CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 19 décembre 2018, n° 16-12901
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Bethoud agricole (SAS)
Défendeur :
La serre'nko (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
Mmes Mouthon Vidilles, Comte
Avocats :
Mes Taze Bernard, Laurendon, Régnier, Bourlioux, Betton
Faits et procédure
La société La Serre'Nko est une agence de publicité spécialisée dans la communication dans le domaine agricole.
La société Berthoud Agricole (ci-après la société Berthoud) a pour activité la fabrication et la commercialisation de pulvérisateurs agricoles pour les cultures, les arbres et les vignes.
Depuis à tout le moins 1999, la société La Serre'Nko, venant aux droits de la société La Serre-Nko par transmission universelle de patrimoine, a élaboré le plan de communication annuelle de la société Berthoud, plan qu'elle lui présentait habituellement au mois de juin, et qui était établi selon un cahier des charges remis par la société Berthoud au cours d'une réunion se tenant au mois de mai précédent, pour une campagne se déroulant généralement entre le mois de septembre et le mois de mai de l'année suivante et a géré pour le compte de cette dernière l'achat de ses espaces publicitaires.
Selon les dires de la société Berthoud, contestés par la société La Serre'Nko, les relations commerciales entre les parties auraient toujours fonctionné selon un système d'appels d'offre et de mise en compétition.
Lors de la réunion annuelle du mois de mai 2014, la société La Serre'Nko a été informée oralement qu'elle serait mise en compétition avec d'autres agences de communication pour la réalisation du plan de communication pour la période 2014/2017 et pour les 120 ans de la société Berthoud. Aucune notification écrite d'un recours à un appel d'offres n'est intervenue. Le 23 juin 2014, la société Serre'Nko a présenté son projet de stratégie de communication.
Au cours du mois de juillet 2014, la société La Serre'Nko a appris au téléphone qu'un autre prestataire avait été choisi pour mener les campagnes à venir.
Par courrier d'avocat du 15 décembre 2014, la société La Serre'Nko a mis en demeure la société Berthoud d'avoir à lui régler une somme de 105 724 euros au titre, d'une part, du règlement d'une facture du 30 novembre 2014 correspondant aux prestations de création et de conception pour les campagnes de publicité sur la période 2014/2017 et, d'autre part, une indemnité pour rupture brutale des relations commerciales établies.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 6 janvier 2015, la société Berthoud a contesté devoir les sommes sollicitées.
Dans ces conditions, par exploit du 27 janvier 2015, la société La Serre'Nko a assigné la société Berthoud devant le tribunal de commerce de Lyon en paiement de la facture correspondant aux prestations de création et conception pour les campagnes de communication sur la période 2014/2017 et d'une indemnité pour rupture brutale de la relation commerciale établie.
Par jugement du 29 avril 2016, le tribunal de commerce de Lyon a, sous le régime de l'exécution provisoire :
- condamné la société Berthoud Agricole au règlement de la somme de 16 800 euros TTC correspondant à la facture n° 141109/CRE du 30 novembre 20l4,
- condamné la société Berthoud Agricole à payer à la société La Serre'Nko la somme de 59 383 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la rupture brutale des relations établies,
- rejeté l'ensemble des autres demandes, fins et conclusions contraires des parties,
- condamné la société Berthoud Agricole à payer à la société La Serre'Nko la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la société Berthoud Agricole aux entiers dépens de l'instance.
La société Berthoud Agricole a relevé appel de ce jugement.
L'instruction devant la cour a été clôturée par ordonnance du 16 octobre 2018.
Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 22 novembre 2017, par lesquelles la société Berthoud, appelante, invite la cour, au visa des articles 1134 et 1382 anciens du Code civil, et L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, à :
- recevoir la société Berthoud Agricole en son appel, l'y déclarer bien fondée,
- déclarer la société Serre'Nko mal fondée en son appel incident, l'en débouter,
- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Lyon du 29 avril 2016 sur l'ensemble de ces dispositions, à l'exception de celles concernant le rejet de la demande d'indemnisation formulée par la société La Serre'Nko au titre du licenciement économique prétendument diligenté en suite de la rupture alléguée des relations commerciales établies avec la société Berthoud Agricole qu'il conviendra de confirmer,
et statuant à nouveau,
sur la demande de règlement de la facture n° 141109 du 30 novembre 2014 :
- dire que la prestation dont il est demandé le paiement a été réalisée par la société La Serre'Nko dans le cadre d'un appel d'offres dont il était entendu entre les parties qu'il ne serait pas rémunéré,
- dire en tout état de cause qu'il ne peut être démontré un quelconque accord entre les sociétés Berthoud Agricole et La Serre'Nko sur l'objet et le prix de la prestation litigieuse,
sur les demandes formées au titre d'une prétendue rupture des relations commerciales établies et au titre d'une prétendue rupture brutale :
- dire que la nature particulière des prestations fournies par la société La Serre'Nko prive la relation commerciale existante entre cette dernière et la société Berthoud Agricole de tout caractère établi,
- dire en tout état de cause qu'en présence établie d'un recours systématique à des appels d'offres, les relations commerciales existantes entre la société La Serre'Nko et la société Berthoud Agricole ne peuvent être caractérisées de relations commerciales établies au sens l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,
- dire en tout état de cause que la société Berthoud Agricole n'a pas pris l'initiative de la rupture des relations commerciales avec la société La Serre'Nko,
à titre subsidiaire, dans le cas où par impossible la cour devait considérer que les relations commerciales établies entre les parties ont été rompues à l'initiative de la société Berthoud Agricole,
- dire que la société La Serre'Nko n'a pas été renouvelée dans ses attributions à la suite de l'appel d'offres lancé parla société Berthoud Agricole en avril 2014 qu'elle n'a pas remporté,
- dire que la société La Serre'Nko a en tout état de cause bénéficié d'un préavis d'une durée de 12 mois,
en conséquence,
- dire que les relations commerciales entre la société La Serre'Nko et la société Berthoud Agricole n'ont pas été rompues de manière brutale,
à titre infiniment subsidiaire, dans le cas où par extraordinaire la cour devait considérer que les relations commerciales établies entre les parties ont été rompues de manière brutale en l'absence de tout préavis,
- constater que la société La Serre'Nko ne démontre pas l'état de dépendance économique alléguée,
en conséquence,
- rejeter l'appel incident formé parla société La Serre'Nko au terme duquel elle sollicite que la durée de préavis à retenir soit fixée à 18 mois,
- rejeter ainsi la demande formulée par la société La Serre'Nko au titre d'une indemnisation complémentaire d'un montant de 29 641,50 euros correspondant à 6 mois de marge brute supplémentaire.
en tout état de cause :
- infirmer le jugement sur l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens,
- débouter la société Serre'Nko de ses demandes de ce chef ;
Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 1er août 2017, par lesquelles la société La Serre'Nko, intimée ayant formé appel incident, demande à la cour, au visa des articles 1134 et 1382 anciens du Code civil, L. 110-3 et L. 442-6, I, 5 ° du Code de commerce, de :
- déclarer la société Berthoud Agricole mal fondée en son appel du jugement rendu le 29 avril 2016 par le tribunal de commerce de Lyon,
- l'en débouter,
- confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a condamné la société Berthoud Agricole au règlement de la facture d'un montant de 16 800 euros TTC relatives aux prestations de création et de conception réalisées par la société La Serre'Nko en 2014,
- confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a condamné la société Berthoud Agricole au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies avec la société La Serre'Nko,
- infirmer le jugement entrepris, en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts alloués à la société La Serre'Nko, insuffisant au regard de la durée des relations commerciales et de l'état de dépendance économique,
en conséquence,
- dire qu'une durée de préavis de 18 mois aurait dû être observée, compte tenu de la durée des relations commerciales et du taux de dépendance économique,
- confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a condamné la société Berthoud Agricole à payer à la société La Serre'Nko la somme de 59 383 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies, correspondant à 12 mois de marge brute escomptée (4 940,25 euros x 12 mois),
- condamner la société Berthoud Agricole à payer à la société La Serre'Nko la somme supplémentaire de 29 641,50 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies, correspondant à la durée supplémentaire de 6 mois de marge brute escomptée (4 925 euros x 6 mois),
subsidiairement et si la cour venait à considérer que le délai de préavis à observer par la société Berthoud pour mettre fin aux relations commerciales sans brutalité aurait dû être entre 12 mois et 18 mois,
- condamner la société Berthoud Agricole à payer à la société La Serre'Nko au règlement d'une indemnité correspondant à la durée mensuelle supplémentaire estimée, multipliée par la marge brute mensuelle de 4 940,25 euros,
- confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a débouté la société La Serre'Nko de sa demande d'indemnisation au titre du licenciement intervenu pour motif économique,
- confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a condamné la société Berthoud Agricole au règlement de la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du Code procédure civile et des dépens relatifs à la première instance,
- condamner la société Berthoud Agricole au règlement de la somme supplémentaire de 6.000 euros en application de l'article 700 du Code procédure civile,
- condamner la société Berthoud Agricole aux entiers dépens, dont ceux distraits au profit de la SCP Régnier Bequet Moisan en application de l'article 699 du Code de procédure civile ;
SUR CE, LA COUR,
Sur la demande d'indemnisation pour rupture brutale des relations commerciales établies
La société La Serre'Nko soutient et justifie, sans être démentie, venir aux droits de la société La Serre-Nko, cette dernière venant elle-même aux droits de la société La Serre et Magand, laquelle entretenait des relations commerciales avec la société Berthoud depuis 1991 (pièces intimée n° 38, 39, 40). Il convient donc de retenir une ancienneté des relations commerciales depuis plus de 20 ans.
Les parties s'opposent tant sur le caractère établi de ces relations au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, que sur l'existence, la date et l'auteur de la rupture, la durée du préavis et le préjudice subi.
Sur le caractère établi de la relation commerciale entre les parties
La société Berthoud soutient que la relation commerciale entre les deux sociétés était précaire, arguant du fait qu'elle s'inscrivait dans un domaine bien particulier impliquant un travail de création artistique et une appréciation nécessairement subjective de la qualité des projets proposés excluant de fait tout droit acquis. Elle ajoute que la relation était assise sur des procédures d'appels d'offres, excluant tout caractère établi. Elle fait également valoir que la société La Serre'Nko ne bénéficiait d'aucune exclusivité, ni de chiffre d'affaires garanti, éléments sans lesquels la qualification de relation commerciale établie doit normalement être exclue. Dans ces conditions, elle conclut à l'infirmation du jugement entrepris sur ce point, les dispositions l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce étant inapplicables en l'espèce.
La société La Serre'Nko réplique que la société Berthoud ne démontre pas avoir émis des appels d'offres pour l'élaboration de ses plans de communication annuelle qu'elle lui a confiés sans discontinuité depuis plus de 20 ans. Elle fait observer que la société Berthoud ne conteste pas qu'elle réalisait, chaque année, avec elle un chiffre d'affaires significatif. Elle soutient que l'argument selon lequel les absences de contrat-cadre, d'exclusivité et de chiffre d'affaires garanti excluraient la qualification de relation commerciale établie, est inopérant.
Si, aux termes de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :...5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ", la société qui se prétend victime de cette rupture doit établir au préalable le caractère suffisamment prolongé, régulier, significatif et stable d'un courant d'affaires ayant existé entre elle et l'auteur de la rupture, qui pouvait lui laisser raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.
En l'espèce, la société La Serre'Nko établit, sans aucune contestation de l'appelante, l'existence d'un flux d'affaires ininterrompu depuis 1991, constitué d'une succession de commandes du plan annuel de communication (recommandations de création et d'achat d'espaces publicitaires) de la société Berthoud et de prestations annexes (commandes de support publicitaire et d'achat d'espaces publicitaires), au vu des propositions présentées au mois de juin par la société La Serre'Nko et établies selon un cahier des charges remis par la société Berthoud au mois de mai (pièces intimée n° 6 et 7).
Les tableaux de facturation annuelle de 1999 à 2014 que la société La Serre'Nko produit, font ressortir que l'activité avec la société Berthoud générait des chiffres d'affaires conséquents (au minimum 152 880 euros en 2003 et au maximum 246 358 euros en 2007). La société Berthoud ne discute aucunement ces pièces mais soutient avoir entretenu les relations commerciales, telles que décrites, sur la base, traditionnelle dans ce domaine, d'appels d'offres, de sorte qu'elles ne présenteraient pas de caractère établi au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.
Or, relevant, à juste titre, que le fait d'être susceptible d'être mis en concurrence ne présageait en rien du caractère effectif de la mise en concurrence et encore moins du caractère officiel d'un appel d'offres, les premiers juges ont constaté que la société Berthoud ne communiquait aucune pièce démontrant avoir lancé un appel d'offres pour les attributions revenant annuellement à la société La Serre'Nko depuis plus de 20 ans. La cour observe que la société Berthoud, qui supporte la charge de la preuve à cet égard, l'existence des appels d'offres qu'elle invoque étant contestée, n'en justifie pas plus en appel. En effet, les pièces qu'elle produit n'ont aucune valeur probante en ce que :
- le courriel adressé par M. X, son directeur de la communication, le 25 juillet 2013 concerne la validation d'une commande d'un achat d'espace publicitaire, (pièce appelante n° 1),
- abstraction faite des liens d'extrême proximité de son auteur avec l'entreprise, le courrier de M. X (pièce appelante n° 4) ne fait état que de généralités ("lors de ces consultations, les prestataires savent qu'ils ont mis en compétition"),
- l'attestation de la société Nimbus Conseil est inopérante dès lors qu'elle n'a pas personnellement constaté la participation de la société Serre'Nko à un appel d'offres (pièce appelante n° 23), de même que les attestations de sociétés concurrentes et un article de presse, qui font seulement état d'un processus de mise en concurrence dans le secteur en cause.
En conséquence de ces éléments, la persistance depuis plus de 20 ans d'un flux d'affaires régulier et ininterrompu suffit à caractériser une relation commerciale établie entre les parties au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, peu important à cet égard les absences de conclusion d'un contrat-cadre, d'exclusivité et de garantie d'un chiffre d'affaires.
Sur la date et l'auteur de la rupture
La société Berthoud conteste être l'auteur de la rupture faisant valoir qu'elle a continué à commander des prestations à la société La Serre'Nko à la suite de l'appel d'offres non remporté par cette dernière. Elle précise que les parties étaient encore en relations commerciales sur l'année 2015 concernant un projet de magazine. Elle considère donc que c'est la société La Serre'Nko qui a pris, par courrier recommandé avec accusé de réception du 15 décembre 2015, l'initiative de la rupture unilatérale de la relation commerciale.
La société La Serre'Nko réplique que la proposition de cette prestation de création d'un support publicitaire, plus de 6 mois après le non-renouvellement des prestations de création de campagnes de publicité, ne permet en aucun cas de soutenir une absence de rupture brutale des relations commerciales établies. Elle ajoute que c'est précisément le non-renouvellement de ce marché de création de campagne de publicité par la société Berthoud, à compter du mois de juillet 2014, qui caractérise la fin des relations commerciales entre les deux sociétés.
Il n'est pas discuté qu'en 2014, la société Berthoud n'a aucunement notifié par écrit à la société Serre'Nko son intention de recourir à une procédure d'appel d'offres pour l'élaboration de sa stratégie de communication annuelle. La société Serre'Nko précise, sans être démentie, que :
- le 15 mai 2014, lors de la réunion annuelle du mois de mai au cours de laquelle la société Berthoud lui présentait ses exigences contractuelles en vue de la réalisation de la campagne à venir, cette dernière lui a transmis un cahier des charges (cf "Brief agence de communication" pour les actions à mener pour les marchés "Grandes cultures" et "Vigne" et les 120 ans de la société, ainsi qu'un Powerpoint "Présentation Agence de communication" pièces intimées n° 6 et 7), pour l'anniversaire des 120 ans et pour les 3 prochaines années,
- à cette occasion, elle a appris oralement qu'il y aurait probablement une compétition avec d'autres agences de publicité,
- par la suite, elle n'a reçu aucune information à cet égard et le recours à un appel d'offres ne lui a pas été confirmé,
- lors d'une réunion qui s'est tenue le 23 juin 2014, elle a présenté à la société Berthoud son projet de plan de communication annuelle pour la campagne 2014/2017 (pièce intimée n° 9) qu'elle a établi selon le cahier des charges transmis en mai,
- aucune mise en compétition ne lui a alors été confirmée, aucun appel d'offre ne lui a été communiqué,
- ce n'est qu'après plusieurs relances téléphoniques du mois de juillet 2014 qu'elle a appris qu'un autre prestataire de publicité avait été engagé,
- à compter de juillet 2014, la société Berthoud a cessé de lui confier des prestations de communication annuelle.
Il résulte de ces éléments que les relations commerciales établies entre les parties ont été rompues, en juillet 2014, lorsque la société Berthoud a confié les prestations d'établissement de plans de communication annuelle assurées depuis plus de 20 ans par la société Serre'Nko, à un autre prestataire. Par suite, la société Berthoud est bien l'auteur de la rupture des relations commerciales établies, peu important à cet égard que six mois plus tard, elle ait proposé à son ancien partenaire commercial une prestation accessoire de création d'un support publicitaire.
Il ressort de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit tenant compte de la durée des relations commerciales antérieures et d'autres circonstances.
En l'espèce, la société Berthoud soutient, à titre subsidiaire, qu'à supposer qu'elle soit l'auteur de la rupture, un délai de préavis de 12 mois aurait commencé à courir à compter de la date de lancement de l'appel d'offres litigieux (avril 2014). Elle conclut à l'absence de toute brutalité dans la rupture, la société La Serre'Nko ayant d'ores et déjà bénéficié d'un préavis suffisant.
Mais il a été vu ci-dessus que la société Berthoud ne rapportait pas la preuve de la notification de son recours à un appel d'offres et par suite, de celle d'un préavis écrit. La rupture est donc brutale.
Sur le préavis suffisant
Les relations commerciales ont duré plus de 20 ans. Les premiers juges ont évalué à 12 mois la durée du préavis suffisant. La société La Serre'Nko soutient qu'elle aurait dû bénéficier d'un préavis de 18 mois compte tenu de la durée des relations commerciales et de son taux de dépendance économique. La société Berthoud réplique qu'aucune dépendance économique de la société La Serre'Nko n'est caractérisée et demande à titre infiniment subsidiaire la confirmation du jugement sur ce point.
L'évaluation de la durée du préavis à accorder est fonction de toutes les circonstances de nature à influer son appréciation au moment de la notification de la rupture, notamment de l'ancienneté des relations, du volume d'affaires réalisé, du secteur concerné, du degré de dépendance économique de la victime, des dépenses non récupérables engagées par elle et du temps nécessaire pour retrouver un partenaire.
Dans ces conditions, eu égard aux pièces produites, à l'ancienneté des relations commerciales, à la nature de l'activité (prestations de communication annuelle), au volume d'affaires généré par l'activité, au degré de dépendance économique (selon les indications de la société La Serre'Nko, 25 % de son chiffre d'affaires total), à l'absence d'exclusivité, c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que la société Serre'Nko aurait dû bénéficier d'un préavis de 12 mois afin de pallier les incidences de la perte de commandes par la société Berthoud.
Sur le préjudice
Il est constant que le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture, est constitué par la seule perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé. Le préjudice s'évalue, traditionnellement, en comparant la marge qui aurait dû être perçue en l'absence de pratiques délictueuses, pendant le préavis qui aurait du être octroyé, à la marge effectivement perçue. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture. Le calcul consiste à déterminer la moyenne mensuelle de la marge sur coûts variables sur les trois exercices pleins précédant la rupture, et à multiplier le montant obtenu par le nombre de mois de préavis dont aurait dû bénéficier la victime de la rupture.
En l'espèce, il ressort des pièces comptables produites, dont l'attestation de l'expert-comptable de la société Serre'Nko (pièce intimée n° 21) corroborée par les Bilans et comptes de résultat pour les exercices 2011 à 2014 (pièces intimée n° 22 à 25), et non contestées par l'appelante, que c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu une marge moyenne mensuelle sur les trois derniers exercices pleins (2001 à 2013) de 4 940,25 euros et évalué le manque à gagner de la société Serre'Nko à la somme de 59 383 euros (4 940,25 x 12). Le jugement entrepris sera également confirmé de ce chef et la société Serre'Nko sera déboutée du surplus de ses demandes en dommages et intérêts fondées sur les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.
Sur le paiement de la facture n° 141109 du 30 novembre 2014
Les premiers juges ont fait droit à la demande en paiement de la société La Serre'Nko de la facture du 30 novembre 2014 à hauteur de 16 800 euros TTC (14 000 euros HT) comme correspondant au travail de création et de conception qu'elle a réalisé pour les besoins de la campagne 2014-2017 et pour les 120 ans de la société Berthoud, faute pour cette dernière de justifier du recours à un appel d'offres.
La société Berthoud soutient que le processus habituel de collaboration entre les parties était basé sur des appels d'offres et mises en concurrence non indemnisés, parfaitement connu de la société La Serre'Nko et auquel la campagne 2014-2017 n'a pas fait exception. Elle ajoute que la société La Serre'Nko ne rapporte pas la preuve d'une quelconque commande ou devis validé manifestant l'accord de la société Berthoud sur la prestation litigieuse facturée, et plus particulièrement sur son prix.
En réplique, la société La Serre'Nko fait valoir que la société Berthoud n'a pas émis d'appel d'offres et ne l'a pas informée d'une absence de rémunération pour l'élaboration de la stratégie de communication pour la période 2014/2017. Partant, ayant accompli cette prestation à la demande de la société Berthoud, la société La Serre'Nko estime qu'elle doit faire l'objet d'un règlement.
La facture en cause correspond à des prestations de création et conception des campagnes de publicité, à hauteur de 10 000 euros HT pour le marché "Grandes cultures" et de 4 000 euros HT pour le marché "Vigne", soit des prestations usuelles confiées à la société La Serre'Nko depuis plus de 20 ans, sans que la société Berthoud ait recouru à un appel d'offres, comme il a été établi ci-dessus. Ce travail a été accompli selon les modalités habituelles, entre mai et juin 2014, soit antérieurement à la rupture Par suite, cette facture est due et le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Berthoud aux dépens et à payer à la société Serre'Nko la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. La société Berthoud, qui succombe également en appel, en supportera les dépens et devra verser à la société Serre'Nko la somme supplémentaire de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, sa propre demande formée à ce titre étant rejetée.
Par ces motifs, LA COUR, confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; et y ajoutant, déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ; condamne la société Berthoud Agricole aux dépens de l'appel ; autorise la SCP Régnier Bequet Moisan, avocat, à recouvrer les dépens dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile ; condamne la société Berthoud Agricole à verser à la société Serre'Nko la somme supplémentaire de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.