Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 17 décembre 2019, n° 18-01039

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Experts Entreprendre Audit (SAS)

Défendeur :

Into the Wild (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hébert-Pageot

Conseillers :

Mmes Texier, Dubois-Stevant

T. com. Paris, du 23 nov. 2017

23 novembre 2017

FAITS ET PROCÉDURE :

La société Experts entreprendre audit, expert-comptable, a signé une lettre de mission avec la société Productions X le 9 janvier 2008 et avec la société Into the wild le 10 octobre 2009, M. X étant le dirigeant des deux sociétés.

M. X a reçu le 8 juin 2012 un relevé de dettes de l'Urssaf correspondant à des cotisations dues en sa qualité de dirigeant social.

Le 4 juillet 2013, M. X et les sociétés Productions X et Into the wild ont demandé à la société Experts entreprendre audit de transférer l'ensemble de leurs pièces comptables à l'un de ses confrères.

Le 26 novembre 2013, l'administration fiscale a adressé à M. X un procès-verbal de défaut de présentation de comptabilité en matière d'impôt sur les sociétés pour la période allant du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2012 et de TVA pour la période du 1er juin 2010 au 30 juin 2013.

Le 4 décembre 2013, la société Experts entreprendre audit a fait savoir au nouvel expert-comptable des intimés qu'elle s'opposait à la transmission du dossier faute de paiement d'une facture de 717,60 euros par la société Into the wild et d'une facture de 10 051,60 euros par la société Production X

Le 6 décembre 2013, la société Into the wild a reçu une première proposition de rectification fiscale.

Par lettre du 6 janvier 2014, le conseil des intimés a mis en jeu la responsabilité de la société Experts entreprendre audit dans les divers contrôles en cours dont les sociétés faisaient l'objet.

Les 8 avril et 9 juillet 2014, la société Into the wild puis la société Productions X ont reçu une proposition de rectification fiscale.

Par acte du 5 août 2014, la société Into the wild a assigné en responsabilité la société Experts entreprendre audit devant le tribunal de commerce de Paris. La société Productions X et M. X ont fait de même par actes des 7 et 13 octobre 2015. Les trois instances ont été jointes.

Par jugement du 23 novembre 2017, le tribunal a :

- dit recevable l'action des sociétés Into the wild et Productions X et de M. X,

- condamné en principal la société Experts entreprendre audit à payer, à titre de dommages-intérêts, les sommes de :

- 90 224 euros à la société Productions X au titre des intérêts de retards et majorations appliqués par l'administration fiscale,

- 38 591 euros à la société Into the wild au titre des intérêts de retards et majorations appliqués par l'administration fiscale,

- 11 621,59 euros à M. X à titre de dommages-intérêts ;

- condamné la société Experts entreprendre audit à payer, à titre forfaitaire aux fins d'indemnisation de préjudices en termes de démarches, temps passé et préjudice moral, la somme de :

- 10 000 euros à la société Productions X,

- 10 000 euros à la société Into the wild,

- 10 000 euros à M. X ;

- débouté la société Into the wild de sa demande de remboursement de la somme de 9 606,86 euros au titre des factures réglées à la société Experts entreprendre audit de 2011 à ce jour ;

- débouté la société Experts entreprendre audit de sa demande en paiement au titre des factures impayées par la société Productions X ;

- débouté la société Experts entreprendre audit de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

- débouté les sociétés Productions X et Into the wild et M. X de leur demande d'astreinte ;

- condamné la société Experts entreprendre audit au paiement d'une somme de 5 000 euros à chacun des demandeurs au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, soit une somme totale de 15 000 euros ;

- condamné la société Experts entreprendre audit aux dépens.

La société Experts entreprendre audit a fait appel par déclaration du 2 janvier 2018 et, par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 4 septembre 2019, elle demande à la cour :

- à titre principal, d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé l'action des sociétés Into the wild et Productions X et de M. X recevable et, statuant de nouveau, de dire les sociétés Into the wild et Productions X et M. X irrecevables en leurs demandes,

- à titre subsidiaire, sur le fond :

- d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a condamnée au paiement de la somme de 90 224 euros à la société Productions X au titre des intérêts de retard et majorations appliqués par l'administration fiscale, de la somme de 36 591 euros à la société Into the wild à titre de dommages-intérêts correspondant aux intérêts de retard et majorations sollicités par l'administration fiscale, de la somme de 11 621,59 euros à M. X à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices subis et de la somme de 10 000 euros à chacun des intimés à titre forfaitaire aux fins d'indemnisation du préjudice en termes de démarches, temps passé et préjudice moral,

- statuant à nouveau, de débouter la société Into the wild, la société Productions X et M. X de leurs demandes,

- subsidiairement sur le quantum des demandes, de dire et juger que sa responsabilité ne saurait être engagée pour les préjudices résultants des manquements des intimés, que la société Productions X n'a pas subi de préjudice au titre du paiement d'indemnités, que le préjudice subi par M. X est d'un montant maximum de 7 927 euros au titre des majorations appliquées par l'Urssaf, de débouter la société Into the wild et la société Productions X et M. X du surplus de leurs demandes,

- en tout état de cause :

- d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de paiement au titre des factures impayées et de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,

- de le confirmer en ce qu'il a débouté la société Into the wild de sa demande de condamnation au versement de la somme de 9 606,86 euros au titre des honoraires versés par la société Into the wild,

- de débouter les sociétés Into the wild et Productions X et M. X de leur demande de condamnation au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive,

- statuant à nouveau, de condamner la société Productions X à lui payer la somme de 9.639,76 euros au titre des factures impayées, avec intérêts légaux à compter du 2 novembre 2015 et capitalisation des intérêts, de condamner solidairement les sociétés Into the wild et Productions X et M. X à lui payer la somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et celle de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens avec droit de recouvrement direct.

Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 9 septembre 2019, les intimés demandent à la cour :

- de confirmer le jugement en ce qu'il a :

- condamné, à titre de dommages-intérêts, la société Experts entreprendre audit au paiement des sommes de 90 224 euros à la société Productions X, de 36 591 euros à la société Into the wild et de 11 621,59 euros à M. X,

- condamné la société Experts entreprendre audit au paiement, à titre d'indemnisation de leur préjudice moral, de la somme de 10 000 euros à la société Productions X, de 10 000 euros à la société Into the wild et de 10 000 euros à M. X, y ajoutant, de porter cette condamnation à hauteur de 30 000 euros par intimé, soit 90 000 euros au total,

- débouté la société Experts entreprendre audit de sa demande de paiement au titre des factures impayées par la société Productions X, de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive et de toutes autres demandes,

- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Into the wild de sa demande de remboursement de la somme de 9 606,86 euros au titre des factures réglées à la société Experts entreprendre audit ;

- de rejeter les demandes de la société Experts entreprendre audit formées à l'égard des sociétés Into the wild et Productions X et de M. X ;

- de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné la société Experts entreprendre audit au paiement, aux sociétés Into the wild et Productions X et à M. X chacun, d'une somme de 5 000 euros, soit 15 000 euros au total, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- y ajoutant, de condamner la société Experts entreprendre audit au paiement aux sociétés Into the wild et Productions X et à M. X chacun d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, soit 15 000 euros au total, et de la condamner aux dépens.

SUR CE,

Sur la recevabilité de l'action :

La société Experts entreprendre audit soulève l'irrecevabilité de l'action de chacun des trois intimés tirée de la forclusion aux motifs que les lettres de mission prévoient un délai de trois mois suivant la date à laquelle le client aura eu connaissance du sinistre pour introduire une demande de dommages-intérêts et que les sociétés Into the wild et Productions X et M. X ont introduit leur action après l'expiration du délai de trois mois ayant commencé à courir pour les sociétés au jour où la proposition de rectification fiscale est devenue définitive et pour M. X au jour de la réception du relevé de dettes de l'Urssaf. Elle soutient que cette clause, dont la validité est certaine, prévoit un délai de forclusion et non de prescription de sorte que l'article 2254 du Code civil invoqué par les intimés et les règles relatives à la prescription ne sont pas applicables.

Les intimés soutiennent qu'ils ne peuvent se voir opposer ni prescription ni forclusion, leurs assignations ayant été délivrées dans le délai de cinq ans prévue par l'article 2224 du Code civil. Ils font valoir que le point de départ de la prescription est le jour de la réalisation du dommage, que le dommage est définitivement réalisé à la date d'expiration du délai de recours ou de rejet du recours contentieux, qu'en l'espèce l'action en responsabilité a été introduite par assignations avant l'expiration du délai de recours contre les avis de mise en recouvrement et dans le délai de cinq ans à compter de l'expiration du délai de recours contre un avis de l'Urssaf du 15 juillet 2014 communiquant à M. X le montant des sommes dues.

Les intimés contestent la validité de la clause invoquée par la société Experts entreprendre audit. Ils soutiennent qu'elle est contraire aux dispositions d'ordre public de l'article 2224 [lire 2254] du Code civil, la réduction du délai de prescription ne pouvant être inférieur à un an, qu'elle doit, en application de l'article 1171 du Code civil et du paragraphe I de l'article L. 442-6 ancien du Code de commerce, être réputée non écrite comme créant un déséquilibre significatif entre l'expert-comptable et son client, qu'elle est inapplicable car dépourvue de cause, un tel délai de forclusion revenant à priver de cause tous les engagements pris par l'expert-comptable dans la lettre de mission et à priver le cocontractant de toute indemnisation en cas de faute, qu'elle est également inapplicable sur le fondement de l'article L. 132-1 du Code de la consommation et sur le fondement de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme.

Ils estiment enfin que cette clause étant ambiguë sur la durée du délai doit s'interpréter dans un sens favorable au cocontractant du professionnel, que les conditions générales de la lettre de mission ne sont pas applicables aux interventions de la société Experts entreprendre audit hors du champ de la lettre de mission et que l'inexécution par la société Experts entreprendre audit de sa mission la prive de la possibilité de se prévaloir des conditions générales de la lettre de mission.

La société Experts entreprendre audit ne peut opposer à M. X, qui n'a pas signé en son nom personnel de lettre de mission, les clauses insérées dans les conditions générales de sorte qu'aucun délai de forclusion n'est applicable à l'action que M. X a introduite à titre personnel par assignation du 13 octobre 2015. Les demandes formées par M. X sont donc recevables.

Aux termes des conditions générales des deux lettres de mission, "toute demande de dommages-intérêts ne pourra être produite que pendant la période de prescription légale. Elle devra être introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client aura eu connaissance du sinistre".

Cette clause est dépourvue d'ambiguïté en ce qu'elle fixe, d'une part, un délai de prescription, sans réduction de ce délai par rapport au délai légal, et, d'autre part, un terme au droit d'agir du client de l'expert-comptable.

L'article 2254 du Code civil ne lui est pas applicable en ce qu'elle institue un délai de forclusion en fixant un terme au droit d'agir du créancier.

Dès lors qu'elle prévoit un délai raisonnable pour saisir les juges après que le client a eu connaissance du sinistre dont il se prévaut, elle ne prive pas le cocontractant de toute indemnisation en cas de faute ni n'a pour effet de priver de cause les engagements pris par l'expert-comptable dans la lettre de mission de sorte qu'elle n'est pas dépourvue de cause.

Pour les mêmes raisons, elle n'a pas pour effet de méconnaître le droit au procès équitable visé par l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme.

Les lettres de mission étant du 9 janvier 2008 et du 10 octobre 2009, l'article 1171 du Code civil, introduit par l'ordonnance du 10 février 2016 et applicable aux contrats conclus après son entrée en vigueur, n'est pas applicable en la cause. Quant au paragraphe I de l'article L. 442-6 du Code de commerce, il prévoit la seule mise en jeu de la responsabilité du cocontractant qui soumet un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. L'article L. 132-1 ancien du Code de la consommation n'est pas davantage applicable en l'espèce dès lors qu'il ne s'applique pas aux professionnels ayant conclu un contrat de prestations de service en rapport direct avec leur activité tel qu'une prestation d'expertise-comptable fournie à des sociétés commerciales.

Enfin, l'inexécution supposée de sa mission par la société Experts entreprendre audit n'a pas pour effet de la priver d'opposer à l'action des sociétés Into the wild et Productions X les conditions générales des lettres de mission.

Le délai de forclusion inséré dans les conditions générales des lettres de mission ne s'applique toutefois qu'aux demandes de dommages-intérêts fondées sur un supposé manquement de l'expert-comptable commis dans l'exécution des missions qui lui ont été expressément dévolues dans les lettres de mission.

Aux termes des lettres de mission du 9 janvier 2008 et du 10 octobre 2009, les sociétés Productions X et Into the wild ont ainsi confié à la société Experts entreprendre audit une mission de présentation des comptes annuels. Il résulte des tableaux de la répartition des tâches entre le cabinet et les clientes que la société Experts entreprendre audit n'avait pas en charge les acomptes trimestriels de TVA de sorte qu'elle ne peut opposer la forclusion aux demandes de dommages-intérêts formées à ce titre par les sociétés Productions X et Into the wild.

S'agissant des autres demandes de dommages-intérêts, qui portent sur des travaux entrant dans le champ de la mission dévolue à la société Experts entreprendre audit, la connaissance du sinistre par les sociétés Into the wild et Productions X constituant le point de départ du délai de forclusion est acquise au jour où les impositions supplémentaires mises à leur charge à raison des manquements supposés de la société Experts entreprendre audit ont été définitivement arrêtées.

La société Into the wild a reçu une proposition de rectification le 6 décembre 2013 devenue définitive le 6 février suivant et une autre proposition de rectification le 17 janvier 2014 sur laquelle la société a formulé des observations auxquelles l'administration fiscale a répondu le 18 avril 2014. L'assignation a été délivrée par la société le 5 août 2014 après l'expiration du délai de trois mois ayant commencé à courir le 6 février 2014 pour la première proposition de rectification et le 18 avril 2014 pour la seconde de sorte que sont forcloses les demandes de dommages-intérêts autres que celle fondée sur des manquements supposés aux tâches concernant les acomptes trimestriels de TVA.

La société Productions X a reçu une proposition de rectification le 9 juillet 2014 sur laquelle elle n'a pas formulé d'observation. L'assignation a été délivrée par la société le 7 octobre 2015 après l'expiration du délai de trois mois ayant commencé à courir le 9 juillet 2014. La forclusion est dès lors acquise s'agissant des demandes de dommages-intérêts formées au titre des manquements supposés de la société Experts entreprendre audit à ses missions fiscales en matière d'impôt sur les sociétés et de suivi de la TVA annuelle.

En définitive, sont recevables les demandes formées par M. X et les demandes formées par les sociétés Productions X et Into the wild au titre de manquements supposés aux tâches concernant les acomptes trimestriels de TVA.

La recevabilité de la demande en remboursement d'honoraires de la société Into the wild, qui ne peut être appréciée sans une analyse préalable des manquements concernés et de la pertinence du fondement invoqué, à savoir l'exception d'inexécution, sera abordée ci-après parallèlement à l'examen de son bien fondé.

Sur les demandes de dommages-intérêts formées par les sociétés Into the wild et Productions X :

La société Into the wild réclame des dommages-intérêts au titre des intérêts de retard relatifs à la TVA à hauteur de 9 426 euros et au titre des majorations pour défaut ou retard de déclaration de TVA à hauteur de 26 776 euros.

La société Productions X réclame des dommages-intérêts au titre des intérêts de retard relatifs à la TVA à hauteur de 4 261 euros et au titre des majorations appliquées pour opposition à contrôle relatif à la TVA à hauteur de 52 850 euros.

Elles soutiennent que, s'il ne résulte pas des lettres de mission que la société Experts entreprendre audit était chargée des déclarations au titre de la TVA, la société Experts entreprendre audit a pourtant établi celles-ci, tout au long de la collaboration entre les sociétés et de manière habituelle, qu'elle était ainsi chargée d'établir et de déposer par télédéclaration les déclarations de TVA, qu'elle n'a jamais contesté son intervention ni indiqué qu'elle n'en était pas chargée.

Elles reprochent à la société Experts entreprendre audit de ne pas avoir déclaré la TVA pour le compte de la société Into the wild au titre du 1er trimestre 2011 et des 1er et 2ème trimestres 2013, d'avoir déclaré tardivement la TVA au titre du 4ème trimestre 2009, des 1er et 4ème trimestres 2010 et des 3ème et 4ème trimestres 2011 et d'avoir sous-estimé la TVA déclarée en 2011 et 2012. Elles reprochent à la société Experts entreprendre audit d'avoir, pour le compte de la société Productions X, déclaré un montant insuffisant de TVA pour les exercices 2010 et 2011 et de n'avoir effectué aucun travail relatif à la TVA en 2012 et 2013.

Elles prétendent que la société Experts entreprendre audit a reconnu les erreurs de sa collaboratrice, qu'elle a eu connaissance au fur et à mesure des conséquences fiscales et sociales de l'absence de dépôt des déclarations ou de leur dépôt tardif et qu'elle ne fait pas la démonstration de ce qu'elles auraient transmis tardivement les éléments comptables lui permettant d'accomplir sa mission, la société Experts entreprendre audit n'ayant jamais adressé de relances et de mises en demeure claires sur de supposées carences de leur part.

La société Experts entreprendre audit soutient qu'aux termes des deux lettres de mission, l'ensemble des obligations déclaratives trimestrielles relatives à la TVA était à la charge des sociétés Into the wild et Productions X, que ce n'est qu'à titre exceptionnel, sur demande expresse des sociétés et lorsque les documents comptables nécessaires au calcul des acomptes trimestriels lui étaient communiqués avant les échéances, qu'elle a pu réaliser des déclarations trimestrielles de TVA, à titre commercial et sans facturation, que les rectifications imposées au titre de la TVA à la société Into the wild ne sont que la conséquence de l'absence ou du retard des déclarations trimestrielles qui devaient être établies par la société, que l'administration fiscale n'a jamais remis en cause la sincérité des bilans qui ont été établis mais a demandé le versement de la TVA collectée qui y est indiquée ainsi que le paiement d'intérêts de retard et de pénalités, que les rectifications imposées au titre de la TVA à la société Productions X résultent de déclarations trimestrielles non déposées de juin 2013 à février 2014 alors qu'elle n'était plus l'expert-comptable de la société depuis juin 2013 et qu'elle avait mis en garde la société de la nécessité de conserver de la trésorerie notamment pour payer les acomptes de TVA.

Elle ajoute que les sociétés Into the wild et Productions X ne communiquent pas les preuves de paiement des intérêts de retard, majorations et autres frais dont elles lui demandent aujourd'hui le paiement, que la majoration d'un montant de 52 850 euros figurant dans la proposition de rectification du 9 juillet 2014 adressée à la société Productions X, appliquée pour opposition à contrôle relatif à la TVA, est due au comportement de M. X qui ne s'est pas présenté à deux rendez-vous successifs fixés par l'administration fiscale les 23 mai et 6 juin 2014, que la société Productions X a vraisemblablement bénéficié d'un dégrèvement, seule la somme de 83 621 euros correspondant aux seuls droits ayant été réclamée par les services fiscaux le 27 mars 2015, qu'aucun préjudice moral n'est justifié.

Il est constant que les déclarations mensuelles et acomptes trimestrielles de TVA n'étaient pas inclus dans les travaux attribués à la société Experts entreprendre dans les lettres de mission.

S'agissant de la société Into the wild, seuls des courriels des 18 et 19 novembre et 6 décembre 2009, puis du 21 janvier, 19 février, 29 avril, 5 juillet et 14 octobre 2010 échangés entre l'expert-comptable et la société révèlent que la société Experts entreprendre audit a accepté, par l'intermédiaire de la salariée en charge de la comptabilité de la société, de prendre en charge la déclaration mensuelle de TVA pour ces trimestres, celles faites en 2010 l'ayant été sur demande de M. X, ce dernier demandant même un conseil à l'expert-comptable le 21 janvier 2010 pour savoir s'il devait déposer la déclaration avec la mention "néant". Aucun des autres courriels postérieurs à octobre 2010 produits aux débats ne fait état de déclarations mensuelles ou trimestrielles de TVA devant être faites par la société Experts entreprendre audit à la place de sa cliente.

S'agissant de la société Productions X, seul un courriel du 5 juillet 2010 échangé entre l'expert-comptable et la société révèle que la société Experts entreprendre audit a accepté, par l'intermédiaire de la salariée en charge de la comptabilité de la société, de prendre en charge la déclaration mensuelle de TVA pour ce mois-là sur demande de M. X Aucun des autres courriels produits aux débats ne fait état de déclarations mensuelles ou trimestrielles de TVA devant être faites par la société Experts entreprendre audit à la place de sa cliente.

Dans un message adressé le 13 juillet 2013 par l'expert-comptable à la société Into the wild, portant notamment sur la question de régulariser un passif de TVA d'un montant de 77 433 euros à fin 2012, la société Experts entreprendre audit précise : " merci de me faire un retour sur le sujet avant l'échéance du 19 juillet, nous n'envoyons aucune déclaration tant que nous n'avons pas ton retour là-dessus ".

Il ne peut se déduire de ces échanges que la société Experts entreprendre audit avait accepté d'élargir sa mission de manière permanente et pérenne aux déclarations mensuelles et trimestrielles de TVA des deux sociétés et il résulte du courriel du 13 juillet 2013 que ces déclarations n'étaient faites par l'expert-comptable qu'après avoir reçu l'accord du client.

Dans le tableau récapitulatif des déclarations de TVA de la société Into the wild établi " suite à rdv SIE Sèvres du 11 juillet 2013" (pièce 37 des intimés), seules les déclarations trimestrielles des 1er, 3ème et 4ème trimestres 2011 n'ont pas été faites et celle du 2ème trimestre 2011 a été faite avec retard. Les pièces produites aux débats n'établissent pas que la société Into the wild avait demandé à la société Experts entreprendre audit de procéder à ces déclarations trimestrielles. Toutefois, au titre de la période pour laquelle la société Experts entreprendre audit a accepté de procéder aux déclarations trimestrielles de TVA, la proposition de rectification fiscale adressée le 6 décembre 2013 à la société Into the wild indique que la déclaration trimestrielle de TVA pour les 4ème trimestre 2009 et 1er et 4ème trimestres 2010 n'a été souscrite respectivement que les 7 juillet 2010, 22 juin 2010 et 20 avril 2011 après l'expiration du délai légal. Seul ce retard est susceptible d'être imputé à l'expert-comptable. La proposition de rectification fiscale adressée le 6 décembre 2013 portant sur cette période a cependant opéré un redressement de TVA d'un montant de 22 400 euros fondé sur une réintégration de TVA portée en déduction, faute de justifications que les prestations facturées remplissaient les conditions de déduction, et assorti d'intérêts pour un montant de 3 919 euros. Le préjudice dont se prévaut la société Into the wild constitué de ces intérêts de retard est donc sans lien de causalité avec d'éventuels manquements commis par l'expert-comptable tirés d'un dépôt tardif de déclarations de TVA.

Quant à la société Productions X, un tableau récapitulatif similaire (pièce 37 des intimés) indique que la déclaration trimestrielle de juillet 2010 a été faite dans les délais, cette déclaration correspondant au seul courriel du 5 juillet 2010 échangé entre l'expert-comptable et la société Productions X au sujet de la TVA trimestrielle. Ce tableau mentionne des retards de déclaration pour le premier semestre 2011 puis l'absence de toute déclaration de janvier à juin 2011 et en février, mars et juin 2013. Pendant ces périodes, la société Productions X n'établit pas avoir demandé à la société Experts entreprendre audit de procéder aux déclarations mensuelles ou trimestrielles à sa place. En outre, la proposition de rectification fiscale du 9 juillet 2014 concernant la TVA porte sur la période allant du 1er juillet 2010 au 28 février 2014, l'avis de vérification ayant été adressé le 22 avril 2014 après qu'il a été mis fin à la mission de la société Experts entreprendre audit. Cette proposition indique que de juillet 2010 à mai 2013 les déclarations trimestrielles de TVA ont été déposées dans les délais. Aucun manquement n'est donc susceptible d'être reproché à la société Experts entreprendre audit.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les sociétés Into the wild et Productions X doivent être déboutées de leurs demandes de dommages-intérêts.

Sur les demandes de dommages-intérêts formées par M. X à titre personnel

La société Experts entreprendre audit soutient que le paiement des cotisations Urssaf ressortait de la responsabilité du client, soit M. X personnellement, celui-ci étant associé unique et gérant de la société Productions X, que M. X ne communique pas les preuves de paiement des intérêts de retard, majorations et autres frais dont il demande aujourd'hui le paiement, que les majorations de retard appliquées par l'Urssaf et les frais d'huissier, de réfection d'une porte d'entrée et bancaires ne sont que la conséquence du comportement de M. X et qu'aucun préjudice moral n'est justifié.

M. X prétend qu'il entrait dans la mission de la société Experts entreprendre audit, non de payer les cotisations dues à l'Urssaf, mais de déclarer ses revenus auprès des organismes sociaux, qu'elle n'a procédé à aucune déclaration, que son préjudice est constitué des majorations de retard appliquées en raison de l'absence ou de la tardiveté des déclarations de revenus à l'Urssaf, des frais d'huissier et de bris de porte, et des frais bancaires résultant d'une situation d'impayé causée par les fautes de la société Experts entreprendre audit.

Il résulte du tableau de répartition des tâches annexé à la lettre de mission conclue avec la société Productions X que la société Experts entreprendre audit était chargée des déclarations des revenus des travailleurs non salariés pour M. X et que la cliente était en charge du paiement des appels de cotisations.

M. X se prévaut d'un préjudice né des intérêts de retard appliqués par l'Urssaf. Or il ressort des significations de contraintes des 5, 24 et 30 juillet et 11 octobre 2012, des 10 janvier, 1er juillet et 25 septembre 2013 et du 9 janvier 2014 que les sommes principales réclamées résultent de l'absence de versements. M. X ne produit pas de pièces établissant que ce défaut de paiement résulte lui-même d'un défaut de déclaration de ses revenus par l'expert-comptable.

Faute de démontrer l'existence d'un manquement de la société Experts entreprendre audit, M. X doit être débouté de sa demande de dommages-intérêts.

Sur la demande de remboursement d'honoraires de la société Into the wild :

La société Into the wild demande le remboursement des honoraires payés de 2010 à fin 2013, soit un montant total de 9 606,86 euros en invoquant l'exception d'inexécution. Ce montant correspond à la totalité des honoraires dus et payés depuis 2010 conformément à la lettre de mission du 10 octobre 2009 qui fixe le tarif à 2 400 euros HT par an. Elle indique qu'elle a réglé des honoraires alors que la société Experts entreprendre audit ne s'est pas acquittée de ses obligations et qu'elle s'est aperçue de l'étendue des manquements de son expert-comptable après la fin de la relation contractuelle.

Sous le couvert d'une exception d'inexécution, qui ne peut être opposée par la société Into the wild après accomplissement de sa propre obligation de paiement, cette dernière demande réparation du préjudice subi à raison de manquements contractuels commis par la société Experts entreprendre audit, sans indiquer précisément les inexécutions concernées. Or, outre le fait que la société Into the wild est forclose à solliciter la réparation de préjudices résultant de manquements à la mission de la société Experts entreprendre audit telle que définie par la lettre de mission et comprenant l'établissement de l'impôt sur les sociétés et le suivi de la TVA annuelle, aucun des manquements allégués à l'encontre de l'expert-comptable en matière de déclaration mensuelle et trimestrielle de TVA n'a été précédemment retenu.

La société Into the wild doit donc être déboutée de sa demande de ce chef et le jugement confirmé sur ce point.

Sur la demande en paiement d'honoraires formée par la société Experts entreprendre audit :

La société Experts entreprendre audit soutient qu'à compter de l'année 2010 la société Productions X a cessé de payer les honoraires dus conformément à la lettre de mission du 9 janvier 2008, qu'elle a rempli ses diligences jusqu'à l'établissement des comptes sociaux de l'exercice 2012, qu'elle a vainement mis en demeure la société le 2 novembre 2015 et qu'une somme totale de 9 639,76 euros TTC lui reste due.

Les intimés opposent l'exception d'inexécution à la société Experts entreprendre audit faisant valoir qu'elle n'a respecté aucune de ses obligations, qu'elle a attendu l'assignation d'octobre 2015 pour mettre en demeure la société Productions X, qu'elle se sait ainsi responsable des conséquences de ses fautes et abstentions dans l'exercice de sa mission. Elles reprochent à la société Experts entreprendre audit de n'avoir transmis les déclarations au titre de l'impôt sur les sociétés pour 2010 et 2011 qu'en 2013 sur demande des services fiscaux, de ne pas avoir effectué de travail au titre de l'impôt sur les sociétés en 2012 et 2013, d'avoir établi une déclaration de TVA insuffisante pour 2010 et 2011 et de s'être abstenue de toute déclaration au titre de la TVA en 2012 et 2013.

Comme il a été dit précédemment, aucun manquement n'est établi à l'encontre de la société Experts entreprendre audit en matière de déclaration de TVA.

S'agissant de l'impôt sur les sociétés, il n'est pas établi que la déclaration au titre de l'exercice 2010 a été remise avec retard. La proposition de rectification fiscale du 9 juillet 2014 mentionne un retard dans le dépôt de la déclaration annuelle pour l'exercices clos le 30 juin 2011, remise plus de 30 jours après une mise en demeure du 29 novembre 2012, et l'absence de dépôt de la déclaration pour les exercices clos les 30 juin 2012 et 30 juin 2013 malgré une mise en demeure du 10 avril 2014, de même qu'une opposition à contrôle fiscal en raison de l'absence de M. X aux rendez-vous fixés.

Concernant l'exercice clos le 30 juin 2011, la société Experts entreprendre audit affirme que la société n'a communiqué les pièces comptables permettant l'établissement du bilan qu'en novembre 2011 et que ce bilan a été remis lors d'un rendez-vous le 22 novembre 2011. Le bilan a été établi mais la société Experts entreprendre audit ne produit pas de pièces à l'appui de ses dires quant au retard apporté par la cliente dans la communication des pièces comptables.

Le bilan au 30 juin 2012 a été établi. Des pièces comptables relatives à l'exercice clos le 30 juin 2012 n'ont été remises à la société Experts entreprendre audit que le 5 octobre 2012 comme l'annonce un courriel de M. X daté de ce jour. Des courriels échangés de fin mai 2012 à fin septembre 2012 entre la collaboratrice de la société Experts entreprendre audit et M. X à propos de la société Into the wild montrent que ce dernier n'a cessé de reporter des rendez-vous avec l'expert-comptable. Concernant les comptes clos au 30 juin 2013, le bilan n'a pas été établi comme cela ressort d'un courriel du 30 juillet 2013 de la société Experts entreprendre audit. Ce message indique clairement que la société Experts entreprendre audit restait dans l'attente de la validation par M. X des comptes clos au 30 juin 2012 pour transmettre les éléments à l'administration fiscale de même qu'elle restait dans l'attente des éléments pour établir le projet de bilan au 30 juin 2013, étant précisé qu'au début du mois de juillet 2013 la société Productions X avait fait part à la société Experts entreprendre audit de son intention de la décharger de sa mission. La société Productions X ne démontre donc pas de manquements de la société Experts entreprendre audit à ses obligations contractuelles justifiant le non-paiement des honoraires.

Seul le retard dans le dépôt de la déclaration de l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos le 30 juin 2011 est dès lors susceptible d'être imputable à la société Experts entreprendre audit. Ce retard n'a toutefois pas entraîné de conséquence pour la société Productions X, la procédure de taxation d'office mise en œuvre par l'administration fiscale, en 2014 après la fin de mission de la société Experts entreprendre audit résultant non d'un tel retard mais de l'opposition à contrôle fiscal, laquelle n'est nullement imputable à la société Experts entreprendre audit. Dans ces conditions, à défaut de démontrer l'existence d'autres carences de la part de l'expert-comptable au titre de cet exercice, il n'y a pas lieu de retenir de manquements justifiant le non-paiement des honoraires.

Il sera donc fait droit à la demande en paiement de la société Experts entreprendre audit.

Sur les autres demandes :

Sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral formée par les intimés :

Aucun manquement n'étant retenu à l'encontre de la société Experts entreprendre audit, les intimés seront déboutés de leur demande de dommages-intérêts pour préjudice moral, le jugement étant infirmé sur ce point.

Sur la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive formée par les intimés :

Les intimés forment devant la cour une demande de dommages-intérêts pour résistance abusive. Cette demande, formulée dans le corps de leurs dernières conclusions, n'est toutefois pas reprise dans le dispositif de ces conclusions de sorte que, conformément à l'article 954 du Code de procédure civile, la cour n'a pas à statuer sur cette prétention.

Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par la société Experts entreprendre audit :

La méprise des sociétés Into the wild et Productions X et de M. X sur l'étendue de leurs droits et les chances de succès de leurs prétentions ne suffit pas, à défaut d'autres éléments non démontrés en l'espèce, à qualifier d'abusive la procédure qu'ils ont initiée. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Experts entreprendre audit de sa demande.

Par ces motifs, LA COUR statuant contradictoirement, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Into the wild de sa demande de remboursement de la somme de 9 606,86 euros au titre des factures réglées à la société Experts entreprendre audit de 2011 à ce jour, débouté la société Experts entreprendre audit de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive et débouté les sociétés Productions X et Into the wild et M. X de leur demande d'astreinte ; L'infirme pour le surplus ; Statuant à nouveau des chefs infirmés, Déclare irrecevables les demandes de dommages-intérêts formées par les sociétés Into the wild, Productions X et M. X au titre des manquements supposés de la société Experts entreprendre audit à ses missions fiscales en matière d'impôt sur les sociétés et de suivi de la TVA annuelle ; Déclare recevables les autres demandes formées par les sociétés Into the wild, Productions X et M. X ; Déboute les sociétés Into the wild, Productions X et M. X de leur demande de dommages-intérêts au titre de la TVA trimestrielle ; Déboute les sociétés Into the wild, Productions X et M. X de leur demande de dommages-intérêts pour préjudice moral ; Condamne la société Productions X à payer à la société Experts entreprendre audit la somme de 9 639,76 euros TTC au titre des honoraires impayés, avec intérêts au taux légal à compter du 2 novembre 2015 et capitalisation des intérêts ; Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne in solidum les sociétés Into the wild, Productions X et M. X aux dépens de première instance ; Y ajoutant, Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; Condamne in solidum les sociétés Into the wild, Productions X et M. X aux dépens d'appel.