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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 18 décembre 2019, n° 19-12908

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Tati Diffusion (sté)

Défendeur :

Setam (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

Mes Etevenard, de Chazeaux

T. com. Paris, 13 Juin 2019

13 juin 2019

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par B. F., Premier Président de chambre et par Anaïs SCHOEPFER, Greffière.

Le 19 juillet 2016, la société Agora Distribution a conclu avec le groupe Cananga, établi à Mayotte, un contrat de master franchise international, conférant à celui-ci le droit exclusif d'exploiter directement ou au travers de filiales qu'il contrôle des magasins à l'enseigne Tati sur le territoire de Mayotte.

Le contrat de franchise du 19 juillet 2016 prévoit la délivrance d'une garantie bancaire d'un montant de 550 000 euros pour le premier magasin correspondant à 135 jours du budget achat annuel du sous-franchiseur auprès du franchiseur. Il stipule que " tout différend né entre les parties de

l'interprétation et/ou de l'exécution du présent contrat et/ou des annexes sera soumis, à défaut de

solution amiable et selon la nature du litige, au tribunal de grande instance de Paris ou au tribunal

de commerce de Paris ".

Le 9 septembre 2016, les sociétés Cananga (à hauteur de 80 % du capital) et Holka (à hauteur de 20 % du capital) ont créé la société Setam dont le siège est situé à Mamoudzou en vue de l'exploitation du magasin Tati à Mamoudzou, lequel a ouvert le 20 avril 2017.

A la suite d'importantes difficultés financières rencontrées par le réseau Tati et par les sociétés têtes de réseau Tati, le tribunal de commerce de Bobigny a, par jugement du 4 mai 2017, ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Agora Distribution. Dans le cadre de cette procédure, la société Groupe Philippe Ginestet a formulé une offre de reprise portant sur certains actifs de la société. Par jugement du 26 juin 2017, le tribunal de commerce de Bobigny a homologué cette offre de cession. La société Groupe Philippe Ginestet a ainsi repris une grande partie du réseau Tati en France et à l'international et s'est notamment vu transférer, avec l'accord de la société Cananga, le contrat de master franchise international conclu avec la société Agora Distribution. La société Tati Diffusion, filiale de la société Groupe Philippe Ginestet, s'est substituée à cette dernière, avec l'autorisation du tribunal de commerce.

A compter du mois d'octobre 2017, la société Tati Diffusion a soumis à la société Cananga pour discussion un nouveau projet de contrat de concession d'enseigne ayant vocation à se substituer au contrat de franchise en vigueur. Le 1er février 2018, une réunion de signature a eu lieu dans les bureaux de Tati pour organiser la remise du document d'information précontractuelle Tati Mayotte assorti du projet de contrat de concession d'enseigne négocié et finalisé comportant notamment une clause attributive de compétence au tribunal de commerce de Paris " pour tous différends découlant du présent contrat ou en relation avec celui-ci ". Le document d'information précontractuelle a été signé ce jour-là par la société Cananga. Le contrat de concession d'enseigne annexé qui devait être signé vingt jours plus tard ne l'a pas été. Malgré de nouvelles discussions, le contrat de concession d'enseigne n'a finalement jamais été signé ni par la société Cananga ni par la société Tati Diffusion.

Parallèlement à ces discussions, la société Tati Diffusion a poursuivi la pratique mise en place par la société Agora Distribution selon laquelle les commandes de marchandises étaient directement passées auprès d'elle par la société Setam en vue de l'exploitation du magasin Tati de Mayotte. Pour garantir ces achats, la société Tati Diffusion a sollicité de la société Setam la production d'une garantie bancaire. Le 16 janvier 2018, l'acte de caution a été délivré par la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de La Réunion qui a " déclaré se porter par la présente caution solidaire de

la société Setam envers la société Tati Diffusion à concurrence de 550 000 euros en garantie des

engagements que prendra la société Setam à son égard dans l'exercice de son activité

professionnelle ", la date limite de validité de la caution étant le 31 décembre 2026.

Suivant un courrier recommandé avec accusé de réception du 11 février 2019, la société Tati Diffusion a informé la société Cananga de la résiliation à effet immédiat du contrat liant les parties et, par acte du 22 mars 2019, fait assigner la société Cananga au fond devant le tribunal de commerce de Paris en paiement de dommages-intérêts visant à réparer le préjudice subi du fait des fautes alléguées à l'appui de la décision de résiliation du contrat.

Par acte du 24 mai 2019, la société Setam a fait assigner la société Tati Diffusion en référé devant le président du tribunal de commerce de Paris en restitution, sous astreinte, de l'original de la caution bancaire de la Banque Crédit Agricole La Réunion de 550 000 euros émise le 16 janvier 2018, détenu par la société Tati Diffusion.

La société Tati Diffusion a soulevé in limine litis l'incompétence territoriale du tribunal de commerce de Paris et dit n'y avoir lieu à référé sur la demande qui se heurte à une contestation sérieuse, ne constitue pas une mesure conservatoire et que ne justifie ni dommage imminent ni trouble manifestement illicite.

Par ordonnance contradictoire du 13 juin 2019, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris s'est dit compétent et a :

Vu les articles 872 et 873 alinéa 2 du Code de procédure civile,

- ordonné la restitution par la SAS Tati Diffusion à la SAS Setam de l'original de la caution bancaire de la Banque Crédit Agricole La Réunion de 550 000 euros émise le 16 janvier 2018 que la SAS Tati Diffusion détient toujours à ce jour, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la signification de la présente ordonnance, et ce pendant 60 jours passé lequel délai il sera à nouveau fait droit,

- laissé au juge de l'exécution le soin de liquider l'éventuelle astreinte,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- rejeté toutes demandes plus amples ou contraires des parties,

- condamné en outre la SAS Tati Diffusion aux dépens de l'instance,

- dit la présente décision de plein droit exécutoire par provision en application de l'article 489du Code de procédure civile.

Par déclaration du 9 juillet 2019, la société Tati Diffusion a interjeté appel de l'ensemble des chefs expressément énoncés de cette ordonnance.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 31 octobre 2019, la société Tati Diffusion demande à la cour de :

Vu les articles 42, 48 et 75, 122, 872 et 873 du Code de procédure civile,

Vu l'article 700 du Code de procédure civile,

- infirmer intégralement l'ordonnance de référé rendue le 13 juin 2019 et, statuant à nouveau :

In limine litis et à titre principal,

- constater qu'aucune clause d'attribution de juridiction ne lie la société Setam à la société Tati Diffusion,

En conséquence,

- faire droit à l'exception d'incompétence soulevée par la société Tati Diffusion,

- dire et juger que le tribunal de commerce de Paris est incompétent pour connaître des demandes de la société Setam,

- dire et juger que faute de clause d'attribution de compétence, la société Setam aurait dû assigner la société Tati Diffusion dans le ressort de son siège social,

- dire et juger que le tribunal de commerce d'Agen est compétent pour connaître des prétentions de la société Setam,

A titre subsidiaire,

- constater que la demande de la société Setam ne respecte pas les conditions posées par l'article 872 du Code de procédure civile en ce qu'elle se heurte à une contestation sérieuse,

- constater que la demande de la société Setam ne respecte pas les conditions posées par l'article 873 du Code de procédure civile en ce qu'elle n'est pas une demande conservatoire et que Setam n'apporte la preuve ni d'un dommage imminent, ni d'un trouble manifestement illicite,

En conséquence,

- dire et juger que la demande de la société Setam échappe au pouvoir du juge des référés,

- dire et juger qu'il n'y a pas lieu à référé,

- dire et juger irrecevable la demande de la société Setam,

A titre infiniment subsidiaire,

- constater que la caution bancaire concerne les relations commerciales entre Setam et Tati Diffusion,

- constater que la caution bancaire a été mise en place en garantie des engagements de la société Setam dans l'exercice de son activité professionnelle,

- constater que la date limite de validité de la caution est le 31 décembre 2026,

- constater que la société Setam exploite encore un magasin Tati à Mayotte sans droit ni titre,

En conséquence,

- dire et juger irrecevables les demandes de la société Setam tendant à obtenir de la cour qu'elle dise la caution éteinte,

- dire et juger que la caution n'est pas éteinte,

- dire et juger que la société Tati Diffusion est bien fondée à conserver l'original de la caution bancaire remise par la banque Crédit Agricole Mutuel de la Réunion,

- rejeter les demandes de la société Setam,

En tout état de cause,

- condamner la société Setam au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Setam aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 24 octobre 2019, la société Setam demande à la cour de :

Vu l'article 48 du Code de procédure civile,

Vu les articles 872 et 873 du Code de procédure civile,

Vu l'article 2311 du Code civil,

Vu l'article 700 du Code de procédure civile,

- déclarer la société Tati Diffusion SAS recevable mais mal fondée en son appel formé à l'encontre de l'ordonnance de référé du président du tribunal de commerce de Paris en date du 13 juin 2019,

- débouter la société Tati Diffusion SAS de toutes ses demandes, fins et conclusions,

En conséquence,

In limine litis,

- confirmer en toutes ses dispositions les termes de l'ordonnance de référé du 13 juin 2019 rendue par le président du tribunal de commerce de Paris en ce qu'il s'est déclaré territorialement compétent,

- confirmer les termes de l'ordonnance de référé du 13 juin 2019 rendue par le président du tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a ordonné à la société Tati Diffusion SAS, sous astreinte, la restitution de l'original de la caution émise par la Caisse Régionale du Crédit

Agricole Mutuel de La Réunion le 16 janvier 2018, et y ajoutant, déclarer ladite caution éteinte,

- condamner la société Tati Diffusion SAS à payer à la société Setam SAS la somme de

10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Tati Diffusion SAS aux entiers dépens.

En application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 31 octobre 2019.

MOTIFS

Selon l'article 42 alinéa 1er du Code de procédure civile, " la juridiction territorialement compétente

est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur ". L'article 46 du même Code dispose qu'en matière contractuelle, le demandeur peut en outre saisir, à son choix, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service.

L'article 48 du Code de procédure civile prévoit une exception à ces règles de compétence territoriale en présence de clauses attributives de compétence : " Toute clause qui, directement ou indirectement,

déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu'elle n'ait été

convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu'elle n'ait été

spécifiée de façon très apparente dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée ".

Il en résulte que pour être opposable la clause attributive de compétence territoriale doit réunir deux conditions cumulatives, à savoir qu'elle ait été convenue entre des parties commerçantes et qu'elle soit spécifiée de façon très apparente dans le contrat. Elle ne produit d'effets juridiques qu'à l'égard de ses signataires.

La société Setam expose que les sociétés Tati et Setam ont librement consenti à une clause attributive de juridiction désignant le tribunal de commerce de Paris pour régler leurs différends. La société Tati Diffusion soutient à l'inverse qu'elle n'est liée par aucune convention avec la société Setam comportant une clause attributive de compétence, que le tribunal de commerce de Paris n'est donc pas compétent territorialement, seul l'étant le tribunal de commerce d'Agen dans le ressort duquel elle a établi son siège social.

La société Setam se prévaut tout d'abord de la clause attributive de compétence énoncée dans le contrat de master franchise du 19 juillet 2016. Elle fait valoir que la société Setam et la société Tati Diffusion sont liées entre elles par les dispositions conventionnelles du 19 juillet 2016 puisque la société Setam est une filiale contrôlée majoritairement par la société Cananga, qu'en application de l'article 2 du contrat de franchise, la société Setam s'est substituée à la société Cananga pour l'exploitation du magasin Tati à Mamoudzou, qu'elle a passé commande auprès de la société Agora Distribution puis de la société Tati Diffusion et a reçu pour chaque commande une facture établie à son nom qu'elle a directement réglée à la société Agora Distribution puis à la société Tati Diffusion, que le Tribunal de commerce dans son jugement du 26 juin 2017 a expressément ordonné la reprise des contrats de franchise Cananga et Setam ; qu'il en résulte un faisceau d'indices précis et concordants de l'existence d'un contrat de distribution entre la société Setam et la société Tati Diffusion fondé sur les dispositions du contrat de franchise du 19 juillet 2016 contenant la clause attributive de juridiction au profit du tribunal de commerce de Paris.

En second lieu, la société Setam se prévaut de la clause attributive de compétence énoncée dans le contrat de concession d'enseigne annexé au document d'information précontractuelle du 1er février 2018, lequel a commencé à recevoir exécution par la remise de la caution bancaire litigieuse en garantie des paiements des factures de marchandises acquises auprès de la société Tati Diffusion.

Il s'avère que la société Setam n'est pas partie au contrat de master franchise international du 19 juillet 2016 conclu entre avec la société Cananga et que, tiers à ce contrat, elle ne peut demander l'application d'une clause attributive de compétence y figurant et qui n'a donc pas été convenue entre elle et la société Tati Diffusion. Quant à la substitution qu'elle invoque, il apparaît que les conditions prévues à cet effet par l'article 25 du contrat de master franchise qui stipule " compte tenu du caractère intuitu personae des présentes, le sous-franchiseur s'interdit de céder ou de disposer des droits concédés aux présentes hormis au successeur de son fonds de commerce ou à ses ayants-droit ou sa holding familiale de contrôle la société Holka SAS et après acceptation écrite de la cession par le franchiseur... " n'ont jamais été remplies, et qu'aucune substitution n'a eu lieu.

Le fait que la société Tati Diffusion et la société Setam puissent être en relation contractuelle dans le cadre d'un contrat de franchise, contrat consensuel ne nécessitant pas un écrit et se prouvant par tous moyens, comme l'évoque la société Setam, ne permet pas à celle-ci de se prévaloir d'une clause attributive de compétence dès lors que faute d'écrit, le contrat ne peut par définition contenir une telle clause qui doit être spécifiée de façon très apparente, selon l'article 48 du Code de procédure civile.

Quant à la clause attributive de compétence figurant au projet de contrat de cession d'enseigne, elle n'a pas vocation à s'appliquer puisque ce contrat n'a été signé par aucune des parties. A cet égard, la délivrance de la garantie bancaire le 16 janvier 2018 concernant les relations commerciales entre la société Setam et la société Tati Diffusion ne se réfère à aucun contrat et ne peut constituer un commencement d'exécution du contrat de cession d'enseigne resté à l'état de projet.

Enfin, si le jugement du tribunal de commerce de Bobigny du 26 juin 2017 a en effet ordonné la cession d'un contrat entre la société Tati Diffusion et la société Setam dans des termes repris par le premier juge pour retenir sa compétence : " nous relevons que le tribunal de commerce de Bobigny

par jugement du 26 juin 2017 a ordonné la cession judiciaire, sur le fondement de l'article L. 642-7

du Code de commerce, des contrats de franchise, master franchise et prestations de services conclus

entre les sociétés Agora Distribution et les sociétés des DOM-TOM suivantes: la SARL Modeva, la

SAS Cananga et la SAS Setam ", force est de constater que n'est produit aucun autre contrat que celui du 19 juillet 2016 dont la société Setam n'est pas signataire et qu'en l'absence de contrat, il ne peut être fait état d'une clause attributive de compétence qui y figurerait.

En conséquence, en l'absence de clause dérogatoire de compétence territoriale convenue entre la société Tati Diffusion et la société Setam, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris ne pouvait retenir sa compétence pour connaître du litige. Dès lors, conformément aux dispositions de l'article 90 alinéa 3 du Code de procédure civile aux termes desquelles " si elle n'est pas juridiction

d'appel, la cour, en infirmant du chef de la compétence la décision attaquée, renvoie l'affaire devant

la cour qui est juridiction d'appel relativement à la juridiction qui eût été compétente en première

instance ", il convient de renvoyer l'affaire devant la cour d'appel d'Agen, juridiction d'appel du juge des référés du tribunal de commerce d'Agen, juridiction qui eût été compétente en première instance pour être celle du lieu du siège social de la société Tati Diffusion en application de l'article 42 du Code de procédure civile.

La société Setam, qui succombe, supportera la charge des dépens d'appel.

L'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Déclare le juge des référés du tribunal de commerce de Paris incompétent pour connaître des demandes au profit du juge des référés du tribunal de commerce d'Agen,

Infirme en conséquence l'ordonnance entreprise du chef de la compétence territoriale, Vu l'article 90 alinéa 3 du Code de procédure civile, Renvoie l'affaire devant la cour d'appel d'Agen, Condamne la société Setam aux dépens d'appel, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.