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Décisions

CA Montpellier, 2e ch., 10 décembre 2019, n° 17-02378

MONTPELLIER

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Le Village (SAS)

Défendeur :

Rocher des Pirates (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Prouzat

Conseillers :

Mmes Rochette, Torrecillas

T. com. Perpignan, du 3 avr. 2017

3 avril 2017

FAITS ET PROCEDURE - MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES :

Par acte du 11 mars 2014, la SAS Le Village a signé avec la SARL Rocher des Pirates, société immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Perpignan sous le n° 522 966 316, un contrat de franchise d'une durée de 9 années lui permettant de bénéficier en exclusivité de l'exploitation du concept et de la marque " Rocher des Pirates " pour un restaurant <adresse>, en contrepartie d'une redevance initiale de 50 000 euros hors-taxes, d'une redevance mensuelle d'exploitation égale à 5 % du chiffre d'affaires annuel réalisé hors-taxes jusqu'à 2 000 000 euros et à 4 % sur la partie du chiffre d'affaires supérieure à cette somme, d'une redevance mensuelle de communication égale à 1 % du chiffre d'affaires hors-taxes du mois écoulé exigible lorsque le réseau comptera cinq restaurants franchisés ouverts au public et d'une redevance mensuelle spectacles correspondant également 1 % du chiffre d'affaires hors-taxes du mois écoulé.

La société Le Village a débuté son exploitation au mois de juillet 2014, mais par lettre recommandée du 7 septembre 2015, la société Rocher des Pirates l'a mise en demeure, par l'intermédiaire de son conseil, de lui communiquer, conformément à l'article 4-11 du contrat de franchise, les documents comptables permettant le calcul de la redevance annuelle et des redevances mensuelles et de lui payer la somme de 107 092,68 euros TTC représentant les factures de redevances dues depuis le mois de mai 2015 établies à partir d'une estimation du chiffre d'affaires ; par ordonnance du 7 décembre 2015, le juge des référés du tribunal de commerce de Perpignan, que la société Rocher des Pirates avait saisi, a condamné la société Le Village au paiement de la somme de 65 016,63 euros à titre provisionnel, calculée à partir du tableau récapitulatif des chiffres d'affaires réalisés d'avril 2015 à septembre 2015, produit par cette dernière, majorée des intérêts moratoires au taux de 2 fois le taux de l'intérêt légal à compter de l'assignation, ainsi que de la somme de 18 000 euros au titre de l'indemnité prévue à l'article 4-11 du contrat ; cette ordonnance a été confirmée par un arrêt de cette cour (1re chambre D) en date du 6 octobre 2016.

Entre-temps, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 19 octobre 2015, la société Rocher des Pirates a notifié à la société Le Village la résiliation du contrat de franchise, en application de l'article 12-2 du contrat.

Par exploit du 18 janvier 2016, la société Rocher des Pirates a fait assigner la société Le Village devant le tribunal de commerce de Perpignan afin de voir constater que la rupture du lien contractuel lui était imputable, d'obtenir sa condamnation à lui payer les sommes de 150 000 euros au titre de l'indemnité de rupture anticipée prévue à l'article 13-5 du contrat et 300 000 euros conformément à l'article 13-3 du contrat, en raison de la violation de l'interdiction d'utiliser les signes distinctifs du réseau " Rocher des Pirates ", et la voir condamner sous astreinte à cesser d'utiliser les signes distinctifs du réseau ou des signes similaires créant une confusion dans l'esprit du public.

Parallèlement, la société Le Village a, par exploit du 19 janvier 2016, fait assigner la société Rocher des Pirates devant le même tribunal afin de voir constater l'inexécution contractuelle de cette société à l'égard de son franchisé, de dire et juger que la résiliation du contrat de franchise est imputable à la société Rocher des Pirates et condamner celle-ci, dans le dernier état de ses prétentions, à lui payer les sommes de 152 581,54 euros au titre d'une facture du 8 octobre 2015, 50 000 euros versés au titre de la réservation du contrat de franchise et 90 000 euros à titre de dommages et intérêts compensatoires de son préjudice ; elle a également soulevé l'incompétence de la juridiction saisie au profit du tribunal de grande instance de Bordeaux au motif que les demandes de la société Rocher des Pirates étaient relatives à la propriété intellectuelle des marques respectives " Rocher des Pirates " et " Escale des Pirates " et à la confusion qui résulterait de l'utilisation de cette dernière marque, déposée au nom de son dirigeant (M. X) auprès de l'INPI, alors que l'article L. 211-10 du Code de l'organisation judiciaire attribue une compétence particulière à certains tribunaux de grande instance, dont celui de Bordeaux, en matière de litiges concernant la propriété intellectuelle.

Après jonction des instances connexes, le tribunal de commerce de Perpignan, par jugement du 3 avril 2017 :

- a constaté que les demandes de la société Rocher des Pirates portent sur l'exécution du contrat de franchise régularisé le 11 mars 2014,

- s'est déclaré compétent pour connaître de l'intégralité des demandes portées devant lui,

- a dit que la rupture anticipée du contrat de franchise est aux torts exclusifs de la société Le Village,

- a constaté que la société Le Village exploitait la même activité sous l'enseigne " Escale des pirates " et utilise les signes distinctifs du réseau de franchise " Rocher des Pirates " en méconnaissance de ses obligations contractuelles,

- a condamné la société Le Village à payer à la société Rocher des Pirates la somme de 150 000 euros au titre de la rupture anticipée du contrat, à ses torts exclusifs,

- a condamné la société Le Village à payer à la société Rocher des Pirates la somme de 300 000 euros en raison de l'utilisation des signes distinctifs du réseau " Rocher des Pirates ",

- a condamné la société Le Village à payer à la société Rocher des Pirates la somme de 500 euros par jour de retard, à compter de l'assignation, jusqu'à justification du respect des dispositions contractuelles,

- a dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire de la décision,

- a rejeté l'intégralité des demandes formulées par la société Le Village,

- a alloué à la société Rocher des Pirates à la somme de 5 000 euros, qui lui sera versée par la société Le Village, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Le Village a régulièrement relevé appel, le 25 avril 2017, de ce jugement en vue de sa réformation.

Une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à son égard par un jugement du tribunal de commerce de Bordeaux en date du 27 septembre 2017, aboutissant à l'arrêt d'un plan de redressement par un nouveau jugement du 26 juin 2019, M. X étant désigné en qualité de commissaire à l'exécution du plan.

De son côté, la société Rocher des Pirates a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire ouverte par jugement du tribunal de commerce de Perpignan en date du 30 mai 2018, convertie, le 22 mai 2019, en liquidation judiciaire, Mme Y étant désignée comme liquidateur.

En l'état de leurs dernières conclusions, déposées le 14 octobre 2019 via le RPVA, la société Le Village et M. X en sa qualité de commissaire l'exécution du plan, intervenant volontaire, demandent à la cour, au visa de l'article L. 211-10 du Code de l'organisation judiciaire, du décret n° 2009-1204 du 9 octobre 2009, de l'article L. 330-3 du Code de commerce, des articles 79 et 566 du Code de procédure civile, des articles L. 331-1, alinéa 1er, et L. 716-3 du Code de la propriété intellectuelle, des articles 1137 et 1231-5 du Code civil, de :

In limine litis :

- constater que la question de la prétendue utilisation des signes distinctifs de la société Rocher des Pirates par la société Le Village relève de la propriété intellectuelle,

- déclarer que le tribunal de commerce de Perpignan était incompétent pour statuer en première instance au profit du tribunal de grande instance de Bordeaux,

- renvoyer l'affaire devant la cour d'appel de Bordeaux, juge d'appel des décisions du tribunal de grande instance de Bordeaux,

Subsidiairement, sur le fond :

À titre principal,

- constater les manœuvres dolosives dont a usé la société Rocher des Pirates pour convaincre la société Le Village de signer le contrat de franchise du 11 mars (2014) sur la base de fausses informations,

- prononcer la nullité du contrat de franchise signé le 11 mars 2014,

- condamner la société Rocher des Pirates à verser à la société Le Village la somme de 50 000 euros pour perte de chance de négocier dans des conditions plus avantageuses,

- condamner la société Rocher des Pirates à verser à la société Le Village la somme de 34 687,54 euros TTC au titre du remboursement des redevances trop perçues par le franchiseur concernant la Taverne,

- condamner la société Rocher des Pirates à verser à la société Le Village la somme de 151 471,34 euros TTC au titre des dettes contractées pour l'exploitation,

- condamner la société Rocher des Pirates à verser à la société Le Village la somme de 1 222,80 euros TTC au titre des dettes contractées pour l'exploitation,

- condamner la société Rocher des Pirates à verser à la société Le Village la somme de 4 599 euros TTC au titre de la perte d'exploitation en raison de l'entrave du franchiseur à la communication de l'établissement " Escale des Pirates ",

- condamner la société Rocher des Pirates à verser à la société Le Village la somme de 59 242 euros TTC en réparation de son préjudice de perte d'exploitation, en raison des fiches techniques erronées transmises au franchiseur,

Encore plus subsidiairement,

- constater les manquements et inexécutions contractuels de la société Rocher des Pirates,

- prononcer la résiliation du contrat de franchise aux torts exclusifs de la société Rocher des Pirates,

- condamner la société Rocher des Pirates à verser à la société Le Village la somme de 151 471,34 euros au titre de la facture du 8 octobre 2015,

- condamner la société Rocher des pirates à verser à la société le Village la somme de 34 687,54 euros TTC au titre des trop perçues de redevances concernant la Taverne,

- condamner la société Rocher des Pirates à verser à la société Le Village la somme de 1 222,80 euros TTC au titre des dettes contractées pour l'exploitation,

- condamner la société Rocher des Pirates à verser à la société Le Village la somme de 4 599 euros TTC au titre de la perte d'exploitation en raison de l'entrave du franchiseur à la communication de l'établissement " Escale des Pirates ",

- condamner la société Rocher des Pirates à verser à la société Le Village la somme de 18 000 euros au titre de la clause pénale injustifiée, faute de mise en demeure régulière,

- constater que la société Le Village n'a pas utilisé les signes distinctifs du réseau " Rocher des Pirates " à l'expiration de la convention les liant,

A titre infiniment subsidiaire,

- condamner la société Rocher des Pirates à verser à la société Le Village la somme de 18 000 euros au titre de la clause pénale injustifiée, faute de mise en demeure régulière,

En tout état de cause :

- condamner la société Rocher des Pirates à payer à la société Le Village une indemnité de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Rocher des Pirates et Mme Y ès qualités, intervenant volontaire, sollicitent de voir, aux termes de conclusions déposées le 7 octobre 2019 :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Perpignan en date du 3 avril 2017,

In limine litis,

- constater que les demandes de la société Rocher des Pirates portent sur l'exécution du contrat de franchise régularisé le 11 mars 1014,

- en conséquence, dire et juger que le tribunal de commerce de Perpignan était parfaitement compétent pour connaître de l'intégralité des demandes portées devant cette juridiction,

Sur le fond,

- constater que la demande d'annulation du contrat de franchise pour dol est formée pour la première fois en appel,

- constater que la société Le Village a manqué à ses obligations contractuelles de communication de documents comptables et de paiement des redevances mensuelles à la société Rocher des Pirates,

- constater que la société Rocher des Pirates n'a pas manqué à ses obligations contractuelles,

- dire et juger la rupture anticipée du contrat de franchise aux torts exclusifs de la société Le Village,

- constater que la société Le Village exploite la même activité sous l'enseigne " Escale des Pirates ",

- constater qu'elle persiste à utiliser les signes distinctifs du réseau " Rocher des Pirates " ou des signes distinctifs créant la confusion dans l'esprit du public, en méconnaissance de ses obligations contractuelles,

- constater que la présente contient une mise en demeure adressée à la société Le Village d'avoir à cesser d'utiliser les signes distinctifs du réseau " Rocher des Pirates " ou des signes similaires créant une confusion dans l'esprit du public,

- en conséquence, déclarer irrecevable la demande tendant à l'annulation du contrat de franchise,

- constater que la créance de la société Rocher des Pirates s'élève à :

* la somme de 150 000 euros au titre de l'indemnité de résiliation aux torts exclusifs du franchisé,

* la somme de 300 000 euros en raison de l'utilisation des signes et aménagements du réseau après la rupture du contrat de franchise,

* la somme de 667 500 euros au titre de l'astreinte en raison de l'utilisation des signes distinctifs du réseau,

* la somme de 7000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens d'appel, soit la somme totale de 1 124 500 euros sous réserve des dépens,

- fixer la créance de la société Rocher des Pirates au passif de la procédure collective à la somme de 764 500 euros correspondant montant de sa déclaration de créance,

- rejeter l'intégralité des demandes formulées par la société Le Village.

Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 15 octobre 2019.

MOTIFS DE LA DECISION :

Alors qu'en première instance, la société le Village n'avait sollicité que la résiliation du contrat de franchise en raison de divers manquements contractuels imputés à la société Rocher des Pirates, elle demande en cause d'appel que soit prononcée la nullité du contrat pour dol ; il est soutenu par les intimés que cette demande nouvelle est irrecevable devant la cour.

Il résulte cependant de l'article 565 du Code de procédure civile que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent ; dans le cas présent, la demande en annulation du contrat de franchise, qui tend, comme l'action en résiliation introduite en première instance, à mettre à néant le contrat litigieux, ne peut être regardée comme une demande nouvelle, irrecevable.

Il y a donc lieu d'examiner la demande d'annulation, dont le sort détermine la question de savoir si la société Le Village a ou pas manqué à son obligation, prévue à l'article 13-3 du contrat, d'utiliser, après la rupture de celui-ci, tous signes distinctifs mis à sa disposition par le franchiseur et de créer, de déposer et/ou d'utiliser, directement ou indirectement, toute dénomination sociale, toute marque, toute enseigne, tout nom commercial, tout nom de domaine ainsi que tous signes distinctifs de nature à créer une confusion avec le réseau, et si les demandes de la société Rocher des Pirates présentées à ce titre mettent en jeu une question de marque, qui ne relevait pas de la compétence du tribunal de commerce de Perpignan, mais du tribunal de grande instance de Bordeaux, juridiction spécialisée en matière d'actions relatives aux marques.

Aux termes de l'article 1116 du Code civil alors applicable : " Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté. Il ne se présume pas, et doit être prouvé " ; il est de principe que le dol peut être constitué par le silence d'une partie dissimulant à son cocontractant un fait qui, s'il avait été connu de lui, l'aurait empêché de contracter.

L'article L. 330-3, alinéa 1, du Code de commerce dispose, en outre, que toute personne qui met à la disposition d'une autre un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenu, préalablement à la signature de tous contrats conclus dans l'intérêt commun des parties, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permettent de s'engager en toute connaissance de cause ; l'article R. 330-1 énonce que le document d'information précise notamment la date de création de l'entreprise avec un rappel des principales étapes de son évolution, y compris celle du réseau d'exploitants, s'il y a lieu, ainsi que toutes indications permettant d'apprécier l'expérience professionnelle acquise par l'exploitant ou par les dirigeants et que ces informations doivent être complétées par une présentation de l'état général et local du marché des produits ou services devant faire l'objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché.

En l'occurrence, le contrat de franchise conclu le 11 mars 2014 a été précédé par la remise, le 19 novembre 2012, soit 16 mois auparavant, au gérant de la société le Village (M. X) d'un document d'information précontractuel, qui, en page 22, présente comme suit le réseau et son développement : Le pilote du concept Rocher des Pirates a été inauguré le 11 juin 2007. Deux années d'exploitation ont permis de démontrer la validité du projet, avec des résultats financiers supérieurs aux attentes, et un compte de résultat profitable dès la première année d'exploitation. Le concept Rocher des Pirates a été pensé pour être développé en franchise. Divers experts reconnus dans le monde de la franchise (...) ont travaillé avec les créateurs du Rocher des Pirates pour monter le projet de franchise. Après période de test et mise en place du métier de franchiseur, l'année 2010 sera l'année du lancement de la franchise, avec recrutement des premiers franchisés. Début septembre 2010, lancement des travaux de Rocher des Pirates Toulouse (restaurant appartenant à la succursale). Le 15 février 2011 est le jour d'ouverture de Rocher des Pirates Toulouse. Notre ambition est d'évoluer à une vitesse raisonnable car les premiers franchisés qui nous rejoindront représenteront le réseau en France (...)

Ainsi, lors de la conclusion du contrat, le réseau, tel qu'il avait été présenté au franchisé, comportait deux établissements, le premier exploité à Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) par la SARL le Rocher des Pirates, société immatriculée le 10 janvier 2007 au registre du commerce et des sociétés sous le n° 493 670 103, qui avait démarré son activité le 11 juin 2007 comme indiqué dans le document d'information précontractuel, le second exploité à Roques (Haute-Garonne) par la SARL le Rocher des Pirates Toulouse, société immatriculée le 22 juin 2010 sous le n° 523 282 962 au registre du commerce et des sociétés, et qui venait d'être ouvert le 15 février 2011 ; le document d'information, auquel étaient jointes en annexe les deux dernières liasses fiscales du franchiseur, présentait de façon avantageuse les perspectives de développement de la franchise, puisqu'il était précisé que la société le Rocher des Pirates, créée en 2007 et exploitant le premier restaurant du réseau à Rivesaltes, présentait des résultats financiers supérieurs aux attentes et un compte de résultat profitable dès la première année d'exploitation (sic).

Par ce contrat, il était mis à la disposition de la société Le Village, qui prévoyait d'ouvrir un restaurant à l'enseigne " Rocher des Pirates " à Mérignac mettant en scène des spectacles autour du thème des pirates pour un investissement estimé, dans le document d'information, à 745 000 euros (installation des décors et agencement de l'établissement), la marque " le Rocher des Pirates " déposée le 14 octobre 2008 à l'INPI par la société le Rocher des Pirates sous le n° 083604706, objet d'une concession de licence au profit du franchiseur, ainsi que les marques figuratives " Rocher des Pirates " et " Rocher des Pirates restaurant " déposées les 22 octobre et 20 octobre 2010 à l'INPI sous les n° 103777038 et 10376240 par le franchiseur, la société Rocher des Pirates.

Certes, il appartient au candidat à l'adhésion à un réseau de franchise de se livrer lui-même à une analyse d'implantation précise sans pouvoir reprocher au franchiseur le défaut de fourniture d'une étude de marché, mais il incombe à ce dernier de ne pas dissimuler des informations capitales sur les difficultés économiques que lui-même ou les membres du réseau rencontreraient et qui seraient de nature à mettre en cause la rentabilité du réseau et la viabilité de l'opération envisagée.

Or, en l'espèce, la société Rocher des Pirates a dissimulé à son cocontractant, lors de la conclusion du contrat de franchise, que sa situation financière était particulièrement délicate, puisqu'à la clôture de l'exercice du 31 décembre 2013, elle avait enregistré une perte de 84 970 euros, aboutissant à des capitaux propres négatifs à - 334 039 euros eu égard aux pertes précédemment constatées et affectées en report à nouveau (-257 069 euros), ce qui obligeait les associés soit à reconstituer ses capitaux propres devenus inférieurs à la moitié du capital social (8000 euros), soit à procéder à la dissolution anticipée de la société ; il s'avère également que la société Rocher des Pirates Toulouse se trouvait, au moment de la conclusion du contrat, en état de cessation de paiements, ce que la société Rocher des Pirates, qui avait le même dirigeant (M. W) que celle-ci, ne pouvait ignorer ; si le redressement judiciaire de la société Rocher des Pirates Toulouse, ultérieurement converti en liquidation judiciaire, a été ouvert le 19 mars 2014, huit jours après la signature du contrat de franchise, il n'en demeure pas moins que son état de cessation de paiements a été fixé au 6 décembre 2013, soit bien antérieurement à la conclusion du contrat.

Il est évident que si la société Le Village à laquelle avait été remis un document d'information non réactualisé, avait eu connaissance des déboires financiers de la société franchiseur menacée de dissolution anticipée à défaut de pouvoir reconstituer ses capitaux propres, ainsi que de l'un des deux membres du réseau, dont l'état de cessation de paiement était intervenu deux ans après l'ouverture du restaurant, elle n'aurait pas alors contracté, tant la rentabilité économique du réseau et la viabilité de l'opération envisagée, nécessitant la réalisation d'investissements pour environ 745 000 euros plus le paiement d'un droit d'entrée de 50 000 euros, apparaissaient alors fortement compromises ; elle s'exposait, en effet, au risque de voir la société Rocher des Pirates dans l'incapacité d'assumer financièrement ses propres obligations d'animation du réseau en matière de formation, d'assistance et de publicité et de perdre l'utilisation de l'enseigne et des marques, qui devaient être mises à sa disposition ; il convient, dans ces conditions, de prononcer l'annulation du contrat de franchise conclu le 11 mars 2014 entre les parties en raison de la réticence dolosive de la société Rocher des Pirates.

L'annulation du contrat de franchise conduit, par voie de conséquence, au rejet de la demande de la société Rocher des Pirates et de Mme Y, prise en sa qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société, aux fins de fixation de la créance de celle-ci au passif de la procédure collective ouverte à l'égard de la société le Village à hauteur de la somme de 764 500 euros, montant déclaré au titre de l'indemnité pour rupture anticipée prévue à l'article 13-5 du contrat, de l'indemnité due en vertu de l'article 13-3 du contrat pour manquement du franchisé à l'interdiction d'utiliser les signes distinctifs mis à sa disposition et de la liquidation de l'astreinte prononcée aux termes du jugement du 3 avril 2017.

Il résulte, par ailleurs, des dispositions combinées des articles L. 622-21 et L. 622-22 du Code de commerce que le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent et que les instances en cours sont interrompues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance et sont alors reprises de plein droit, le mandataire judiciaire et, le cas échéant, l'administrateur ou le commissaire à l'exécution du plan nommé en application de l'article L. 626-25 dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant ; selon les articles L. 622-24 et R. 622-24, à partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans le délai de deux mois à compter de la publication du jugement d'ouverture au Bodacc ; enfin, l'article L. 622-26 énonce qu'à défaut de déclaration dans les délais prévus à l'article L. 622-24, les créanciers ne sont pas admis dans les répartitions et les dividendes à moins que le juge-commissaire ne les relève de leur forclusion s'ils établissent que leur défaillance n'est pas due à leur fait ou qu'elle est due à une omission du débiteur lors de l'établissement de la liste prévue au deuxième alinéa de l'article L. 622-6.

En l'espèce, il est constant que la société Rocher des Pirates a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire par jugement du 30 mai 2018 publié au Bodacc le 8 juin 2018 ; la société Le Village, qui sollicite des condamnations pécuniaires, ne justifie pas toutefois d'une déclaration de ses créances éventuelles entre les mains du mandataire judiciaire, Mme Y

Si les créances de restitution, découlant de l'annulation du contrat de franchise, ne peuvent naître que du prononcé d'une telle sanction, postérieurement au jugement d'ouverture, et ne sont donc pas affectées par le défaut de déclaration, tel n'est pas le cas des créances indemnitaires, qui visent à réparer les préjudices consécutifs aux fautes alléguées du cocontractant et qui ne sont pas des restitutions découlant de l'annulation du contrat.

Ainsi, les demandes en paiement des sommes de 151 471,34 euros et 1 222,80 euros au titre des dettes contractées pour l'exploitation, 4 599 euros au titre de la perte d'exploitation en raison de l'entrave supposée du franchiseur à la communication de l'établissement " Escale des pirates " et 59 242 euros en réparation du prétendu préjudice d'exploitation liée à la transmission de fiches techniques erronées, doivent être regardées comme des créances nées antérieurement au jugement d'ouverture ; il s'ensuit que ces créances, non déclarées, sont inopposables à la procédure collective et il convient dès lors de rejeter les demandes présentées de ces chefs.

En revanche, la société Le Village est fondée à obtenir la condamnation de la société Rocher des Pirates à lui payer la somme de 50 000 euros hors-taxes correspondant au montant de la redevance initiale, versée lors de la signature du contrat ; en dépit de la formulation maladroite utilisée dans le dispositif de ses conclusions, la société Le Village réclame bien, ainsi qu'il ressort de ses conclusions, page 12, le paiement de la somme de 50 000 euros versée à titre de redevance franchise, alors qu'elle aurait pu négocier un contrat de franchise dans des conditions plus avantageuses.

S'agissant de la demande de remboursement de la somme de 34 687,54 euros au titre d'un trop-perçu par le franchiseur concernant la taverne (sic), montant de deux factures (n° 20151002 et 20151003) en date du 8 octobre 2015, la société Le Village ne justifie pas avoir réglé cette somme, qui a été déduite de la provision allouée par le juge des référés dans son ordonnance du 7 décembre 2015 confirmée en appel ; la prétention élevée à cet égard ne peut dès lors qu'être rejetée.

Le jugement entrepris doit dès lors être infirmé dans toutes ses dispositions.

Au regard de la solution apportée au règlement du litige, la société Rocher des Pirates doit être condamnée aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à payer à la société Le Village la somme de 2000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Infirme le jugement du tribunal de commerce de Perpignan en date du 3 avril 2017 dans toutes ses dispositions et statuant à nouveau, Prononce l'annulation du contrat de franchise conclu le 11 mars 2014 entre la société Rocher des Pirates et la société Le Village ayant pour objet de permettre à celle-ci de bénéficier en exclusivité de l'exploitation du concept et de la marque " Rocher des Pirates " pour un restaurant situé [...], en contrepartie d'une redevance initiale de 50 000 euros hors-taxes et de diverses redevances mensuelles (redevance d'exploitation, redevance de communication et redevance spectacles) calculées sur le chiffre d'affaires, Condamne la société Rocher des Pirates à restituer à la société Le Village la somme de 50 000 euros hors-taxes correspondant au montant de la redevance initiale, versée lors de la signature du contrat, Rejette les demandes en paiement des sommes de 151 471,34 euros et 1 222,80 euros au titre des dettes contractées pour l'exploitation, 4 599 euros au titre de la perte d'exploitation en raison de l'entrave supposée du franchiseur à la communication de l'établissement " Escale des pirates " et 59 242 euros en réparation du prétendu préjudice d'exploitation liée à la transmission de fiches techniques erronées, Rejette, par voie de conséquence, la demande de la société Rocher des Pirates et de Mme Y ès qualités aux fins de fixation de la créance de celle-ci au passif de la procédure collective ouverte à l'égard de la société le Village à hauteur de la somme de 764 500 euros, montant déclaré au titre de l'indemnité pour rupture anticipée prévue à l'article 13-5 du contrat, de l'indemnité due en vertu de l'article 13-3 du contrat pour manquement du franchisé à l'interdiction d'utiliser les signes distinctifs mis à sa disposition et de la liquidation de l'astreinte prononcée aux termes du jugement du 3 avril 2017, Déboute les parties de leurs prétentions plus amples ou contraires, Condamne la société Rocher des Pirates aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à payer à la société le Village la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.