au premier président de bien vouloir:

A titre liminaire,

- dire et juger nuls la déclaration d'appel et les conclusions de la société J.L. Polynésie pour vice de forme et de fond qui seront en tout état de cause écartées des débats ;

A titre principal,

- Déclarer irrecevable l'appel de la société J.L. Polynésie et le rejeter comme tel ;

A titre subsidiaire,

- confirmer l'ordonnance d'autorisation rendue le 6 mai 2019 par le Juge des Libertés et de la Détention du Tribunal de première instance de Papeete et rejeter les autres demandes de la société J.L. Polynésie ;

Au surplus,

- condamner la société J.L. Polynésie au paiement de la somme de 250 000 francs CFP sur le fondement de l'article 407 du Code de procédure civile de la Polynésie française et aux dépens.

Le Rapporteur de l'Autorité Polynésienne de la concurrence a notamment fait valoir au soutien de sa demande principale aux fins d'irrecevabilité de l'appel :

- que la déclaration d'appel a été faite au nom de la société " Jean Lefebvre Polynésie " alors que cette dénomination commerciale n'existe ni dans l'extrait Kbis du registre du commerce et des sociétés de Papeete, ni à l'Institut de la statistique de Polynésie française et qu'ainsi cette déclaration faite au nom d'une société inexistante n'est pas valable ;

- que l'article 6 de l'ordonnance n° 2017-157 du 9 février 2017 énonce que l'appel est formalisé par déclaration au greffe du tribunal de première instance dans un délai de dix jours à compter de la notification de l'ordonnance, alors qu'en l'espèce, cette déclaration a été déposée auprès du greffe du Juge des libertés et de la détention et non au greffe général du Tribunal de première instance de Papeete ; qu'il s'ensuit que l'appel doit être rejeté comme étant irrecevable ;

- que les conclusions au soutien de l'appel déposées au greffe de la cour d'appel de Papeete le 30 juillet 2019 ont été faites au nom de la société "agissant par son Président", alors que seul le Directeur général est investi par l'article L. 225-56 du Code de commerce, tel qu'applicable en Polynésie française, du pouvoir à la fois de décider d'agir, puis de représenter la société en justice ; que par contre, le président n'avait pas la capacité pour agir en justice au nom de la société ; que les conclusions doivent donc être annulées avec toutes les conséquences de droit sur la procédure.

Sur le fond, au soutien de sa demande de confirmation de l'ordonnance du Juge des libertés et de la détention ayant autorisé les visites et saisies, le Rapporteur général de l'Autorité Polynésienne de la concurrence, fait notamment valoir :

- que l'allégation du défaut de proportionnalité de la mesure judiciairement autorisée par rapport au but poursuivi doit être évaluée au regard de l'importance des enjeux économiques de cette enquête dans le secteur des travaux routiers de bitumage en Polynésie française laquelle enquête, visant à rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles d'ententes illicites, est nécessaire à l'ordre public et au bien-être économiques du Pays ; que les visites domiciliaires prévues à l'article 5 de l'ordonnance n° 2017-157 du 9 février 2017 sont respectueuses des exigences fixées par la jurisprudence nationale et européenne.

- qu'en l'espèce, le juge a satisfait à son obligation de contrôle en s'assurant du caractère suffisant des faits exposés par l'Autorité Polynésienne de la concurrence ayant conduit, après description et analyse, à des soupçons de comportements illicites dans le secteur des travaux routiers de bitumage en Polynésie française ; que c'est à tort que l'appelante a examiné isolément les pièces et les indices produits par le service d'instruction de l'Autorité Polynésienne de la concurrence pour nier l'existence des présomptions décrites par l'ordonnance du Juge des libertés et de la détention ; que la motivation même de l'ordonnance du 6 mai 2019 qui repose sur l'étude de pièces nombreuses, variées et concordantes, est suffisante et pertinente ; qu'elle permet d'écarter les critiques de l'appelante et de justifier l'autorisation de visiter ses locaux ; que les pièces révélant une similitude de comportements en matière de marchés publics ont ainsi pu suffire à justifier une opération de visites et saisies.

- que l'appelante ne peut faire reproche à l'ordonnance de ce qu'une partie des éléments fournis lui servant de base, évoque des situations antérieures à l'entrée en vigueur du Code de la concurrence de Polynésie française et donc de l'interdiction des ententes anticoncurrentielles, dès lors que ces faits ont pour finalité de poser des éléments de contexte relatifs au fonctionnement du secteur des travaux routiers de bitumage en Polynésie française ; que, du reste, la Cour de cassation a validé l'utilisation d'éléments prescrits pour établir des présomptions de nature à justifier de telles visites.

- que le Juge des Libertés et de la Détention a pu se forger une conviction uniquement sur les éléments d'information lisibles contenus dans les annexes de la requête ; que la production d'extraits ou l'occultation partielle de certaines pièces ne remet pas en cause les soupçons de comportements illicites, et ce, d'autant plus que les occultations étaient parfaitement justifiées par la protection du secret des affaires des différentes entreprises visées et des données personnelles des personnes physiques ; que selon la Cour de cassation, le rapporteur général peut présenter au JLD des documents dans des versions expurgées des secrets des affaires ; que l'appelante ne saurait donc se prévaloir d'une quelconque irrégularité des documents transmis, et ce, d'autant plus que, contrairement aux allégations de l'appelante, le Juge des Libertés et de la Détention a pu également avoir connaissance des documents complets en version confidentielle, comme celui-ci l'a indiqué ultérieurement dans une attestation que le rapporteur général produit aux débats.

- que contrairement aux allégations de l'appelante et alors que la jurisprudence admet qu'il est loisible au Juge des Libertés et de la Détention d'accorder une autorisation visant un secteur économique dans son entier, le secteur visé en l'espèce par l'ordonnance, à savoir celui des "travaux routier de bitumage en Polynésie française", est un secteur économique limité, ne comprenant pas de zones géographiques hors de la Polynésie française et excluant les " métiers du blanc " ; qu'il ne peut dès lors être considéré comme trop large.

Le ministère public a conclu, pour sa part, à la recevabilité de l'appel, mais, toutefois, à son mal fondé, en demandant que soit confirmée l'ordonnance d'autorisation de visites et saisies rendue le 6 mai 2019 par le Juge des Libertés et de la Détention. Il soutient notamment que l'argument tiré d'un manque de précision et de motivation de l'ordonnance doit être écarté ; qu'au contraire, le Juge des Libertés et de la Détention a pris le soin de longuement détailler l'ensemble des éléments, le faisceau d'indices, de nature à le convaincre de la nécessité de poursuivre l'enquête, aux fins de rechercher les preuves d'éventuelles pratiques anticoncurrentielles. Le ministère public fait en outre valoir qu'il est difficilement contestable que le but précisé dans la requête et dans l'ordonnance de la recherche de preuves de pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des travaux routiers de bitumage en Polynésie française est nécessaire à l'ordre économique local et national et aux intérêts de la Polynésie française ; qu'enfin il ne peut être reproché en l'espèce une absence de délimitation du champ d'action, alors que le Juge des libertés et de la détention a pris soin de délimiter le secteur d'activité, à savoir le marché des travaux routiers de bitumage, les sociétés concernées et le secteur géographique, à savoir la Polynésie française.

Motifs de la décision :

Sur les exceptions d'irrecevabilité de l'appel et de nullité des conclusions :

Il est constant que l'appel que Me Sophie Dubau a formalisé à l'encontre de l'ordonnance du Juge des libertés et de la détention en date du 6 mai 2019, l'a été au nom de la société Jean Lefebvre Polynésie, laquelle n'a pas d'existence légale, mais s'avère être le nom commercial de la société J.L. Polynésie. Il est en effet produit à cet égard le mandat reçu par l'avocat de la société appelante pour engager le recours et pour la représenter et agir en son nom, mandat sur lequel figurent à la fois la dénomination sociale " J.L. Polynésie " et le nom commercial " Jean Lefebvre Polynésie ".

Or, il n'est nullement démontré par le Rapporteur général de l'Autorité Polynésienne de la concurrence que cette confusion entre la dénomination sociale et le nom commercial dans la déclaration d'appel ait causé la moindre difficulté d'identification de la société appelante représentée à la procédure par Me Jalabert-Doury, et ce d'autant plus que cette irrégularité a été couverte par les conclusions subséquentes prises les 31 juillet et 16 octobre 2019 par Me Jalabert-Doury expressément au nom de la " société J.L. Polynésie ", telle que celle-ci est visée dans l'ordonnance dont appel, autorisant les visites et saisies dans ses locaux.

A défaut de grief, l'irrégularité que comporte la déclaration d'appel, n'entraîne pas la nullité de l'acte, ni, dès lors, l'irrecevabilité de l'appel.

Se prévalant de ce qu'aux termes de l'article 6 de l'ordonnance n° 2017-157 du 9 février 2017 l'appel est formalisé par déclaration au greffe du tribunal de première instance, le rapporteur général de l'Autorité Polynésienne de la concurrence estime qu'est entaché d'irrégularité et dès lors irrecevable l'appel enregistré par le greffier du Juge des libertés et de la détention du Tribunal de première instance de Papeete. Toutefois, alors qu'il n'existe pas au sein du Tribunal de première instance de Papeete de service général de greffe et que celui-ci est éclaté entre les greffes affectés auprès de chacune des formations du tribunal, ces derniers qui en sont l'émanation, sont habilités à enregistrer les appels contre les décisions émanant de ces formations. Il s'ensuit que l'appel formé par déclaration auprès du greffier du Juge des libertés et de la détention du Tribunal de première instance de Papeete est dès lors parfaitement recevable.

Enfin, s'il est exact que par application de l'article 225-56 du Code de commerce, tel qu'applicable en Polynésie française, seul le directeur général avait le pouvoir d'agir et de représenter en justice la société en Justice, force est de constater que l'irrégularité soulevée par le rapporteur général de l'Autorité polynésienne de la concurrence, à savoir la mention que la société appelante est représentée en l'espèce par " son président ", n'affecte que les conclusions déposées le 31 juillet 2019. Il est par contre indiqué expressément tant dans la déclaration d'appel que dans les dernières conclusions récapitulatives déposées le 2 octobre 2019 (en vue de l'audience du 16 octobre 2019) que la société appelante est représentée par " son Directeur général, Monsieur Z ". Cette régularisation ne laisse subsister aucun grief dont pourrait se prévaloir le rapporteur général de l'Autorité polynésienne de la concurrence, de sorte qu'il n'y a pas lieu de prononcer la nullité des conclusions déposées le 31 juillet 2019. La recevabilité de l'appel n'en est pas davantage affectée.

Sur le bien-fondé de l'appel :

L'ordonnance rendue le 6 mai 2019 par le Juge des libertés et de la détention énonce en son préambule (cf. 6e " attendu ") que " le rapporteur général indique qu'au titre du secret des affaires, certaines annexes n'ont pas pu être jointes à la requête dans leur version originale ; que les annexes 5, 18, 19 et 39 ont ainsi fait l'objet d'une occultation partielle afin de préserver toute information sensible et que l'annexe 5 a été rendue anonyme ; que cette anonymisation partielle est justifiée par la protection du secret des affaires et des données personnelles de personnes physiques afin de leur éviter des mesures de représailles ".

A défaut d'autres mentions particulières, l'ordonnance laisse donc à penser que c'est ainsi expurgées et non dans leur version originale que les annexes en question ont été présentées au Juge des Libertés et de la Détention.

Toutefois, lorsqu'il analyse les indices qui lui sont soumis et plus particulièrement le second des deux principaux indices énoncés dans la requête, à savoir celui ayant trait au marché de travaux de revêtement de chaussées de l'île de Moorea suite à un appel à la concurrence publié le 14 août 2015, le Juge des libertés et de la détention énonce en page 14 de l'ordonnance (reprenant en tous points les énonciations de la requête) :

" Que l'analyse des prix unitaires proposés par les candidats sur la base du tableau d'analyse des offres établi par la Direction de l'Equipement (annexe 39 de la requête) permet de constater que :

- les offres de prix proposées par PLG et JLP sont supérieures à l'offre proposée par le groupement BTP/Interoute, attributaire du marché au terme de la procédure d'appel d'offres ;

- les prix unitaires proposés par les entreprises PLG et JLP sont en très grande partie (104 sur 116 lignes, soit dans 90 % des cas) identiques alors qu'elles ont candidaté à titre individuel.

Qu'en conséquence, il ne peut être exclu à ce stade que PLG et JLP se soient coordonnées pour remettre des offres supérieures en prix, constituant de fait des offres de couverture au bénéfice du groupement BTP/Interoute. "

Or, l'annexe 39 de la requête, intitulé " tableau d'analyse des offres " (émanant du ministère de l'Equipement de Polynésie française), présente cette caractéristique que les offres faites en regard des 401 rubriques que comporte ledit tableau, sont totalement occultées, que ces offres émanent de JLP, de PLG ou du groupement BTP/Interoute, de sorte que toute comparaison entre les différentes offres est rendue impossible.

L'analyse à laquelle le Juge des libertés et de la détention a néanmoins pu se livrer, comme il l'énonce dans l'ordonnance, tient vraisemblablement au fait que celui-ci a également eu connaissance de la version originale, non expurgée, de l'annexe en question. C'est du moins ce qui résulte d'un élément extrinsèque à l'ordonnance, la Rapporteure générale de l'Autorité Polynésienne de la concurrence produisant aux débats de la présente instance d'appel un courrier du Vice-président chargé des fonctions de juge des libertés et de la détention, ainsi libellé : " En réponse à votre courrier de ce jour, joint à la présente, je vous confirme que les pièces visées annexe 5, annexe 18, annexe 19 et annexe 39 m'ont bien été présentées en version originale complète et prises en considération comme éléments d'appréciation pour autoriser les visites et saisies par ordonnance du 06/05/2019 ".

Il apparaît que le Juge des Libertés et de la Détention s'est appuyé, concernant l'annexe 39 et l'indice qu'il constitue à ses yeux, sur des éléments chiffrés qui sont ainsi soustraits au débat contradictoire devant s'instaurer a posteriori devant le premier président, éléments chiffrés que la société appelante se trouve dès lors dans l'incapacité de discuter.

Si la protection du secret des affaires peut justifier la présentation au Juge des libertés et de la détention de documents en partie expurgés, et qui seront ultérieurement soumis comme tels à l'examen contradictoire, encore faut-il que ces documents laissent subsister suffisamment d'éléments pour que le magistrat ait pu y trouver la justification d'une présomption de pratiques anticoncurrentielles. Tel n'est pas le cas de l'annexe 39 de la requête dès lors que c'est la teneur même de l'indice telle qu'analysée dans son ordonnance par le Juge des libertés et de la détention, qui est entièrement occultée.

Encore faut-il également que l'occultation soit effectivement justifiée par la protection du secret des affaires. Or, en l'espèce, loin de concerner un tiers, les offres occultées émanent toutes de sociétés suspectées par l'Autorité Polynésienne de la concurrence d'ententes illicites et expressément visées à ce titre par la requête aux fins d'autorisation de visites domiciliaires et de saisies chez chacune d'entre elles (JLP, PLG et BTP/Interoute), outre le fait qu'il s'agit d'un appel d'offres ancien, afférent à un marché déjà attribué.

En tout cas, alors qu'il est de principe que le premier président doit contrôler que le Juge des libertés et de la détention a vérifié l'existence d'indices sur la seule base des éléments qui seront ensuite soumis au débat contradictoire, force est de constater qu'en l'espèce, l'annexe 39 (tableau d'analyse du ministère de l'Equipement dont les chiffres sont entièrement occultés) ne remplit nullement cette condition, et ce, alors que c'est précisément sur ce document que le magistrat s'est fondé pour estimer qu'il existerait une présomption de pratiques anticoncurrentielles dans le déroulement de la procédure d'appel d'offres afférente au marché de travaux publics de revêtement des chaussées de l'île de Moorea de 2015. L'ordonnance attaquée encourt dès lors la nullité de ce chef.

Concernant le second marché de travaux publics, celui afférent au revêtement des chaussées de l'île de Tahiti ayant fait l'objet d'un avis d'appel à la concurrence du 12 septembre 2016, invoqué par la requête comme également susceptible de recéler un indice de l'existence de pratiques anticoncurrentielles, le Juge des Libertés et de la Détention procède notamment à l'analyse de l'annexe 18 que constitue le " tableau d'analyse des prix " établi par le ministère de l'Equipement de Polynésie française. Or, si ce tableau n'est pas à la différence du celui évoqué précédemment, entièrement occulté, il présente néanmoins, s'agissant de la valeur technique des offres, une occultation, sans aucune justification, de 15 sur 17 composantes de l'offre d'Interoute, dont la comparaison avec les offres de JLP est pourtant nécessaire aux conclusions qui en sont tirées. Cette occultation, certes partielle, ne permet pas à la société appelante de présenter utilement sa défense dans le débat contradictoire et, en tout cas, ne permet pas davantage au premier président de contrôler que le Juge des libertés a vérifié l'existence d'indices sur la seule base des éléments soumis au débat contradictoire.

Compte tenu des graves irrégularités qui ont ainsi affecté l'appréciation que le Juge des Libertés et de la Détention a pu porter sur les indices tirés des deux marchés de travaux publics - postérieurs à l'entrée en vigueur le 25 février 2015 des règles de concurrence en Polynésie française - invoqués par le Rapporteur général de l'Autorité Polynésienne de la concurrence au soutien de sa requête aux fins d'autorisation de visites et saisies, il y a lieu de prononcer l'annulation de l'ordonnance rendue par le Juge des libertés et de la détention le 6 mai 2019.

L'annulation de l'ordonnance autorisant les visites et saisies a pour conséquence d'invalider les opérations correspondantes ayant donné lieu à un procès-verbal en date du 21 mai 2019 et d'interdire toute utilisation subséquente dudit procès-verbal et des pièces saisies. La société appelante est également fondée à en demander la restitution.

Le rapporteur général de l'Autorité polynésienne de la concurrence sera débouté de sa demande de condamnation de la société J.L. Polynésie au paiement d'une indemnité au titre des frais irrépétibles et, succombant à l'instance, sera tenu aux dépens.

Par ces motifs, LE PREMIER PRESIDENT, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ; Rejette les exceptions d'irrecevabilité de l'appel et de nullité des conclusions ; Au fond, Dit bien fondé le recours formé par la société J.L. Polynésie à l'encontre de l'ordonnance du Juge des Libertés et de la Détention en date du 6 mai 2019 autorisant le rapporteur général de l'Autorité Polynésienne de la concurrence à procéder ou faire procéder à des visites et saisies dans ses locaux ; Ordonne l'annulation de ladite ordonnance et par voie de conséquence l'annulation du procès-verbal des visites et saisies du 21 mai 2019 ; Interdit toute utilisation subséquente dudit procès-verbal et des pièces saisies et ordonne la restitution à la société J.L. Polynésie des pièces saisies sous scellés I à IV annexés au procès-verbal du 21 mai 2019 ; Rappelle, toutefois, qu'aux termes de l'article 6-I de l'ordonnance n° 2017-157 du 9 février 2017, l'ordonnance du premier président de la cour d'appel est susceptible d'un pourvoi en cassation selon les règles prévues par le Code de procédure pénale et que les pièces sont conservées jusqu'à ce qu'une décision soit devenue définitive ; Déboute le rapporteur général de l'Autorité Polynésienne de la concurrence de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 407 du Code de procédure civile de la Polynésie française et le condamne aux dépens de la présente instance.