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Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. A, 5 décembre 2018, n° 16-04883

COLMAR

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Anamnesia (SARL)

Défendeur :

Motion Agency (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Panetta

Conseillers :

M. Roublot, Mme Harrivelle

TGI Strasbourg, du 13 sept. 2016

13 septembre 2016

Faits, procédure et prétentions des parties

La SARL Anamnesia, fondée en 2004 par Messieurs Y, Z et X, a pour objet la conception, la scénarisation, la réalisation multimédias et la vente de ces projets.

Selon contrat de travail en date du 2 janvier 2007, M. X était également salarié de la société et a été licencié le 7 octobre 2010. Il a constitué l'EURL Motion Agency dont les statuts ont été enregistrés le 14 janvier 2011 et dont il est l'associé unique et le gérant.

Par assignation en date du 10 juillet 2012, la SARL Anamnesia a fait citer l'EURL Motion Agency aux fins d'obtenir la cessation de la violation de son droit d'auteur, de l'atteinte à sa dénomination sociale, des actes de contrefaçon, de parasitisme et de concurrence déloyale, et de la condamner à réparer son préjudice.

Par un jugement en date du 13 septembre 2016, le tribunal de grande instance de Strasbourg a déclaré irrecevables les demandes de la SARL Anamnesia tendant à voir sanctionner les atteintes à des droits patrimoniaux d'auteur et déclaré recevables le surplus, a déclaré irrecevables les demandes de l'EURL Motion Agency tendant à voir sanctionner les atteintes au droit d'auteur de M. X, les a déclarées recevables pour le surplus, a débouté les parties de leurs demandes, condamné la SARL Anamnesia à verser à l'EURL Motion Agency la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par déclaration faite au greffe en date du 18 octobre 2016, la SARL Anamnesia a interjeté appel de la décision.

L'EURL Motion Agency s'est constituée intimée le 2 février 2017.

Par des dernières conclusions en date du 4 décembre 2017, la SARL Anamnesia demande à la cour d'infirmer le jugement, de condamner la société Motion Agency à lui payer la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice subi au titre de la contrefaçon de marque, la somme de 40 000 euros en réparation du préjudice subi au titre des actes de concurrence déloyale, la somme de 40 000 euros en réparation du préjudice subi au titre des actes de parasitisme, interdire à la société Motion Agency toute référence à la dénomination Anamnesia, à ses travaux, réalisations et productions ainsi que l'utilisation des visuels photographiques et films, assortir cette interdiction d'une astreinte de 300 euros par jour de retard et par infraction constatée, ordonner la publication de la décision en cas de condamnation de la société Motion Agency, débouter l'intimée de ses demandes, la condamner aux dépens et au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, la société Anamnesia affirme être titulaire d'une marque déposée le 21 mai 2013 et que l'intimée a recouru à six reprises à des références non autorisées, à la marque et à la dénomination sociale de l'appelante dans ses plaquettes commerciales, caractérisant la contrefaçon. Elle soutient que les références indues à la dénomination sociale Anamnesia constituent des pratiques commerciales trompeuses et des actes de concurrence déloyale entraînant un détournement de clientèle au bénéfice de Motion Agency. Elle indique que la référence a ses productions, à ses films sans citation de son nom caractérise le parasitisme. Elle affirme ne pas avoir porté atteinte au droit d'auteur car la société Motion Agency n'est pas la personne morale à l'origine des créations, et que celles-ci sont des œuvres collectives.

Par des dernières conclusions en date du 28 septembre 2017, la société Motion Agency demande à la cour de débouter la société Anamnesia de l'ensemble de ses demandes, de la condamner à lui payer la somme de 50 000 euros de dommages-intérêts en réparation de l'atteinte aux droits d'auteur et 50 000 euros au titre des actes de concurrence déloyale, la condamner aux dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

A l'appui de ses allégations, la société Motion Agency affirme qu'elle n'opère aucun acte de contrefaçon en ce qu'elle fait référence à la dénomination sociale de la société Anamnesia pour informer les destinataires de la brochure du nom du client pour lequel elle a travaillé, à savoir la société Anamnesia. Elle indique que la concurrence déloyale n'est pas caractérisée car les références à la dénomination sociale de l'appelante ne sont pas susceptibles de créer un risque de confusion destiné à faire croire que les sociétés sont liées, mais qu'elles ont pour vocation d'informer que les réalisations de Motion Agency ont été faites pour le compte de la société Anamnesia. Elle affirme n'avoir jamais usurpé le savoir-faire de l'appelante de sorte qu'elle ne commet aucun acte de parasitisme. Elle affirme qu'il n'existe aucun contrat de cession de droits de propriété intellectuelle en bonne et due forme au profit de la société Anamnesia de sorte que l'utilisation par cette dernière d'œuvres créées par M. X, sans mentionner son nom, constitue une atteinte à son droit d'auteur.

La cour se référera à ces dernières écritures pour plus ample exposés des faits de la procédure et des prétentions de la partie.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 mai 2018.

L'affaire a été appelée à l'audience du 17 octobre 2018, à laquelle les parties ont développé leur argumentation et déposé les pièces à l'appui de leurs allégations.

Motifs de la décision :

I. Sur la demande relative à la contrefaçon

La société Anamnesia soutient en premier lieu que la société Motion Agency a contrefait sa marque, déposée le 21 mai 2013 et enregistrée en classes 9, 35, 37, 41 et 42. Elle indique que l'intimée a fait référence à sa marque et à sa dénomination sociale, à plusieurs reprises, dans ses plaquettes de présentation commerciale, ceci pour désigner des produits similaires à ceux qu'elle commercialise. Elle estime que cet usage de sa marque est, au sens des articles L. 713-2 et L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle, constitutif d'actes de contrefaçon.

La société Motion Agency réplique qu'elle n'a pas fait usage de la marque " Anamnesia " pour désigner des produits ou services, mais a seulement usé de cette dénomination sociale pour identifier ladite société, dans le cadre de l'évocation de projets auxquels elle a participé.

Ainsi que l'a retenu à bon droit le premier juge, il ressort de l'analyse des plaquettes commerciales de la société Motion Agency que cette dernière y a employé la dénomination " Anamnesia ", non pas à titre de marque, mais seulement comme élément d'identification de cette société, soit pour indiquer qu'il a été employé en son sein, soit pour préciser qu'elle était " client " ou " producteur exécutif " de certains projets évoqués. La contrefaçon de marque n'est dès lors pas caractérisée.

Par conséquence, le rejet de cette prétention sera confirmé.

II. Sur la demande portant sur les allégations de concurrence déloyale

A/ Sur l'usurpation de dénomination sociale et les références mensongères

La société Motion Agency soulève le fait que les demandes de l'appelante au titre de la concurrence déloyale portent sur les mêmes faits que celles présentées au titre de la contrefaçon, ce à quoi la société Anamnesia répond que la concurrence déloyale porterait sur l'usage de sa dénomination sociale, et non de sa marque.

Quoi qu'il en soit, les demandes au titre de la contrefaçon ayant été écartées, il convient d'examiner cette demande.

La société Anamnesia considère que la société Motion Agency s'est livrée à des actes de concurrence déloyale. Elle indique que l'intimée a usurpé sa dénomination sociale, l'utilisant dans sa plaquette commerciale, et cherchant par là à entretenir la confusion entre les deux sociétés. Elle allègue qu'en faisant référence à son travail, la société Motion Agency tente de faire croire à un lien entre elles, spécialement auprès d'une clientèle restreinte.

Pour répondre à ce moyen, l'intimée souligne qu'aucune confusion n'est possible, la dénomination " Anamnesia " étant précisément citée dans sa plaquette commerciale pour informer les clients potentiels du rôle joué par la société Anamnésia dans les projets en cause. Elle souligne en outre que la clientèle, sur ce marché de niche comportant très peu d'opérateurs, est composée de professionnels avertis, et que donc le risque de confusion est nul.

Il convient de remarquer que les références à la dénomination sociale de la société Anamnesia, au sein des documents commerciaux de la société Motion Agency, ne sont pas de nature à entraîner un risque de confusion entre les deux sociétés, ni à laisser supposer qu'elles sont liées. Au contraire, l'indication claire de la dénomination " Anamnesia " contribue à la distinguer clairement de sa concurrente. Quand bien même les deux sociétés seraient domiciliées dans la même ville, il ne peut être soutenu que leurs clients, qui sont professionnels avertis et notamment des personnes publiques dotées de pouvoir d'adjudication de marchés publics, sont susceptibles de confondre les deux concurrentes, d'autant plus que la société Motion Agency fait apparaître clairement sa dénomination sociale et se présente sans ambiguïté comme une " agence de production audiovisuelle indépendante ".

Ce moyen sera donc écarté.

B/ Sur les " références mensongères "

La société Anamnesia entend se prévaloir des dispositions du Code de la consommation, lequel n'est cependant pas, ainsi que l'indique l'intimée, applicable au litige, aucun consommateur n'étant en cause, ni même concerné par les pratiques commerciales de la société Motion Agency, dont les clients sont des professionnels.

La société Anamnesia soutient que des pratiques commerciales déloyales, telles que celles réprimées par le Code de la consommation, peuvent également l'être sur le fondement de la responsabilité délictuelle de droit commun. Cette allégation n'est étayée par aucun élément de droit. Il s'avère que la société Anamnesia n'établit aucunement le fondement sur lequel s'appuierait sa demande. Au contraire, il est souligné que la répression des actes de concurrence déloyale, fondée sur la responsabilité pour faute prévue aux articles 1382 et suivants ancien du Code civil (dorénavant 1240 et suivants), ne permet aucunement de poursuivre des pratiques commerciales qualifiées de déloyales au sens du Code de la consommation.

Les deux moyens nouveaux invoqués à l'appui de la demande relative à la concurrence déloyale ne pouvant prospérer, le rejet de cette demande sera confirmé.

III. Sur le parasitisme

La société appelante sollicite encore la condamnation de la société Motion Agency pour des faits qu'elle estime constitutifs de parasitisme.

Elle avance que la société Motion Agency s'est appropriée de manière injustifiée sa valeur économique, se procurant ainsi un avantage concurrentiel, et s'immisçant dans son sillage sans rien dépenser et bénéficiant ainsi de ses efforts et de son savoir-faire. Elle indique ainsi que la société Motion Agency s'est référée à des productions réalisées par elle, sans la citer, pour sa documentation commerciale. Elle allègue également que la société Motion Agency a présenté, à des fins publicitaires sur internet, des extraits de films réalisés par Anamnesia. Elle prétend enfin que la société Motion Agency aurait fait un usage de ses travaux sur différents supports.

En défense, l'intimée réplique qu'elle n'a usurpé aucun effort ni savoir-faire, les réalisations dont il est question ayant résulté du travail de M. X, son gérant et associé unique.

Concernant les extraits de films litigieux, elle conteste la pertinence des captures d'écran versées par la partie adverse et souligne que les liens internet visés renvoient à des pages vides.

Il est relevé que la pièce n° 9, dont se prévaut ici la société Anamnesia, est censée se composer de deux DVD, qui sont absents de l'enveloppe destinée à les contenir. La Cour n'a donc pas pu prendre connaissance de la teneur de cette pièce. Néanmoins, elle estime disposer d'éléments suffisants pour apprécier le bien fondé des prétentions de la société Anamnesia.

Il n'est pas contesté que M. X, associé unique et gérant de la société Motion Agency, a participé à ces projets alors qu'il était directeur artistique et associé de la société Anamnesia.

La société Motion Agency apparaît n'avoir pas cherché à se placer dans le sillage de la société Anamesia, mais a entendu se prévaloir de l'expérience de son fondateur et associé unique, acquise lors des projets menés dans le cadre de la collaboration de M. X avec la société Anamesia. Ce dernier a apporté son propre travail et son savoir-faire à la création des projets concernés, dont il est co-auteur. De plus, la société Motion Agency précise, dans sa plaquette commerciale, les aspects des projets considérés, pour lesquels M. X est intervenu, tels que : réalisation, conception graphique, et autres. Ainsi, la société Motion Agency n'agit pas en fraude en se prévalant de l'expérience de M. X dans les réalisations visées. Elle n'a donc pas recherché à gagner un avantage concurrentiel en usant d'une valeur économique appartenant à une autre société.

S'agissant des extraits vidéo, il est à relever que les captures d'écran ne sont pas datées et n'ont pas été établies par constat d'huissier. Il apparaît que les vidéos concernées ont été, à ce jour, supprimées.

L'extrait relatif au film consacré à A, évoqué dans les écritures de la société Anamnesia, n'est attesté par aucune pièce, tandis que, ainsi que le soulève la société Motion Agency, le lien en question renvoie à une page internet appartenant à la société Anamnesia.

En l'état, les allégations de la société Anamnesia à propos des extraits vidéo ne sont pas suffisamment démontrées. Au surplus, il n'est pas prouvé que par la diffusion de ces extraits de films, à la réalisation desquels a participé M. X, la société Motion Agency aurait cherché à se placer dans le sillage de la société Anamnesia.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande formée par la société Anamnesia au titre du parasitisme.

IV. Sur les mesures réparatrices

Aucun fait de contrefaçon, de concurrence déloyale ou de parasitisme n'étant retenu, le rejet des mesures réparatrices sollicitées par la société Anamnesia sera confirmé.

V. Sur les demandes reconventionnelles formées par la société Motion Agency

La société intimée forme deux demandes reconventionnelles.

S'agissant de la demande portant sur les droits d'auteur, dont elle ne précise d'ailleurs pas le fondement, la société Motion Agency soutient que l'appelante utilise dans sa documentation commerciale des œuvres créés par M. X, son gérant, sans le citer. Or, ainsi que le souligne pertinemment la société Anamnesia, M. X n'est pas partie à la procédure, et la société Motion Agency ne saurait se prévaloir d'atteinte aux droits de son gérant et associé unique.

La société Motion Agency soutient encore que l'absence de mention de sa participation au projet " Musée Lalique " lui porterait atteinte. Elle ne précise cependant pas à quels droits ces faits porteraient atteinte, ni ne justifie de ces droits. En l'état, ce moyen ne peut prospérer. Au surplus, comme l'avance l'appelante, l'œuvre litigieuse apparaît avoir été une œuvre collective, la société Motion Agency étant intervenue comme sous-traitante sur ce projet.

L'intimée indique encore qu'elle exploiterait les droits patrimoniaux et moraux détenus par M. X des œuvres créées par lui alors qu'il était employé de la société Anamnesia, et dont celle-ci se prévaut à des fins publicitaires. Là encore, la société intimée est défaillante à apporter la preuve de ses allégations, aucun élément n'étant fourni quant à un éventuel apport des droits de M. X à la société dont il est gérant. Au surplus, les œuvres dont il serait question ne sont pas précisées, ni les éventuels droits de M. X démontrés.

C'est donc à bon droit que le premier juge a rejeté cette demande. Le jugement sera confirmé sur ce point.

S'agissant de la demande de dommages et intérêts au titre du dénigrement dont la société Motion Agency aurait été victime, celle-ci ne justifie nullement d'une faute de la partie adverse, ni de son préjudice. Le rejet de cette demande sera confirmé.

VI. Sur les demandes accessoires

La société Anamnesia, succombante, aura la charge des dépens.

L'équité commande l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de la société Motion Agency. En revanche, l'équité ne commande pas l'application de ces dispositions au profit de la société Anamnesia.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement rendu le 13 septembre 2016, par le tribunal de grande instance de Strasbourg, en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Condamne la société Anamnesia aux dépens, Condamne la société Anamnesia à payer à la société Motion Agency la somme de 1 500 € (mille cinq cents euros) en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de la société Anamnesia.