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Décisions

CA Lyon, 3e ch. A, 19 décembre 2019, n° 19-04302

LYON

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Lilikim (SAS), Lilikim Agency (SARL)

Défendeur :

MAM Baby France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Esparbès

Conseillers :

Mme Homs, M. Bardoux

Avocats :

Mes Laffly, Laronze, Baufume, Rota

T. com. Luon, du 5 juin 2019

5 juin 2019

EXPOSE DU LITIGE

Se sont rapprochées en vue d'une collaboration pour la diffusion d'articles de petite puériculture :

- la société MAM Baby France SAS, filiale du groupe autrichien MAM International et créée en 2012,

- la société Lilikim SAS créée en 2010 et spécialisée dans la représentation de tous produits non réglementés auprès des magasins de puériculture.

Aucun contrat n'a été écrit. Des courriels échangés entre les sociétés en avril et mai 2013 ont retenu des principes généraux de collaboration dont le paiement de commissions au profit de Lilikim SAS en partie fixe et partie variable selon les ventes réalisées.

En octobre 2013, Lilikim SAS a créé une filiale la société Lilikim Agency SARL pour isoler l'activité de représentation des produits de marque MAM.

Par courriel du 4 décembre 2013, la société MAM Baby France a proposé à Lilikim un projet de contrat. Lilikim n'y a pas donné suite estimant qu'il ne correspondait pas à la réalité de leurs relations.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 14 mars 2016, évoquant notamment la faiblesse de la force de vente de Lilikim, MAM Baby France lui a notifié la fin de leur collaboration à compter du 1er septembre 2016, en indiquant que cette rupture intervenait d'un commun accord et ne donnait donc pas lieu à une indemnité compte tenu de la qualité de commissionnaire, et non d'agent commercial, de Lilikim.

Les 14 avril 2016 et 16 janvier 2017, Lilikim a contesté la rupture et a mis MAM Baby France en demeure de lui communiquer le relevé des ventes du 1er septembre au 31 décembre 2016 afin d'établir ses factures de commissions. Elle a aussi réclamé le paiement d'une indemnité de rupture (373 834). Le 6 février 2017, MAM Baby France s'est opposé à ces demandes.

Par acte du 13 avril 2017, Lilikim SAS a fait assigner MAM Baby France devant le tribunal de commerce de Lyon pour obtenir la reconnaissance de son statut d'agent commercial, le paiement de ses commissions et d'une indemnité de rupture.

Lilikim Agency SARL est intervenue volontairement à l'instance le 12 février 2018.

Le 26 juillet 2018, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte au profit de Lilikim SAS par le même tribunal sur déclaration de cessation des paiements de la part de son dirigeant. Le 28 mars 2019, la procédure a été convertie en liquidation judiciaire. Le même jour, la société Likilim Agency SARL a été placée en liquidation judiciaire.

La procédure a été reprise par Me X ès qualités de liquidateur judiciaire des deux sociétés Lilikim.

Par jugement contradictoire du 5 juin 2019, le tribunal de commerce de Lyon s'est déclaré incompétent territorialement au profit du tribunal de commerce de Paris lieu du siège social de la défenderesse avec application de l'article 82 du Code de procédure civile, et a condamné Lilikim Agency aux entiers dépens de l'instance.

Me Y ès qualités de liquidateur judiciaire de Lilikim et Lilikim Agency a interjeté appel par acte du 20 juin 2019 intimant MAM Baby France.

Il a par ailleurs obtenu le 27 juin 2019 l'autorisation d'assigner l'intimée à jour fixe à l'audience du 20 novembre 2019, ce qui a été opéré par acte du 17 juillet 2019.

Par conclusions déposées le 7 novembre 2019, fondées sur les articles 83 et suivants, 46 et 48 du Code de procédure civile, Me Y ès qualités demande à la cour de :

- le déclarer recevable et bien fondé en son appel,

- infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

- rejeter l'exception d'incompétence soulevée par MAM Baby France au profit du tribunal de commerce de Paris, juger que le tribunal de commerce de Lyon est territorialement compétent,

- juger que la cour de Lyon est juridiction d'appel relativement à ce litige,

A titre principal,

Evoquer les points non jugés après avoir préalablement invité les parties à conclure au fond dans les délais qui seront fixés,

A titre subsidiaire,

- renvoyer l'affaire devant le tribunal de commerce de Lyon pour qu'il soit statué au fond,

- condamner la société MAM Baby France à lui payer une indemnité de 3.000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

Et aux dépens d'instance et d'appel, ces derniers étant distraits au profit de la SELARL Laffly.

Par conclusions déposées le 15 novembre 2019, au visa des articles 42, 46, 48 et 75 du Code de procédure civile et l'article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme, la société MAM Baby France demande à la cour de :

Juger non fondé l'appel formé par Me Y ès qualités,

A titre principal,

Constater que les prestations caractéristiques réalisées par Lilikim puis par Lilikim Agency dans le cadre de la relation contractuelle de commissionnaire à la vente n'ont pas été exécutées de manière prépondérante au lieu de leur siège social ou à leur domicile,

Constater que la clause attributive de juridiction prévue par le contrat de commission stipulée en caractère très apparent et dont le titre même de l'article figure en caractères gras et jamais contestée par Lilikim et/ou Lilikim Agency, désigne expressément le tribunal de commerce de Paris,

Juger que l'option de compétence de l'article 46 du Code de procédure civile, prévue dans des conditions bien définies, ne permet pas à Me Y ès qualités de voir juger cette affaire à Lyon ou de déroger à la clause négociée de bonne foi contenue dans le contrat confié et exécuté par Lilikim et Lilikim Agency,

En conséquence,

Confirmer le jugement déféré en ce qu'il s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Paris,

A titre subsidiaire,

Dans l'hypothèse où la juridiction de céans déclarerait bien-fondé l'appel formé par Me Y ès qualités, rejeter la demande d'évocation au fond formulée par ce dernier,

Renvoyer l'affaire devant le tribunal de commerce de Lyon pour que les parties concluent sur les autres exceptions de procédure ou fins de non-recevoir, puis au fond,

A titre très subsidiaire,

Inviter les parties à conclure sur les autres exceptions de procédure ou fins de non-recevoir soulevées devant le tribunal de commerce de Lyon, puis au fond dans les délais qui seront fixés,

En tout état de cause,

Rejeter toutes prétentions adverses,

Condamner Me Y ès qualités à lui payer la somme de 10 000 par application de l'article 700 du Code de procédure civile,

Et aux entiers dépens.

MOTIFS

En matière contractuelle, par dérogation à la règle de l'article 42 du Code de procédure civile (juridiction du lieu où demeure le défendeur) et selon l'article 46 du même Code, le demandeur peut saisir à son choix, celle du lieu de l'exécution de la prestation de service.

Pour justifier sa saisine du tribunal de commerce lyonnais, l'appelant soutient que c'est au lieu de son domicile professionnel que l'agent commercial, qualification qu'il attribue aux deux sociétés Lilikim au soutien de ses demandes financières au fond, et plus généralement le représentant, exécute son mandat, reçoit les directives de la part de son mandant et les commandes de ses clients, et réceptionne ses commissions, indépendamment du lieu d'exercice du travail de prospection commerciale ou de la répartition des ventes par secteurs.

Il est constant que les deux sociétés Lilikim ont leur siège dans le ressort du tribunal de commerce de Lyon, pour avoir été implantées initialement à Neuville sur Saône ce qui est attesté par les extraits de Kbis versés au dossier, puis pour avoir transféré leur siège à Fleurieu sur Saône (69250) après la rupture ce que MAM Baby France ne conteste pas.

Pour s'opposer à la saisine de la juridiction lyonnaise et solliciter la confirmation du jugement déféré qui a retenu l'exception d'incompétence qu'elle a soulevée, MAM Baby France dont le siège social est situé à Paris, excipe du contrat conclu entre les parties qui stipule une clause de compétence à son article 17 " Attribution de juridiction ", renvoyant l'examen de tout litige " aux tribunaux compétents de Paris ", ce que Me Y conteste, à bon droit.

En effet, une telle clause dérogeant aux règles de compétence territoriale, visée à l'article 48 du Code de procédure civile, certes admissible entre commerçants, ce que sont les sociétés en litige, n'est valable qu'à condition d'avoir été expressément consentie, son caractère apparent n'étant pas critiquable eu égard à ses termes.

Or, il est constant que le contrat allégué par MAM Baby France n'est en réalité que le projet de contrat qu'elle a adressé à Lilikim par courriel du 4 décembre 2013, sur lequel cette dernière a adressé des observations, peu important que ces observations aient été restreintes selon MAM Baby France.

Le projet de contrat contenant la clause de compétence n'a jamais donné lieu à un contrat écrit signé des deux parties.

Le fait, soutenu par MAM Baby France, que Lilikim ait poursuivi ses missions pour son compte, ce qui est exact puisque la rupture n'a été consommée qu'à partir de la lettre d'envoi du 14 mars 2016, mais selon des modalités différentes selon les parties, ne rend pas la clause attributive de compétence opposable à cette dernière. L'acceptation d'une clause attributive de compétence ne peut pas résulter d'un défaut de contestation, mais exige une acceptation non équivoque.

A défaut en l'espèce d'une telle acceptation de la part de Lilikim, la clause attributive est inopérante.

Me Y est donc fondé à revendiquer son droit à exercer l'option de compétence que lui ouvre l'article 46 précité.

Quelle que soit la qualification de la convention conclue entre les parties et effectivement exécutée, sujet du débat de fond, les deux parties admettent que le contrat en jeu est un contrat d'exécution de prestations confié à Lilikim.

Dans ses écritures, MAM Baby France note que les missions confiées à Lilikim consistaient en la représentation de ses produits, par des visites et prises de commande auprès des points de vente de puériculture, réalisées par des représentants terrain, auprès des magasins et sites convenus.

L'appelant le confirme, en admettant que la clientèle est située sur l'ensemble du territoire français, mais en insistant à juste titre sur le fait que le lieu de fourniture des prestations se situe juridiquement au domicile professionnel du prestataire (69), lieu où ce dernier définit ses missions, organise ses plannings et réceptionne tant les commandes des clients que le paiement de ses commissions.

Comme le démontre l'appelant, la localisation de ce centre d'intérêts au lieu de son siège social est indépendante du lieu d'exercice de la prospection commerciale ou de la répartition des ventes par secteurs, dont les divers lieux ne peuvent pas fonder une compétence juridictionnelle qui varierait au gré des lieux successifs des affaires et de l'importance de celles-ci.

Le premier juge a ainsi à tort retenu la faiblesse du chiffre d'affaires des ventes dans le département du Rhône pour écarter sa compétence. En droit français, l'option de compétence n'est pas conditionnée par la prépondérance mathématique d'une activité accomplie au lieu choisi par le demandeur pour saisine de la juridiction.

Sans plus ample discussion, le jugement est infirmé, pour dire que le tribunal de commerce de Lyon doit reprendre le jugement de l'affaire.

En effet, contrairement à ce que sollicite Me Y, la cour n'entend pas faire application de l'article 89 du Code de procédure civile et évoquer le dossier. Il est de bonne justice d'octroyer aux deux parties un double degré de juridiction.

Les entiers dépens avec application de l'article 699 du Code de procédure civile sont imputés à MAM Baby France qui doit en outre supporter la charge d'une indemnité de procédure à verser à l'appelant.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et par arrêt contradictoire, Infirme le jugement déféré, statuant à nouveau et y ajoutant, Rejette l'exception d'incompétence soulevée par MAM Baby France au profit du tribunal de commerce de Paris, Juge que le tribunal de commerce de Lyon est territorialement compétent et doit, à défaut d'évocation par la cour, poursuivre le jugement du dossier, Condamne la société MAM Baby France à payer à Me Y ès qualités de liquidateur des sociétés Lilikim SAS et Lilikim Agency une indemnité de procédure de 3 000, Condamne la société MAM Baby France aux entiers dépens, avec pour ceux d'appel application de l'article 699 du Code de procédure civile.