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Décisions

CA Douai, 1re ch. sect. 1, 12 décembre 2019, n° 18-02973

DOUAI

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Masseron

Conseillers :

Mmes Boutié, Aldigé

TI Tourcoing, du 22 sept. 2017

22 septembre 2017

Se considérant bénéficiaire de gains qui lui ont été notifiés par courriers publicitaires, par acte d'huissier de justice en date du 28 juillet 2016, M. X a fait assigner la SARL Y devant le Tribunal d'instance de Tourcoing aux fins d'obtenir, sur le fondement principal de l'article 1371 du Code civil et celui, subsidiaire, de l'article 1382 du même Code, sa condamnation à lui payer, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, les sommes suivantes :

- 9 500 euros correspondant au montant des gains promis, outre les intérêts au taux légal depuis le 10 février 2016, date de l'envoi de la lettre de mise en demeure et ce avec capitalisation, le tout conformément aux articles 1153, 1154 et 1154-1 du Code civil,

- 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers frais et dépens avec distraction au profit de Me Z conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

La société défenderesse a conclu au débouté et à la condamnation du demandeur à lui payer la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par jugement du 22 septembre 2017, le tribunal d'instance de Tourcoing a débouté M. X de l'ensemble de ses demandes, l'a condamné aux dépens et a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.

M. X a interjeté appel de ce jugement.

Par dernières conclusions notifiées le 11 décembre 2018, il demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau, sur le fondement principal de l'article 1371 du Code civil et sur celui, subsidiaire, de l'article 1382 du même Code, de condamner la société Y à lui verser la somme de 9 500 euros correspondant au montant des gains promis, outre les intérêts au taux légal depuis le 10 février 2016, date de l'envoi de la lettre de mise en demeure et ce avec capitalisation, le tout conformément aux articles 1153, 1154 et 1154-1 du Code civil, puis des intérêts au taux légal majoré de cinq points à compter du 10 avril 2016 ; de la condamner en outre aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Z, et à lui payer la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par dernières conclusions notifiées le 14 janvier 2019, la société Y demande à la cour de confirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et statuant à nouveau, de condamner M. X à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens d'appel.

Pour l'exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

SUR CE, MOTIFS :

Sur l'action en responsabilité fondée sur les dispositions de l'article 1371 du Code civil

Selon l'article 1371 du Code civil dans sa rédaction applicable à l'espèce, les quasi-contrats sont les faits purement volontaires de l'homme dont il résulte un engagement quelconque envers un tiers.

En application de ce texte, l'organisateur d'une loterie qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l'existence d'un aléa s'oblige, par ce fait purement volontaire, à le délivrer.

L'existence de l'aléa affectant l'attribution du prix doit être mise en évidence à première lecture par une personne normalement diligente, attentive et prudente, et cela dès l'annonce du gain. Cette exigence ne cède pas lorsque le destinataire est une personne avisée comme en l'espèce, M. X exerçant la profession d'avocat.

Celui-ci se prévaut de ces principes pour deux opérations de loterie qui lui ont été proposées par la société Y.

Sur l'opération intitulée " Bonus de 550 € par mois pendant un an "

Il résulte des éléments au dossier que M. X a reçu de la société Y une "notification officielle de gain" dans une grande enveloppe sur laquelle se trouve inscrite sous cette notification, en caractères majuscules blancs de taille normale sur un fond rouge : " Conformément au règlement, pour autant que votre numéro ait été désigné gagnant du premier prix, nous pourrons alors vous annoncer : Cette mention est suivie d'une autre, en très gros caractères de couleur noire et rouge : Félicitations, M. X, vous avez gagné 6 600 € soit un chèque de 550 € par mois pendant un an. "

Si la mention " Conformément au règlement, pour autant que votre numéro ait été désigné gagnant du premier prix, nous pourrons alors vous annoncer : est inscrite en caractères nettement plus petits que la mention d'accroche Félicitations, M. X, vous avez gagné 6 600 € soit un chèque de 550 € par mois pendant un an ", elle est néanmoins parfaitement lisible compte tenu de la taille des caractères et du fond rouge dans lequel elle se détache. Elle fait clairement ressortir l'existence d'un aléa en posant une condition (pour autant que votre numéro ait été désigné gagnant du premier prix) et en employant le futur (nous pourrons alors vous annoncer :).

Le courrier contenu dans cette enveloppe, intitulé " notification officielle de gain ", est établi à l'attention de "Monsieur X", concernant un " Grand Tirage " "un chèque de 550 euros par mois ou 6 600 euros comptant", présentant le "communiqué important" suivant, après la formule d'accroche " Gagnant certifié " en gros caractères de couleur bleue : "Félicitations, Monsieur X, suite au tirage au sort effectué sous le contrôle de Maître M. le 8 janvier 2014, votre numéro 407 989 a été désigné gagnant*."

Suit la même mention que celle portée sur l'enveloppe, en lettres blanches sur fond rouge : " Conformément au règlement, pour autant que votre numéro ait été désigné gagnant du premier prix, nous pourrons alors vous annoncer : ", suivie de la mention en très gros caractères noirs : " M. X, vous allez recevoir 6 600 € soit un chèque de 550 € par mois pendant un an ".

Comme sur l'enveloppe, si la mention " conformément au règlement, pour autant que votre numéro ait été désigné gagnant du premier prix " est inscrite en caractères nettement plus petits que la mention d'accroche " M. X, vous allez recevoir 6 600 € soit un chèque de 550 € par mois pendant un an ", elle est néanmoins parfaitement lisible au regard de la taille des caractères et du fond rouge dans lequel elle se détache. Or, le courrier n'annonce pas à M. X qu'il est gagnant du premier prix, mais que son numéro a été désigné gagnant, cette annonce étant immédiatement suivie de la mention sur fond rouge lui rappelant l'existence de l'aléa déjà indiqué sur l'enveloppe.

Aussi, à première lecture attentive de l'enveloppe et du courrier le contenant, M. X a eu connaissance de l'existence d'un aléa : il ne recevra la somme annoncée de 6 600 € que s'il est désigné gagnant du premier prix, et de ce qu'il n'était pas attributaire du premier prix.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté M. X de sa demande formée au titre de cette première annonce.

Sur l'opération de loterie intitulée "2 900 euros Cash "

La même analyse que précédemment doit être effectuée concernant cette seconde annonce de gain.

En effet, la grande enveloppe reçue par M. X qui lui annonce, après les mentions d'accroche : "Grand tirage " 2 900 euros Cash " - " Confirmation de gain " - " ouvrez vite pour réclamer le prix qui vous revient ", qu'il va recevoir la somme de 2 900 € selon son choix, par chèque ou en espèces, est précédée de la mention, en caractères plus discrets mais néanmoins lisibles à première lecture normalement diligente, compte tenu de sa position en première ligne de l'encadré blanc sur fond rouge dans lequel l'annonce est faite : "Conformément au règlement, si votre numéro a été désigné gagnant du premier prix, nous pourrons alors déclarer : ".

Comme pour l'annonce précédente, cette mention exprime clairement l'existence d'un aléa en posant une condition (si votre numéro a été désigné gagnant du premier prix) et en employant le futur (nous pourrons alors déclarer :). Or, le courrier contenu dans l'enveloppe, intitulé " grand tirage 2 900 Euros Cash " - " procédure de remise de gain ", annonce à M. X que son numéro personnel 290 238 a été désigné gagnant lors du tirage du 6 janvier 2015 ; il ne lui annonce pas que son numéro est gagnant du premier prix.

Par ailleurs, comme le souligne le premier juge, la seconde partie de l'écrit ne fait pas mention du nom de M. X et commence d'emblée par le rappel de la mention : " message important concernant les modalités de versement en cas de gain du premier prix, conformément au règlement ".

Nul par ailleurs dans l'écrit il n'est précisé que M. X est gagnant du premier prix, et la mention relative à l'existence de l'aléa est reprise de manière explicite et lisible entre les deux accroches : " M. X, c'est certain vous avez gagné " et " 2 900 € par chèque ou en espèces ", dans les termes suivants : " Le tirage au sort a eu lieu le 6 janvier sous le contrôle de Maître A, huissier de justice à Tourcoing. Conformément au règlement, en cas de gain du premier prix, nous allons donc pouvoir vous remettre aussi cette somme exceptionnelle selon votre choix pour le mode de paiement : "

Le jugement entrepris sera donc également confirmé en ce qu'il a débouté M. X de ses demandes relatives à cette seconde annonce publicitaire.

Sur l'action en responsabilité fondée sur les dispositions de l'article 1382 du Code civil

Aux termes de l'article 1382 du Code civil dans sa rédaction applicable à l'espèce, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.

M. X fonde son action en responsabilité délictuelle sur le fait d'avoir été victime d'une publicité trompeuse constitutive d'une pratique commerciale déloyale de la part de la société Y, celle-ci lui ayant fait croire qu'il avait gagné un lot alors que le tirage qui avait précédé les annonces litigieuses ne l'avaient pas désigné comme le véritable gagnant. Il soutient que la privation du gain omis et la frustration née de sa fausse espérance constituent un préjudice qui doit être indemnisé.

Toutefois, comme l'a relevé le premier juge, il est patent, à la lecture des annonces litigieuses, que les loteries en cause consistent en des opérations de loterie avec pré-tirage, lesquelles ne sont pas prohibées.

Il appartient à M. X de faire la démonstration de la faute qu'il invoque, à savoir une pratique commerciale déloyale et trompeuse de la société Y.

De telles pratiques sont régies par les dispositions de l'article L. 120-1 du Code de la consommation, applicable au litige, aux termes desquelles :

" Les pratiques déloyales sont interdites. Une pratique commerciale est déloyale lorsqu'elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu'elle altère, ou est susceptible d'altérer de manière substantielle, le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé à l'égard d'un bien ou d'un service.

Le comportement déloyal d'une pratique commerciale visant une catégorie particulière de consommateurs ou un groupe de consommateurs vulnérables en raison d'une infirmité mentale ou physique, de leur âge ou de leur crédulité s'apprécie au regard de la capacité moyenne de discernement de la catégorie ou du groupe.

Il constitue, en particulier, des pratiques commerciales déloyales les pratiques commerciales trompeuses définies aux articles L. 121-1 et L. 121-1-1 et les pratiques commerciales agressives définies aux articles L. 122-11 et L. 122-11-1. "

Or, M. X n'opère aucune démonstration du caractère déloyal des pratiques en cause au regard de ces dispositions légales spéciales, qu'il n'invoque d'ailleurs même pas.

Dès lors qu'il a été précédemment jugé qu'à première lecture des annonces litigieuses il avait été informé de l'existence d'un aléa affectant l'attribution du prix annoncé, il ne peut être admis qu'il ait été trompé par les annonces en cause.

Il sera par conséquent également débouté de son action en responsabilité fondée sur les dispositions de l'article 1382 du Code civil, le jugement entrepris étant confirmé de ce chef.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile

Partie perdante en première instance et en appel, M. X sera condamné aux dépens de première instance et d'appel, le jugement déféré étant confirmé de ce chef ; il sera débouté de sa demande formée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et condamné à payer sur ce fondement à la société Y la somme de 1 500 euros pour chacune des deux instances, la décision entreprise étant infirmée de ce chef.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile, Statuant à nouveau, Condamne M. Thibault X à payer à la société Y la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Y ajoutant, Condamne M. X aux dépens d'appel, Le déboute de sa demande formée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Le condamne à payer sur ce fondement à la société Y la somme de 1 500 euros.