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Décisions

CA Aix-en-Provence, 3e ch. sect. 1, 5 décembre 2019, n° 16-11398

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Royer Sport (SAS), All Star CV (Sté) venant aux droits de Converse Inc (Sté)

Défendeur :

Sport Négoce International (SARL), International Sport Fashion (SARL), Diesel AG (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Calloch

Conseillers :

MM. Fohlen, Prieur

TGI Marseille, du 3 mars 2016

3 mars 2016

FAITS - PROCEDURE - DEMANDES

La SARL International Sport Fashion [ISF] s'est immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés le 6 décembre 1979.

La société néerlandaise All Star CV a déposé à l'Institut National de la Propriété Industrielle :

- le 30 mai 1986 sous le n° 1356944, avec renouvellement le 5 février 2016 sans limitation, la marque semi-figurative " Converse All Star Chuck Taylor " en classe 25 pour des chaussures ;

- le 19 février 1988 sous le n° 1450850, avec renouvellement le 14 décembre 2017 sans limitation, la marque verbale " Converse " en classe 25 pour des vêtements y compris les bottes, les souliers et les pantoufles.

La société états-unienne Converse Inc. a déposé le 1er juin 1990 sous le n° 1595329, avec renouvellement le 25 mars 2010 sans limitation, la marque semi-figurative " All Star " en classes 18, 24, 25 et 28 pour des bottes et chaussures de cuir, caoutchouc, tissus et combinaisons de ces matières, articles de gymnastique et de sport, notamment sacs de sports, vêtements.

La SAS Royer Sport s'est immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés le 24 novembre 1997 ; elle a signé le 17 janvier 2008 comme " licencié " un contrat de licence de marque exclusive pour la France et Monaco, inscrit au Registre National des Marques le 29 suivant, avec la société Converse Inc. " donneur de licence ", pour les 2 marques ci-dessus " Converse All Star Chuck Taylor " n° 1356944 et " Converse " n° 1450850, et une troisième n° 1501176.

Le 11 janvier 2008 s'est immatriculée la SARL Sport Négoce International [SNI].

Autorisée par ordonnance du 6 octobre 2008 la société Royer Sport a fait établir le 17 un procès-verbal de saisie-contrefaçon dans les locaux marseillais des sociétés ISF et SNI, lesquelles avaient vendu des chaussures Converse contrefaisantes à 4 magasins français. L'Huissier de Justice en a acheté 3 de pied droit référencées M9622, M7650 et M9160, lesquelles ont été déposées le 14 novembre au tribunal de grande instance de Marseille.

Plusieurs dizaines de milliers de paires de chaussures Converse ont été vendues en 2008-2009-2010 par la société helvétique Diesel AG aux sociétés ISF et SNI.

La cession des 3 marques " Converse All Star Chuck Taylor " n° 1356944, " Converse " n° 1450850, et " All Star " n° 1595329, par la société Converse Inc. à la société All Star CV a été inscrite au Registre National des Marques le 22 avril 2013.

Le 17 novembre 2018 la société Royer Sport a fait assigner la société SNI et la société ISF devant le tribunal de grande instance de Marseille ; le 5 mai 2009 la société Converse Inc. est intervenue volontairement en demande ; le 9 mars 2011 les sociétés ISF et SNI ont fait assigner la société Diesel. Un jugement du 3 mars 2016 a :

* reçu la société néerlandaise All Star CV venant aux droits de la société Converse Inc. en son intervention volontaire ;

* déclaré irrecevables les pièces communiquées par la société Diesel sous les numéros 1 à 15 et 28 et ordonné le rejet de ces pièces ;

* débouté les sociétés SNI, ISF et Diesel de leur demande d'annulation des procès-verbaux d'achat et des sommations interpellatives qui les ont suivi ;

* débouté les sociétés SNI, ISF et Diesel de leur demande d'annulation [des opérations] de la saisie-contrefaçon du 17 octobre 2008 ;

* débouté les sociétés Royer Sport et All Star venant aux droits de la société Converse de leurs demandes en contrefaçon des marques Converse All Star Chuck Taylor n° 1 356 944, Converse n° 1 450 850 et All Star n° 1 595 329 dirigées contre les sociétés SNI, ISF et Diesel ;

* rejeté les autres demandes ;

* condamné in solidum les sociétés Royer Sport et All Star venant aux droits de la société Converse Inc. aux dépens ;

* condamné in solidum les sociétés Royer Sport et All Star venant aux droits de la société Converse Inc. à payer aux sociétés SNI et ISF une indemnité de 15 000 euros 00 chacune en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

* débouté la société Diesel de sa demande d'indemnité de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

* dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire.

La SAS Royer Sport, la société états-unienne Converse Inc., et la société néerlandaise All Star CV venant aux droits de la société néerlandaise Converse Inc., ont régulièrement interjeté appel le 17-20 juin 2016, Une ordonnance rendue le 6 janvier 2017 par le Conseiller de la Mise en Etat a prononcé la caducité partielle de cette déclaration d'appel contre la société Diesel AG. Par conclusions " n° 4 " du 11 mars 2019 la société Royer Sport, la société Converse Inc. et la société All Star CV soutiennent notamment que :

- les sociétés ISF et SNI sont les opérateurs principaux de l'activité illicite d'importation sur le territoire de l'Union européenne de produits revêtus sans autorisation des marques Converse ;

- les chaussures achetées 4 fois en 2008 proviennent du magasin Leclerc concerné vu le ticket de vente ; chaque cliente est juridiquement indépendante de la société Royer Sport ; les sommations interpellatives ne sont pas des enquêtes ;

- la saisie-contrefaçon n'est pas nulle, puisque les procès-verbaux pour les actes ci-dessus constituent des éléments rendant vraisemblable une atteinte à des marques ;

- la société Converse Inc. rapporte la preuve du défaut d'authenticité des produits en litige, fait juridique s'établissant par tous moyens ; la fabrication des chaussures achetées à Sélestat, Nantes et Arçonnay n'a pas été faite dans ses usines autorisées ;

- la société Converse Inc. a mis en place un stylo laser qui, posé sur l'étiquette de languette de la chaussure, réagit pour les seuls produits authentiques ; un Huissier de Justice a constaté le 17 septembre 2013 l'absence de cette réaction pour 5 chaussures M9621, 1J793, M7650, M9622 et M9160 ;

- le positionnement des étiquettes de languette portant la référence SKU est incorrect sur les chaussures contrefaisantes ; l'Huissier de Justice requis a comparé celui-ci à l'emplacement contenu dans le document confidentiel Emboss & Heat Seal de la société Converse Inc., et constaté une différence significative ;

- cette société fournit des éléments tangibles, sérieux et concordants pour établir qu'elle n'a pu consentir à l'usage de ses marques pour les chaussures litigieuses ;

- n'est pas établi le risque réel de cloisonnement des marchés ; le système de distribution exclusif n'emporte pas, par nature, ce risque ; celui-ci n'est pas prouvé par les 8 mails échangés au cours de l'été 2009, donc après les faits litigieux, par des auteurs incertains et dont la formulation est très générale et totalement imprécise ; pour écarter tout grief de risque de cloisonnement il suffit que la perméabilité territoriale du réseau de distribution soit garantie dans son principe, ce qui s'entend d'une simple possibilité de ventes inter-secteurs ; les factures de ventes passives, en nombre et volumes significatifs, démontrent que des distributeurs exclusifs membres du réseau Converse vendent en dehors de leur territoire respectif, et que des voies d'importations parallèles sont ouvertes, ce qui exclut l'étanchéité du territoire contractuel ; ces factures concernent tous les produits Converse et pas seulement les chaussures ; de mai 2007 à mars 2015 les ventes considérées se chiffrent en milliers, et parfois en dizaine de milliers, d'unités ;

- la société Converse Inc. rapporte la preuve de l'existence de publicités ou actions de promotion atteignant des clients établis sur plusieurs territoires européens exclusifs (réseau Internet, Facebook) ;

- la réalité du risque de cloisonnement n'étant pas établi, il appartient aux sociétés ISF et SNI de rapporter la preuve de la première mise en circulation des produits litigieux dans l'Espace économique européen par la société Converse Inc. ou avec son consentement ; or elles sont défaillantes pour cette première commercialisation intra-communautaire ; le procès-verbal d'Huissier de Justice du 24 février 2012 mentionne pour 2008, outre la société Diesel facturant la société ISF à 4 reprises, 4 factures émises par une société X à cette dernière, et 4 factures de la société Z à cette société X, ce qui empêche de vérifier l'authenticité de ces 8 dernières factures ; il n'est pas établi que les chaussures Converse vendues aux sociétés ISF et SNI ont été acquises auprès d'un distributeur Converse, ni qu'il s'agit de marchandises introduites dans l'Espace économique européen avec l'autorisation de la société Converse Inc. ; cette dernière n'entretient pas de relations commerciales avec les sociétés ISF et SNI ni avec la société Diesel ;

- la société Converse Inc. est tout à fait bien fondée à reprocher aux sociétés ISF et SNI un usage illicite de ses marques ;

- le préjudice subi par la société All Star venant aux droits de la société néerlandaise Converse Inc. comprend l'atteinte portée au pouvoir distinctif des 3 marques Converse, et le manque à gagner commercial ;

- le préjudice subi par la société Royer Sport inclut une perte de chiffre d'affaires, le parasitage et la désorganisation de ses efforts et de sa politique commerciale, les sociétés ISF et SNI ayant entendu profiter des investissements de cette société pour s'attirer la clientèle attachée à la marque Converse.

Les appelantes demandent à la cour, vu l'article 9 du Règlement (CE) n° 40/94 du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire dans sa version codifiée par le Règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009 ; les articles L. 717-1, L. 713-2, L. 713-3 et L. 716-1 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle, de :

* confirmer partiellement le jugement, et ce uniquement en ce qu'il a :

- reçu la société néerlandaise All Star venant aux droits de la société Converse en son intervention volontaire ;

- déclaré irrecevables les pièces communiquées par la société Diesel sous les numéros 1 à 15 et 28 et ordonné le rejet de ces pièces ;

- débouté les sociétés SNI, ISF et Diesel de leur demande d'annulation des procès-verbaux d'achat et des sommations interpellatives qui les ont suivi ;

- débouté les sociétés SNI, ISF et Diesel de leur demande d'annulation de la saisie-contrefaçon du 17 octobre 2008 ;

* infirmer pour le surplus le jugement, et statuant à nouveau :

* sur le fond :

- constater que les sociétés Converse Inc., All Star et Royer Sport invoquent un usage non autorisé des marques Converse susvisées par les sociétés ISF, SNI et Diesel, et donc une violation des dispositions des articles ci-dessus ;

- constater que l'atteinte ainsi alléguée constitue un fait juridique dont la preuve peut être administrée par tous moyens et qu'en conséquence cette preuve peut résulter de simples présomptions de fait, même fondées sur des déclarations du demandeur lui-même, dès lors qu'elles sont propres à entraîner l'intime conviction du Juge ;

- dire et juger que les appelantes invoquent, pour établir le défaut d'autorisation de l'usage de leurs marques, plusieurs circonstances de fait, tangibles, sérieuses et concordantes, d'où il résulte qu'à l'évidence ni la consistance des produits, ni les conditions de leur acquisition, n'accréditent la possibilité d'une autorisation donnée par le titulaire de la marque ;

- dire et juger en conséquence que l'usage illicite de marque est constitué dans tous ses éléments et suffit à justifier une condamnation au titre de la contrefaçon ;

- constater que si l'action en contrefaçon des sociétés Converse Inc., All Star et Royer Sport s'est vu opposer un épuisement du droit de marque par les sociétés ISF, SNI et Diesel, ces sociétés ont manqué à rapporter la preuve qui leur incombait d'une première commercialisation, par le titulaire du droit de marque lui-même ou avec son consentement, dans l'Union européenne ;

- en effet elles ne peuvent prétendre échapper à la charge de cette preuve au motif qu'elles bénéficieraient de l'aménagement communautaire réservé aux hypothèses de risque réel de cloisonnement du marché du fait du titulaire de la marque, faute de n'en rapporter aucune preuve et alors qu'au contraire les sociétés Converse Inc., All Star et Royer Sport établissent la possibilité de ventes passives au cours de la période considérée, comme d'ailleurs, de manière également significative, au cours de la totalité des dernières années ;

- il appartenait donc aux sociétés ISF, SNI et Diesel de justifier utilement d'une acquisition des produits litigieux auprès d'un des membres du réseau de distribution de Converse, seuls autorisés à procéder à une première commercialisation sous les marques, et que, faute de rapporter une telle preuve, elles se sont privées de la possibilité de se prévaloir de l'autorisation tacite généralement déduite du principe de la liberté du commerce et de l'industrie ;

- dès lors, les produits qu'elles commercialisent sous les marques Converse se situent nécessairement en dehors du champ des autorisations susceptibles d'être données par le titulaire des marques ;

- dire et juger en conséquence qu'à défaut d'établir un risque réel de cloisonnement, il appartient aux intimées de démontrer une première commercialisation des produits litigieux dans l'Espace économique européen par la société Converse Inc. ou avec son consentement ;

- constater que les intimées ne prouvent aucunement une telle commercialisation ;

- dire et juger en conséquence que le moyen de défense tiré de l'épuisement du droit de marque n'est pas fondé et ne permet pas aux intimées d'échapper à la responsabilité encourue du fait des actes d'usage illicite de marque qu'elles ont commis ;

* sur les mesures réparatrices :

- faire interdiction aux sociétés ISF et SNI de poursuivre toute détention, offre à la vente et vente de chaussures revêtues de la contrefaçon des marques Converse All Star, Chuck Taylor n° 1 356 944, Converse n° 1 450 850 et All Star n° 1 595 329, sous astreinte de 1 500 euros 00 par infraction constatée ;

- condamner solidairement les sociétés ISF et SNI à payer à la société All Star, venant aux droits de la société Converse Inc., à titre de dommages et intérêts, la somme provisionnelle de 150 000 euros 00 en réparation de l'atteinte portée à ses droits sur les marques internationales désignant l'Union européenne Converse All Star n° 924 653, All Star n° 929 078, et sur la marque française Converse All Star Chuck Taylor n° 1 356 944, et de son préjudice commercial ;

- condamner solidairement les sociétés ISF et SNI à payer à la société Royer Sport, à titre de dommages et intérêts, la somme provisionnelle de 200 000 euros 00 en réparation de son préjudice commercial ;

- ordonner la publication " du jugement " à intervenir, aux frais exclusifs et solidaires des sociétés ISF et SNI, dans cinq journaux, magazines ou revues de leur choix, aux frais exclusifs et solidaires des intimées dans la limite de 10 000 euros HT par parution ;

- dire et juger que la cour se réserve le pouvoir de liquider toutes les astreintes ainsi prononcées, conformément aux dispositions de l'article L. 131-3 du Code des Procédures Civiles d'Exécution ;

- condamner la société ISF à payer à chacune des sociétés Converse Inc., All Star et Royer Sport la somme de 30 000 euros 00 au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- condamner la société SNI à payer à chacune des sociétés Converse Inc., All Star et Royer Sport la somme de 30 000 euros 00 au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- condamner solidairement les sociétés ISF et SNI aux entiers dépens, en ce compris les frais de constat d'achat, de sommations interpellatives et de saisie-contrefaçon exposés par les appelantes.

Par conclusions n° 4 du 19 avril 2019 la SARL Sport Négoce International nouvellement dénommée Style Network International [SNI], et la SARL International Sport Fashion nouvellement dénommée International Style Fashion [ISF], répondent notamment que :

- la première est la filiale de la seconde, et elles interviennent de manière indépendante par rapport aux titulaires et agents de marques, s'approvisionnant auprès de grossistes qui peuvent être soit des distributeurs officiels de ces marques, soit des acheteurs auprès de ces derniers ;

- la société SNI s'est fournie depuis plusieurs années en chaussures de marque Converse auprès de la société Diesel, laquelle achète à une société de l'Espace économique européen, elle-même fournie par un distributeur officiel de la société Converse Inc. ;

- les 4 procès-verbaux d'achat sont nuls, faute de garantie quant à la provenance des chaussures litigieuses :

- pour la chaussure de Sélestat la cliente a été présentée par la société Royer Sport, et l'Huissier de Justice n'a pas apposé de scellé ;

- pour celles de Niort l'Huissier de Justice n'a pas constaté l'achat ni apposé de scellé, et elles sont référencées 1T405 et M9160 alors que ce magasin avait acheté à la société ISF les références 1J793 et 1P626 ;

- pour celles de Nantes l'Huissier de Justice n'a pas constaté l'achat ; les références 1J793 et 1X220 ne figurent que pour la seconde dans la facture de la société ISF au magasin du 8 novembre 2007 ;

- pour celle d'Arconnay l'Huissier de Justice n'a pas constaté l'achat ;

- la saisie-contrefaçon est nulle pour avoir été autorisée à partir de factures de magasins Leclerc obtenues grâce à des sommations interpellatives sans autorisation judiciaire, alors qu'un Huissier de Justice ne peut procéder à une enquête et doit se contenter de constatations purement matérielles ;

- selon le principe d'épuisement des droits, dès lors qu'un produit de marque est mis pour la première fois sur le marché de l'Espace économique européen par son titulaire ou avec son consentement, l'intéressé ne plus interdire sa revente ;

- le système de distribution exclusive mis en place dans l'Espace économique européen par la société Converse Inc. présente un risque réel de cloisonnement ; la même cherche à identifier les sources d'approvisionnement or cette distribution exclusive, lesquels n'ont pas à être révélées par elles-mêmes vu ce risque ;

- en cas de système de distribution présentant un risque réel de cloisonnement le titulaire de la marque ne peut pas exiger que les revendeurs des produits révèlent leur source d'approvisionnement pour justifier l'absence de contrefaçon ; c'est donc audit titulaire de prouver que les produits ont été mis sur le marché de l'Espace économique européen avec son consentement ;

- la société Converse Inc. a mis en œuvre un système de distribution segmentant territorialement l'Espace économique européen, et soumettant toute vente de ses distributeurs exclusifs (dont la société Royer Sport) en dehors de leur territoire à son accord dérogatoire, ce qui constitue un risque réel de cloisonnement ; il existe un seul distributeur par Etat ou groupe d'Etats ;

- ce risque de cloisonnement est confirmé par la pauvreté des preuves de ventes " inter-secteurs " versées aux débats par la société Converse Inc., toutes postérieures à mars 2008 début du litige et jusqu'à 2012, et limitées à 4 ventes hors territoire de quelques centaines de chaussures ; cette société ne produit pas ses contrats de distribution exclusive, ce qui ne permet pas de retenir que ces ventes soient hors territoire ;

- la société Royer Sport n'a pas vendu directement hors de France ;

- des échanges de courriels résulte la preuve que les distributeurs exclusifs Converse refusent de répondre à des sollicitations de clients situés en dehors de leur territoire ; les attestations de ces distributeurs exclusifs ne suffisent pas à écarter ces échanges ;

- il suffit d'un risque de cloisonnement ;

- la société Converse Inc. fait une confusion d'abord entre les notions de cloisonnement des marchés et de cloisonnement absolu des marchés, et ensuite sur la notion d'importation parallèle, ou de ventes passives sur un autre territoire que celui réservé au distributeur mais sans sollicitation de ce dernier ; il n'est pas justifié que les contrats de distribution exclusive autorisent ces importations parallèles et ventes passives ;

- le principe de spécialité en matière de marque conduit à n'examiner que les chaussures Converse et non les produits d'autres natures ;

- le test du stylo laser n'a pas été justifié pour les chaussures M9621, 1J793, M7650 et M9622 ; la société Converse Inc. n'a pas versé, pour chacune des chaussures prélevées, les échantillons-étalons permettant de contrôler la conformité du produit au cahier des charges ; ce test n'est pas fiable à 100 %, car il a déjà réagi négativement à une chaussure présentée par la société Converse Inc. comme authentique ;

- les procès-verbaux d'Huissier de Justice prouvent que le réseau de détaillants de la société Converse Inc. et de la société Royer Sport vend des chaussures ne réagissant pas à ce test ;

- les procès-verbaux de Maître A Huissier de Justice des 30 mars et 26 juillet 2012 ne prouvent pas la contrefaçon, faute du document Emboss & Heat Seal prétendument déterminant pour la distance étiquette/languette ; le litige est antérieur de 4 ans ;

- la société Converse Inc. ne prouve pas la vente de chaussures qui n'auraient pas été mises sur le marché en dehors de l'Espace économique européen avec son consentement ;

- les procès-verbaux de Maître A des 24 février et 27 septembre 2012 établissent que des chaussures Converse vendues à la société ISF par la société Diesel l'avaient été à celle-ci par la société X, et à cette dernière par la société Z, ce qui prouve la mise sur le marché par un distributeur officiel Converse et donc l'épuisement des droits de la société Converse Inc. ;

- leurs 3 adversaires ne justifient pas du préjudice allégué : atteinte portée aux marques, manque à gagner commercial, préjudice commercial de la société Royer Sport.

Les intimées demandent à la cour, vu l'article 9 du Code de procédure Civile, l'article L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle, l'arrêt Van Doren de la CJUE du 8 avril 2003, l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme, de :

* confirmer en toutes ses dispositions le jugement, sauf en ce qu'il a débouté les concluantes de leur demande d'annulation des procès-verbaux d'achat et des sommations interpellatives qui les ont suivi, ainsi que de leur demande d'annulation de la saisie-contrefaçon du 17 octobre 2008 ;

* déclarer irrecevables et mal fondées les sociétés Converse Inc., All Star et Royer Sport en toutes leurs demandes, et les en débouter purement et simplement ;

* sur la nullité de la saisie-contrefaçon du 17 octobre 2008 et des quatre constats d'achats :

- dire et juger nulle la saisie-contrefaçon mise en œuvre le 17 octobre 2008, le procès-verbal de saisie-contrefaçon et les pièces saisies et écarter le tout des débats ;

- dire et juger nulle les sommations interpellatives constituant les pièces numéros 7, 10, 13 et 16 de la société Royer Sport et de la société Converse Inc. et les écarter des débats ;

- dire et juger nuls les quatre procès-verbaux de constat d'achats réalisés par l'Huissier de Justice en date des 13 mars, 17 mars, 25 mars et 30 mai 2008 et constituant les pièces adverses numéros 5, 8, 11 et 14 ;

- constater en toute hypothèse que la preuve de la vente des produits objets des griefs par les magasins Leclerc n'est pas rapportée ;

- écarter des débats en conséquence ces quatre procès-verbaux de constat et les paires de chaussures annexées constituant les pièces adverses numéros 5bis, 8bis, 11bis et 14bis ;

* sur la charge de la preuve : dire et juger que la preuve d'un tel risque réel de cloisonnement des marchés nationaux, au sens de l'arrêt Van Doren (C-244/O0) a été rapportée par les défendeurs ;

* sur l'absence de preuve par les demanderesses de leurs allégations et la preuve rapportée par les défenderesses d'allégations inexactes des demanderesses :

- dire et juger que le caractère contrefaisant des produits dont la vente est reprochée aux défenderesses n'est pas établi par les appelantes et demanderesses ;

- en conséquence, débouter les sociétés Converse Inc., All Star et Royer Sport de l'ensemble de leurs demandes ;

* à titre subsidiaire, sur la preuve de l'épuisement des droits par la société Diesel : dire et juger que la société Diesel et désormais les concluantes, ont justifié de l'épuisement des droits par les constats d'Huissier de Justice de Maître A versés aux débats ;

* à titre infiniment subsidiaire, sur le préjudice allégué :

- dire et juger que l'indemnisation sollicitée ne pourrait porter que sur les chaussures dont le caractère contrefaisant et la vente par les concluantes, seraient établis ;

- dire et juger que les sociétés Converse Inc., All Star et Royer Sport ne justifient pas d'un préjudice et de son quantum que chacune d'entre elles auraient effectivement et personnellement subi ;

- les débouter de toutes leurs demandes de dommages et intérêts ;

* à titre subsidiaire, sur la garantie de la société Diesel :

- dire et juger que la société Diesel devra garantir les sociétés SNI et ISF contre toutes condamnations qui pourraient être prononcées à leur encontre ;

- condamner la société Diesel au paiement aux sociétés SNI et ISF d'une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile d'un montant de 20 000 euros 00, et aux entiers dépens ;

* en toute hypothèse : condamner les sociétés Converse Inc., All Star et Royer Sport chacune au paiement, à chacune des sociétés SNI et ISF, d'une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile d'un montant de 30 000 euros.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 avril 2019. L'affaire, initialement fixée à l'audience du 5 novembre 2018, a été renvoyée au 14 février 2019 en raison de l'indisponibilité d'un Magistrat. A cette date elle a été renvoyée au 18 suivant parce qu'un Avocat était retenu devant une juridiction parisienne. Un nouveau renvoi a été fait au 13 mai 2019 suite à une indisponibilité physique d'un Avocat. Un ultime renvoi a été décidée au 14 octobre en raison de la présence dudit Avocat en qualité de Juré à la cour d'Assises de la Seine-St-Denis.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur la procédure :

Le jugement n'est pas critiqué pour avoir reçu la société néerlandaise All Star CV venant aux droits de la société Converse Inc. en son intervention volontaire.

L'absence en appel de la société Diesel ne permet pas de discuter le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevables les pièces communiquées par la société Diesel sous les numéros 1 à 15 et 28 et ordonné le rejet de ces pièces.

Sur les procès-verbaux d'achat et sommations interpellatives :

A la requête de la société Royer Sport ont été constatés par Huissier de Justice, qui a lui-même distinctement vu des personnes ayant acheté :

- à Sélestat le 13 mars 2008 l'achat par une cliente dans le magasin Leclerc d'une paire de chaussures M9621 qui a été décrite, et que la société Converse Inc. a déclaré contrefaisante le 25 avril en raison de la qualité inférieure de l'étiquette de la languette ; et le 11 juillet la présence d'une facture de vente émise par la société ISF ;

- à Niort le 17 mars 2008 l'achat similaire dans le magasin Leclerc d'une paire 1T405 et d'une paire M9160, décrites, et que la société Converse Inc. a considérées comme authentiques ; et le 13 juin la présence d'une facture de vente par la société ISF ; mais la cour constate que sont ces 2 références ne sont pas celles de la facture de la société ISF contre ce magasin (1J793 et 1P626), et qu'au surplus ce document est du 24 avril soit postérieur à l'achat litigieux ;

- à Nantes le 25 mars 2008 l'achat similaire dans le magasin Leclerc de 2 paires 1J793 et 1X220, décrite, et que la société Converse Inc. a déclaré contrefaisante le 25 avril en raison de la qualité inférieure de l'étiquette de la languette ; et le 18 juillet la présence d'une facture de vente émise par la société ISF ; mais seule la seconde référence existe sur la facture émise le 8 novembre 2007 par la société ISF contre ce magasin ;

- à Arconnay le 30 mai 2008 l'achat similaire dans le magasin Leclerc d'une paire M7650, décrite, et que la société Converse Inc. a déclaré non authentique le 8 juillet en raison de la qualité inférieure de l'étiquette de la languette ; et le 23 juillet la présence d'une facture de vente émise par la société SNI.

Ces diverses constatations ne sont pas contestables, et le jugement est donc confirmé pour avoir débouté les sociétés SNI et ISF de leur demande d'annulation des 4 procès-verbaux d'achat et des 4 sommations interpellatives qui les ont suivis.

Pour obtenir l'ordonnance du 6 octobre 2008 ayant autorisé le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 17 la société Royer Sport avait communiqué à son auteur les éléments précités, lesquels rendaient plausibles des contrefaçons de chaussures de marque Converse par les sociétés ISF et SNI qui les avaient vendues aux magasins Leclerc. Cette saisie-contrefaçon n'est donc pas non plus critiquable, ce qui justifie que le jugement ait également débouté les sociétés SNI, ISF et Diesel de leur demande d'annulation des opérations du 17 octobre 2008.

Sur la contrefaçon :

Une partie des chaussures vendues dans les magasins Leclerc a été déclarée contrefaisante par la société Converse Inc. titulaire de la marque éponyme.

Les constats de Maître LE M. Huissier de Justice faits à la demande de la société Converse Inc. sur le positionnement de l'étiquette thermocollée sur la languette de la chaussure, le 16 juin 2011 sur 2 chaussures M7650 et M9006, et le 30 mars 2012 sur 3 chaussures M7650, M9622 et M9160, mentionnent une distance significativement différente par rapport à la charte de fabrication de cette société constituée par le document Emboss & Heat Seal. Mais le contenu de ce dernier, malgré les 4 documents constatés par le même Huissier de Justice le 26 juillet 2012, est confidentiel ce qui ne permet pas de connaître avec précision cette distance sur les chaussures Converse.

Un Huissier de Justice, pourtant requis par la société Converse Inc. et la société All Star, a constaté le 17 septembre 2013 l'absence de réaction du stylo laser pour 5 authentiques chaussures Converse référencées M9621, 1J793, M7650, M9622 et M9160. Et la cour elle-même a constaté lors de l'audience qu'une chaussure Converse présentée comme authentique ne faisait pas non plus réagir positivement le stylo laser.

Il n'est donc pas objectivement démontré par la société Converse Inc., la société All Star et la société Royer Sport, au sens des articles L. 713-2 et L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle, que toutes les chaussures commercialisées par les sociétés ISF et SNI reproduisent et/ou imitent la marque Converse.

Sur l'épuisement des droits :

Les factures de vente de chaussures Converse aux sociétés ISF et SNI pour la période litigieuse (année 2008) de mise des chaussures sur le marché français concernent plusieurs dizaines de milliers de paires, et ont été émises par la société Diesel. Les constats d'Huissier de Justice des 24 février et 27 septembre 2012 ont fait ressortir des factures d'achat en 2008 par la société Diesel à la société X, et par cette dernière à la société Z. Mais ces sociétés X et Z ne sont pas identifiables, ce qui implique que les sociétés ISF et SNI ne rapportent pas la preuve que les chaussures litigieuses ont été acquises auprès du distributeur exclusif de la marque Converse pour la France qui est la société Royer Sport en vertu du contrat de licence de marque exclusive signé le 17 janvier 2008 avec la société Converse Inc.

Selon l'article L. 713-4 alinéa 1 du Code de la propriété intellectuelle, "Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d'interdire l'usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté européenne ou de l'Espace économique européen sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement", et la preuve de cet épuisement des droits incombe en principe à celui qui l'invoque c'est-à-dire le tiers poursuivi par le titulaire de la marque. Mais dans son arrêt du 8 avril 2003 " Van Doren " la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que " dans l'hypothèse où le tiers parvient à démontrer qu'il existe un risque réel de cloisonnement des marchés nationaux si lui-même supporte la charge de [la] preuve [de l'épuisement du droit de marque], en particulier lorsque le titulaire de la marque commercialise ses produits dans l'Espace économique européen au moyen d'un système de distribution exclusive, il appartient au titulaire de la marque d'établir que les produits ont été initialement mis dans le commerce par lui-même ou avec son consentement en dehors de l'Espace économique européen. Si cette preuve est rapportée, il incombe alors au tiers d'établir l'existence du consentement du titulaire à la commercialisation ultérieure des produits dans l'Espace économique européen ". Il y donc dans cette hypothèse un renversement de la charge de la preuve de cet épuisement des droits.

Le système de distribution de ses chaussures mis en place par la société Converse Inc. attribue un pays ou un groupe de pays en exclusivité à un seul distributeur, qui pour la France est la société Royer Sport, ce qui caractérise en principe un risque réel de cloisonnement du marché, d'autant que les contrats de distribution exclusive ne sont pas communiqués d'où l'impossibilité de connaître leurs modalités. Les nombreuses factures de vente Converse soit entre distributeurs exclusifs, soit par l'un d'eux auprès de clients situés en dehors de son territoire contractuel, sont pour la période litigieuse de l'année 2008 peu nombreuses (4) et concernent plusieurs produits Converse notamment d'habillement mais au plus quelques centaines de chaussures, ce qui ne permet pas de caractériser suffisamment la perméabilité territoriale du marché de cette marque.

Les demandes par courriels de personnes intéressées pour acheter quelques chaussures Converse à des distributeurs (ventes passives) n'ont pas été acceptées lorsque les premières ne se trouvent pas dans le pays des seconds, et les attestations contraires, émanant de revendeurs qui sont par nature dépendants de la société Converse Inc., ne peuvent contrecarrer ces réponses négatives, ce qui confirme le risque réel de cloisonnement retenu à bon droit par le jugement.

Par suite il incombe aux sociétés Converse Inc., All Star CV et Royer Sports de rapporter la preuve de l'épuisement des droits, c'est-à-dire d'une mise initiale des produits dans le commerce en dehors de l'Espace économique européen soit par elles-mêmes soit avec leur consentement. Or le Tribunal a retenu avec raison l'absence de cette preuve.

Le jugement est en conséquence confirmé pour avoir débouté les appelantes de toutes leurs demandes en contrefaçon de la marque Converse.

Décision

LA COUR, statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire. Confirme le jugement du 3 mars 2016. Entre outre, vu l'article 700 du Code de procédure civile, condamne in solidum la société Converse Inc., la société All Star CV et la SAS Royer Sport à payer à chacune des SARL Sport Négoce International nouvellement dénommée Style Network International [SNI] et SARL International Sport Fashion nouvellement dénommée International Style Fashion [ISF] une indemnité de 15 000 € au titre des frais exposés en appel et non compris dans les dépens. Condamne in solidum la société Converse Inc., la société All Star CV et la SAS Royer Sport aux dépens d'appel, avec application de l'article 699 du Code de procédure civile. Rejette toutes les autres demandes.