Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 6 décembre 2019, n° 17-21903

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

U Pc Promotion Bleu Bonheur (Sté) ; Senior Et Compagnie (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bel

Conseillers :

Mmes Cochet-Marcade, Moreau

TGI Bobigny, du 7 nov. 2017

7 novembre 2017

Faits et procédure :

Mme Hanna M. est une cliente de la société Senior et compagnie, exerçant sous l'enseigne " UPC Promotion Bleu Bonheur " (ci-après, la société Senior et compagnie), société de vente par correspondance de vêtements féminins qui organise régulièrement des opérations publicitaires ou promotionnelles pour prospecter et/ou fidéliser sa clientèle. Dans ce contexte, Mme Hanna M. a été destinataire de publipostages de la part de la société Senior et compagnie.

Mme Hanna M., estimant, à la suite de ces envois, qu'elle avait gagné trois lots de montants respectifs de 4 500 euros, 5 000 euros et 4 920 euros, soit un montant total de 14 420 euros, a fait assigner la société Senior et compagnie devant le tribunal de grande instance de Bobigny, par acte du 21 mai 2015, pour obtenir, à titre principal, le paiement de cette somme majorée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation sur le fondement de l'article 1371 du Code civil, et à titre subsidiaire, d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, en réparation de ses préjudices moral et matériel.

La société Senior et compagnie a soulevé l'irrecevabilité des demandes de Mme M. en raison du non-achèvement des opérations au jour de l'introduction de l'action en justice et a conclu au débouté des demandes et subsidiairement, au titre de la demande subsidiaire, à la réduction du préjudice prétendument subi à l'euro symbolique.

Par jugement du 7 novembre 2017, le tribunal de grande instance de Bobigny a :

-Débouté la société Senior et compagnie de sa fin de non-recevoir et déclaré Mme Hanna M. recevable en son action fondée sur l'article 1371 du Code civil,

- Dit que Mme Hanna M. est bien fondée en ses demandes,

- Condamné la société Senior et compagnie à payer à Mme Hanna M. :

- la somme de 4 500 euros assortie des intérêts de droit calculés au taux légal à compter de l'assignation valant sommation de payer,

- la somme de 5 000 euros, assortie des intérêts de droit calculés au taux légal à compter de l'assignation valant sommation de payer,

- la somme de 4 920 euros assortis des intérêts de droits calculés au taux légal à compter de l'assignation valant sommation de payer,

- la somme de 2 000 euros à titre d'indemnité de procédure sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

-Ordonné l'exécution provisoire,

-Condamné la société Senior et compagnie aux entiers dépens de l'instance,

- Débouté les parties du surplus de leurs prétentions.

Le tribunal a rejeté la fin de non-recevoir, soulevée par la société Senior et compagnie, tirée du défaut d'intérêt à agir en raison du non achèvement des opérations au jour de l'introduction de l'instance et du défaut de participation de Mme M. à celles-ci, dès lors qu'en matière de publipostage, tout destinataire d'un envoi indiquant qu'il est gagnant d'un lot peut légitimement introduire une action en justice aux fins de réclamer son lot quand bien même il n'a pas retourné son coupon-réponse au vendeur-organisateur de l'opération de loterie, et que Mme M., se croyant déjà gagnante des lots indiqués, n'entendait pas participer à ce qu'elle ignorait être une opération de loterie.

Au fond, il a jugé qu'un quasi- contrat était caractérisé entre les parties et que les lots étaient dus, les courriers adressés à Mme M. la présentant comme gagnante et ne contenant pas l'existence d'un aléa affectant l'attribution des prix clairement mis en évidence à première lecture dès l'annonce du gain, et a donc accueilli les demandes principale et accessoire de Mme M.

Par déclaration du 29 novembre 2017, la société Senior et compagnie, exerçant sous l'enseigne " UPC Promotion Bleu Bonheur " a interjeté appel de cette décision pour l'ensemble de ses dispositions.

Prétentions et moyens des parties :

Par dernières conclusions notifiées et déposées le 21 février 2018, la société Senior et compagnie demande à la cour de :

- La recevoir en son appel,

Vu les dispositions de l'article1371 du Code civil,

Vu les pièces versées aux débats,

Vu la jurisprudence de la Cour de cassation,

Vu les dispositions des articles 31 et 122 du Code de procédure civile,

Vu la Directive Européenne 2005/29/CE du 11 mai 2005,

Vu la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne,

Vu le principe de la liberté du commerce et de l'industrie,

Vu le principe fondamental de la liberté d'entreprise,

Vu les dispositions des articles du 1382 Code civil,

Vu les dispositions des articles L. 120-1, L. 121-1, L. 121-36, L. 121-37, L. 122-11 du Code de la consommation,

À titre principal,

- Réformer le jugement en ce qu'il a déclaré Mme M. recevable en sa demande,

- Déclarer Mme M. irrecevable en ses demandes tant à raison du non achèvement des opérations au jour de l'introduction de sa procédure qu'à raison de sa non-participation à celles-ci;

À titre subsidiaire,

- Réformer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à :

-la somme de 4 500 euros assortie des intérêts de droit calculés au taux légal à compter de l'assignation valant sommation de payer,

-la somme de 5 000 euros assortie des intérêts de droit calculés au taux légal à compter de l'assignation valant sommation de payer,

-la somme de 4 920 euros assortie des intérêts de droit calculés au taux légal à compter de l'assignation valant sommation de payer,

-la somme de 2 000 euros à titre d'indemnité de procédure sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

Et en ce qu'il a :

-ordonné l'exécution provisoire

- l'a condamnée aux entiers dépens de l'instance,

Ce faisant,

- Débouter Mme M. de toutes ses demandes, fins et conclusions en ce qui concerne :

- l'animation " 4 920 € à verser au gagnant ",

- l'animation " remise à la gagnante du chèque de 4 500 € ",

- l'animation " identification de la gagnante du chèque de 5 000 € ",

- ses demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, des dépens et de l'exécution provisoire,

- Condamner Mme M. au paiement de la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles qu'elle a dû exposer pour assurer sa défense tant en 1re instance qu'en cause d'appel ;

À titre infiniment subsidiaire,

Vu les dispositions de l'article 1382 du Code civil,

- Débouter Mme M. de toutes ses demandes en ce qui concerne :

- l'animation " 4 920 € à verser au gagnant ",

- l'animation " remise à la gagnante du chèque de 4 500 € ",

- l'animation " identification de la gagnante du chèque de 5 000 € ",

- ses demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, des dépens et de l'exécution provisoire ;

À titre infiniment subsidiaire,

Vu les dispositions de l'article 1382 du Code civil,

- Réduire à l'euro symbolique le préjudice subi par Mme M. ;

En tout état de cause,

- Condamner Mme M. au paiement de la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles qu'elle a dû exposer pour assurer sa défense tant en 1re instance qu'en cause d'appel.

Elle reprend les mêmes moyens que ceux développés en première instance.

Elle soulève ainsi l'irrecevabilité à agir, faute d'intérêt, de Mme M. qui ne lui a pas retourné son bon de participation à l'opération de loterie, présentée comme telle, la circonstance qu'elle soit ou ait pu se croire gagnante d'un lot ne la dispensant pas de cet envoi conformément aux règlements du jeu, et l'article L. 121-36 du Code de la consommation imposant l'envoi d'un bulletin de participation distinct de tout bon de commande de bien ou de service. Elle ajoute que les opérations de loterie n'étaient pas achevées au moment de l'introduction de l'instance.

A titre subsidiaire, sur les demandes principales de Mme M. fondées sur l'article 1371 du Code civil, elle soutient qu'un quasi-contrat ne peut être caractérisé qu'en cas d'engagement certain dans un document publicitaire, en l'absence de mention de caractère aléatoire du gain annoncé, la croyance par le destinataire aléatoire dans la réalité du gain et l'existence d'un préjudice, lesquelles conditions ne sont pas remplies. Elle considère à ce titre que les premiers juges se sont fondés à tort sur une " lecture rapide " des documents envoyés à Mme M., alors qu'une lecture de la totalité des documents par un consommateur moyennement attentif met en évidence l'aléa à première lecture. Elle ajoute que l'intimée ne démontre nullement en quoi les animations publicitaires l'auraient persuadée d'avoir gagné les sommes litigieuses, d'un montant total de 14 420 euros, étant relevé que Mme M. n'a pas sollicité son retrait du fichier client. Elle fait enfin valoir que le préjudice allégué par Mme M. n'est pas démontré, celle-ci se contentant de diffuser un commentaire général.

A titre infiniment subsidiaire, sur les demandes de Mme M. fondées sur l'article 1382 du Code civil et au titre des dispositions du Code de la consommation, elle relève que l'intimée échoue à caractériser une faute, un préjudice et un lien de causalité. Elle relève à ce titre que les infractions alléguées au Code de la consommation ne sont pas caractérisées et que Mme M., ne justifie d'aucun préjudice.

Par conclusions notifiées et déposées le 22 mars 2018, Mme M. demande à la cour, au visa des dispositions de l'ancien article 1371 du Code civil, devenu article 1300 du Code civil, des articles L. 120-1, L. 121-1, L. 121-36 et L. 121-37 et L. 122-11 du Code de la consommation, de l'ancien article 1382 du Code civil, devenu article 1240 du Code civil, de :

- Confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Bobigny en date du 7 novembre 2017,

En conséquence,

- Débouter la société Senior et compagnie de toutes ses demandes, fins et prétentions,

A titre principal, vu l'ancien article 1371, devenu article 1300 du Code civil,

- Constater que la société Senior et compagnie s'est unilatéralement engagée envers elle à lui verser les sommes de :

- 4 500 euros,

- 5 000 euros,

- 4 920 euros,

Soit un total de 14 420 euros ;

- Condamner en conséquence la société Senior et compagnie à lui verser la somme de 14 420 euros génératrice d'intérêts de droit au taux légal à compter de la date de la présente ;

A titre infiniment subsidiaire, vu l'ancien article 1382 du Code civil, devenu 1240 du Code civil,

- Condamner la société Senior et compagnie à lui verser la somme de 5 000 euros, génératrice d'intérêts de droit au taux légal à compter de la date de la présente, au titre de l'indemnisation de son préjudice moral et matériel,

- Condamner, en toute hypothèse, l'intimée à payer la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

A titre liminaire, elle fait valoir la recevabilité de ses demandes en application de l'article 1371 du Code civil et conformément aux motifs du jugement entrepris.

Au fond et à titre principal, elle soutient en substance que l'appelante s'est engagée à son égard sous forme de quasi-contrat, l'analyse de la terminologie et des formules choisies par ladite société dans les courriers que celle-ci lui a adressés convergeant toutes à établir la réalité des lots annoncés, de sorte qu'à première lecture du publipostage, elle a pu légitiment se croire gagnante des lots. Elle souligne que dans chacun des courriers annonçant le gain, aucun aléa affectant l'attribution du prix n'est clairement mis en évidence à première lecture, l'aléa à première lecture ne consistant pas à déchiffrer un extrait de règlement illisible.

A titre subsidiaire, elle fait valoir la responsabilité délictuelle de l'appelante. Elle soutient que celle-ci a commis une faute en raison de diverses violations du Code de la consommation, en contrefaisant des chèques et documents administratifs dans le but de troubler son discernement en sa qualité de consommateur, en faisant apparaître " bon de commande " et " bon de participation " sur le même feuillet et en la présentant comme la grande gagnante, laquelle méthode est déloyale au sens des articles L. 120-1 et L. 121-1 du Code de la consommation, enfin en lui adressant un nombre impressionnant de documents alors qu'elle est une personne isolée, lequel procédé est constitutif de harcèlement au sens des dispositions de l'article L. 122-1 dudit Code. Elle invoque un préjudice moral de déception de 5 000 euros.

MOTIFS

Sur la fin de non-recevoir :

Selon l'article 122 du Code de procédure civile, " Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut du droit d'agir tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ".

Selon l'article 1371 du Code civil dans sa version applicable aux faits,

Les quasi-contrats sont les faits purement volontaires de l'homme, dont il résulte un engagement quelconque envers un tiers, et quelquefois un engagement réciproque des deux parties.

Il résulte de ces dispositions que l'organisateur d'une loterie publicitaire qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence à première lecture l'existence d'un aléa s'oblige, par ce fait purement volontaire, à le délivrer.

L'organisateur est alors tenu à délivrance du gain annoncé, sans pouvoir la subordonner au renvoi par le destinataire du bon de participation.

La société Senior et compagnie soulève vainement la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de Mme M. en raison du défaut de participation de celle-ci aux loteries litigieuses faute d'envoi d'un bon de participation tel que requis par les règlements joints aux courriers adressés à l'appelante et conformément à l'article L. 121-36 du Code de la consommation dans sa version applicable lors de la création des animations " identification de la gagnante du chèque de 5.000 euros " et " remise à la gagnante du chèque de 4 500 euros ", et du non achèvement des opérations de loteries litigieuses au jour de l'introduction de l'instance. En effet, Mme M. se croyant déjà gagnante des lots indiqués n'était pas tenue de participer à ce qu'elle indique ignorer être des opérations de loterie non achevées et a donc intérêt à solliciter le bénéfice des gains qu'elle considère lui être acquis au vu des courriers dont elle a été destinataire.

Le jugement est donc confirmé en ce qu'il a débouté la société Senior et compagnie de sa fin de non-recevoir.

Sur le bien fondé des demandes :

Sur le gain de 5 000 euros correspondant à une opération de loterie se déroulant du 2 décembre 2013 au 30 novembre 2014 :

Mme M. a reçu un premier courrier l'informant qu'elle a été désignée gagnante à l'opération " Identification de la gagnante du chèque de 5 000€ " (surligné en jaune) ", " qu'il n'y a aucun doute possible : Oui Mme M., vous êtes bien gagnante confirmée (surligné en jaune)![renvoi étant fait à la mention écrite en petits caractères mais lisibles " chèque bancaire ou chèque achat de cinq euros selon le règlement "], précisant " Important, les gains pour la gagnante du 1er prix sont 100 % exonérés d'impôts (surligné en jaune) . Selon la législation française en vigueur, les 5 000 € gagnés ne seront pas soumis à l'impôt sur le revenu ! " et l'invitant, pour recevoir le chèque qu'elle a gagné [renvoi étant fait à la mention " chèque bancaire ou chèque achat de cinq euros], selon les termes du règlement, qu'il s'agisse d'un chèque bancaire ou d'un chèque d'achat de cinq euros, d'adresser sa vignette d'identification de cliente gagnante. Ce courrier contient un coupon réponse " Demande d'envoi de chèque. Bon de participation au jeu gratuit et sans obligation d'achat N°H13/011 validité jusqu'au 30/11/14 " " Identification de la gagnante du chèque de 5 000 € " suivi d'une case à cocher " Oui, j'ai franchi toutes les étapes de la procédure d'identification de la gagnante : je souhaite recevoir mon chèque [renvoi étant fait à la mention " chèque bancaire ou chèque achat de cinq euros selon le règlement "]. J'ai lu le règlement ".

Sont joints à cet envoi un " Communiqué officiel " indiquant " La procédure de l'opération " Identification de la gagnante du chèque de 5 000€ " est terminée et elle vous concerne " surplombant un encadré " Garantie de paiement. Somme : 5 000€ ". Tirage gratuit sans obligation " d'achat sous contrôle d'huissier " et de l'encadré " Attente réponse de la grande gagnante ". Au verso de ce " Communiqué officiel ", figure le " Règlement pour le jeu Senior & Cie S.A.S.U " Identification de la gagnante du chèque de 5 000€ "- Jeu N° H13/011 ", dont les termes sont lisibles, et dont l'article 1 précise que la société Senior& Cie organise une opération jeu " Identification de la gagnante du chèque de 5 000€ de type pré-tirage gratuit et sans obligation d'achat du 02/12/2013 au 30/11/2014 ", laquelle opération est ouverte à toute personne ayant reçu le document et participé à ladite opération.

Cet envoi contient également un document intitulé " Procédure officielle d'identification de gagnante " sur lequel figurent deux encadrés " montant du 1er prix à verser 5 000 euros " (de couleur rouge) et " Pour des raisons de sécurité, le chèque bancaire du 1er prix à verser : 5 000€ sera expédié ", suivi de l' " extrait de liste ", dans laquelle Mme M. est mentionnée comme étant l'unique gagnante à l'adresse indiquée, son nom étant précédée du tampon de couleur rouge " gagnante confirmée sous contrôle d'huissier " suivie de la mention " Nous sommes en attente de la vignette ci-contre à apposer sur la demande d'envoi de chèque figurant au-dessus de votre bon de commande, pour l'envoi de votre chèque [renvoi étant fait à la mention 'chèque bancaire de 5 000€ ou chèque achat de cinq euros] après l'avoir datée et signée! ", document au recto duquel figure la mention suivante " Oui Mme M., c'est officiel vous avez bien gagné![renvoi étant fait à la mention " Voir règlement joint. Chèque bancaire de 5 000€ ou chèque achat de cinq euros] et contenant la liste du nom des gagnantes, parmi lesquelles figure Mme M., dont le gain est confirmé et dont le statut mentionne " en attente réponse ".

Contrairement à ce qu'ont jugé les premiers juges et quand bien même l'annonce d'un chèque de 5 000 euros est mise en évidence dans les documents adressés à Mme M., ainsi qu'elle le fait valoir, chacun de ces documents contient à première lecture un aléa sur le gain annoncé, dès lors qu'il est indiqué qu'il s'agit de la participation à une loterie dont le premier lot est un chèque de 5 000 euros et qu'il est mentionné à plusieurs reprises, y compris dans le corps du texte des documents reçus et en particulier au titre du chèque que Mme M. doit recevoir, que le gain peut être un chèque bancaire de 5 000 € ou un chèque achat de cinq euros et que Mme M. est clairement invitée à renvoyer son " Bon de participation au jeu gratuit et sans obligation d'achat N° H13/011 validité jusqu'au 30/11/14 " et à prendre connaissance du règlement, Mme M. étant ainsi en mesure de comprendre la distinction à faire entre le gain d'un chèque qui lui est annoncé et le 1er prix mis en jeu de 5 000 €, dont l'octroi résulte d'une opération de loterie à laquelle elle est invitée à participer par l'envoi de son bon de participation.

Au vu de ces éléments, Mme M. n'a pu légitimement se croire destinataire d'un chèque de 5 000 euros.

Sur le gain de 4 500 euros correspondant à une opération de loterie se déroulant du 23 décembre 2014 au 20 décembre 2015 :

Le courrier adressé à Mme M. l'informe que les résultats sont officiels et définitifs, qu'elle a été désignée gagnante à l'opération " Remise à la gagnante du chèque de 4 500€ " (surligné en jaune), qu'elle a franchi toutes les étapes de la procédure d'identification de gagnante, suivie de la mention " Oui Madame M. Vous êtes bien gagnante confirmée d'un chèque ! " [ renvoi étant fait à la mention en petits caractères mais lisibles " chèque bancaire ou chèque achat de cinq euros "], le courrier précisant " Pour recevoir le chèque que vous avez gagné, qu'il s'agisse d'un chèque bancaire ou d'un chèque achat de cinq euros : il est important de nous répondre de toute urgence! ", Mme M. étant invitée à renvoyer sa demande d'envoi de chèque renvoi étant fait à la mention en petits caractères mais lisibles " chèque bancaire ou chèque achat de cinq euros "], située en haut de son bon de commande. Il lui est rappelé en post-scriptum " Mme M., si vous ne souhaitiez pas recevoir le chèque [renvoi étant fait à la mention " chèque bancaire ou chèque achat de cinq euros "] que vous avez gagné !: merci de barrer, signer et nous renvoyer la " Demande d'envoi du chèque " afin d'en faire profiter une autre cliente ".

Ce document est accompagné d'un " Communiqué officiel " selon lequel " La procédure de l'opération " Remise à la gagnante du chèque de 4 500€ " est terminée et vous concerne ", sur lequel figure un tampon " gagnante confirmée (de couleur rouge) " renvoi étant fait à la mention en petits caractères lisibles " Voir règlement joint. chèque bancaire ou chèque achat de cinq euros ", indiquant " Oui Madame M., c'est officiel : " vous avez bien gagné ! " surligné en jaune, [renvoi étant fait à la mention en petits caractères lisibles " chèque bancaire ou chèque achat de cinq euros "]. Nous attendons votre réponse de toute urgence, Mme M. étant invitée à adresser la vignette d'identification de cliente gagnante " Pour recevoir votre chèque ", [renvoi étant fait à deux reprises à la mention " chèque bancaire ou chèque achat de cinq euros "], ce document étant suivi d'un chèque à détacher de 4 500€' à l'ordre de " l'unique gagnante désignée "[renvoi étant fait à la mention " tirage gratuit sans obligation d'achat "].

La " demande d'envoi de chèque " à renvoyer contient la mention suivante " Bon de participation à l'opération suivante : " Remise à la gagnante du chèque de 4 500€ ", Mme M. étant invitée à cocher la case suivante : " Oui, j'ai franchi toutes les étapes de la procédure d'identification de la gagnante : je souhaite recevoir mon chèque [ renvoi étant fait à la mention "chèque bancaire ou chèque achat de cinq euros "]. J'ai lu le règlement ", lequel est joint au courrier, écrit en caractères lisibles, et précise qu'il s'agit d'une opération jeu " Remise à la gagnante du chèque de 4 500€ " de type pré-tirage, gratuite et sans obligation d'achat du 23/12/2014 au 20/12/2015, ouverte à toute personne ayant reçu un document et renvoyant leur bon de participation, et comprenant comme premier prix un chèque de 4.500€ et comme prix suivants un chèque achat de 5 euros.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, une première lecture des documents remis à Mme M. établit que l'organisateur, tout en annonçant à Mme M. un gain, a mis en évidence l'aléa entourant celui-ci, précisant à plusieurs reprises qu'il s'agit d'un chèque de 4 500€ ou d'un bon d'achat de 5 euros, et invitant Mme M. à prendre connaissance du règlement et à renvoyer sa demande d'envoi de chèque valant bon de participation à l'opération de loterie concernant ces lots. Quand bien même l'annonce faite à Mme M. affirme qu'elle est gagnante, il n'est nullement indiqué que celle-ci est la gagnante du chèque de 4 500€, dès lors qu'il est précisé à diverses reprises qu'il s'agit d'un chèque bancaire ou chèque achat de cinq euros et qu'il est indiqué dans le chèque joint au courrier qu'il s'agit d'une opération de loterie. L'annonce du gain étant assorti d'un aléa mis en évidence à première lecture dans chacun des documents adressés, Mme M. n'a ainsi pu se croire légitimement gagnante de la somme de 4 500€ nonobstant la personnalisation des formules du courrier.

Sur la rente de 4 920 euros relative à une opération de loterie du 03/04/2015 au 03/04/2016 :

Mme M. a reçu un courrier intitulé " Notification de paiement de la rente mensuelle ", suivie de la mention, en plus petits caractères mais lisible " C'est bien ce message que nous pourrions avoir le plaisir de vous envoyer si vous être notre grande bénéficiaire désignée après tirage au sort, selon le règlement, de ce prix exceptionnel " [Renvoi étant fait à la mention " voir règlement ci-joint "], concernant le " paiement de la rente de 410€ par mois pendant 12 mois ", informant Mme M. que son numéro de dossier client est " gagnant " cette mention étant suivie de " Madame M., c'est bien vous et vous seule qui allez recevoir 410€ " par mois à partir du mois de mai (surligné en jaune)!, " Mme M. étant à ce titre félicitée par la direction, puis suit l'encadré " Important! Cependant, et à ce stade, nous attendons absolument par retour de courrier : - votre demande personnelle des 12 paiements mensuels de 410 € ci-jointe, -votre attestation ci-dessous nous confirmant vos dates préférées, le cas échéant, pour les 12 paiements de 410€ ".

Figure en bas de ce courrier une attestation à détacher et renvoyer intitulée " Attestation de choix des dates de paiement " aux termes de laquelle Mme M. " déclare vouloir recevoir, le cas échéant, mes 12 chèques de 410€ mensuels à mon domicile par courrier recommandé " et est invitée à opter pour la date de versements de ses 12 chèques de 410€ mensuels à son domicile par courrier recommandé, attestation aux côtés de laquelle il est mentionné en plus petits caractères mais lisibles " Veuillez nous retourner cette attestation, dûment complétée avec votre demande personnelle des 12 paiements mensuels de 410€ valant bon de participation ".

Ce courrier contient également un document intitulé " Notification importante concernant la rente mensuelle ", invitant Mme M. à remettre sa demande des 12 paiements mensuels, de préférence dans les 10 jours, celle-ci étant informée que son numéro de dossier client a été sélectionné, suivi de la mention " Avouez qu'il s'agit d'une grande nouvelle, n'est ce pas " D'autant plus, que grande gagnante confirmée du tirage, le cas échéant, je pourrais en plus avoir le plaisir de vous annoncer : Félicitation Madame M., c'est bien vous qui allez toucher la rente mensuelle de 410€ " par mois! " (surligné en jaune), l'invitant à retourner sa demande personnelle des 12 paiements mensuels de 410€[renvoi étant fait à la mention en petits caractères mais lisibles " Valant bon de participation. Voir règlement joint], ainsi que l'attestation de choix de ses dates de paiement par retour de courrier, en lui rappelant " Et surtout, souvenez vous que, le cas échéant et conformément au règlement joint, " Mme M., sans réponse de votre part, vous ne recevriez jamais les 12 chèques de 410€ ". Ce document se termine par " P.S Important- Pour des raisons de sécurité, retournez votre demande personnelle des 12 paiements de 410€ dans l'enveloppe réponse que je vous ai jointe. Elle me sera transmise dès réception ! ".

Au titre de la " Demande personnelle des 12 paiements mensuels de 410€ ", Mme M. est invitée à cocher les cases suivantes : " Je soussignée, Mme M. connaissance prise du règlement que j'accepte, déclare vouloir recevoir, le cas échéant, les 12 chèques de 410€ par mois à domicile (adresse ci-dessus) à la date de mon choix " ; " Je joins mon attestation de choix des dates de paiement que je souhaiterais, le cas échéant, dûment complétée et signée ", ces cases étant suivies des mentions " Garantie financière : chacun des 12 chèques sera encaissable immédiatement, dès réception par notre gagnante confirmée " (surligné en vert) puis en plus petits caractères mais lisibles " Document de réclamation officielle valant pour bon de participation distinct " 4 920€ à verser au gagnant' Jeu N° E15/010 Gratuit sans obligation d'achat. Validité : 03/04/2016 ".

Est également joint à ce courrier un document intitulé " Notification importante concernant la rente mensuelle ", concernant le " Paiement de la rente de 410€ par mois pendant 12 mois " [ renvoi étant fait au règlement intérieur] et contenant " votre demande personnelle des 12 paiements mensuels de 410€ valant bon de participation à signer et à nous retourner par retour du courrier ", au recto duquel figure le " Règlement pour le jeu Senior& compagnie S.A.S.U " 4920€ à verser au gagnant "-Jeu N° E15/010 ", écrit en caractères lisibles, dont l'article 1 précise que la société Senior & compagnie organise une opération de jeu intitulée " 4 920€ à verser au gagnant de type post-tirage, gratuite et sans obligation d'achat du 03/04/2015 au 03/04/2016 " et dont l'article 3 invite les destinataires ayant reçu un document à retourner le bon de participation.

Il résulte de ces éléments que s'il est d'emblée annoncé à Mme M. " C'est bien vous qui allez toucher la rente mensuelle de 410 € par mois ! ", cette phrase étant mise en évidence par un encadré de couleur jaune, cette annonce de gain est cependant assortie d'un aléa dès lors qu'elle est précédée de la phrase au conditionnel " Avouez qu'il s'agit d'une grande nouvelle, n'est ce pas " D'autant plus, que grande gagnante confirmée du tirage, le cas échéant, je pourrais en plus avoir le plaisir de vous annoncer ". De même, " La notification de paiement de la rente mensuelle " est aussitôt suivie de la mention, " C'est bien ce message que nous pourrions avoir le plaisir de vous envoyer si vous êtes notre grande bénéficiaire désignée après tirage au selon le règlement, de ce prix exceptionnel " et précède la mention " Madame M., c'est bien vous et vous seule qui allez recevoir 410 € par mois à partir du mois de mai ! (surligné en jaune) ". Même si le courrier invite Mme M. à opter pour un échéancier des versements, celle-ci est à diverses reprises invitée à renvoyer l'attestation de choix des dates de paiement valant " bon de participation " et à prendre connaissance du règlement joint au courrier, et dont le termes lisibles précisent qu'il s'agit d'une loterie nécessitant, pour y participer, le renvoi du document. Un consommateur normalement averti est donc en mesure de comprendre, à première lecture, qu'il s'agit d'un jeu soumis à participation.

Il résulte de ces constatations que dès la première lecture de ces documents, Mme M. est en mesure de comprendre qu'il s'agit d'un jeu soumis à aléa, les formulations personnalisées et affirmatives étant rapidement pondérées et corrigées par les mentions sus-visées mettant en évidence l'aléa du jeu dont le prix est la rente annoncée et auquel Mme M. est invitée à participer.

L'appelante n'a donc pu légitimement se croire gagnante du lot annoncé.

Le jugement entrepris est donc infirmé.

Sur la responsabilité délictuelle de la société Senior et compagnie

L'engagement de la responsabilité délictuelle suppose, en application des dispositions de l'article 1382 du Code civil applicable aux faits de l'espèce, la démonstration d'une faute, d'un lien de causalité et d'un préjudice.

Sur la faute :

- Sur les pratiques commerciales trompeuses :

Selon l'article L. 120-1 du Code de la consommation, dans sa version applicable aux faits, " Les pratiques commerciales déloyales sont interdites. Une pratique commerciale est déloyale lorsqu'elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu'elle altère, ou est susceptible d'altérer de manière substantielle, le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service (...) ".

L'article L. 121-1 du Code de la consommation, dans sa version applicable aux faits, énonce que " Une pratique commerciale est trompeuse si elle est commis dans l'une des circonstances suivantes : (...)

2° Lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l'un ou plusieurs des éléments suivants : (...)

a) l'existence, la disponibilité ou la nature du bien ou du service (...) ".

Mme M. soutient, sans le démontrer, que les assertions la présentant comme grande gagnante, ajoutées à des documents contrefaisant des chèques ou des documents administratifs ont pour but de troubler son discernement en sa qualité de consommateur, ce d'autant plus qu'elle est fragile et isolée, et constituent une pratique commerciale déloyale.

Outre le fait que la contrefaçon de chèques ou de documents administratifs n'est pas démontrée, il résulte des développements ci-avant que les assertions présentant Mme M. comme gagnante des lots sont aussitôt pondérées de mentions mettant en évidence l'aléa affectant l'attribution des lots, de sorte que Mme M., en sa qualité de consommateur normalement informé, raisonnablement attentif et avisé, n'a pu être induite en erreur quant à la disponibilité de ces lots et que son comportement économique n'a pas été altéré ni susceptible d'être altéré, Mme M. ne démontrant pas avoir passé de commandes à la suite de l'envoi de ces courriers.

La demande formée à ce titre est rejetée.

-Sur la distinction du bon de participation du bon de commande :

Selon l'article L. 121-7 du Code de la consommation dans sa version applicable entre le 17 mars 2014 et le 20 décembre 2014, " Lorsque les opérations mentionnées à l'article L. 121-36 sont réalisées par voie d'écrit et donnent lieu à un tirage au sort, quelles qu'en soient les modalités, le bulletin de participation à ces opérations doit être distinct de tout bon de commande de bien ou de service (...) ".

Au titre de la seule opération de loterie relative au gain de 5 000 euros et correspondant à une opération de loterie se déroulant du 2 décembre 2013 au 30 novembre 2014, à laquelle ces dispositions sont applicables, le courrier adressé à Mme M. distingue, par des pointillés et une illustration de ciseaux, la " demande d'envoi de chèque " valant bon de participation au jeu gratuit et sans obligation d'achat, du " bon de commande ", de sorte que ce courrier est conforme au texte susvisé.

- Sur les pratiques commerciales agressives :

L'article L. 122-11 du même Code, dans sa version applicable aux faits, dispose que " Une pratique

commerciale est agressive lorsque du fait de sollicitations répétées et insistantes ou de l'usage d'une contrainte physique ou morale, et compte tenu des circonstances qui l'entourent

1° Elle altère ou est de nature à altérer de manière significative la liberté de choix d'un consommateur ;

2° Elle vicie ou est de nature à vicier le consentement d'un consommateur ;

3° Elle entrave l'exercice des droits contractuels d'un consommateur.

II- Afin de déterminer si une pratique commerciale recourt au harcèlement, à la contrainte, y compris la force physique, ou à une influence injustifiée, les éléments suivants sont pris en considération :

1° Le moment et l'endroit où la pratique est mise en œuvre, sa nature et sa persistance ;

2° Le recours à la menace physique ou verbale ;

3° L'exploitation, en connaissance de cause, par le professionnel, de tout malheur ou circonstance particulière d'une gravité propre à altérer le jugement du consommateur, dans le but d'influencer le consommateur à l'égard du produit ;

4 ° Tout obstacle non contractuel important ou disproportion imposé par le professionnel lorsque le consommateur souhaite faire valoir ses droits contractuels, et notamment celui de mettre fin au contrat ou de changer de produit ou de fournisseur ;

5° Toute menace d'action publique alors que cette action n'est pas légalement possible ".

Le seul nombre de courriers adressés à Mme M., personne âgée, ne suffit pas à caractériser une pratique commerciale agressive à son égard. En outre, Mme M. ne justifie pas avoir passé de commandes à la suite de l envoi de ces courriers.

L'appelante échoue donc à caractériser la faute de la société Senior et compagnie.

Sur le préjudice :

Au surplus, Mme M. n'établit pas davantage le préjudice de déception qu'elle allègue, dès lors qu'elle n'a renvoyé aucun des trois bons de participation aux jeux et n'a adressé aucune mise en demeure à l'intimée avant l'assignation en justice. En restant inactive à la réception des divers courriers, Madame M. ne prouve pas qu'elle a réellement cru aux gains annoncés et ne peut donc sérieusement soutenir qu'elle a subi un préjudice né d'une déception à la suite d'une fausse espérance entretenue par l'organisatrice des jeux.

Mme M. échouant ainsi à établir l'engagement de la responsabilité délictuelle de la société Senior et compagnie, est déboutée de sa demande indemnitaire à ce titre.

Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile :

Les dispositions du jugement entrepris, relatives aux dépens et à l'article 700 du Code de procédure civile sont infirmées.

Mme M. échouant en ses prétentions sera condamnée aux dépens exposés en première instance et en cause d'appel. L'équité commande de ne pas condamner Mme M. au paiement de frais irrépétibles.

Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement rendu le 7 novembre 2017 par le tribunal de grande instance de Bobigny en ses dispositions critiquées par les parties sauf en ce qu'il a débouté la société Senior et compagnie de sa fin de non-recevoir et déclaré Mme Hanna M. recevable en son action,