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Décisions

CA Toulouse, 3e ch., 3 décembre 2019, n° 17-02727

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Décathlon France (SAS)

Défendeur :

Organisme CPAM

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Beneix-Bacher

Conseillers :

MM. Beauclair, Blanque-Jean

TGI Toulouse, du 18 avr. 2017

18 avril 2017

Madame Gisèle E. épouse D. expose qu'elle a acquis le 8 septembre 2012, peu avant la fermeture de l'établissement, auprès du magasin Décathlon d'Escalquens un vélo destiné à une activité d'agrément, au prix de 242,90 euros, qu'elle l'a utilisé pour regagner son domicile vers 19h30 et a chuté lourdement au sol sur une piste cyclable, se blessant sérieusement au niveau du coude et du nez, tous deux fracturés. Soutenant que cette perte d'équilibre est liée à un défaut de serrage de la potence du cycle qui aurait été reconnu par la société Décathlon lors du retour de celui-ci dans son atelier le 10 septembre 2012 et pour lequel elle est intervenue à titre gracieux, Madame Gisèle E. épouse D. a, par actes d'huissier en date des 24 et 28 avril 2015 assigné la SAS Décathlon France et la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Haute-Garonne aux fins de voir, au visa des articles L. 211-4 et suivants du Code de la consommation et sous le bénéfice de l'exécution provisoire :

- déclarer la société Décathlon France responsable des préjudices matériel et corporel qu'elle a supportés à la suite de sa chute survenue à Escalquens le 8 septembre 2012,

- avant dire droit, ordonner une expertise médicale afin de déterminer la nature et l'importance des séquelles dont elle reste affectée,

- condamner la société Décathlon France à lui payer la somme de 3 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ordonnance en date du 4 février 2016, le juge de la mise en état a rejeté la demande d'expertise formée par Mme Gisèle E..

En réponse devant le premier juge, la SAS Décathlon a soulevé la prescription de l'action et à titre subsidiaire conclu au débouté de la demande et à la condamnation de Madame E. à lui payer la somme de 3 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par jugement en date du 18 avril 2017, le tribunal de grande instance de Toulouse a :

- déclaré irrecevables comme prescrites les demandes de Madame Gisèle E. épouse D. à l'encontre de la SAS Décathlon France sur le fondement des articles L. 211-4 et suivants du Code de la consommation et des articles 1386-1 et suivants du Code civil,

- débouté Madame Gisèle E. épouse D. de ses demandes à l'encontre de la SAS Décathlon France sur le fondement de la responsabilité contractuelle,

- débouté la CPAM de la Haute-Garonne de ses demandes,

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ni à exécution provisoire,

- rejeté toutes demandes autres ou plus amples formées par les parties,

- condamné Madame Gisèle E. épouse D. aux dépens avec distraction au bénéfice de Maître A. et de la Selarl T.-M.-B..

Les chefs du jugement critiqués dans la déclaration d'appel sont les suivants :

Madame E. épouse D. demande à la cour de :

- sur le fondement des dispositions des articles 1386-1 reprises à l'article 1386-17, 1604 et 1147 du Code civil, infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

- déclarer la société Décathlon France responsable de ses préjudices matériel et corporel à la suite de sa chute survenue à Escalquens le 8 septembre 2012,

- désigner tel Expert M. qu'il plaira avec le mandat d'examiner Mme D. conformément à la mission droit commun de l'Aredoc intitulée " mission d'expertise médicale 2009 - mise à jour 2014 " dont elle détaille les différents postes,

- condamner la société Décathlon France au paiement de la somme de 3 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, avec distraction au profit de Maître J..

Elle fait valoir que :

- si en principe l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à l'autre, il en est autrement lorsque les deux actions, quoi qu'ayant des causes distinctes, tendent à un seul et même but. En l'espèce, elle demande à la société Décathlon la réparation de son préjudice résultant de l'accident du 8 septembre 2012, l'assignation des 24 et 28 avril 2015 a valablement interrompu le délai de prescription triennal de l'article 1386-17 du Code civil même si cet article n'était pas visé dans l'assignation,

- elle établit la matérialité des faits : le vélo est identifié et particulièrement lors de sa prise en charge par le garage, peu importe que la facture soit établie au nom de son mari, la différence de numéro correspondant à une différence de prestation. Elle a recueilli l'identité d'un témoin sur les lieux de la chute, dont le témoignage a été établi dans un délai raisonnable et décrit parfaitement les circonstances de la chute,

- la société Décathlon a reconnu sa responsabilité par la mention " potence défectueuse / serrage nécessaire ", l'article 1147 est applicable dès lors que la victime établit que le dommage subi résulte d'une faute qui est distincte du défaut de sécurité du produit en cause. Or, elle a mis à disposition un vélo défectueux et a manqué à son obligation de délivrance conforme régie par l'article 1604 du Code civil.

La SAS Décathlon France demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- dire que les demandes formées par Madame D. sont radicalement irrecevables comme étant prescrites,

- en tout état de cause, dire que les demandes formées par Madame D. sont totalement infondées,

- débouter Madame D. de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- la condamner à lui payer la somme de 3 000,00 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens distraits au profit de Maître A..

Elle fait valoir que :

- Madame D. ne fonde plus son action sur l'article L. 211-4 du Code de la consommation mais sur les articles 1386-1 et suivants du Code civil, or son action est prescrite, le délai de 5 ans étant écoulé entre les faits et la première demande présentée sur ce fondement,

- elle n'a jamais reconnu l'existence d'un défaut de sorte que le délai de prescription n'a jamais été interrompu, aucune discussion amiable n'a interrompu le délai triennal de l'article 1386-7 du Code civil,

- subsidiairement, le vélo n'est pas identifié, l'article déposé n'est pas celui qui avait été acquis au regard de la référence de l'article figurant sur la facture et celle du vélo restitué, lesquels chiffres ne peuvent être confondus avec ceux permettant d'identifier la prestation, étant relevé qu'aucune chute n'a été signalée lors du retour du vélo,

- le témoignage de Madame M. n'est pas efficace, elle ne fait aucune mention de la marque du vélo, elle n'a pas été déclarée dans la déclaration d'accident originelle, elle n'est déclarée à la société Décathlon que deux ans après les faits, et ses déclarations sont évasives,

- la preuve certaine d'un défaut n'est pas rapportée : il n'est pas établi que le vélo impliqué dans la chute est celui acquis auprès de la société Décathlon, ni que le vélo rapporté au magasin est le vélo impliqué dans la chute, et le fait que la potence soit desserrée est inopérant : la chute a eu lieu 40 minutes après l'achat, si le desserrage existait, il aurait été constaté immédiatement, le desserrage a pu être provoqué par la chute, et aucun élément n'établit que la chute a été provoquée par le desserrage,

- l'article 1147 du Code civil ne peut être invoqué à l'appui d'une demande fondée sur un défaut de sécurité d'un produit, et n'est pas rapportée la preuve d'un manquement contractuel distinct du prétendu défaut de serrage. À ce jour, il ne peut être pratiqué aucun examen technique du vélo.

La Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Haute Garonne n'a pas constitué avocat

MOTIFS DE LA DÉCISION

Madame D. ne fonde plus sa demande devant la cour sur les dispositions des articles L. 211-4 et suivants du Code de la consommation.

1- Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription

En application de l'article 2241 du Code civil, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.

Il a été jugé que si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent à un seul et même but de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première.

En l'espèce, l'action engagée les 24 et 28 avril 2015 par Madame D. à l'encontre de la société Décathlon sur le fondement de l'article L. 211-4 du Code de la consommation en vue d'obtenir la réparation de son préjudice subi à la suite de sa chute, tend aux mêmes fins que celles qu'elle a formées le 29 juillet 2016 sur le fondement des articles 1386-1 du Code civil et sur le fondement de l'article 1147 du Code civil.

Il en résulte que, quel que soit le fondement de la demande, l'assignation délivrée les 24 et 28 avril 2015 est interruptive du délai de prescription courant à compter de la vente du vélo litigieux, le 8 septembre 2012.

Le délai de prescription de l'article 1386-17 du Code civil, dans sa rédaction alors applicable, et relatif à l'action en responsabilité du fait des produits défectueux est de 3 ans, il expirait le 7 septembre 2015, il se trouve interrompu par la délivrance des assignations des 24 et 28 avril 2015.

Le délai de prescription des actions en responsabilité contractuelles de droit est de 5 ans, il expirait le 7 septembre 2017, il se trouve interrompu par la délivrance des assignations des 24 et 28 avril 2015.

L'action de Madame D. est donc recevable sur ces deux fondements. Le jugement est réformé en ce sens.

2- Au fond

C'est par des motifs pertinents que la cour adopte que le premier juge a retenu que :

- l'article 13 de la directive n° 85/374 du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, régulièrement transposée dans l'ordre juridique interne, doit être interprétée en ce sens que les droits conférés par le législateur d'un État membre aux victimes d'un dommage causé par un produit défectueux au titre d'un régime général de responsabilité ayant le même fondement que celui mis en place par la directive peuvent se trouver limités ou restreints à la suite de la transposition de celle-ci dans l'ordre juridique interne dudit État,

- cet article de la directive ne saurait être interprété comme laissant aux États membres la possibilité de maintenir un régime général de responsabilité du fait des produits défectueux différent de celui prévu par la directive, mais le régime mis en place par la directive n'exclut pas l'application d'autres régimes reposant sur des fondements différents, tels que la garantie des vices cachés ou la faute,

- si la victime bénéficie d'une option avec la responsabilité pour faute, c'est à la condition que la faute invoquée soit distincte du défaut de sécurité du produit,

- Madame D. ne met pas en avant une faute distincte du défaut de sécurité du vélo, de sorte que son action contre le vendeur ne peut prospérer que sur les articles 1386-1 et suivants du Code civil.

Aux termes de l'article 1386-9 du Code civil devenu 1245-8, le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.

Madame D. produit un certificat médical établi le 8 septembre 2012 à 21 heures 30, par le service des urgences de l'hôpital de Rangueil, aux termes duquel est constaté un traumatisme nasal, de l'arcade et du coude, avec la mention " chute de vélo à 19 heures 45 ". Elle établit un préjudice.

Le 10 septembre 2012, son mari, Monsieur Jean D. dépose un vélo Original 5 Rouge à l'atelier de Décathlon qui est pris en charge pour une " potence défectueuse / serrage nécessaire ", réparation effectuée à titre gratuit. Madame D. établit l'existence du produit défectueux.

Il revient à Madame D. d'établir le lien de causalité entre le vélo présenté le 10 septembre 2012 avec une potence défectueuse et sa chute le 8 septembre 2012. Les éléments suivants permettent de considérer que ce lien de causalité n'est pas établi :

- le vélo défectueux présenté le 10 septembre 2012 est différent de celui acquis le 8 septembre 2012 : d'une première part, la facture du vélo acquis le 8 septembre 2012 porte sous la rubrique " article " la mention suivante : article type Décathlon, Original 5 Rouge, suivie du numéro d'identification du produit 1308810. D'une deuxième part, la prise en charge du 10 septembre 2012 porte sous la rubrique " article " la mention suivante : Original 5 Rouge, suivie du numéro d'identification du produit 1399320. D'une dernière part, ces numéros ne concernent pas la prestation fournie qui est expressément décrite dans les termes suivants : Direction 11MN/1 CHGT, prise en charge magasin n° 31142735.

- La simple mention " potence défectueuse / serrage nécessaire ", et l'exécution à titre gracieux de cette prestation ne valent pas reconnaissance de responsabilité de la société Décathlon.

- Il n'est pas établi que, lorsqu'il l'a présenté pour réparation le 10 septembre 2012, Monsieur D. a informé la société Décathlon que le vélo avait causé la chute de son épouse.

- La transmission le 15 septembre 2012 à son supérieur hiérarchique par le responsable de l'atelier cycle, de la réclamation formée Madame D. le 12 septembre 2012, ne vaut pas reconnaissance de responsabilité.

- Le témoignage de Madame M. du 27 décembre 2012 établit la chute de vélo, l'état de Madame D. et les mesures de prise en charge de la victime et précise que la piste cyclable ne présente aucun danger particulier. Elle ne décrit pas le vélo impliqué, elle ne précise pas qu'il présentait un défaut ou que la victime lui aurait indiqué que la fourche était défectueuse.

Au vu de ces éléments, Madame D. doit être déboutée de sa demande et le jugement confirmé.

3- Sur les demandes accessoires

Madame D. succombe, elle supporte la charge des dépens, l'équité commande qu'il ne soit pas fait application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, et en dernier ressort, Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré la demande de Madame D. à l'encontre de la SAS Décathlon irrecevable comme prescrite sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil. Le réforme sur ce seul point et statuant à nouveau, Déclare recevable la demande de Madame D. à l'encontre de la SAS Décathlon sur le fondement des articles 1386-1 et suivants devenus 1245 et suivants du Code civil. Déboute Madame D. de sa demande sur le fondement des articles 1386-1 et suivants devenus 1245 et suivants du Code civil. Confirme le jugement entrepris pour le surplus. Y ajoutant, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile devant la cour. Condamne Madame Gisèle E. épouse D. aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de Maître A..