CA Toulouse, 1re ch. sect. 1, 9 décembre 2019, n° 14-02199
TOULOUSE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Décathlon France (SAS), CPAM de la Haute-Garonne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Belieres
Conseillers :
MM. Muller, Arriudarre
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 15 juillet 2010, lors d'une randonnée pédestre en montagne au cirque de La Glère près de Bagnères-De-Luchon, M. Samy A. s'est blessé en faisant une chute dans un ravin, chute qu'il impute à la défectuosité des deux bâtons télescopiques à serrage à vis de marque Quechua modèle Forclaz 300 achetés trois jours plus tôt dans un magasin Decathlon à Montauban : l'un des bâtons se serait rétracté brutalement dans un passage étroit et humide en descente, ce qui l'aurait déséquilibré, tandis que l'autre n'aurait jamais pu être serré et utilisé.
Après réclamation adressée le 23 juillet 2010 à Decathlon et déclaration de l'accident à son assureur de protection juridique qui a diligenté une expertise amiable confiée au cabinet Equad au contradictoire de cette société et de son assureur, il a, par actes d'huissier en date des 14 et 21 octobre 2011, fait assigner la Sas Decathlon France devant le tribunal de grande instance de Toulouse en responsabilité sur le fondement de l'article 1386-6 du Code civil et organisation d'une expertise médicale sur l'ensemble des préjudices corporels consécutifs à sa chute et a appelé en cause la Caisse Primaire d'Assurance Maladie (CPAM) de la Haute-Garonne en qualité d'organisme social tiers payeur.
Par acte d'huissier en date du 26 mars 2012, la Sas Decathlon France, qui conteste le défaut allégué et le lien de causalité avec le dommage, a appelé en garantie la société de droit italien Cober Srl qu'elle estime être le fabricant des bâtons litigieux, ainsi que son assureur, la société de droit italien Aviva Italia Spa.
Par jugement en date du 13 mars 2014, le tribunal a dit injustifiées les demandes de M. Samy A., les a rejetées, a rejeté le surplus des demandes et a condamné celui-ci aux dépens.
Pour statuer ainsi, il a considéré que M. Samy A. ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe sur le fondement de l'article 1386-9 du Code civil, tant du dommage que du défaut et du lien de causalité avec le dommage dans la mesure où aucun élément technique ne permet d'établir que le système de serrage du bâton ait été défectueux au point de se rétracter en cours d'utilisation, alors que le défaut ayant justifié la campagne de rappel de ce type de bâtons entre le 1er janvier et le 17 août 2010 ne concerne que le serrage de départ, et où aucune donnée objective ne vient étayer les circonstances de l'accident qui peut s'expliquer par des causes externes inhérentes à l'emploi du bâton, non pas comme moyen d'équilibrer sa marche, mais comme instrument d'appui exclusif dans un passage reconnu à risque et dangereux, un tel emploi excédant les prévisions normales d'utilisation de ces bâtons et constituant une cause d'exonération au sens de l'article 1386-13 du même Code.
Suivant déclaration en date du 28 avril 2014, M. Samy A. a relevé appel général de ce jugement.
Par ordonnance en date du 3 septembre 2015, le conseiller de la mise en état, saisi par l'appelant d'une demande d'expertise technique sur la cause de rétractation du bâton à l'origine de sa chute, a désigné en qualité d'expert M. Dimitri L. spécialisé en génie mécanique-matériaux, avec mission de :
- examiner les deux bâtons acquis auprès de la Sas Decathlon France par M. Samy A. et utilisés lors de sa randonnée du 15 juillet 2010,
- préciser les conditions dans lesquelles ils ont été conservés et dire si leur état est identique à ce qu'il était au moment où l'expertise amiable a été effectuée,
- déterminer si le bâton litigieux a bien été fabriqué par la société Cober Srl,
- dire si les bâtons permettaient de remplir la fonction à laquelle ils étaient destinés et préciser à quel niveau de serrage ils étaient en capacité de l'assurer,
- décrire le système de serrage et le mécanisme de blocage du bâton litigieux et déterminer s'ils étaient affectés d'une quelconque défectuosité en en détaillant, dans l'affirmative, la nature, l'origine et les conséquences,
- indiquer si des éléments quelconques seraient de nature à laisser penser qu'il aurait pu y avoir mauvaise utilisation du matériel ;
la consignation d'un montant de 1 200 euros à valoir sur la rémunération de l'expert et les dépens de l'incident ont été mis à la charge de M. Samy A. et les demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ont été rejetées.
Dans son rapport déposé le 21 mars 2018, l'expert judiciaire conclut que :
- l'axe de la liaison télescopique basse du bâton litigieux, qui est rompu, a pu être endommagé lors des manipulations en réunion d'expertise amiable ou lors d'une éventuelle manipulation postérieure
- un désaccord subsiste sur le point de savoir si le bâton a été fabriqué par Cober Srl, le numéro inscrit sur le bâton étant identique à une référence fournisseur de Decathlon, mais la marque Cober absente
- si " la fonction à laquelle ils étaient destinés " consiste à supporter une charge correspondant à un appui fort de l'utilisateur, alors les bâtons ne permettaient pas de remplir de manière fiable cette fonction, malgré un serrage considéré comme " solide " et, si elle consiste à fournir une aide d'appoint à la marche, alors ils pouvaient remplir correctement cette fonction, le choix entre ces deux interprétations n'étant guidé par aucune norme et aucune notice d'utilisation n'étant fournie avec le bâton litigieux lors de sa vente
- le lieu de l'accident étant caractérisé par une " très faible pente ", les valeurs de résistance mesurées en réunion laissent apparemment penser que le bâton, s'il était serré convenablement, n'a pu se rétracter, mais s'en tenir à ce raisonnement serait négliger le risque de desserrage progressif lors de l'utilisation du fait de sollicitations répétées depuis le dernier serrage des liaisons, phénomène connu des utilisateurs
- toutefois, un effort de compression faible implique également un appui faible, donc la rétractation du bâton sur un terrain en " très faible pente " est peu susceptible de causer un fort déséquilibre ou une chute
- les bâtons litigieux sont atteints d'un défaut de conception ou de production lié à la géométrie des pièces, à leur matériau et à la rugosité des surfaces en contact, qui rend parfois le serrage impossible, mais le bâton est soit inutilisable, soit utilisable avec ses capacités de blocage inaltérées, de sorte que ce défaut n'est pas une cause de l'accident
- aucun élément ne plaide en faveur d'une mauvaise utilisation manifeste du matériel par M. Samy A., randonneur averti ayant serré convenablement, c'est-à-dire de manière 'solide' son bâton
- les bâtons ont été vendus dépourvus de toute notice d'utilisation ou document destiné à mettre en garde les utilisateurs contre le risque de glissement sous charge ou à préciser l'intensité du serrage recommandé
- d'autres hypothèses ne peuvent être exclues, en particulier le ripage de la pointe du bâton sur la roche ou le trébuchage de M. Samy A. contre son propre bâton
- M. Samy A., randonneur expérimenté, ne pouvait ignorer que ce type de bâton peut se rétracter sous une forte charge et aurait fait preuve d'excès de confiance en franchissant avec un appui fort sur le bâton un passage délicat car sur un sol rocheux et humide à proximité d'une pente escarpée
- rien ne laisse penser qu'une spécification tangible des performances des bâtons concernés ait jamais existé dans la relation entre Decathlon France et Cober Srl.
Dans ses dernières conclusions (en lecture de rapport d'expertise) antérieures à l'ordonnance de clôture, notifiées par voie électronique le 15 juin 2018, M. Samy A. demande à la cour, réformant en toutes ses dispositions le jugement dont appel, au visa de l'article 1386-6 du Code civil, de dire que la Sas Decathlon est responsable de l'accident survenu le 15 juillet 2010, d'ordonner en conséquence une mesure d'expertise médicale avec mission de déterminer l'ensemble des préjudices consécutifs à la chute dont il a été victime et de condamner la Sas Decathlon aux entiers dépens ainsi qu'au règlement d'une indemnité de 3 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
En préambule, il observe que sa chute est intervenue en fin de parcours de randonnée dans un passage plus étroit et humide, qu'il n'a pas trébuché mais s'est appuyé sur le bâton pour assurer sa traversée au moment où la rétractation s'est produite, entraînant sa chute, que le bâton unisexe vendu sans notice relative au serrage avait été serré de façon manuelle et normale et que l'autre bâton n'ayant pu être serré était resté dans le véhicule.
Rappelant qu'un produit est défectueux au sens de l'article 1386 lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et qu'il est tenu compte dans cette appréciation de toutes les circonstances, notamment de la présentation du produit et de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu au moment de sa mise en circulation, il déduit le caractère défectueux du bâton de randonnée litigieux de la campagne de rappel des bâtons de marque Quechua modèle Forclaz référencés 1097543 300 achetés entre le 1er janvier 2010 et le 17 août 2010, comme celui en cause, organisée par Decathlon du fait d'un risque de défaillance du système de serrage sans autre précision, des mécontentements exprimés sur divers sites internet par les utilisateurs de ces bâtons quant au système de serrage jugé moyennement efficace à tous les stades de leur utilisation, et non pas exclusivement au moment du réglage initial, et de la démarche faite le 30 septembre 2010 par Decathlon auprès de sa compagne afin d'expliciter le risque potentiel présenté par les bâtons objet de la campagne de rappel.
Sur le lien de causalité entre le défaut allégué et le dommage, il fait valoir que la supposition de M. A., expert mandaté par l'assureur de Decathlon, selon laquelle le bâton peut avoir subi une torsion ayant entraîné une rétractation des brins lors de la chute ne repose sur aucun élément objectif car cet expert a reconnu que, suite à une défaillance, certains bâtons ne parvenaient pas à se bloquer, le cabinet Equad a constaté lors de la réunion d'expertise amiable que le bâton d'aspect neuf était impossible à bloquer et inutilisable en l'état, que le bâton utilisé n'était ni déformé ni rompu et qu'un bâton neuf du même Code adressé par Decathlon était lui aussi impossible à verrouiller et défectueux et cette société n'a pas jugé utile de faire réaliser une expertise afin de déterminer précisément l'origine du vice, origine qui ne peut intéresser qu'elle, qu'ayant acheté la paire de bâtons pour s'aider à la marche dans le cadre de randonnées qu'il pratique régulièrement, il est normal qu'il ait cherché, lors d'une randonnée présentant au demeurant peu de difficulté, un appui sur ce bâton pouvant selon la notice supporter une pression de 66 kg, ce qui correspond à l'usage pour lequel les bâtons sont commercialisés, et que rien ne permet d'affirmer qu'il aurait détérioré le bâton en chutant, ce qui est contredit par lui et par le témoin de l'accident.
Il conteste avoir eu un comportement imprudent de nature à exonérer Decathlon de sa responsabilité dès lors qu'il s'est abstenu d'utiliser le premier bâton qu'il n'était pas, malgré son habitude en la matière, arrivé à régler et a réglé le second sans excès conformément à la notice.
Il expose qu'il a souffert d'une plaie à la paume de la main droite, d'une fracture déplacée de la malléole externe (cheville droite) traitée par ostéosynthèse et de douleurs dorsales du fait de l'usage de béquilles et conservait six mois après les faits une gêne à la marche rapide ou en pente et qu'une expertise médicale est indispensable pour évaluer ses préjudices.
Le jour de l'ordonnance de clôture du 15 janvier 2019 mais postérieurement à sa diffusion aux parties, il a notifié de nouvelles conclusions (n°2 en lecture de rapport d'expertise) qui tendent aux mêmes fins et développent son argumentation et communiqué une pièce supplémentaire n°14 correspondant au rapport Equad.
Dans ses dernières conclusions (n°2) notifiées par voie électronique 13 décembre 2018, la CPAM de la Haute-Garonne demande à la cour, au visa des articles L376-1 et suivants du Code de la sécurité sociale, dans l'hypothèse où le jugement serait réformé, de statuer ce que de droit sur la responsabilité de la Sas Decathlon France, l'appel en garantie qu'elle a dirigé à l'encontre de la société Cober Srl et la garantie de la société Aviva Italia, de lui donner acte de ses protestations et réserves d'usage s'agissant de la demande d'expertise, de constater que sa créance provisoire au titre des prestations de dépenses de santé actuelles servies à M. Samy A. ressort à la somme de 4 033,20 euros, de dire et juger que cette somme devra s'imputer sur le poste 'dépenses de santé actuelles' à la charge du tiers responsable, de condamner la Sas Decathlon France à lui payer la somme provisionnelle de 4 033,20 euros au titre de sa créance provisoire, de réserver ses droits pour le surplus de sa créance et de condamner la partie succombante à lui payer la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL T.M.B. conformément à l'article 699 du même Code.
Elle indique qu'en vertu de l'article L376-1 du Code de la sécurité sociale, elle est autorisée à agir contre l'auteur des dommages corporels en remboursement des prestations servies à son assuré social, dont le montant s'impute poste par poste sur les seules indemnités réparant des préjudices qu'elle a pris en charge, à savoir sur le poste 'dépenses de santé actuelles' pour les soins externes au CHU de Saint-Gaudens du 15 juillet 2010 (412,80 euros) et les frais d'hospitalisation au CHR de Rangueil du 16 au 19 juillet 2010 (3 620,40 euros) qui composent sa créance provisoire du 24 octobre 2011.
Dans ses dernières conclusions (en lecture de rapport) notifiées par voie électronique le 12 septembre 2018, la Sas Decathlon France demande à la cour, au visa des articles 1386-1 et suivants du Code civil, de :
- à titre principal, dire et juger que M. Samy A. ne rapporte pas la preuve d'un défaut au sens de l'article 1386-4 du Code civil et, en toutes hypothèses, du lien de causalité entre le défaut invoqué et le dommage, confirmer le jugement dont appel, surabondamment, dire et juger qu'au regard des explications données par M. Samy A. lui-même et en application de l'article 1386-13 du Code civil, la victime est seule responsable du sinistre, débouter en conséquence celui-ci et la CPAM de l'intégralité de leurs demandes et condamner M. Samy A. au paiement d'une somme de 3 500 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP R. & Associés, avocat
- à titre subsidiaire, au cas où elle serait déclarée responsable du sinistre, condamner solidairement la société Cober Srl et son assureur Aviva Italia Spa à la relever et garantir de l'intégralité des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre, dire et juger que celles-ci devront participer à la mesure d'expertise judiciaire médicale, que l'expert désigné devra, notamment, rechercher l'existence d'un état antérieur et se prononcer sur les préjudices en relation exclusive et directe avec l'accident invoqué, ce sur la base de la nomenclature Dintilhac, et que la demande de condamnation présentée par la CPAM à son encontre au titre de sa créance provisoire à concurrence de 4 033,20 euros est prématurée et devra être vérifiée par rapport aux pièces médicales qui pourront être communiquées et condamner les sociétés Cober Srl et Aviva Italia Spa au paiement d'une somme de 3 500 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP R. & Associés, avocat.
Rappelant qu'en vertu de l'article 1386-9 du Code civil, le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage, elle soutient que M. Samy A. ne rapporte pas cette preuve dans la mesure où :
- le seul défaut de fabrication existant, non contesté et ayant fait l'objet de la campagne de rappel des bâtons de marque Quechua modèle Forclaz 300, est l'impossibilité de serrage des bâtons neufs, dont le bâton litigieux n'était pas affecté et qui est sans lien avec la rétractation de ce dernier que l'intéressé avait réussi à bloquer à l'inverse de l'autre bâton acheté, comme l'a considéré le premier juge et l'a confirmé l'expert judiciaire
- contrairement aux allégations contradictoires de M. Samy A. qui indique à la fois que le bâton est " détérioré " et qu'il n'est " ni déformé ni rompu ", il ressort du rapport d'expertise judiciaire que le bâton est, soit inutilisable, soit utilisable avec des qualités de blocage inaltérées, que, s'il ne remplit pas de manière fiable la fonction de supporter une charge correspondant à un appui fort de l'utilisateur, il remplit correctement celle de fournir une aide d'appoint à la marche, que son utilisation normale sur un terrain en très faible pente aux dires de l'intéressé implique des efforts de compression faibles laissant penser que, convenablement serré, il n'a pu se rétracter, que le phénomène de desserrage progressif lors de l'utilisation et le risque de rétractation sous une forte charge sont toutefois connus de tout randonneur expérimenté tel que M. Samy A., d'autant que les bâtons acquis sont des produits d'entrée de gamme auxquels le client ne peut reprocher une efficacité moindre par rapport à un produit plus onéreux, et que d'autres hypothèses de ripage de la pointe du bâton sur la roche humide ou de trébuchage sur le bâton dans un passage étroit ne peuvent être exclues
- au regard de l'article 1386-13 du Code civil qui dispose que la responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée, compte tenu de toutes les circonstances, lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime, la faute de M. Samy A. qui, bien qu'habitué à utiliser des bâtons de randonnée télescopiques, a imprudemment utilisé le second bâton malgré le dysfonctionnement tant du premier que du second ayant nécessité plusieurs essais avant de parvenir à le régler, sans contrôler, à tout le moins dans les passages difficiles, que ce bâton pouvait supporter son poids, et l'a employé comme instrument d'appui exclusif hors des prévisions normales d'utilisation est caractérisée et à l'origine du dommage.
Subsidiairement, elle se retourne en sa qualité de producteur ayant commercialisé le produit sous sa marque contre la société Cober Srl qui n'a pas contesté lors de l'expertise amiable être le fabricant du bâton, s'étant contentée de répondre à la convocation adressée le 10 février 2011 par son expert technique M. A. qu'elle saisissait son assureur, et dont le Code fournisseur figurant sur les commandes et factures correspond à la référence "98243" relevée sur les bâtons litigieux par l'expert amiable comme par l'expert judiciaire et contre son assureur.
Dans leurs dernières conclusions (n° 1 après dépôt de rapport d'expertise judiciaire) notifiées par voie électronique le 21 novembre 2018, la société Cober Srl et la société Aviva Italia Spa demandent à la cour, au visa de l'article 9 du Code de procédure civile, de confirmer les dispositions du jugement déféré, de les déclarer hors de cause, de débouter M. Samy A., la Sas Decathlon France et la CPAM de la Haute-Garonne de toutes demandes dirigées à leur encontre et de condamner la partie défaillante à régler à la société Aviva Italia Spa une indemnité d'un montant de 3 000 euros en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elles soutiennent que M. Samy A. ne démontre pas les circonstances de l'accident qui, selon lui, s'est produit dans un passage étroit, encombré de roches et humide où il a dû effectuer un effort particulier pour conserver son équilibre, ni la relation de causalité entre sa chute et l'utilisation dans des conditions normales du bâton de randonnée qu'il a détourné de son usage en l'employant comme support d'appui, ni une défaillance du bâton dont il n'a jamais été établi qu'il aurait pu se rétracter une fois serré, la campagne de rappel concernant uniquement l'impossibilité de serrer certains bâtons commercialisés par Decathlon comme M. Samy A. a pu en faire l'expérience avec l'un de ses bâtons, et qu'il n'est même pas prouvé que le bâton litigieux a été fabriqué par la société Cober Srl.
Elles soulignent que les parties présentes à la première réunion d'expertise amiable, qui envisageaient de faire effectuer des essais de compression du bâton litigieux dont le représentant de Decathlon supposait qu'il avait pu subir une torsion entraînant une rétractation des brins lors de la chute de la victime, ont maintenu la seconde réunion du 1er avril 2011 bien que la société Cober Srl ait fait savoir qu'elle ne pouvait s'y présenter, ne permettant pas ainsi un débat contradictoire, que celle-ci n'a jamais reconnu être le fabricant du bâton sur lequel son nom n'apparaît pas, rien de tel ne pouvant être déduit de la déclaration de sinistre régularisée à titre conservatoire auprès de son assureur, et que le bon de commande daté du 25 février 2016 et la facture datée du 12 novembre 2015 communiqués par la Sas Decathlon France n'établissent pas qu'elle a fabriqué et livré le bâton acheté le 12 juillet 2010 par M. Samy A. alors que la société Quechua, marque de Decathlon, se fournit auprès de plusieurs fabricants.
Elles font remarquer subsidiairement que la rupture de la liaison télescopique, base du bâton, constatée dès la première réunion d'expertise judiciaire et non consignée dans les rapports antérieurs a pu être réalisée en dehors de toute expertise, que le bâton, dont la conception n'obéit à aucune norme spécifique, notamment de résistance à la compression, ne peut être jugé non-conforme et que M. Samy A., qui n'était pas novice de la randonnée et n'ignorait pas le risque de glissement, devait user précautionneusement du bâton commercialisé sans notice et ne pas déporter son poids sur celui-ci dans des passages difficiles, d'autant qu'il n'était parvenu à le bloquer qu'après plusieurs essais et n'avait pu utiliser l'autre bâton, et elles estiment que, dans ces conditions, il ne peut être conclu que le produit ait été défectueux.
MOTIFS
Sur la procédure
Les conclusions n° 2 en lecture de rapport d'expertise déposées par l'appelant le 15 janvier 2019 et la pièce n° 14 communiquée à l'appui de ces conclusions ne peuvent qu'être déclarées d'office irrecevables en application de l'article 783 du Code de procédure civile en ce qu'elles sont postérieures à l'ordonnance de clôture du même jour diffusée aux parties à 9 heures 54 conformément au calendrier de procédure établi le 9 avril 2018.
Sur la responsabilité
La responsabilité de la Sas Decathlon France est recherchée sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 (devenus 1245 et suivants), qui autorisent la victime à agir en réparation du dommage résultant d'une atteinte à sa personne causé par le défaut d'un produit contre le producteur de celui-ci.
Selon l'article 1386-4 du même Code, un produit est défectueux au sens de ce régime légal de responsabilité lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, laquelle s'apprécie en tenant compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.
Conformément à l'article 1386-9, il appartient au demandeur de prouver le dommage, le défaut du produit et le lien de causalité entre l'un et l'autre, cette preuve pouvant être rapportée par tous moyens.
Enfin, l'article 1386-13 du Code civil précise que la responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée, compte tenu de toutes les circonstances, lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime ou d'une personne dont la victime est responsable.
En l'espèce, il n'est pas contestable que le bâton télescopique à serrage à vis de marque Quechua modèle Forclaz 300 dont se servait M. Samy A. à la descente d'une randonnée en montagne effectuée le 15 juillet 2010 avec sa compagne Mme Christelle T. est impliqué dans la chute que celui-ci a faite en prenant appui sur ce bâton dans un passage que tous deux décrivent comme étroit, bordé par un ravin et encombré de roches humides.
Si cette implication dans la réalisation du dommage consécutif à la chute ne suffit pas à établir le défaut du bâton au sens de l'article 1386-4 susvisé, ni le lien de causalité entre le défaut et le dommage, ceux-ci apparaissent caractérisés.
S'agissant du défaut, il peut être lié à la conception ou à la fabrication du produit, mais aussi à une information insuffisante sur les conditions de son utilisation, ses indications ou les risques encourus par l'utilisateur.
L'absence de norme de référence ne constitue pas un obstacle à la reconnaissance d'un tel défaut.
Or, le bâton litigieux référencé 1097543, qui porte le Code "98243" et le Code de production "8/10" comme constaté par l'expert amiable du cabinet Equad et par l'expert judiciaire et qui a été acheté le 12 juillet 2010 dans un magasin Decathlon avec un autre bâton identique, est concerné par la campagne de rappel organisée par Decathlon pour les bâtons de la même référence achetés entre le 1er janvier et le 17 août 2010 au motif que " le système de serrage du bâton peut présenter un risque de défaillance " comme indiqué sur le courrier de rappel adressé le 30 septembre 2010 par la SAS Decathlon France à Mme Christelle T. pour l'inviter à rapporter le produit en magasin où il serait échangé par un autre du même type issu de lots conformes et sur les affiches apposées en magasin jusqu'au 31 juillet 2011 pour attirer l'attention des clients sur ce rappel, sans que le risque de défaillance du système de serrage en cause soit plus précisément défini sur ces documents ni sur aucune autre pièce fournie par la Sas Decathlon France.
De fait, les deux bâtons ont présenté des défaillances du système de serrage :
- celui que M. Samy A. a renoncé à utiliser lors de la randonnée du 15 juillet 2010 faute d'être parvenu à le serrer et à le régler à la bonne hauteur, ses deux bagues de serrage étant défaillantes et tournant dans le vide sans se maintenir à la bonne hauteur selon le courrier de réclamation de l'intéressé du 23 juillet 2010 et l'attestation de sa compagne du 29 septembre 2010, n'a jamais pu être serré ultérieurement malgré plusieurs tentatives tant lors de la réunion d'expertise amiable du 11 octobre 2010, à l'instar d'un autre bâton possédant les mêmes Codes adressé par la Sas Decathlon France à son expert conseil M. Sébastien A., que lors de la réunion d'expertise judiciaire du 10 décembre 2015 et s'est avéré complètement inutilisable
- celui que M. Samy A. et sa compagne ont utilisé lors de cette randonnée après avoir, à leurs dires, réussi à bien le serrer, la seconde en montée puis le premier en descente après un nouveau réglage à sa hauteur, n'a pas toujours pu être serré efficacement, que ce soit lors des manipulations effectuées en présence de l'expert amiable qui précise dans sa note d'expertise n° 1 du 8 novembre 2010 que M. A. n'a réussi à serrer l'un des brins du bâton litigieux que dans 20 % des cas et a exercé un serrage particulièrement vigoureux et insistant, ou lors des essais de serrage des liaisons réalisés par l'expert judiciaire qui précise dans sa note aux parties n° 1 du 2 février 2016, au sujet du bâton non utilisé lors de la randonnée (B1), du bâton impliqué dans l'accident (B2) et d'un bâton de même marque acheté en 2013 mais doté d'un mécanisme de serrage de géométrie différente (B3) et indépendamment de la rupture de la vis de serrage de la liaison inférieure du bâton B2 survenue postérieurement aux manipulations en cours d'expertise amiable qui auraient pu la fragiliser, que " sur les bâtons B1 et B2, il a été constaté que les mécanismes de serrage fonctionnent de manière non fiable : la rotation d'un tube par rapport à l'autre ne provoque parfois aucun serrage ; le tube intérieur tourne "dans le vide" par rapport au tube extérieur " et que " sur le bâton B3, ce problème n'est pas apparu"
Ce défaut qui atteint les bâtons B1 et B2 et rend le serrage des liaisons parfois impossible constitue selon l'expert judiciaire, non critiqué sur ce point, un défaut de conception ou de production lié à la géométrie des pièces, à leur matériau et à la rugosité des surfaces en contact.
Par ailleurs, au vu des tests mécaniques de compression effectués lors de la deuxième réunion d'expertise du 9 mai 2017 au Laboratoire national de métrologie et d'essais (LNE), qui ont montré que l'effort maximal continu que les bâtons peuvent supporter sans qu'aucune liaison ne glisse après un serrage solide est de l'ordre de 180 N, soit 18 kg, le couple de serrage étant moins élevé pour la liaison basse que pour la liaison haute de diamètre supérieur, alors que la valeur maximale de 380 N, soit 38 kg, indiquée dans le document "Quantification des efforts sur bâton de randonnée en usage" produit par la Sas Decathlon France correspond à un pic d'effort d'une durée très faible, l'expert judiciaire observe que, lorsque l'effort pendant le choc tel que mesuré par Decathlon pendant sa campagne d'essais sur le terrain dépasse la valeur limite avant glissement telle que mesurée lors de la réunion n° 2, le bâton se dérobe, sa longueur se trouvant diminuée de manière conséquente, et qu'un randonneur utilisant le bâton de randonnée litigieux de manière énergique et dans des conditions qui correspondent aux tests "descente raide" effectués par Decathlon dans le document susvisé est donc exposé à un risque de glissement de la liaison télescopique basse susceptible d'entraîner un déséquilibre et une chute.
Il en conclut que les bâtons ne remplissent pas de manière fiable, malgré un serrage solide, la fonction à laquelle ils sont destinés si celle-ci consiste à supporter une charge correspondant à un appui fort de l'utilisateur et qu'ils la remplissent correctement si elle consiste à fournir une aide d'appoint à la marche.
Comme il le souligne, le choix entre ces deux interprétations n'est guidé par aucune norme ni notice d'utilisation.
En effet, l'affirmation de M. Samy A. selon laquelle les bâtons ont été vendus dépourvus de toute notice d'utilisation ou document destiné à mettre en garde les utilisateurs contre le risque de glissement sous charge ou à préciser l'intensité du serrage recommandé n'a pas été démentie par les autres parties.
Dans ces circonstances, l'usage pouvant être raisonnablement attendu du bâton de randonnée litigieux, qui est certes un produit d'entrée de gamme acquis au prix de 12,90 euros l'unité diminué d'une remise commerciale de 2,90 euros, inadapté à des randonnées pouvant être qualifiées de difficiles du fait de la technicité du terrain, de la longueur du parcours ou du poids porté par l'utilisateur, ne saurait être limité à une aide à la marche sur des parcours de promenade sans dénivelé ou autre particularité géologique susceptible de le solliciter en appui, y compris fort mais occasionnel.
Le bâton doit ainsi être considéré comme défectueux au sens de l'article 1386-4 en ce qu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre dans sa conception ou sa fabrication comme dans l'information délivrée lors de sa vente.
S'agissant du lien de causalité, l'expert judiciaire qualifie le défaut rendant le serrage parfois impossible de " tout ou rien " : soit la liaison tourne dans le vide sans se bloquer et le bâton qui ne peut supporter quasiment aucun effort de compression est inutilisable, soit la liaison fonctionne, l'utilisateur peut la serrer aussi fort qu'il le souhaite et le bâton est utilisable avec ses qualités de blocage inaltérées.
Sur la tenue en compression, il explique que, si les valeurs de résistance mesurées en réunion pourraient laisser penser que le bâton convenablement serré, comme on peut l'attendre de M. Samy A., randonneur averti habitué à utiliser des bâtons télescopiques, n'a pu se rétracter sur un terrain caractérisé par une 'très faible pente' selon le dire reçu le 10 août 2017 du conseil de celui-ci, donc impliquant des efforts de compression faibles, il ne faut pas négliger le risque de desserrage progressif lors de l'utilisation du fait de sollicitations répétées depuis le dernier serrage des liaisons, phénomène connu des utilisateurs, mais que, dans la mesure où un effort de compression faible implique également un appui faible, la rétractation du bâton sur un tel terrain est peu susceptible de causer un fort déséquilibre ou une chute et que d'autres hypothèses ne peuvent être exclues, notamment le ripage de la pointe du bâton sur la roche (vraisemblable du fait de la présence de roches humides sur le lieu de l'accident) ou le trébuchage de l'utilisateur contre son bâton (facilité par l'étroitesse du passage où s'est produit l'accident).
Cet avis ne peut être suivi, même si le risque de desserrage progressif lors de l'utilisation n'est pas inconnu d'un randonneur tel que M. Samy A., dès lors que seul le passage où a eu lieu l'accident est décrit au dire susvisé comme en très faible pente, l'itinéraire de randonnée emprunté sur le [...] qui mène au cirque de La Glère étant dans son ensemble classé "facile à moyen" pour une distance aller-retour de 11 kilomètres, une durée de 3 heures et un dénivelé de 250 mètres réparti linéairement, que ce passage n'est pas seulement étroit, mais aussi bordé d'un ravin à droite dans la descente, ce qui n'accrédite pas la thèse selon laquelle le bâton aurait constitué un obstacle pour les chaussures de l'utilisateur, d'autant que le bâton n'était ni déformé ni rompu ni endommagé au niveau de son système "flicklock" comme constaté lors de l'expertise amiable, mais tout au plus rayé dans sa partie supérieure parallèlement à son axe comme noté par l'expert judiciaire, et que la présence de roches humides dans ce passage n'a pu qu'inciter un randonneur expérimenté à rechercher une prise d'appui ferme à l'écart de ces roches tel que l'appui à main droite mentionné par Mme Christelle T. au moment où le bâton s'est 'affaissé', entraînant la perte d'équilibre de M. Samy A. et sa chute dans le ravin.
Ces éléments constitutifs de présomptions graves, précises et concordantes suffisent à rapporter la preuve du lien de causalité entre le défaut de tenue à la compression du bâton qui s'est soudainement rétracté sur un appui plus fort dans un passage plus délicat, risque non signalé au client lors de la vente, et l'accident dont a été victime M. Samy A.
S'agissant de la faute de la victime, il ne peut être reproché à M. Samy A., qui a bien réussi à serrer le bâton litigieux, lequel aurait été radicalement inutilisable dans le cas contraire, d'en avoir fait usage, même s'il lui a fallu plusieurs essais pour parvenir à le régler et à le bloquer à la hauteur désirée comme relevé au procès-verbal de constatations relatives aux causes et circonstances et à l'évaluation des dommages établi par l'expert amiable, procès-verbal que M. Sébastien A. a refusé de signer, et s'il lui a été impossible de serrer l'autre bâton, puisqu'il ne lui appartenait pas de présumer d'une défaillance du produit par rapport à la sécurité qu'il pouvait légitimement en attendre.
Si, en tant que randonneur expérimenté, il ne pouvait ignorer le risque de desserrage progressif lors de l'utilisation inhérent à ce type de bâton télescopique à serrage à vis, rien n'indique qu'il ait eu conscience des valeurs d'effort à ne pas dépasser en appui.
Il n'est pas davantage établi qu'il aurait, au-delà d'une prise d'appui ferme pour assurer son équilibre dans un passage plus délicat, déporté tout son poids sur le bâton, s'en servant comme d'un instrument d'appui exclusif en dehors des prévisions normales d'utilisation de celui-ci conçu pour aider à la propulsion et à l'équilibre de l'utilisateur, à la préservation de ses articulations et à une meilleure répartition de ses efforts.
En l'état, les fautes qui lui sont reprochées ne sont pas établies.
La Sas Decathlon France, qui admet avoir la qualité de producteur du bâton litigieux commercialisé sous sa marque Quechua, ne saurait donc être exonérée de la responsabilité de plein droit qu'elle encourt sur le fondement des articles 1386-1 et suivants anciens du Code civil.
Sur l'action récursoire
Aucun fondement juridique n'est avancé à l'appui de ce recours.
Bien que désignant la société Cober Srl comme étant le fabricant du bâton litigieux, la Sas Decathlon France ne dément pas l'explication fournie par son ingénieur produit Quechua à l'expert amiable lors de la réunion du 1r avril 2011 à laquelle la société Cober Srl, régulièrement convoquée par M. Sébastien A. le 25 février 2011, n'a pu être présente ni représentée, à savoir que la fabrication et la conception des bâtons Forclaz 300 sont partagées entre sa marque Quechua qui fournit les poignées et rondelles au bas des bâtons et une entreprise tierce qui fournit les tubes et expanseurs, ni que la société Cober Srl n'est que l'une de ces entreprises tierces auxquelles elle fait appel pour la fabrication de ces bâtons.
Son recours contre la société Cober Srl ne peut donc être fondé sur l'article 1386-7 ancien du Code civil, réservé au fournisseur dont la responsabilité de plein droit a été engagée en raison du défaut d'identification du producteur.
Le régime juridique applicable est celui des articles 1386-6 et 1386-8 anciens du même Code dont il ressort que le fabricant d'un produit fini et le fabricant d'une partie composante sont tous deux producteurs et qu'en cas de dommage causé par le défaut d'un produit incorporé dans un autre, le producteur de la partie composante et celui qui a réalisé l'incorporation sont solidairement responsables.
En outre, l'article 5 de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985, transposée en droit français par la loi 98-389 du 19 mai 1998 sous les articles 1386-1 et suivants du Code civil, prévoit que, lorsque plusieurs personnes sont responsables du même dommage, leur responsabilité est solidaire, sans préjudice des dispositions du droit national relatives au droit de recours.
Or en droit interne, la contribution à la dette, en l'absence de faute, se répartit à parts égales entre les coobligés.
En l'espèce, même si la marque Cober n'est pas apposée sur le bâton litigieux, la Sas Decathlon France justifie que le Code "98243" inscrit sur le bâton correspond au Code fournisseur de la société Cober Srl, mentionné comme tel sur une commande n° 45081667528 passée par la société Decathlon Produzione Italia Sr à la société Cober Srl qui a facturé les bâtons objet de cette commande le 12 novembre 2015.
La société Cober Srl doit donc être tenue pour le fabricant des brins et liaisons télescopiques, partie composante du bâton litigieux.
Le fait que le défaut incriminé de tenue à la compression du bâton affecte cette partie composante n'autorise la Sas Decathlon France, en l'absence de toute faute alléguée par celle-ci qui n'a jamais justifié, malgré les demandes de l'expert judiciaire, de spécifications de performances des bâtons concernés dans ses relations avec la société Cober Srl, à recourir contre cette dernière que pour moitié, et non l'intégralité, des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre au titre de sa responsabilité de producteur.
La société Aviva Italia Spa, qui ne conteste pas sa garantie, sera tenue in solidum avec son assurée, la société Cober Srl.
Sur les demandes d'expertise et de provision
M. Samy A. verse aux débats plusieurs certificats médicaux dont il ressort qu'il a présenté suite à sa chute un traumatisme de la cheville droite avec fracture de la malléole externe, associé à une plaie de la paume de la main droite, que ces blessures ont nécessité son admission au service des urgences de l'hôpital de Saint-Gaudens puis son transfert à l'hôpital Rangueil à Toulouse où a été réalisée le 16 juillet 2010 une intervention d'ostéosynthèse par vis et plaque et dont il est sorti le 19 juillet 2010, qu'il a été placé en arrêt de travail jusqu'au 30 juillet 2010, que la consolidation a été obtenue le 15 octobre 2010 et qu'il conservait le 21 janvier 2011 une gêne douloureuse à la marche rapide sur terrain plat et à la marche sur terrain en pente ou accidenté.
Ces éléments justifient le recours à une expertise médicale, aux frais avancés de la victime, pour apprécier l'ensemble de ses postes de préjudice corporel en rapport avec l'accident.
Ils permettent également l'octroi à la CPAM de la Haute-Garonne, qui dispose du recours subrogatoire prévu par l'article L. 376-1 du Code de la sécurité sociale, de la provision sollicitée de 4 033,20 euros correspondant aux frais afférents à ces deux hospitalisations que l'organisme social a pris en charge et qui s'imputent sur le poste dépenses de santé actuelles, sans risque de concours avec la victime ni avec un autre tiers payeur.
Cette provision sera comme demandé mise à la charge de la Sas Decathlon France qui en sera relevée et garantie de moitié par la société Cober Srl et la société Aviva Italia Spa in solidum et les droits de la CPAM de la Haute-Garonne seront réservés pour le surplus de sa créance.
Sur les demandes annexes
Partie perdante, la Sas Decathlon France supportera les entiers dépens de première instance et les dépens d'appel exposés à ce jour, comprenant de droit la rémunération de l'expert judiciaire M. Dimitri L. en vertu de l'article 695 4° du Code de procédure civile, ainsi que, en considération de l'équité et de la situation respective des parties, les sommes respectives de 3 000 euros et de 1 000 euros au titre des frais non compris dans ces dépens déjà exposés par M. Samy A. et par la CPAM de la Haute-Garonne sur le fondement de l'article 700 1° du même Code, à charge d'en être relevée et garantie de moitié par la société Cober Srl et la société Aviva Italia Spa in solidum, sans qu'il y ait lieu à application de ce dernier texte dans leurs rapports entre elles.
Par Ces Motifs, LA COUR, Déclare d'office irrecevables les conclusions n° 2 en lecture de rapport d'expertise déposées par l'appelant le 15 janvier 2019 et la pièce n° 14 communiquée à l'appui de ces conclusions. Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions. Statuant à nouveau et y ajoutant, Dit que la Sas Decathlon France engage en qualité de producteur du bâton de randonnée défectueux son entière responsabilité envers M. Samy A. au titre de l'accident dont celui-ci a été victime le 15 juillet 2010. Dit que la société Cober Srl en qualité de producteur de la partie composante défectueuse du bâton et son assureur la société Aviva Itali Spa seront tenues in solidum de relever et garantir la Sas Decathlon France de moitié des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre au profit de M. Samy A. et de la CPAM de la Haute-Garonne subrogée dans les droits de ce dernier. Ordonne une expertise médicale et DÉSIGNE pour y procéder :
M. le Dr Philippe G. demeurant [...] Tél : [...] Fax : [...] Port. : [...] ou, à défaut,
M. le Dr Gilbert M. demeurant [...] Fax : [...] Port. : [...] Mèl : [...], inscrits sur la liste des experts près la cour d'appel de Toulouse, avec mission de :
1) convoquer les parties et les entendre en leurs observations,
2) se faire communiquer tous documents médicaux relatifs à l'accident et à ses suites (certificats médicaux, lettres et comptes-rendus d'examens ou d'hospitalisation, dossier médical tenu par le médecin traitant, dossier d'imagerie...) et entendre tous sachants,
3) recueillir les renseignements nécessaires sur l'identité de la victime, sa situation personnelle et familiale, les conditions de son activité professionnelle contemporaine de l'accident, sa formation ou son niveau d'études, son mode de vie antérieur à l'accident et sa situation actuelle,
4) décrire en détail, à partir des déclarations de la victime (ou de son entourage si nécessaire) et des documents médicaux fournis, les lésions initiales, leur évolution, les soins, les complications éventuelles, les différentes étapes de la rééducation et les conditions de reprise de l'autonomie,
5) recueillir les doléances de la victime (ou de son entourage si nécessaire), en lui faisant préciser notamment les conditions d'apparition et l'importance des douleurs et de la gêne fonctionnelle, ainsi que leurs conséquences sur la vie quotidienne,
6) dans le respect du Code de déontologie médicale, interroger la victime sur ses antécédents médicaux, en ne rapportant et ne discutant que ceux qui constituent un état antérieur susceptible de présenter une incidence sur les lésions, leur évolution et leurs séquelles,
7) procéder, en présence des médecins mandatés par les parties avec l'assentiment de la victime, à un examen clinique détaillé en fonction des lésions initiales et des doléances exprimées,
8) à l'issue de cet examen, analyser dans un exposé précis et synthétique :
la réalité des lésions initiales
la réalité de l'état séquellaire
l'imputabilité directe et certaine des séquelles aux lésions initiales
l'incidence d'un éventuel état antérieur, en précisant s'il s'agit d'un état pathologique déjà patent avant l'accident ou simplement latent et asymptomatique et, dans ce dernier cas, si cette prédisposition pathologique aurait décompensé de manière certaine à l'avenir, même sans l'accident, ou si l'affection qui en est issue n'a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable,
9) fixer la date de consolidation des blessures, définie comme le moment où les lésions se sont fixées et ont pris un caractère permanent, tel qu'un traitement n'est plus nécessaire, si ce n'est pour éviter le cas échéant une aggravation et où il est possible d'apprécier un certain degré d'incapacité permanente,
10) estimer les différents chefs de préjudices suivants :
- pertes de gains professionnels actuels : indiquer les périodes pendant lesquelles la victime a été dans l'incapacité d'exercer totalement ou partiellement son activité professionnelle ou économique, rechercher la durée des arrêts de travail retenus par l'organisme social et dire si ces arrêts de travail sont liés au fait dommageable,
- déficit fonctionnel temporaire : indiquer les périodes pendant lesquelles la victime a subi une perte de qualité de vie avant consolidation (séparation d'avec l'environnement familial et amical durant les hospitalisations, privation temporaire des activités privées, d'agrément ou sexuelles etc..), dire si cette privation a été totale ou partielle et, dans ce dernier cas, la décrire et en préciser les durées et taux,
- souffrances endurées : décrire les souffrances physiques et psychiques endurées par la victime jusqu'à la date de la consolidation et les évaluer sur une échelle de 1 à 7,
- préjudice esthétique temporaire : décrire la nature et l'importance du dommage spécifique subi par la victime du fait de l'altération temporaire de son apparence physique,
- besoins en aide humaine ou technique temporaires : donner son avis sur les éventuels besoins en aide humaine pour les exigences de la vie courante et sur la nécessité d'adaptation temporaire du logement et/ou du véhicule de la victime,
- déficit fonctionnel permanent : indiquer si la victime subit un déficit fonctionnel permanent, défini comme une altération permanente d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles ou mentales, ainsi que les douleurs permanentes ou toute autre trouble de santé, entraînant une limitation d'activité ou une restriction de participation à la vie en société subie au quotidien par la victime dans son environnement, définir le taux de ce déficit par référence à un barème fonctionnel et tenir compte des phénomènes douloureux résiduels et de la perte d'autonomie au sens large (même s'ils ne sont pas expressément prévus par le barème fonctionnel),
- assistance par tierce personne : donner son avis sur la nécessité d'une assistance par tierce personne, définie comme de nature à permettre à la victime d'effectuer les démarches et les actes de la vie quotidienne, à préserver sa sécurité, à restaurer sa dignité et à suppléer sa perte d'autonomie, préciser la nature de l'aide prodiguée et sa durée quotidienne ou hebdomadaire,
- pertes de gains professionnels futurs et incidence professionnelle : indiquer si, en raison de l'atteinte permanente à son intégrité physique et psychique, la victime est dans l'incapacité de reprendre dans les conditions antérieures son activité professionnelle, préciser si elle doit cesser ou réduire son activité, envisager un reclassement professionnel ou un changement de poste, subir une pénibilité accrue dans l'activité ou une dévalorisation sur le marché du travail etc.,
- préjudice d'agrément : donner son avis sur l'existence d'un préjudice d'agrément défini comme l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs,
- préjudice esthétique permanent : décrire la nature et l'importance du préjudice esthétique permanent après consolidation et l'évaluer sur une échelle de 1 à 7,
- préjudice sexuel : indiquer s'il existe un préjudice sexuel résultant d'une atteinte morphologique, d'une perte totale ou partielle de la libido, de la capacité physique de réaliser l'acte sexuel ou de la capacité d'accéder au plaisir, d'une impossibilité ou difficulté à procréer,
- dépenses de santés futures : définir les besoins de santé futurs de la victime, même occasionnels mais médicalement prévisibles et rendus nécessaires par son état pathologique après consolidation, décrire les aides techniques compensatoires au handicap de la victime (prothèses, appareillages spécifiques...) en précisant la fréquence de renouvellement,
- frais de logement et/ou de véhicule adapté : donner son avis sur d'éventuels aménagements nécessaires pour permettre à la victime d'adapter son logement et/ou son véhicule à son handicap permanent,
- préjudices permanents exceptionnels : dire si la victime déplore des préjudices permanents exceptionnels, définis comme des préjudices atypiques directement liés aux handicaps permanents et dont elle peut légitimement obtenir réparation,
- conclusions : établir un état récapitulatif de l'ensemble des postes énumérés dans la mission, dire si l'état de la victime est susceptible de modifications en aggravation ou en amélioration et, dans l'affirmative, fournir toutes précisions sur cette évolution et son degré de probabilité,
11) au cas où la consolidation ne serait pas acquise, dire à quelle date il conviendra de revoir la victime et fixer d'ores et déjà les seuils d'évaluation des différents dommages et les besoins actuels,
12) d'une façon générale, fournir tous éléments médicaux utile à la résolution du litige et à l'évaluation des divers postes de préjudice en relation directe et certaine avec le fait dommageable,
13) donner connaissance aux parties des avis sapiteurs recueillis, établir un pré-rapport communiqué aux parties qui disposeront d'un délai de 30 jours pour présenter leurs observations et répondre à leurs dires. Dit que l'expert pourra s'adjoindre tout spécialiste de son choix, à charge pour lui d'en informer le magistrat chargé du contrôle des expertises et de joindre l'avis du sapiteur à son rapport. Dit que M. Samy A. versera par chèque libellé à l'ordre du régisseur des avances et des recettes de la cour d'appel de Toulouse une consignation de 1 000 (mille) euros à valoir sur la rémunération de l'expert dans le délai d'un mois à compter de la présente décision et que ce chèque sera adressé avec les références du dossier (n° RG 14/02199) au service expertises de la cour d'appel. Rappelle qu'à défaut de consignation dans ce délai, la désignation de l'expert sera caduque selon les modalités fixées par l'article 271 du Code de procédure civile. Dit que l'expert déposera un rapport détaillé de ses opérations, comprenant son avis et accompagné de sa demande de rémunération, au greffe de la cour d'appel dans un délai de QUATRE mois à compter de l'avis de versement de la consignation qui lui sera donné par le greffe, sauf prorogation demandée au juge, et qu'il en adressera copie complète à chacune des parties (y compris la demande de rémunération) en application des articles 173 et 282 du Code de procédure civile. Précise qu'il adressera une photocopie du rapport à l'avocat de chaque partie et qu'il mentionnera dans son rapport l'ensemble des destinataires à qui il l'aura adressé. Dit qu'en cas de refus ou d'empêchement de l'expert désigné, il sera procédé à son remplacement par ordonnance sur simple requête. Désigne Mme Muller, conseiller chargé du rapport, à l'effet de contrôler le déroulement de la mesure d'expertise. Condamne la Sas Decathlon France à payer à la CPAM de la Haute-Garonne une provision de 4 033,20 euros (quatre mille trente trois euros et vingt cents) à valoir sur la somme lui revenant au titre de son recours subrogatoire. Condamne in solidum la société Cober Srl et la société Aviva Itali Spa à relever et garantir la Sas Decathlon France de moitié de cette condamnation. Réserve les droits de la CPAM de la Haute-Garonne pour le surplus de sa créance. Condamne la Sas Decathlon France aux entiers dépens de première instance et aux dépens d'appel exposés à ce jour, qui comprennent la rémunération de l'expert judiciaire M. Dimitri L. et qui seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.
La Condamne à payer les sommes de 3 000 (trois mille) euros à M. Samy A. et de 1 000 (mille) euros à la CPAM de la Haute-Garonne sur le fondement de l'article 700 1° du même Code et Rejette toute autre demande au même titre. Condamne in solidum la société Cober Srl et la société Aviva Itali Spa à relever et garantir la Sas Decathlon France de moitié des condamnations prononcées à son encontre au titre des dépens et de l'article 700. Réserve les dépens à venir et les frais non compris dans ces dépens. Dit que l'affaire sera rappelée à l'audience de mise en état du 4 juin 2020 à 9 heures pour vérification du dépôt du rapport.