CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 19 décembre 2018, n° 17-00219
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Inforad limited, BTSG (SCP)
Défendeur :
COYOTE SYSTEM (SASU), Editions mondadori axel springer (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
Mmes Mouthon Vidilles, Comte
Avocats :
Mes Guyonnet, Fourgoux, Teytaud, Chartier, Goulesque Monaux, Garidel-Thoron
Faits et procédure
Les appelantes
La société Inforad Limited est une société de droit irlandais spécialisée dans la conception et la vente de systèmes d'aides à la conduite.
La société Inforad Diffusion est une filiale de la société Inforad Limited qui assurait la commercialisation, sans abonnement, de la quasi-totalité des produits conçus par cette dernière en France. En juin 2010, elle a commercialisé un boitier communicant permettant de localiser les radars.
La société IT Services est aussi une filiale de la société Inforad Limited, en charge, quant à elle, de la recherche et du développement des produits destinés spécifiquement au marché français.
La société IT Services a été placée en redressement judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 10 mai 2012, lequel a nommé Maître Francisque Gay en qualité d'administrateur judiciaire et la SCP BTSG, prise en la personne de Maître
Véronique Bécheret, en qualité de mandataire judiciaire.
Selon deux jugements des 6 et 27 août 2013, le tribunal de commerce de Nanterre a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à |'encontre des sociétés IT Services et Inforad Diffusion et désigné la SCP BTSG, prise en la personne de Maître Véronique Bécheret, en qualité de liquidateur judiciaire.
Aujourd'hui, seule la société Inforad Limited n'a pas encore été liquidée mais elle n'exerce, toutefois, plus d'activité commerciale.
Les intimées
La société Coyote System (ci-après Coyote), créée en 2005, a développé, sous la marque Coyote, la première solution d'informations géolocalisées permettant de communiquer aux automobilistes, en temps réel, des données relatives au trajet qu'ils empruntent, telles que les limitations de vitesse, la présence de zones dangereuses, ou encore les perturbations routières. Elle commercialisait des boîtiers avertisseurs radars
La société Editions Mondadori Axel Springer (ci-aprés également EMAS) est une co-entreprise détenue conjointement par le groupe de presse italien Mondadori et le groupe de presse allemand Axel Springer. EMAS publie des magazines dont Auto Plus, hebdomadaire généraliste qui traite de l'ensemble de l'univers automobile et réalise notamment des comparatifs de véhicules et d'accessoires.
Le contexte réglementaire
Le décret n° 2012-3 du 3 janvier 2012 portant sur diverses mesures de sécurité routière a étendu le domaine d'application de l'article R. 413-15 du code de la route puisqu'il sanctionne désormais la détention, le transport ou l'usage d'appareils avertisseurs de radars. A propos du code de la route modifiée, le décret précise que " les dispositions du présent article sont également applicables aux dispositifs ou produits visant à avertir ou informer de la localisation d'appareils, instruments ou systèmes servant à la constatation des infractions à la législation ou à la réglementation de la circulation routière ".
En pratique, les fabricants de boîtiers avertisseurs radars ont alors, conformément au protocole d'accord conclu entre l'AFFTAC (regroupant les trois fabricants d'avertisseurs radar de l'époque : Coyote, Inforad et Wikango) et le gouvernement en 2011, transformé leurs boîtiers avertisseurs de radars en " outil d'assistance à la conduite ", ces derniers ne pouvant dorénavant plus indiquer de manière précise la localisation de radars, mais plutôt des " zones de danger " comportant, ou non des radars.
En définitive, le processus d'homologation des boîtiers permet aux fabricants de boîtiers de continuer à indiquer l'emplacement des radars, mais dans le cadre plus large d'une " zone de danger ".
Le litige
La société Inforad a reproché à la société Coyote d'avoir abusé de sa position dominante sur le marché des boîtiers avertisseurs radar et à la société EMAS d'avoir dénigré ses produits dans le journal Auto Plus, compromettant ainsi son succès commercial. Elle a demandé réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi de ce fait, en soulignant en outre le conflit d'intérêts entre les sociétés Coyote et EMAS.
Le 18 juin 2013, la société Inforad a assigné la société Coyote et la société Editions Mondadori Axel Springer (en tant qu'éditeur du magazine Auto Plus) devant le tribunal de commerce de Nanterre.
Par un jugement du 17 octobre 2013, le tribunal de commerce de Nanterre s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Paris.
Le 10 octobre 2014, la société Inforad a saisi le tribunal de commerce de Paris aux fins de communication de pièces. Elle demandait la communication de l'étude intitulée " Etude de Potentiel marché des AACC " réalisée par la société TNS SOFRES en 2012, ainsi que l'ensemble des documents comptables de Coyote System pour les exercices 2008 à 2013.
Par jugement du 22 décembre 2014, le tribunal de commerce de Paris a :
- enjoint Coyote System de communiquer à Inforad, les éléments suivants : les comptes annuels (bilan, compte de résultat et annexe) pour les exercices 2008 à 2013, le rapport de gestion pour les exercices 2008 à 2013, le rapport des commissaires aux comptes sur les comptes annuels, éventuellement complétés par les modifications apportées par l'assemblée des comptes annuels qui ont été soumis à cette dernière pour les exercices 2008 à 2013, le rapport du comité de surveillance pour les exercices 2008 à 2013, la proposition d'affectation du résultat et la résolution d'affectation votée pour les exercices 2008 à 2013, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, et ce 8 jours après la signification du présent jugement,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
- envoyé l'affaire à l'audience du 30 janvier 2015 pour conclusions,
- réservé les frais et dépens.
Par jugement du 21 novembre 2016, le tribunal de commerce de Paris a :
- débouté les sociétés Inforad Limited, Inforad Diffusion et IT Services, prises en la personne de la SCP BTSG, Maitre Bécheret, ès-qualités de liquidateur judiciaire, de l'ensemble de leurs demandes,
- condamné les sociétés Inforad Limited, Inforad Diffusion et IT Services, prises en la personne de la SCP BTSG, Maitre Bécheret, ès-qualités de liquidateur judiciaire, à payer à la société Coyote System les sommes de :
60 000 euros pour procédure abusive,
30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que ces sommes seront inscrites au passif des liquidations judiciaires,
- condamné les sociétés Inforad Limited, Inforad Diffusion et IT Services prises en la personne de la SCP BTSG, Maître Bécheret, ès-qualités de liquidateur judiciaire, aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 270,96 dont 44,72 euros de TVA.
La société BTSG prise en la personne de Me Véronique Bécheret, ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Inforad Diffusion et de la société IT Services, et la société Inforad Limited ont interjeté appel du jugement du tribunal de commerce de Paris
Vu l'appel de la société BTSG prise en la personne de Me Véronique Bécheret, ès-qualités de liquidateur judiciaire des sociétés Inforad Diffusion et IT Services, et de la société Inforad Limited, et leurs conclusions, déposées et notifiées le 27 septembre 2018, par lesquelles il est demandé à la cour, au visa de l'article 6§1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, des articles L. 420-2, et L. 462-3 du code de commerce du code de commerce, des articles 1240 et 1241 du code civil et des articles 430, 561, 562, 699 et 700 du code de procédure civile de : à titre principal in limine litis,
- annuler dans son intégralité le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 21 novembre 2016, pour défaut d'impartialité de l'un des membres de la formation de délibéré ayant entraîné la violation de l'article 6§1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, en application du principe de la dévolution intégrale de l'appel lorsqu'il tend à l'annulation du jugement, juger et, ce faisant :
- dans l'hypothèse où elle le juge nécessaire, solliciter l'avis de l'Autorité de la concurrence, en application des dispositions de l'article L. 462-3 du code de commerce,
- constater que la société Coyote System détenait, depuis son entrée sur le marché jusqu'à l'introduction de l'instance dont appel, une position dominante sur le marché français des boîtiers avertisseurs de radars (puis, à partir de 2012, de zones de danger) communautaires et payants,
- dire que la société Coyote System a violé l'article L. 420-2 du code de commerce et porté atteinte aux intérêts des sociétés Inforad Limited, Inforad Diffusion et IT Services en abusant de sa position dominante sur le marché concerné,
- dire que la société Coyote System a, de ce fait, violé les articles 1240 et 1241 du code civil au préjudice des sociétés Inforad Limited, Inforad Diffusion et IT Services,
- en tout état de cause rejeter la demande nouvellement formée en cause d'appel par Coyote System tendant à ordonner le paiement à échéance d'une somme d'un montant de 60 000 euros sur le fondement des articles 32-1 du code de procédure civile et 1240 du code civil et de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,
- débouter la société Editions Mondadori Axel Springer de l'intégralité de ses demandes,
- condamner la société Coyote System à payer à la société Inforad Limited et à la SELAS Alliance, ès-qualités de liquidateur judiciaire d'Inforad Diffusion et d'IT Services, la somme de 1.000.000 euros, sauf à parfaire, à titre d'indemnisation de la perte subie,
- condamner la société Coyote System à payer à la société Inforad Limited et à la SELAS Alliance, ès-qualités de liquidateur judiciaire des sociétés Inforad Diffusion et IT Services, la somme de 17.802.892 euros, sauf à parfaire, à titre d'indemnisation du manque à gagner,
- condamner la société Coyote System à payer à la société Inforad Limited et à la SELAS Alliance, ès-qualités de liquidateur judiciaire d'Inforad Diffusion et d'IT Services, la somme de 1 euro symbolique, à titre d'indemnisation du préjudice moral,
- condamner la société Coyote System à payer à la société Inforad Limited et à la SELAS Alliance, ès-qualités de liquidateur judiciaire d'Inforad Diffusion et d'IT Services, la somme de 75 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Coyote System aux entiers dépens, à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 21 novembre 2016 ne serait pas annulé du fait du défaut d'impartialité de l'un des membres de la formation de délibéré réformer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 21 novembre 2016 et, ce faisant :
- annuler la condamnation de la société Inforad Limited et de la SELAS Alliance, ès-qualités de liquidateur judiciaire d'Inforad Diffusion et d'IT Services, à payer à la société Coyote System 60 000 euros pour procédure abusive et 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dans l'hypothèse où elle le juge nécessaire, solliciter l'avis de l'Autorité de la concurrence, en application des dispositions de l'article L. 462-3 du code de commerce,
- constater que la société Coyote System détenait, depuis son entrée sur le marché jusqu'à l'introduction de l'instance dont appel, une position dominante sur le marché français des boîtiers avertisseurs de radars (puis, à partir de 2012, de zones de danger) communautaires et payants,
- dire que la société Coyote System a violé l'article L. 420-2 du code de commerce et porté atteinte aux intérêts des sociétés Inforad Limited, Inforad Diffusion et IT Services en abusant de sa position dominante sur le marché concerné,
- dire que la société Coyote System a, de ce fait, violé les articles 1240 et 1241 du code civil au préjudice des sociétés Inforad Limited, Inforad Diffusion et IT Services,
- en tout état de cause rejeter la demande nouvellement formée en cause d'appel par Coyote System tendant à ordonner le paiement à échéance d'une somme d'un montant de 60 000 euros sur le fondement des articles 32-1 du code de procédure civile et 1240 du code civil et de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,
- débouter la société Editions Mondadori Axel Springer de l'intégralité de ses demandes,
- condamner la société Coyote System à payer à la société Inforad Limited et à la SELAS Alliance, ès-qualités de liquidateur judiciaire d'Inforad Diffusion et d'IT Services, la somme de 1.000.000 euros, sauf à parfaire, à titre d'indemnisation de la perte subie,
- condamner la société Coyote System à payer à la société Inforad Limited et à la SELAS Alliance, ès-qualités de liquidateur judiciaire d'Inforad Diffusion et d'IT Services, la somme de 17.802.892 euros, sauf à parfaire, à titre d'indemnisation du manque à gagner,
- condamner la société Coyote System à payer à la société Inforad Limited et à la SELAS Alliance, ès-qualités de liquidateur judiciaire d'Inforad Diffusion et d'IT Services, la somme de 1 euro symbolique, à titre d'indemnisation du préjudice moral,
- condamner la société Coyote System à payer à la société Inforad Limited et à la SELAS Alliance, ès-qualités de liquidateur judiciaire d'Inforad Diffusion et d'IT Services, la somme de 75.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Coyote System aux entiers dépens ;
Vu les dernières conclusions de la sociétés Coyote System, intimée, déposées et notifiées le 5 octobre 2018 par lesquelles il est demandé à la cour, au visa des articles L. 420-2, L. 641-13 I et L. 622-17 du code de commerce, 1240 et 1241 du code civil et 32-1, 342 et 430, 561 et 562, et 699 et 700 du code de procédure civile, de :
à titre principal :
- dire que la demande de nullité du jugement du tribunal de commerce de Paris du 21 novembre 2016 est irrecevable et en tout cas mal-fondée et en débouter les appelantes,
- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 21 novembre 2016, ce faisant :
- confirmer que la société Coyote System n'a commis aucun abus susceptible d'être sanctionné sur le fondement de l'article L. 420-2 du code de commerce et n'a commis aucune faute de nature à causer un quelconque préjudice aux sociétés Inforad Limited, Inforad Diffusion et IT Services sur le fondement des articles 1240 et 1241 du code civil,
- confirmer en conséquence le jugement en ce qu'il a débouté les sociétés Inforad Limited, Inforad Diffusion, et IT Services de toutes demandes, fins et prétentions,
- confirmer la condamnation in solidum des sociétés Inforad Limited, Inforad Diffusion, et IT Services, prises en la personne de la SELAS Alliance, ès-qualités de liquidateur judiciaire, à payer à la société Coyote System une somme d'un montant de 60 000 euros sur le fondement des articles 32-1 du code de procédure civile et 1240 du code civil,
- confirmer la condamnation in solidum des sociétés Inforad Limited, Inforad Diffusion, et IT Services, prises en la personne de la SELAS Alliance, ès-qualités de liquidateur judiciaire, à payer à la société Coyote System une somme d'un montant de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,
- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 21 novembre 2016 en ce qu'il a dit que ces sommes auxquelles les sociétés Inforad Limited et, Inforad Diffusion et IT Services, prises en la personne de la SELAS Alliance, ès-qualités de liquidateur judiciaire, ont été condamnées, seront inscrites au passif des liquidations judiciaires et, statuant à nouveau, dire que les sommes allouées aux intimées au titre des dommages et intérêts pour procédure abusives et au titre de l'article 700 du code de procédure civile seront payées à leur échéance, à titre subsidiaire, pour le cas où la nullité du jugement serait par impossible déclarée recevable et bien fondée, en application du principe de la dévolution intégrale de l'appel, au titre des articles 561 et 562 du code de procédure civile, juger à nouveau et, ce faisant :
- dire que la société Coyote System n'a commis aucun abus susceptible d'être sanctionné sur le fondement de l'article L. 420-2 du code de commerce et n'a commis aucune faute de nature à causer un quelconque préjudice aux sociétés Inforad Limited, Inforad Diffusion et IT Services sur le fondement des articles 1240 et 1241 du code civil,
- débouter en conséquence les sociétés Inforad Limited, Inforad Diffusion et IT Services, prises en la personne de la SELAS Alliance, ès-qualités de liquidateur judiciaire, de toutes demandes, fins et prétentions,
- condamner in solidum les sociétés Inforad Limited, Inforad Diffusion et IT Services, prises en la personne de la SELAS Alliance, ès-qualités de liquidateur judiciaire, à payer à la société Coyote System une somme d'un montant de 60 000 euros sur le fondement des articles 32-1 du code de procédure civile et 1240 du code civil et ordonner le paiement de cette somme à son échéance,
- condamner in solidum les sociétés Inforad Limited, Inforad Diffusion et IT Services, prises en la personne de la SELAS Alliance, ès-qualités de liquidateur judiciaire, à payer à la société Coyote System une somme d'un montant de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, et ordonner le paiement de cette somme à son échéance, en tout état de cause, à titre additionnel :
- débouter les sociétés Inforad Limited, Inforad Diffusion et IT Services, prises en la personne de la SELAS Alliance, ès-qualités de liquidateur judiciaire, de toutes demandes, fins et prétentions,
- condamner in solidum les sociétés Inforad Limited, Inforad Diffusion et IT Services, prises en la personne de la SELAS Alliance, ès-qualités de liquidateur judiciaire, à payer à la société Coyote System une somme additionnelle d'un montant de 60 000 euros sur le fondement des articles 32-1 du code de procédure civile et 1240 du code civil au titre la présente procédure d'appel et ordonner le paiement de cette somme à son échéance,
- condamner in solidum les sociétés Inforad Limited, Inforad Diffusion et IT Services, prises en la personne de la SELAS Alliance, ès-qualités de liquidateur judiciaire, à payer à la société Coyote System une somme additionnelle d'un montant de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la présente procédure d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître François Teytaud dans les conditions de l'article 699 du CPC et ordonner le paiement de cette somme à son échéance ;
Vu les dernières conclusions de la société Editions Mondadori Axel Springer (EMAS) déposées le 22 avril 2017, dans lesquelles elle demande à la cour de :
- donner acte à la société EMAS de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur la demande tendant à voir annuler le jugement de première instance pour défaut d'impartialité à titre principal,
- constater que la société Inforad Limited et la SCP BTSG, ès-qualité de liquidateur judiciaire des sociétés Inforad Diffusion et IT Services ne forment aucune demande à l'encontre de la société EMAS ; en conséquence,
- prononcer la mise hors de cause de la société EMAS ; en tout état de cause :
- condamner solidairement la société Inforad Limited et la SCP BTSG, ès-qualités de liquidateur judiciaire des sociétés Inforad Diffusion et IT Services à verser à la société EMAS la somme totale de 20 000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- les condamner solidairement aux entiers dépens de première instance et d'appel avec distraction en application de l'article 699 du code de procédure civile ;
Sur ce, la cour,
I. Sur la demande en nullité du jugement
Les sociétés Inforad demandent à la cour que soit prononcée la nullité du jugement, en se fondant sur l'article 430 du code de procédure civile et l'article 6§1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme qui, en définissant la notion de droit à un procès équitable, consacre le droit à l'indépendance et à l'impartialité du tribunal. Elles soutiennent que la composition du délibéré du tribunal a violé le principe d'impartialité, en ce que l'un des membres de la formation de délibéré, M. Jérôme Perlemuter, aurait dû se déporter de cette affaire, compte tenu de ses conflits d'intérêts.
Sur la recevabilité de la demande de nullité du jugement
Les sociétés Coyote et EMAS soulèvent l'irrecevabilité en cause d'appel de la demande de nullité du jugement fondée sur la partialité d'un juge ayant pris part au délibéré.
Elles soutiennent que les contestations afférentes à la régularité de la composition de la juridiction se fondent sur l'article 430 du code de procédure civile, et sont différentes de la mise en cause de l'impartialité d'un juge, qui, elle, dépend de la procédure de récusation de l'article 342 du code de procédure civile.
Or, en l'espèce, la demande de nullité du jugement ne constitue pas une contestation de la régularité de la formation de jugement mais une contestation fondée uniquement sur la prétendue absence d'impartialité du juge concerné. Dès lors, la seule procédure ouverte aux appelantes était, selon elles, la procédure de récusation de l'article 342 du code de procédure civile.
Par ailleurs, les sociétés Coyote et EMAS invoquent que quel que soit le fondement applicable (article 342 ou article 430 du code de procédure civile), la demande en nullité d'un jugement formée en cause d'appel est irrecevable lorsque le plaideur, qui avait connaissance ou qui avait eu la possibilité de connaître la cause de nullité, s'est abstenu de la soulever avant la clôture des débats, dès lors que la partie qui soulève la difficulté était représentée à l'audience et avait donc eu la possibilité de connaître la composition de la juridiction dès l'ouverture des débats. Or en l'espèce, les appelantes étaient représentées en première instance à la fois par un avocat plaidant et par un avocat " mandataire " devant le tribunal de commerce. Elles étaient donc pleinement en mesure d'avoir connaissance, par l'intermédiaire de leurs avocats plaidant et mandataire, du tableau des audiences de l'année judiciaire 2016, accessible à tout un chacun et qui faisait très clairement apparaître que le juge soupçonné de partialité faisait partie des 9 juges composant la 15ème chambre à laquelle avait été distribuée l'affaire, et qu'il était donc susceptible de faire partie de la composition de jugement.
Les sociétés Inforad soutiennent que la demande d'annulation du jugement du 21 novembre 2016 pour cause d'absence d'impartialité de l'un des membres de la formation de délibéré est recevable. Elles invoquent :
- que l'intimé confond la procédure de récusation (régie par les articles 341 à 355 du code de procédure civile) et la demande fondée sur l'irrégularité de la composition du tribunal, en vertu de l'article 430 alinéa 2 du code de procédure civile ; or, les sociétés Inforad ayant choisi cette seconde voie, l'ensemble des développements de la société Coyote relatif à la procédure de récusation est totalement hors sujet et, partant, devra être écarté par la cour ;
- en se fondant sur l'article 430 du code de procédure civile, que la présence de M. Jérôme Perlemuter au sein de la formation ayant délibéré leur a, pour la première fois, été révélée au moment de la signification du jugement du tribunal de commerce de Paris du 21 novembre 2016 : à aucun moment, préalablement à ce jugement, les appelantes n'ont eu ni même n'auraient pu être en mesure d'avoir l'information selon laquelle ce magistrat participerait au délibéré. Elles ne pouvaient donc former de demande de récusation avant la clôture des débats.
L'article 430 du code de procédure civile prévoit que " La juridiction est composée, à peine de nullité, conformément aux règles relatives à l'organisation judiciaire.
Les contestations afférentes à sa régularité doivent être présentées, à peine d'irrecevabilité, dès l'ouverture des débats ou dès la révélation de l'irrégularité si celle-ci survient postérieurement, faute de quoi aucune nullité ne pourra être ultérieurement prononcée de ce chef, même d'office. (...) ".
Les sociétés appelantes n'ont appris que M. Jérôme Perlemuter siégeait au sein de la formation de délibéré qu'au moment de la signification du jugement querellé, les intimées ne pouvant leur opposer qu'il faisait partie des neuf juges composant la XVème chambre du tribunal, ne sachant pas quels magistrats parmi ces neuf feraient partie du délibéré.
La demande ne pouvait donc être formée plus tôt et est donc recevable devant la cour d'appel.
Sur le bienfondé de la demande de nullité du jugement
Les sociétés Inforad soutiennent qu'il existe, dans la présente espèce, une suspicion légitime quant à l'absence d'impartialité de l'un des membres de la formation de délibéré.
Elles invoquent que le supérieur hiérarchique de l'un des membres de la formation de délibéré, M. Jérôme Perlemuter, dans le cadre de l'exercice de ses fonctions professionnelles, était M. Didier Quillot, Président Directeur Général de la société Coyote au moment de la commission des pratiques sur lesquelles le tribunal de commerce était appelé à se prononcer et qui a joué un rôle central dans le présent litige ; au moment du délibéré, M. Didier Quillot était le directeur général exécutif de la LFP (Ligue de Football Professionnel) alors que M. Jérôme Perlemuter était responsable des affaires juridiques de celle-ci ; M. Jérôme Perlemuter était donc, au moment où il a délibéré, placé dans un lien de subordination directe avec l'ancien président directeur général de la société Coyote au moment des faits litigieux, M. Didier Quillot.
De plus, selon les sociétés appelantes, il ne fait aucun doute que M. Perlemuter ne pouvait ignorer que M. Quillot avait été, au moment des faits litigieux, président directeur général de la société qu'il allait être amené à juger et que ce dernier avait été directement impliqué dans la commission des faits examinés par le tribunal.
Elles invoquent :
- une partialité subjective de M. Jérôme Perlemuter, dans la mesure où l'on ne peut exclure qu'il se soit entretenu de cette affaire avec son supérieur hiérarchique, le plaçant de fait dans une situation de conflit au regard de la mise en cause dont faisait l'objet l'entreprise précédemment dirigée par M. Quillot.
- et une partialité objective caractérisée par la seule qualité de subordonné de M. Quillot à la date du délibéré qui lui imposait de solliciter sa récusation.
Enfin, elles excipent de l'article 6§1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme dont la violation peut résulter, selon la jurisprudence, de l'absence de motivation du jugement ou de la reprise intégrale des arguments d'une partie, pouvant faire peser un doute légitime sur l'impartialité de la juridiction.
Les sociétés Coyote et EMAS soutiennent que la demande de nullité du jugement est mal fondée car le juge dont les appelantes remettent en cause l'impartialité n'a jamais entretenu, ni directement ni indirectement, le moindre lien avec les parties au litige. Elles soutiennent que :
- le 1er décembre 2014, Monsieur Didier Quillot a quitté la présidence de la société Coyote ;
- le 15 mars 2016, il a été nommé directeur général exécutif de la LFP ;
- M. Jérôme Perlemuter a quant à lui occupé le poste de responsable des affaires juridiques de la LFP de mai 2004 à avril 2017 ;
- le délibéré a eu lieu le 4 novembre 2016 et le jugement, le 21 novembre 2017.
Les intimées ajoutent qu'il est de principe que lorsque le juge dont l'impartialité est mise en cause n'a plus de lien de subordination avec les parties au litige à la date à laquelle il doit remplir son office, la nullité du jugement ne peut pas être prononcée.
De plus, elles soutiennent que si la reproduction servile des conclusions d'une partie peut être de nature à faire peser un doute sur l'impartialité subjective d'un juge, un tel doute est illégitime lorsque le jugement, bien que reprenant certains passages des conclusions d'une partie tout en s'abstenant de résumer les conclusions de l'autre partie, contient une réelle motivation répondant aux moyens de cette dernière partie. Or, selon elles, le jugement dont appel contient une motivation détaillée et la circonstance que cette motivation aille dans le sens des moyens qui étaient développés par les intimées ne peut suffire à établir une quelconque " partialité ", mais ne fait que démontrer que le tribunal a été convaincu par leur position.
Au moment du délibéré, le 4 novembre 2016, selon les mentions du jugement entrepris, M. Jerôme Perlemuter était responsable des affaires juridiques de la LFP, dont le directeur général était, à ce moment-même, M. Didier Quillot, ancien président directeur général de la société Coyote au moment des faits litigieux, qui avait quitté la présidence de celle-ci le 1er décembre 2014.
L'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme et du Citoyen garantit le droit à un procès équitable : " 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) ".
L'impartialité doit s'apprécier selon une démarche subjective, en tenant compte de la conviction personnelle et du comportement du juge, c'est-à-dire du point de savoir si celui-ci a fait preuve de parti pris ou préjugé personnel dans l'affaire et aussi selon une démarche objective, consistant à déterminer si le tribunal offrait, notamment à travers sa composition, des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité.
Aucun élément n'est versé aux débats de nature à remettre en cause l'impartialité subjective du juge en cause. La circonstance que le jugement ait fait sien certains des développements des sociétés intimées ne peut suffire à rapporter cette preuve, le jugement étant dûment motivé et analysant de façon exhaustive les moyens des sociétés appelantes.
S'agissant de la contestation de son impartialité objective, aucune raison légitime ni aucun fait vérifiable n'autorisent à suspecter le défaut d'impartialité de la juridiction.
M. Jerôme Perlemuter ne se trouvait pas, au moment où il a participé au délibéré, dans un état de subordination de fonctions et de services par rapport à la société Coyote.
En effet, M. Quillot, avec lequel il travaillait au sien de la LFP, avait quitté ses fonctions de PDG de la société Coyote près de deux ans plus tôt et ne représentait plus les intérêts de cette société, aucun élément ne permettant d'établir qu'il était encore impliqué dans la vie de celle-ci à un titre ou à un autre.
Par ailleurs, la nature des liens de subordination de M. Perlemuter avec M. Quillot, au sein de la LFP n'est pas suffisamment documentée, pour faire présumer une influence de l'un sur l'autre.
La cour n'est pas d'avis que les sociétés appelantes aient pu légitimement douter de l'indépendance de cette personne, compte tenu du délai écoulé depuis la fin des fonctions de M. Quillot au sein de la société Coyote, d'une part, et de la nature indéterminée des liens hiérarchiques entre M. Perlemuter et M. Quillot, d'autre part.
Dès lors, la demande d'annulation du jugement entrepris sera rejetée.
II. Sur l'abus de position dominante
La démonstration d'un abus de position dominante présuppose dans un premier temps la définition d'un marché pertinent où l'entreprise mise en cause détient une position dominante, puis dans un second temps la caractérisation de l'abus lui-même.
Sur le marché pertinent
Les sociétés Inforad soutiennent que le tribunal de commerce n'a pas défini un marché pertinent au regard du contexte concurrentiel en vigueur au moment de la commission des pratiques.
Selon elles,
- le marché pertinent doit prendre en compte le paysage concurrentiel tel qu'il existe au moment de la commission des pratiques alléguées, et non au jour du prononcé du jugement, comme l'a fait le tribunal ;
- le jugement ne fait qu'aborder, en des termes vagues et inexacts, le marché concerné par les pratiques et se contente de reprendre la définition de marché pertinent donnée par les sociétés Coyote et EMAS selon laquelle il existe un marché global des outils d'aide à la conduite, peu important leur fonction (guidage GPS, boîtier avertisseur, etc.), leur support (application mobile, boîtier, système embarqué), leur date d'apparition sur le marché ou leur prix ;
- or, la demande que satisfait le service de boîtiers de détection radars est extrêmement spécifique : si les conducteurs acceptent de payer un abonnement à Coyote, ce n'est pas, comme sur un GPS classique, pour être guidé d'un point A à un point B (même avec un système d'info-trafic), mais pour bénéficier en temps réel des services d'une communauté de conducteurs, qui pourra immédiatement avertir tous les autres membres d'événements non récurrents (essentiellement, bien sûr, les radars mobiles), permettant d'adapter sans délai la conduite (et principalement la vitesse) à ces événements, très précisément localisés ;
- le jugement énonce à tort qu'il suffit, pour définir un marché au sens du droit de la concurrence, de se reporter à une " norme " relative à tout outil d'aide à la conduite, alors que cette norme ne dit rien sur l'existence ou non d'une substituabilité, au sens du droit de la concurrence.
Elles font valoir que le marché doit être défini en l'espèce comme " le marché français des boîtiers avertisseurs de radars (puis, à partir de 2012, de zones de danger) communautaires et payants ".
- sur la définition matérielle du marché :
* elles soulignent que les boîtiers avertisseurs n'étaient pas, au moment des faits, substituables aux outils d'aide à la conduite non fondés sur le recours à une communauté d'utilisateurs active; il s'agit de deux produits ayant deux usages et deux finalités distincts : d'un côté (GPS de type Garmin), il s'agit de disposer d'un guidage et d'une information générale, même si elle est mise à jour régulièrement, sur le trafic et l'existence de certaines zones particulières afin d'arriver le plus rapidement à destination, et de l'autre côté (avertisseurs de type Coyote), il s'agit de connaître et d'informer les autres membres de la communauté en temps réel d'événements susceptibles d'avoir une influence sur la conduite afin d'éviter de perdre des points sur leur permis de conduire;
* de plus, elles soutiennent qu'à l'époque des faits, la substituabilité avec les applications sur smartphones était discutable car les utilisateurs d'applications étaient peu nombreux, peu réguliers et différents de ceux du produit Coyote; en toute hypothèse, les applications totalement gratuites n'étaient pas considérées comme faisant partie du même marché car l'utilisateur, qui télécharge une application gratuite, n'aura pas d'incitations à l'utiliser avec assiduité, contrairement à l'application payante et ne contribuera pas à l'information de la communauté; l'information fiable a donc un prix, qui est celui de l'adhésion à la communauté;
- sur la définition géographique du marché : elles soutiennent que le marché en cause en l'espèce est de dimension nationale car :
* le véritable facteur différenciant un boîtier d'aide à la conduite par rapport à un autre réside dans la communauté d'utilisateurs de chaque fabricant;
* sur le territoire français, les fabricants de détecteurs de radars (ou depuis 2012, de " zones de danger ") que sont Coyote, Inforad et Wikango étaient toutes des sociétés dont le siège social se situait en France, ce territoire étant le coeur rde leur activité; on imagine ainsi mal un utilisateur français choisir de s'équiper d'un avertisseur de radars dont le cœur de l'activité (et donc la communauté) serait principalement située à l'étranger, prenant ainsi le risque d'acquérir un boîtier qui, reposant sur une communauté d'utilisateurs quasiment inexistante en France, serait totalement inutile;
* de plus, en France, depuis 2012, l'usage du boîtier n'est licite qu'une fois celui-ci homologué ; d'autres Etats-Membres ne connaissaient pas ce système d'homologation, et d'autres encore interdisaient l'usage de détecteur de radars; il était donc de la responsabilité de l'utilisateur de vérifier, avant tout trajet à l'étranger, que l'usage du boîtier était autorisé dans le pays dans lequel il se déplaçait. Les sociétés Coyote et EMAS soutiennent qu'il est infondé de définir le marché pertinent comme " le marché français des boîtiers avertisseurs de radars (puis, à partir de 2012 de zones de danger) communautaires et payants ".
Ainsi, elles font valoir, en se fondant sur la charge de la preuve de l'abus de position dominante qui incombe aux sociétés Inforad, que ces dernières ne fournissent aucune analyse sérieuse de la délimitation du marché pertinent, ou la moindre étude indépendante à cet effet; de plus, selon elles, la demande des sociétés Inforad de saisir pour avis l'Autorité de la concurrence, concernant la délimitation pertinente du marché et la position dominante de Coyote System, est dilatoire, car invoquée seulement en appel.
Par ailleurs, elles soutiennent que les évolutions technologiques et réglementaires ont conduit à une convergence complète des caractéristiques des outils d'aides à la conduite qui permettent ainsi d'accéder à un même service : accéder à une base de données permettant d'identifier les zones de danger en temps réel sur un parcours défini par le consommateur.
Elles invoquent que :
- les différents supports matériels des outils d'aides à la conduite sont des moyens alternatifs entre lesquels les consommateurs peuvent arbitrer pour satisfaire une demande d'accès à une même base de données ; le boîtier d'un navigateur GPS, le boîtier avertisseur, le tableau de bord, ou encore une application pour smartphone sont autant de moyens d'accéder, dans des conditions comparables, à une même base de données ;
- la différence initiale entre les navigateurs GPS et les outils d'aide à la conduite n'a cessé de se combler afin d'offrir des services de plus en plus complets, sous l'impulsion du développement de nouvelles technologies, de l'évolution de la réglementation et des habitudes de consommation ;
- la distinction entre appareils connectés et non connectés a eu de moins en moins lieu d'être à partir de la fin des années 2000, puisque tous les fabricants / concepteurs étaient en mesure de proposer des services connectés; les produits non-connectés sont rapidement devenus obsolètes et n'ont plus répondu à la demande des utilisateurs;
- comme pour les outils connectés, la différence initiale qui existait entre appareils communicants et non communicants n'a cessé de s'amenuiser avec la généralisation des bases de données actualisées en temps réel et / ou des mises à jour en temps réel par une communauté d'utilisateurs, que ce soit par le développement des boîtiers communicants, de dispositifs communicants sur les tableaux de bord ou encore d'applications pour smartphones; ainsi, ces outils apparaissent largement substituables au moment des faits allégués. Elles exposent aussi qu'il ressort d'une pratique décisionnelle constante de l'Autorité de la concurrence que l'existence d'une norme ou réglementation spécifique est un facteur de délimitation du marché pertinent, quant bien même cette norme comporterait plusieurs sous-catégories; en l'espèce, cette norme qui définit les outils d'aide à la conduite a été adoptée en 2012, à la suite du décret 2012-3 du 3 janvier 2012 ayant interdit les avertisseurs de radar en France et son champ d'application est large, incluant l'ensemble des fabricants d'outils d'aide à la conduite.
Elles ajoutent que ni la Commission européenne, ni l'Autorité de la concurrence n'ont arrêté une délimitation précise des marchés dans ce secteur, la Commission européenne en 2008, l'Autorité de la concurrence en 2010, et l'Office of Fair Trading en 2013 ne s'étant prononcés que dans des affaires qui ne concernaient qu'indirectement ce secteur.
Elles invoquent aussi que le critère du prix ne permet pas non plus d'étayer la délimitation du marché proposée par les appelantes car s'il existe nécessairement entre les différents outils des différences de prix résultant notamment de leurs coûts de production et de l'existence ou non d'un abonnement distinct, la prestation la plus caractéristique demeure, dans tous les cas, la fourniture d'un accès à une base de données alimentée en temps réel.
Enfin, elles répliquent qu'il existe une menace permanente de l'obsolescence des produits face aux nouveautés et à l'arrivée de nouveaux entrants, qui est de nature à contester toute position dominante; en effet, l'essor des applications pour smartphones a facilité l'entrée de nouveaux acteurs sur le marché, élargissant l'offre des outils d'aides à la conduite, et la concurrence entre offreurs est devenue globale car des acteurs étrangers sont au premier plan en France et à l'inverse des acteurs français proposent des produits et abonnements utilisables dans de nombreux pays européens.
La cour souligne que les sociétés appelantes n'invoquent que le droit national de la concurrence. Néanmoins, les pratiques dénoncées étant de nature à affecter la totalité du territoire national, elles sont également susceptibles d'affecter sensiblement le commerce intracommunautaire et donc, d'être qualifiées en droit européen de la concurrence.
Sur la définition du marché pertinent de produits ou services
La communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit européen de la concurrence (JOCE C 372, 9 décembre 1997) contient la définition suivante du marché de produits : "Un marché de produits en cause comprend tous les produits et/ou services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l'usage auquel ils sont destinés".
Le marché est défini comme le lieu sur lequel se rencontrent l'offre et la demande pour un produit ou un service spécifique ; sont substituables et par conséquent se situent sur un même marché, les produits et les services dont on peut raisonnablement penser que les demandeurs les regardent comme des moyens entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande. Il s'agit d'apprécier le marché dans sa situation contemporaine des pratiques sous examen.
En l'absence d'études quantitatives portant sur les élasticités-prix croisées, l'analyse du marché pertinent suppose, selon la méthode du faisceau d'indices, de croiser plusieurs critères d'analyse qualitatifs, tels que la nature du bien, l'utilisation qui en est faite, les caractéristiques de l'offre (les stratégies de commercialisation mises en place par les offreurs, comme la différenciation des produits ou celle des modes de distribution), l'environnement juridique, les différences de prix ou les préférences des demandeurs. Tous ces indices permettent d'apprécier quel serait le comportement du demandeur en cas de hausse relative du prix des biens ou services en cause. Les précédents de la pratique décisionnelle de la Commission européenne ou de l'Autorité peuvent également être utilisés.
Le marché est, pour les appelantes, " le marché français des boîtiers avertisseurs de radars (puis, à partir de 2012, de " zones de danger ") communautaires et payants ", alors qu'il est pour les intimées, celui " des outils d'aide à la conduite ".
Le tribunal a, pour sa part, relevé la convergence des fonctionnalités des divers outils d'aide à la conduite, applications smartphone, boîtiers intégrés au tableau de bord ou boîtiers GPS qui permettent tous de délivrer aux consommateurs le même service, à savoir signaler les zones de danger. Il a également souligné que la norme française adoptée en 2012 concerne tous les outils d'aide à la conduite, ayant cette même finalité, et relevé l'absence de précédents juridictionnels.
Les pratiques dénoncées concernent le secteur des boîtiers de contrôle radar communicants en 2011-2012-2013. Ces " boîtiers " communicants fournissent aux utilisateurs la faculté de signaler des dangers temporaires au reste de la "communauté" d'utilisateurs, notamment les radars mobiles.
Il s'agit d'établir si ces appareils constituaient un marché pertinent à l'époque, ce qui implique leur non substituabilité, pour les consommateurs, aux autres outils de navigation existants, tels par exemple les boîtiers de guidage GPS et les applications mobiles.
Or, il ressort des pièces versées aux débats que :
- Les technologies étaient différentes, ce qui ne fait l'objet d'aucune contestation.
- Les services rendus par les boîtiers " communicants ", tels les boîtiers Coyote, n'étaient pas identiques aux services rendus par les GPS simples, comme les Tom-Tom, dont la fonction se limitait à faciliter la navigation des automobilistes.
Les deux produits étaient, à l'époque des faits, complémentaires et non substituables.
Leur complémentarité a été mise en avant par la société Coyote elle-même. Son président directeur général, M. Didier Quillot, déclarait ainsi, dans un entretien avec le magazine Challenges en octobre 2012, au sujet du tout nouveau partenariat conclu avec le constructeur Renault : " Et le fait que Renault annonce ce partenariat pour embarquer nativement, dans le tableau de bord, R Link, de la Clio 4 : un Coyote, à côté d'un Tom-Tom, c'est pour moi la preuve définitive de la légitimité du produit " (pièce 19 des appelantes) (c'est la cour qui souligne).
Ces deux produits étaient à ce point différents que lorsque le gouvernement a annoncé sa décision d'interdire les détecteurs de radars, seuls les trois fabricants de boîtiers communicants ont réagi, à l'époque, à savoir les sociétés Coyote, Wikango et Inforad.
De même, dans une décision n° 10-MC-01 du 30 juin 2010 relative à la demande de mesures conservatoires présentée par la société Navx, l'Autorité de la concurrence, appelée à se prononcer sur un " marché des bases de données radars à installer sur les navigateurs GPS ainsi que les applications d'avertissement des radars développées pour les smartphones équipés d'une fonctionnalité de navigation GPS " a rapporté les propos de la société Google qui avait déclaré que " de nombreux conducteurs qui possèdent déjà un navigateur GPS recourent en parallèle à un boîtier avertisseur de radars, alors que le choix d'une telle méthode leur impose d'installer un deuxième boîtier sur leur tableau de bord et qu'il induit des coûts supérieurs à celui de l'achat d'une base de données " (§ 114).
- Même équipés d'une alerte radar, les GPS n'étaient pas substituables aux boîtiers communicants.
L'intérêt des boîtiers communicants, vanté par la communication de la société Coyote, était d'avertir, en temps réel, le conducteur de la présence de radars sur sa route, fixes et surtout mobiles. Or, un tel système n'était fiable qu'à la condition de reposer sur une communauté active de conducteurs, la plus dense possible, qui signalaient en temps réel les endroits concernés au réseau d'utilisateurs. La taille de la communauté en fait " le principal actif de la société Coyote " (pièce 18 des appelantes). C'est aussi pour cette raison que la taille de la communauté était constamment présentée comme le critère numéro 1 devant présider au choix d'un boîtier avertisseur (extrait du magazine Auto Plus du 14 mai 2012 : pièce 6 des appelantes).
Il ressort d'un extrait du magazine Auto Plus du 14 mai 2012 (pièce 6 des appelants) que les GPS dotés d'une option " alerte radars " ne prévenaient pas de la présence effective des contrôles mobiles, mais se bornaient, pour certains, à indiquer des zones où ils avaient souvent lieu; en outre, ils ne réalisaient pas de mise à jour automatique de leur répertoire de cabines (radars fixes).
Si " dès 2012, les sociétés TOMTOM et MIO proposaient à la vente des GPS signalant les zones de danger (" Tom Tom Start 20 Europe " et " Mio Spirit 485 ") " (point 193 des conclusions des intimées), ces systèmes présentaient les inconvénients précités. Il en était de même, ainsi que le soulignent les appelantes, du boîtier Garmin (pièce 20 des intimées), qui était un navigateur GPS permettant de régulièrement télécharger les nouvelles " zones de danger ", mais qui ne disposait pas d'une alerte en temps réel, par d'autres conducteurs faisant partie de la même communauté.
Aucun de ces appareils ne remplissait, de quelque façon que ce soit, le service pour lequel les utilisateurs des produits Coyote, Wikango et Inforad acceptaient d'acquérir un boîtier avertisseur : être avertis, en temps réel, par les autres utilisateurs, de " zones de danger " bien spécifiques, sur lesquelles il faut ralentir pour ne pas mettre en danger son permis de conduire. Ce type d'informations n'était, par définition, pas accessible par des systèmes automatiques, mais nécessitait l'intervention d'une communauté d'utilisateurs la plus nombreuse et la plus fiable possible.
Dans sa décision n°10-MC-01 du 30 juin 2010, l'Autorité a également relevé que " Cette remarque prouve que le téléchargement d'une base de données à installer sur un navigateur GPS n'est pas un substitut d'un boîtier avertisseur, qui permet une mise à jour en temps réel ".
- Les applications gratuites pour smartphones n'étaient pas davantage substituables aux boîtiers communicants au moment des faits litigieux.
Selon la même étude Autoplus (pièce 6 des appelants), les applications gratuites pour smartphones permettaient d'accéder aux informations des communautés, comme les boîtiers communicants, mais ne permettaient pas une actualisation aussi rapide et présentaient l'inconvénient d'encombrer le smarphone. Selon le rédacteur de cet article, seuls les boîtiers communicants étaient " les plus polyvalents, les plus fiables et les plus pratiques à utiliser ", et permettaient d'accéder aux informations sur les cabines et les radars mobiles. Leur seul inconvénient était leur prix.
Il est exact que les fournisseurs traditionnels d'avertisseurs ont développé, au moins depuis 2012, des produits regroupant les fonctionnalités d'avertisseurs de zones de danger et de navigateurs GPS. A cette date, Coyote System et Wikango proposaient en effet des applications pour smartphones qui utilisaient les antennes GPS et les connexions internet dont bénéficiaient les smartphones pour allier les fonctions de guidage et d'avertisseur communicant (" ICoyote ", " Wikango Free ", " Wikango HD ") (point 196 des conclusions des intimées).
Mais le fondateur de la société Coyote lui-même, M. Pierlot, interrogé le 9 mars 2011 sur l'application pour smartphone Coyote, d'abord gratuite, puis faiblement payante, s'est prononcé en ces termes : " Je pense que le produit tout en un n'est pas évident et facile à commercialiser, je pense qu'on a l'avantage d'avoir un petit outil très simple d'utilisation, qui demande pas trop de réflexion (...). Le problème du téléphone, c'est que d'abord c'est fait pour téléphoner, et que les applications qui sont sur ces téléphones-là usent considérablement la batterie et puis surtout ce n'est pas un outil nécessaire ou en tout cas fait pour la navigation, la téléphonie et l'avertisseur de radars. On le voit d'ailleurs avec notre typologie de clients sur l'i-phone, ce sont des gens qui l'utilisent moins, qui l'utilisent plus en week-end ou quand ils partent en vacances, c'est une population plus jeune (entre 20 et 35 ans) et qui ont besoin plutôt du " à l'acte " (...) ".
De façon générale, le caractère gratuit ou quasiment gratuit des applications en cause renforçait leur non substituabilité aux boîtiers communicants.
Outre qu'un écart de prix substantiel et durable entre différents produits peut être un indice de non-substituabilité entre ces derniers et donc de non-appartenance au même marché, ce qui est le cas en l'espèce, cet écart était de nature en soi à inciter les abonnés payants des boîtiers communicants à participer aux signalements et donc, à renforcer la communauté payante, ainsi que l'a souligné M. Pierlot.
Il n'est donc pas exact que, comme le prétendent les intimées (point 187 de leurs conclusions), " les différents supports matériels des outils d'aides à la conduite sont des moyens alternatifs entre lesquels les consommateurs peuvent arbitrer pour satisfaire une demande d'accès à une même base de données ".
Aucune application gratuite ou quasi-gratuite (c'est-à-dire sans abonnement ou sans achat d'un boîtier dédié) n'était de nature à garantir une qualité de service seule à même d'assurer au conducteur que toute " zone de danger " serait effectivement et systématiquement signalée en temps réel, fondement même du service rendu en l'espèce.
Les applications pour smartphones ne répondaient donc pas aux mêmes besoins.
Par ailleurs, à l'époque des faits, l'application Waze n'était pas substituable ; il a fallu attendre son rachat par Google en juin 2013, soit la fin de la période litigieuse, pour que, compte tenu de la taille de sa communauté, elle présente certaines des caractéristiques des produits payants comme Coyote.
En conclusion, les boîtiers communicants n'étaient pas substituables aux boîtiers GPS équipés de fonction détection zones à risque ou aux applications mobiles gratuites ou quasi gratuites.
Ces équipements n'avaient pas les mêmes acheteurs, comme l'atteste non seulement l'article précité d'Autoplus, mais également l'étude de potentiel marché de TNS Sofres versée aux débats par les sociétés intimées (pièce 33, page 6). Le profil des automobilistes qui souhaitaient avoir des boîtiers communicants était constitué d'hyperactifs, qui avaient un usage professionnel des voitures, étaient de gros rouleurs, qui téléphonaient en conduisant (les applications Iphone disparaissent de l'écran quand le téléphone est activé) et avaient des excès de vitesse. Il s'agissait du coeur de cible de Coyote.
De plus, la circonstance qu'une norme française adoptée en 2012 après l'interdiction des avertisseurs de radar définisse les outils d'aide à la conduite comme " tous systèmes, matériels, bases de données, services à distance (web ou autres), appareils ou logiciels qui diffusent des informations aux conducteurs de véhicules terrestres à moteur, par un signal visuel et/ou sonore, concernant des zones dans lesquelles peuvent se trouver des contrôles routiers " ne permet pas en soi de définir un marché pertinent sur lequel tous ces dispositifs étaient substituables. Cette norme se limite à prévoir que tout outil d'aide à la conduite ne peut plus, à partir de 2012, indiquer en tant que tels les emplacements de radars fixes ou mobiles, mais seulement les " zones de danger ", donc le périmètre où se trouvent lesdits radars.
Enfin, si la convergence technologique peut certes faire évoluer la définition des marchés pertinents, la société Coyote n'en rapporte pas la preuve en l'espèce, au moment des faits litigieux.
Le marché pertinent était donc, à l'époque des faits litigieux, " le marché des boîtiers avertisseurs de radars (puis, à partir de 2012, de " zones de danger ") communautaires et payants ".
Sur la définition géographique du marché pertinent
La délimitation d'un marché de produits s'entend sur une zone géographique définie, soit parce que l'analyse faite du comportement de la demande n'est valable que sur cette zone, soit parce qu'il s'agit de la zone géographique à l'intérieur de laquelle les demandeurs se procurent ou peuvent se procurer le produit ou service en question. En d'autres termes, le marché géographique pertinent comprend le territoire sur lequel les entreprises concernées sont engagées dans l'offre de biens et services en cause et sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes.
Or, sur le territoire français, les fabricants de détecteurs de radars Coyote, Inforad et Wikango étaient tous des sociétés dont le siège social et le coeur d'activité se situaient en France. Par ailleurs, les automobilistes français avaient besoin de disposer d'informations essentiellement sur le territoire français, et plus particulièrement sur leur trajet quotidien.
Par définition, les utilisateurs rejoignaient donc le système disposant de la plus importante communauté en France, qui se trouvait réunie par des fabricants implantés en France.
De plus, les conditions de concurrence étaient homogènes sur le territoire national, et cette homogénéité était renforcée par l'édiction d'une homologation française, alors que certains Etats-membres interdisaient purement et simplement les détecteurs de zones à risque.
Enfin, la décision de la Commission européenne citée par les intimées (Case No COMP/M.4854 - TOMTOM/ TELE ATLAS) ne vient pas démentir cette délimitation géographique, les marchés concernés étant ceux des " logiciels de navigation " et des " bases de données cartographiques ", et donc des marchés distincts. En outre, la délimitation des marchés dans le contrôle des concentrations n'est pas toujours identique à celle en matière de pratiques anticoncurrentielles, car elle est prospective.
Les sociétés intimées ne démontrent pas que la demande était de dimension européenne ou internationale, ce qu'elles auraient pû aisément prouver grâce à leurs propres statistiques. Il apparaît au contraire que la grande majorité des utilisateurs était située en France. Le marché pertinent était donc national. Sur la position dominante Les sociétés Inforad soutiennent que la société Coyote détenait, à l'époque des pratiques, une position dominante sur " le marché national des boîtiers avertisseurs de radars (puis, à partir de 2012, de " zones de danger ") communautaires et payants ", car :
- ayant été la première entreprise à pénétrer ce marché, elle a été, pendant toute la période où elle n'avait aucun concurrent, en situation monopolistique, et a pu conserver une position dominante même après l'entrée des nouveaux acteurs, Inforad et Wikango ;
- les seuls acteurs du marché, pendant la durée des pratiques en cause, étaient Coyote, Inforad et WIKANGO ;
- la société Coyote possédait 90 % des parts de marché, selon les dires des dirigeants de la société Coyote eux-mêmes, dans des entretiens télévisés et au moins 50 % sur les " supports communicants ", selon une étude réalisée par TNS Sofres en juillet 2012 intitulée " Etude de potentiel marché de TNS Sofres ";or, selon la jurisprudence de la Cour de justice, des parts extrêmement importantes de marché constituent en elles-mêmes, et sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l'existence d'une position dominante ;
- enfin, le dépôt par la société Coyote de brevets est un indice supplémentaire de la position occupée par Coyote sur son propre marché ; en effet, selon une pratique décisionnelle de l'Autorité, la détention d'un brevet ne crée pas nécessairement une position dominante au profit de son titulaire, mais elle contribue à son pouvoir de marché.
Les sociétés Coyote et EMAS répliquent que les appelants ne fournissent aucune analyse des parts de marchés des acteurs concernés, ou étude indépendante.
Elles ajoutent que :
- les déclarations d'une entreprise sur ses propres parts de marché à la presse généraliste ou télévisée sont impropres en elles-mêmes à démontrer une position dominante ; la plupart des acteurs de ce marché s'estiment publiquement en être le leader, Inforad se revendiquant elle-même " leader du marché français par le biais de ses avertisseurs de danger " sur ses différents supports promotionnels sur Internet ;
- l'étude TNS Sofres, qu'elle produit, indique que la part de marché de Coyote System était de 25% en janvier 2012, loin derrière Tom Tom, le leader du marché, détenant 38% des parts de marché dans le secteur des assistants d'aide à la conduite ; la part de marché de Coyote System était donc largement inférieure au seuil de 50 % sur le marché global des assistants d'aide à la conduite, qui est le seuil considéré par la Commission européenne et l'Autorité de la concurrence comme de nature à faire naître, sous certaines conditions, une présomption d'existence d'une position dominante ;
- ne détient une position dominante que l'entreprise ayant une puissance économique telle qu'elle lui permet de se comporter de manière indépendante vis-à-vis des autres acteurs du marché, des fournisseurs et des consommateurs ; or, selon elles, les appelantes n'apportent aucune élément qui tendrait à indiquer que Coyote System jouirait d'une telle situation de puissance économique ;
- le seul fait de détenir un brevet ne confère pas une position dominante à celui qui le détient ; les brevets déposés par Coyote ne sont que la manifestation de la pertinence de ses choix économiques ;
- s'agissant ensuite de la communauté d'utilisateurs, si Coyote System faisait état sur son site Internet, au moment de l'introduction de la présente instance, d'une communauté de 2,2 millions d'utilisateurs, cette communauté comprenait l'ensemble des utilisateurs de tous les produits Coyote System et, en 2012, Inforad prétendait avoir une communauté d'utilisateurs plus large que Coyote System.
Selon la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes, et en particulier, ses arrêts United Brands du 14 février 1978 et Hoffmann La Roche du 13 février 1979, la position dominante " concerne une position de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients, et finalement des consommateurs. Pareille position, à la différence d'une situation de monopole ou de quasi-monopole, n'exclut pas l'existence d'une certaine concurrence mais met la firme qui en bénéficie en mesure, sinon de décider, tout au moins d'influencer notablement les conditions dans lesquelles cette concurrence se développera et, en tout cas, de se comporter dans une large mesure sans devoir en tenir compte et sans pour autant que cette attitude lui porte préjudice ". La Cour de justice a rappelé, dans l'arrêt Hoffmann Laroche (§ 39) que "(...) . L'existence d'une position dominante peut résulter de plusieurs facteurs qui, pris isolément, ne seraient pas nécessairement déterminants, mais (..) parmi ces facteurs l'existence de parts de marché d'une grande ampleur est hautement significative. (...)".
Il s'agit de rechercher si l'entreprise est dans une position telle qu'elle peut déterminer son comportement sur le marché indépendamment du comportement de ses concurrents. La part de marché de ses concurrents, et les caractéristiques de l'entreprise elle-même sont à prendre en considération, telles la détention de droits de propriété intellectuelle exclusifs ou d'une marque notoire, d'avantages matériels ou financiers, l'accès préférentiel à certaines sources de financement, l'étendue de la gamme proposée, sont autant de critères d'appréciation à combiner, avec les caractéristiques du marché pertinent lui-même, telles l'existence de barrières à l'entrée, la concurrence réelle et potentielle et le pouvoir de marché des acheteurs sur le marché pertinent.
Les critères ici démontrés sont les suivants :
La société Coyote est le créateur de l'avertisseur Radar en France Coyote se présente comme le créateur de l'avertisseur radar en 2006. Inforad a présenté son propre avertisseur radar en 2010 et Wikango en 2009. Ses parts de marchés La société Coyote se qualifie elle-même, le 6 mai 2014, dans un reportage sur France 5, comme le " leader du marché des avertisseurs " en 2011, lors de l'adoption du décret interdisant les avertisseurs radar (pièce 24 des appelants). L' " étude de potentiel marché de TNS Sofres " de juillet 2012 versée aux débats par les sociétés intimées (pièce 33, page 20) évalue la part de marché de Coyote sur celui des boîtiers " communicants " à 50 %. Cette étude n'est pas utilement contestée par la société Coyote qui ne retient qu'une part de marché sur le marché plus vaste des assistants à la conduite. La taille de sa communauté d'utilisateurs
Le comparatif Auto Plus du 28 février 2011 évalue comme critère essentiel de choix entre boîtiers concurrents : la " qualité de la communauté " ; or, selon ce document comparatif, " Pionnier et leader du marché, Coyote affiche la plus grosse communauté " ; l'avantage de disposer en premier d'une communauté d'utilisateurs incite les nouveaux utilisateurs à rejoindre l'opérateur, car il est plus facile d'attirer des utilisateurs vers une communauté dépeinte comme déjà conséquente, que de les faire rejoindre une communauté encore en développement ; en outre, plus la communauté s'étoffe, plus les avertissements sont nombreux et fiables et plus le service est attractif. La notoriété de la marque Coyote Il est incontestable que la marque revêtait, à l'époque des faits, une notoriété certaine, Coyote étant devenue un nom commun pour désigner les boîtiers détecteurs de radars. La détention d'un brevet La détention d'un brevet ne crée pas nécessairement une position dominante au profit de son titulaire, mais elle contribue à son pouvoir de marché. La circonstance que la société Coyote ait été l'inventeur des avertisseurs radars et ait possédé une avance technologique par rapport à ses concurrents, et aussi une avance en termes de communauté affiliée, même après l'apparition des deux concurrents Inforad et Winkango, constitue un indice complémentaire de l'existence d'une position dominante à son profit. Par ailleurs, la détention d'un brevet lui permettait de maîtriser l'entrée de concurrents, en octroyant ou non des licences.
La position dominante de la société Coyote est donc établie au moment des faits sur le marché national des boîtiers avertisseurs de radars (puis, à partir de 2012, de " zones de danger ") communautaires et payants. Sur les pratiques constitutives d'abus
Sur le dépôt du brevet " frivole ", suivi d'actions en justice pour contrefaçon
Les sociétés Inforad soutiennent que Coyote, sur la base du dépôt d'un brevet " frivole ", a intenté diverses actions en contrefaçon dont elle s'est artificiellement prévalue auprès des clients dans le seul but d'évincer ses concurrents. Ainsi, selon les sociétés Inforad, dès son entrée sur le marché, Coyote a mené une stratégie visant précisément à paralyser le développement des concurrents dont elle pouvait craindre l'arrivée, par une pratique de " buissons de brevets " et de revendications trop larges, le but étant de se prémunir des moyens juridiques pour déclencher des actions judiciaires intempestives à l'égard des entreprises qui, dans le futur, tenteraient d'entrer sur le même marché. C'est ainsi qu'elle a successivement assigné en contrefaçon du brevet Coyote la société GPS Prevent devant le tribunal de grande instance de Lille le 6 avril 2009, puis Inforad devant le tribunal de grande instance de Paris le 26 juillet 2012. Les appelantes exposent que la stratégie anticoncurrentielle de cette dernière assignation a été démontrée par le jugement du tribunal de grande instance de Paris, du 19 décembre 2013, qui a reconnu le caractère " frivole " du brevet Coyote, a annulé les principales revendications de ce brevet et a rejeté les demandes de Coyote sur le fondement de la concurrence déloyale et du parasitisme. La société Coyote et la société EMAS répondent qu'aucune des pratiques de Coyote System ne relève de la qualification d'abus car le dépôt d'un brevet ne saurait en aucun cas être considéré comme abusif. Elles ajoutent qu'en l'espèce, il n'existait pas de " buisson de brevet " mais un seul et que, bien que Coyote System soit le premier acteur à avoir développé et breveté cette technologie, ceci n'a aucunement empêché le développement de nombreux concurrents sur le marché. Elles précisent que la détention d'un brevet, même par une entreprise dominante, n'est pas, a priori, anticoncurrentielle et que la " frivolité " d'un brevet est une question de pur droit de la propriété intellectuelle.
Enfin, elles soutiennent que Coyote System a, de sa propre initiative, toujours adapté le champ des revendications de son brevet aux prétentions qu'elle pouvait légitimement formuler sur la base des informations dont elle disposait : les conditions de dépôt et d'adaptation du brevet Coyote ne sont, dès lors, en rien constitutives d'une pratique abusive.
En se fondant sur l'article L. 613-3 du code de la propriété intellectuelle, elles exposent que le droit exclusif d'exploitation conféré par un brevet à son titulaire a pour indispensable corollaire la possibilité d'intenter une action en contrefaçon contre toute personne agissant en violation de ce droit : Coyote System était donc parfaitement fondée à faire dresser les trois procès-verbaux, les 12 et 19 juin 2012, afin de faire constater que les produits distribués par Inforad Diffusion sous les marques SMART et Inforad CI contrefaisaient certaines revendications du brevet Coyote et agir en saisie-contrefaçon au siège de la société Inforad Diffusion. Elles invoquent aussi que Coyote System était d'autant plus légitime à agir ainsi que la précédente action engagée contre Wikango (GPS Prevent) avait conduit le tribunal de grande instance de Lille à confirmer la validité du brevet Coyote.
Or, il résulte des débats les faits suivants :
La société Coyote a assigné la société GPS Prévent pour contrefaçon ; celle-ci avait lancé un produit concurrent, le 6 avril 2009, le brevet n° 0600589 de Coyote, déposé en janvier 2006, n'ayant été publié que le 7 août 2009 ; le tribunal de grande instance de Lille, devant lequel était soulevé le défaut de nouveauté du brevet délivré, la revendication n° 1 du brevet étant entièrement, selon le défendeur, divulguée par le brevet US Lang publié le 12 septembre 2000, a, par jugement du 9 juin 2011, rejeté ce moyen, soulignant la différence entre un système permettant de faire connaître l'emplacement des radars aux automobilistes grâce à des véhicules de surveillance qui envoient une base de données à un serveur, consultable et le système Coyote permettant d'informer en temps réel les conducteurs, grâce à la communauté des utilisateurs qui signalent les radars au serveur. Il a estimé également que Coyote avait pu envoyer des lettres de mise en demeure à ses clients leur indiquant que GPS Prevent contrefaisait son brevet, avant même les actions de saisie-contrefaçon dans les locaux de GPS Prevent et d'un magasin Feu Vert de Rambouillet, et avant même la publication du brevet, sans encourir le grief de concurrence déloyale. Le tribunal a également écarté la circonstance que l'INPI ait rendu un rapport de recherche et d'antériorité et estimé que l'invention n'était pas brevetable. Ce jugement n'a pas fait l'objet d'un appel, mais les parties ont transigé.
Alors que la société Inforad avait commercialisé des boîtiers avertisseurs de radars concurrents depuis le début du second semestre 2010, la société Coyote ne l'a assignée que le 26 juillet 2012 en contrefaçon et parasitisme. Par jugement du 19 décembre 2013, le tribunal de grande instance de Paris a annulé les principales revendications du brevet Coyote. Il a jugé que la revendication principale était dépourvue de nouveauté, au vu notamment d'un brevet déposé aux Etats-Unis par la société Bullock en 2001 et publié en 2002 ; les autres revendications dépendantes ont, elles-aussi, fait l'objet d'une annulation. Si la société Inforad a fait l'objet d'une saisie-contrefaçon le 12 juin 2012, elle a appris que deux de ses revendeurs avaient également fait l'objet de telles actions, respectivement les 19 juin et 3 juillet 2012, ces deux dernières saisies n'ayant pas été suivies d'une action au fond.
Or, au même moment, la société Inforad était en discussion avec Renault pour équiper les véhicules.
Le 5 septembre 2012, c'est-à-dire 2 mois après le déclenchement de l'action en contrefaçon, Nicolas Cambron, chef de Produits Accessoires et Merchandising France de la société Renault, a envoyé un e-mail à Inforad, lui demandant des précisions sur des rumeurs : " Suite à quelques remontées de ma force de vente, je souhaiterais que vous m'apportiez quelques précisions sur votre situation vis-à-vis de Coyote. Une information, qui pourrait n'être qu'une rumeur, précise que vous seriez en conflit juridique avec Coyote pour copie de brevets, entre autre sur la partie communautaire de votre avertisseur. De même, nous entendons qu'une action de saisie pourrait être lancée sur les implantations de votre produit. Pourriez-vous nous apporter des précisions voire un démenti ? Cette information officielle sera apportée à notre force de vente via Julien, en copie de cet email.
Vous en remerciant par avance, bien cordialement Nicolas CAMBRON ". En octobre 2012, à l'occasion du Mondial de l'Automobile, M. Didier Quillot, Président Directeur Général de Coyote, annonçait un partenariat avec Renault : " Il y a 18 mois, on a failli disparaître et aujourd'hui, au Mondial de l'Auto, à Paris, on annonce un partenariat stratégique avec Renault, premier constructeur français, qui annonce avec nous qu'il y aura dorénavant un Coyote pré-embarqué dans toutes les nouvelles Clio et dans toutes les nouvelles Zoé, la voiture électrique de Renault. (...) On a fait preuve d'abord de conviction, d'explications (...) ".
La société Coyote a présenté une requête en limitation de revendication à l'INPI le 25 mars 2013, acceptée le 5 juillet 2013.
L'objet spécifique du brevet est " notamment d'assurer au titulaire, afin de récompenser l'effort créateur de l'inventeur, le droit exclusif d'utiliser une invention, en vue de la fabrication soit directement soit par l'octroi de licence à des tiers, ainsi que le droit de s'opposer à toute contrefaçon " (CJCE 15-74 du 31/10/74 Centrafarm B).
Par ailleurs, " le simple fait (pour un opérateur fût-il en position dominante) de déposer des brevets [...] et de défendre les droits qui en découlent devant les juridictions compétentes ne saurait être regardé comme abusif ", sauf s'il peut être établi que " cet opérateur se livrerait à un gel des droits attachés auxdits brevets et qu'ainsi sa pratique de dépôt de brevet aurait pour unique objet d'empêcher des concurrents de pénétrer le marché " (décision 01-D-57 du 21 septembre 2001).
Aucun gel des droits ne peut être imputé à la société Coyote, qui n'a jamais été sollicitée par la société Inforad pour en obtenir une licence d'utilisation de la technologie de Coyote.
Il n'est pas démontré que le dépôt du brevet ait eu pour unique objet d'empêcher les concurrents de pénétrer le marché, puisqu'ainsi que l'a souligné le jugement entrepris, Coyote exploitait effectivement les technologies protégées et que, par ailleurs, la société Inforad a pu développer son propre boîtier dès juin 2010 et jusqu'en juillet 2012, sans verser la moindre redevance.
Par ailleurs, aucune stratégie de " buisson " de brevets n'a pu être établie à la charge de la société Coyote.
Enfin, pour que l'exercice d'une action en justice, par une entreprise en position dominante sur un marché, dégénère en abus au sens de l'article L. 420-2 du code de commerce, il faut, d'une part, que l'action, manifestement dépourvue de tout fondement, ne puisse pas être raisonnablement considérée comme visant à faire valoir les droits de l'entreprise concernée, et d'autre part, qu'elle s'inscrive dans un plan visant à empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence sur le marché considéré.
Il ne peut être reproché a posteriori à la société Coyote d'avoir défendu son brevet par une action en contrefaçon contre Inforad en juillet 2012, alors que le jugement de décembre 2013 qui a annulé certaines revendications est intervenu postérieurement, et que le premier tribunal appelé à se prononcer sur celui-ci en 2011 avait conclu à la validité de toutes les revendications dudit brevet.
La société Coyote a d'ailleurs ajusté ses revendications en fonction du jugement de décembre 2013.
Dès lors, aucune mauvaise foi ne peut lui être imputée de nature à faire dégénérer en abus cette action en justice. D'une part, l'action n'était pas dépourvue de tout fondement et d'autre part, aucun plan n'est démontré, la seule circonstance que l'assignation soit intervenue au moment où la société Inforad discutait avec Renault d'un projet de collaboration, dont le niveau d'aboutissement n'est au surplus pas établi, ne pouvant en soi, rapporter cette preuve, dès lors que cet élément n'est corroboré par aucune autre preuve.
De même, les actions en contrefaçon contre deux revendeurs d'Inforad n'excèdent pas la légitime défense de ses droits et la preuve n'est pas rapportée qu'elles aient été intentées dans l'unique dessein de porter atteinte à la concurrence.
Aucun " harcèlement " ne saurait découler de ces trois actions judiciaires.
Sur le prétendu dénigrement auprès des clients d'Inforad
Les sociétés Inforad soutiennent que l'attitude de la société Coyote vis-à-vis des clients et prospects d'Inforad à l'occasion de la procédure diligentée devant le tribunal de grande instance de Paris est en elle-même abusive. Ainsi, les sociétés Inforad accusent la société Coyote d'avoir dénigré les produits Inforad auprès de la société Renault avec laquelle elles négociaient pour voir leurs systèmes installés dès l'origine dans les véhicules, ce qui aurait conféré une légitimité considérable à la marque. S'appuyant sur un mail de Renault du 5 septembre 2012, elles prétendent que la société Renault, informée de l'action intempestive en contrefaçon de Coyote contre Inforad et d'éventuelles actions en saisie-contrefaçon, a finalement conclu ce partenariat avec Coyote.
Les sociétés Inforad soulignent que la société Coyote a aussi procédé à plusieurs saisies-contrefaçon non seulement auprès d'Inforad elle-même mais aussi auprès de certains de ses revendeurs, sans pouvoir justifier objectivement l'objet de ces saisines, non suivies d'actions en fond, alors que les articles L. 332-3 et L. 615-5 du code de la propriété intellectuelle imposent au saisissant de se pourvoir au fond dans un délai de vingt jours ouvrables à compter du jour où est intervenue la saisie, sous peine d'annulation de la saisie et de l'engagement de sa responsabilité. Elles demandent à la cour de retenir que l'usage déloyal, par Coyote, de procédures de saisies abusives sur la base d'un brevet dont Coyote a accepté la nullité et modifié ultérieurement les revendications n'avait d'autre but que de jeter artificiellement le discrédit sur la société Inforad : il s'agissait pour Coyote, de faire en sorte qu'aucun des clients grands comptes, actuels ou potentiels, d'Inforad n'ignore l'existence d'une potentielle contrefaçon, faisant courir à ces clients eux-mêmes un fort risque juridique et commercial et donc de déstabiliser Inforad vis-à-vis de ses clients par une stratégie de harcèlement.
Les sociétés Coyote et EMAS répliquent que les prétendus agissements de Coyote System à l'égard des appelantes, à les supposer établis, ne caractérisent nullement un dénigrement et ne peuvent aucunement constituer un abus de position dominante ou un acte de concurrence déloyale. En effet, l'email de Renault du 5 septembre 2012 sur lequel se fonde les sociétés Inforad pour invoquer cette pratique de dénigrement, n'évoque à aucun moment le fait que cette information pourrait provenir de Coyote System et ne fait pas état de propos dénigrants ayant conduit Renault à décider de mettre un terme à sa relation avec Inforad et de privilégier Coyotede ce fait.
De plus, elles exposent qu'Inforad ne disposant pas de points de vente en propre, un procès-verbal de constat ne pouvait intervenir qu'à son siège (ce qui était le cas du procès-verbal de constat du 12 juin 2012, comme le relève Inforad) ou chez l'un de ses revendeurs (procès-verbaux de constats du 12 et 19 juin 2012 dans deux points de vente).
Le dénigrement consiste à jeter publiquement le discrédit sur une personne, un produit ou un service identifié ; il se distingue de la critique dans la mesure où il émane d'un acteur économique qui cherche à bénéficier d'un avantage concurrentiel en jetant le discrédit sur son concurrent ou sur les produits de ce dernier. Pour qu'un dénigrement puisse être qualifié d'abus de position dominante, il convient que soit établi un lien entre la domination de l'entreprise et la pratique de dénigrement.
La circonstance que ce brevet n'ait été opposé que tardivement à la société Inforad, deux ans après le lancement de ses boîtiers concurrents, à un moment où celle-ci envisageait un partenariat avec Renault pour équiper ses véhicules, ce qui aurait constitué un débouché important pour cette société, ne saurait en soi démontrer une action de dénigrement auprès de la société Renault.
Le retentissement médiatique de cette action ne peut être imputé à la société Inforad, celle-ci n'ayant effectué aucune diffusion publique sur celle-ci à destination de ses clients ou de ceux d'Inforad.
Dès lors, à supposer que la publicité de ces actions ait provoqué l'arrêt des discussions entre Inforad et Renault, il n'est pas établi que la responsabilité en incombe à la société Coyote, l'email de Renault du 5 septembre 2012 faisant état de " rumeurs " dont la provenance n'était pas indiquée.
Un simple concours de circonstances, même troublant, ne saurait en soi fonder un grief d'abus de position dominante.
Sur la surestimation de la communauté d'utilisateurs
Enfin, les sociétés Inforad soutiennent que les pratiques de dénigrement mises en place par Coyote ont également consisté en une exagération de sa communauté d'utilisateurs.
Elles invoquent, en se fondant sur la jurisprudence de l'Autorité de la concurrence, l'effet " club statistique ", qui résulte d'une situation dans laquelle le consommateur, au moment du choix d'un produit est mécaniquement incité à choisir, toutes choses égales par ailleurs, l'offre de l'opérateur qui dispose de la part de marché la plus importante. Elle soutienne alors que Coyote a surestimé la taille de sa communauté en communiquant des chiffres erronés et inconstants, qui ont été relayés non seulement par la presse spécialisée, mais également dans l'ensemble de la presse économique, aboutissant ainsi à répandre encore plus largement ces affirmations erronées. Elles expliquent que, sur le marché des détecteurs de radars (ou, à partir de 2012, de " zones de danger "), la taille de la communauté est primordiale, plus importante encore que les caractéristiques techniques ; cette pratique a créé un effet club statistique abusif.
Les sociétés Coyote et EMAS soutiennent à juste titre que la diffusion d'informations volontairement surestimées, sur la communauté d'utilisateurs de Coyote System, ne constitue en soi ni une pratique de dénigrement ni un quelconque abus. Les chiffres invoqués par les appelantes témoignent d'une évolution progressive à la hausse du nombre d'utilisateurs des produits de Coyote System. Par ailleurs, la jurisprudence sanctionnant l'effet club statistique est inapplicable en l'espèce, car Inforad aurait été dans l'incapacité de répliquer à une offre commerciale de Coyote System et la seule différence de taille entre deux opérateurs ne saurait suffire à établir un abus de position dominante.
La seule diffusion de chiffres " incohérents " sur la communauté d'utilisateurs ne saurait constituer un abus de position dominante de la société Coyote, faute d'objet et d'effets anticoncurrentiels.
En définitive, aucun abus de position dominante n'est établi par les sociétés appelantes à l'encontre de la société Coyote.
L'ensemble des demandes des sociétés Inforad sera donc rejeté.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes des appelantes pour abus de position dominante.
III. Sur la demande de mise hors de cause de la société EMAS
La société EMAS, à l'encontre de laquelle les sociétés appelantes ne formulent plus aucune demande, sera mise hors de cause.
IV. Sur les demandes reconventionnelles
Sur la procédure abusive
Le tribunal de commerce de Paris a condamné les sociétés Inforad à payer à la société Coyote des dommages et intérêts à hauteur de 60.000 euros pour procédure abusive.
Sollicitant la confirmation du jugement, la société Coyote System demande la condamnation in solidum des sociétés Inforad Limited, Inforad Diffusion et IT Services au paiement de dommages et intérêts d'un montant de 60.000 euros sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile et de l'article 1240 du code civil, et à titre additionnel leur condamnation in solidum, sur le même fondement, au paiement de dommages et intérêts additionnels d'un montant de 60 000 euros au titre de la présente procédure d'appel. Elles invoquent notamment que l'action d'Inforad, engagée en pure représailles de l'instance en contrefaçon pendante devant le tribunal de grande instance de
Paris ne visait qu'à nuire à Coyote System en affectant la valeur de son fonds de commerce, dès lors qu'un risque contentieux à hauteur de 21 millions d'euros devait être annoncé aux acquéreurs potentiels.
Demandant au contraire l'infirmation du jugement sur ce point, les sociétés Inforad soutiennent qu'aucune de ces condamnations n'est appuyée sur le moindre début de justification.
L'exercice d'une voie de droit ne peut constituer un abus que dans des circonstances exceptionnelles, tenant au caractère manifestement voué à l'échec de l'instance, intentée dans la seule intention de nuire.
Or, outre que cette action n'était pas manifestement vouée à l'échec, la preuve n'est pas rapportée de l'intention de nuire à la société Coyote, aussi bien en première instance qu'en appel.
Le jugement querellé sera donc infirmé en ce qu'il a condamné les sociétés Inforad en paiement de la somme de 60 000 euros.
L'intimée sera aussi déboutée de sa demande tendant à l'allocation de 60 000 euros supplémentaires pour appel abusif.
Sur la demande d'inscription au passif des liquidations judiciaires des sociétés Inforad Limited et, Inforad Diffusion et IT Services des sommes auxquelles elles seraient condamnées pour procédure abusive et au titre de l'article 700 du code de procédure civile
La société Coyote System demande l'infirmation du jugement, en ce qu'il a décidé d'office l'inscription des sommes auxquelles les sociétés Inforad Limited, Inforad Diffusion et IT Services ont été condamnées pour procédure abusive et au titre de l'article 700 du code de procédure civile, au passif des liquidations judiciaires.
Sur la recevabilité de la demande
Si les sociétés Inforad soulèvent l'irrecevabilité de cette demande, formulée pour la première fois en appel, la société Coyote System répond à juste titre qu'il ne peut lui être reproché de n'avoir pas formulé cette demande en première instance, dès lors que l'inscription au passif des sommes susceptibles d'être obtenues par elle au titre des demandes de condamnation qu'elle sollicitait résulte d'une décision prise d'office par le tribunal, qu'elle ne pouvait anticiper.
Cette demande est donc recevable.
Sur le bien fondé de la demande
La société Coyote System soutient, en se fondant sur les articles L. 641-13 I et L. 622-17 du code de commerce, que les créances de Coyote System sont nées postérieurement aux jugements d'ouverture des procédures collectives et pour les besoins du déroulement de la procédure collective et qu'elles remplissent donc les conditions pour pouvoir être payées à échéance.
Les sociétés Inforad répliquent que ces créances ne sont pas nées pour les besoins du déroulement de la procédure, car elles sont intervenues dans un litige totalement étranger à la liquidation judiciaire des sociétés Inforad. L'article L.641-13 I du code de commerce dispose que :
" I.-Sont payées à leur échéance les créances nées régulièrement après le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire :
- si elles sont nées pour les besoins du déroulement de la procédure ou du maintien provisoire de l'activité autorisé en application de l'article L. 641-10 ;
- si elles sont nées en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant le maintien de l'activité ou en exécution d'un contrat en cours régulièrement décidée après le jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, s'il y a lieu, et après le jugement d'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire; [...]
En cas de prononcé de la liquidation judiciaire, sont également payées à leur échéance, les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire mentionnées au I de l'article L. 622-17 ". L'article L. 641-13 du code de commerce pose donc plusieurs conditions au paiement des créances : qu'elles soient nées régulièrement après le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire, et qu'elles soient nées pour les besoins du déroulement de la procédure ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant le maintien de l'activité. En d'autres termes, elles doivent être directement liées à la procédure collective.
Or, en l'espèce, la créance n'est pas née pour les besoins du déroulement de la procédure collective, s'agissant d'une condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, intervenue dans un litige distinct de la liquidation judiciaire des sociétés Inforad.
Cette demande sera donc rejetée.
V. Sur les dépens et frais irrépétibles
Succombant au principal, la société Inforad Limited, ainsi que les sociétés Inforad Diffusion et IT Services, prises en la personne de la SELAS Alliance, ès-qualités de liquidateur judiciaire, seront condamnées aux dépens de l'instance d'appel ainsi qu'à payer à la société Coyote la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. La société Inforad Limited, ainsi que les sociétés Inforad Diffusion et IT Services, prises en la personne de la SELAS Alliance, ès-qualités de liquidateur judiciaire seront également condamnées à payer à la société EMAS la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.