Cass. crim., 3 décembre 2019, n° 18-86.317
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Soulard
Rapporteur :
M. Samuel
Avocats :
SCP Spinosi, Sureau
LA COUR : - Mme A, M. B, M. C, M. D, Mme E, Mme F et Mme G, venant aux droits de Mme H, M. I, Mme J, M. K, M. L, Mme M, M. N, M. O, M. P, parties civiles, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 4-10, en date du 24 septembre 2018, qui, dans la procédure suivie contre la société BNP-Paribas du chef de pratique commerciale trompeuse, a constaté l'extinction de l'action publique par prescription.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires en demande et en défense et des observations complémentaires ont été produits.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Entre le 12 juin et le 15 juillet 2001, de nombreuses personnes ont souscrit auprès de la société BNP-Paribas un produit financier dénommé " BNP Paribas Garantie Jet 3 " promettant le triplement du capital investi en dix ans, assorti de la certitude de récupérer l'investissement à l'échéance. Des investigations ont été conduites après que des souscripteurs se sont plaints de n'avoir pas récupéré les fonds investis.
3. La société BNP-Paribas a été poursuivie devant le tribunal correctionnel pour avoir, entre le 12 juin 2011, terme de l'investissement des premiers contrats, et le 28 mars 2014, date de la dernière plainte, en commercialisant ce placement notamment sur la base d'une brochure commerciale faisant ouvertement référence à l'assurance vie et contenant une série de mentions laissant clairement entendre au consommateur qu'il aura la certitude de récupérer son investissement à l'échéance des 10 ans, même en cas de performance négative du portefeuille, sans expliciter comment les frais de gestion sont de nature à influencer, à terme, les résultats dudit investissement, commis une pratique commerciale trompeuse reposant sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur portant sur les qualités substantielles du bien ou du service. Seize particuliers et une association se sont constitués partie civile.
4. Les juges du premier degré ont relaxé la prévenue pour les faits commis sur la période de 2011 à 2014, mais l'ont déclarée coupable pour les faits commis à partir du 12 juin 2001 et pendant l'année 2001, l'ont condamnée à 187 500 euros d'amende et ont prononcé sur les intérêts civils.
5. La prévenue, le ministère public et quinze parties civiles ont relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen est pris de la violation des articles L. 121-2 à L. 121-5 et L. 132-1 à L. 132-3 du Code de la consommation, 8 du Code pénal, 388, 591 et 593 du Code de procédure pénale.
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué "en ce qu'il a constaté la prescription de l'action publique et relaxé la société BNP Paribas du chef de pratique commerciale trompeuse :
" 1°) alors que s'il est interdit au juge du fond de statuer sur des faits distincts de ceux qui lui sont déférés, il lui appartient de retenir tous ceux qui, bien que non expressément visés dans le titre de poursuite, ne constituent que des circonstances du fait principal, se rattachant à lui, propres à le caractériser et à lui restituer sa véritable qualification ; que la prévention portant sur le fait d'avoir " commercialisé auprès du grand public (...) un placement financier de type fonds commun de placement (FCP) intitulé "BNP Parisbas Garantie Jet 3 " (...) notamment sur la base d'une brochure commerciale ", l'ensemble des mentions figurant sur ce document destiné à la commercialisation du produit, même non reproduites dans la prévention, constituait des circonstances du fait principal comprises dans le champ de la poursuite, de sorte qu'en se fondant, pour dire prescrite l'action publique, sur l'absence de mention dans la prévention du triplement du capital et des frais d'adhésion, la cour d'appel, qui a artificiellement scindé le fait unique dont elle était saisie, a méconnu le principe et les textes susvisés ;
" 2°) alors qu'en se bornant à affirmer que l'investissement devait s'entendre, " comme pour tous les placements d'assurance-vie ", de la somme effectivement investie, ce qui exclurait les frais de gestion, " habituels pour ce type de produit financier ", sans procéder à l'analyse, à laquelle elle s'est expressément refusée, de la brochure commerciale visée par la prévention, qui seule permettait de déterminer si la garantie de récupérer l'investissement initial à l'échéance devait s'entendre comme excluant les frais de gestion, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
" 3°) alors qu'en matière de publicité de nature à induire en erreur, le point de départ de la prescription de l'action publique est fixé au jour où le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de cette action ; que l'infraction reprochée à la banque étant notamment d'avoir présenté dans sa brochure commerciale l'investissement comme assorti, " au terme ", de " la certitude de récupérer votre investissement initial en cas de performance négative du portefeuille", sans expliciter comment les frais de gestion seraient de nature à influencer les résultats de cet investissement, ce n'était qu'après la mise en œuvre de cette garantie, donc " au terme " de l'investissement, que le caractère trompeur de la brochure commerciale pouvait être découvert, de sorte qu'en écartant l'examen de cette brochure et en se fondant, pour faire courir le délai de prescription au jour du premier relevé reçu par les investisseurs, sur la circonstance que des frais de gestion y étaient mentionnés, qui était pourtant sans incidence sur la mise en œuvre, à terme, de la garantie, la cour d'appel a méconnu le principe et les textes susvisés ".
Réponse de la Cour
8. Pour constater l'extinction de l'action publique par la prescription, l'arrêt énonce qu'il n'est pas nécessaire d'analyser la brochure émise lors de la création du produit " Jet 3 " et qu'il convient de constater que les souscripteurs recevaient chaque année un relevé annuel concernant la situation de leur compte et pouvaient, dès 2002, constater que l'investissement ne correspondait pas à la somme qu'ils avaient versée, que celle-ci était amputée des frais d'adhésion et qu'il était fait état de frais de gestion. Il constate que plus de la moitié des souscripteurs avaient résilié leur contrat en 2006, ce qui établit qu'ils n'ignoraient pas que l'hypothèse la plus optimiste, exposée dans la brochure, ne se réaliserait pas. Les juges précisent qu'en vertu d'une jurisprudence constante, c'est à compter de la date à laquelle les parties civiles ont eu la possibilité de constater la fausseté du contenu de la publicité incriminée que débute le délai de prescription. La cour d'appel en conclut que si les souscripteurs estimaient que le produit financier ne correspondait pas à la brochure présentant le produit en 2001, ils disposaient, dès 2002, des éléments leur permettant de déposer plainte et pouvaient le faire jusqu'en 2005, de telle sorte que les faits délictueux, à les supposer établis, ne pouvaient plus être poursuivis ultérieurement en raison de la prescription de l'action publique qui était de trois ans à l'époque des faits.
9. En l'état de ces motifs, procédant de son appréciation souveraine quant au jour où le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique, la cour d'appel, qui n'a pas fondé sa décision relative à la prescription sur l'absence de mention dans la prévention du triplement du capital et des frais d'adhésion et qui a tiré les conséquences légales de ses constatations quant à l'extinction de l'action publique, a justifié sa décision.
10. Ainsi, le moyen doit être écarté.
11. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
Par ces motifs, LA COUR : Rejette les pourvois.