CA Bordeaux, 1re ch. civ., 13 décembre 2018, n° 16-06428
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Dat Security (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Larsabal
Conseiller :
M. Franco
Avocats :
Mes Guinard Caron, Puybaraud
Le 11 avril 2011, M. Michel B. a conclu un contrat d'abonnement de télésurveillance de son habitation avec la société The First Securité, représentée par M. D., comportant les prestations suivantes:
- télésurveillance 24h/24 et 7j/7,
- tests périodiques par 24 heures,
- détection des défauts secteur,
- une intervention unitaire.
Ce contrat mettait à la charge de M. B. le paiement des frais d'installation et mise en service (125 euros HT), et d'une somme de 29,90 euros TTC par mois.
Le 18 avril 2011, M. Yoann D., gérant de la société The First sécurité a attesté par écrit avoir reçu le même jour un jeu de quatre clés (en précisant les références) et une télécommande de 4 boutons.
Par jugement en date du 11 avril 2012, le tribunal de commerce de Bordeaux a placé la société The first sécurité en liquidation judiciaire.
Le 7 juin 2012, M. B. a signé avec la société D. security, ayant pour unique associé M. D., un contrat d'abonnement de télésurveillance des mêmes locaux et de location de matériels (centrale GPRS, clavier/transmetteur, sirène intégrée, lecteur de badge, deux badges, 12 détecteurs volumétriques, trois contacts d'ouverture, deux détecteurs de fumée et trois télécommandes), moyennant le paiement de loyers de 85 euros TTC par mois avec les prestations suivantes:
- télésurveillance,
- abonnement de clés,
- interventions avérées illimitées,
- maintenance
- extension de garantie contrat
Ce contrat comporte la mention "annule et remplace le contrat The first securité en date du 11 avril 2011" et les loyers convenus s'élevaient à 85 euros TTC par mois.
Enfin le 19 janvier 2015, un nouveau contrat a été conclu entre les parties, annulant et remplaçant le précédent en date du 7 juin 2012, concernant les mêmes matériels mis à disposition (avec un détecteur de fumée supplémentaire); les mensualités à la charge de M. B. étant désormais fixées à 76,30 euros TTC.
La D. Security s'engageait aux mêmes prestations, outre une "intervention unitaire".
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 19 janvier 2016, M. B. a notifié à la société D. la résiliation du contrat en raison du dysfonctionnement de l'installation et de la carence du prestataire de services, en demandant la restitution du double des clés.
Après vaines mises en demeure des 29 janvier 2016 et 17 février 2016, M. B. a, par acte d'huissier en date du 14 mars 2016, fait assigner la société DAT Security devant la juridiction de proximité de Bordeaux en restitution sous astreinte des clés de son domicile et indemnisation de son préjudice.
Par jugement rendu en premier ressort le 26 septembre 2016, assorti de l'exécution provisoire, la juridiction de proximité de Bordeaux a :
- rejeté la fin de non recevoir soulevé par la société D. sécurity,
- dit qu'à défaut d'avoir restitué les clés à M. B. dans les huit jours à compter de la signification de la décision, la société D. sécurity devra lui payer la somme de 4000 euros à titre de dommages et intérêts,
- alloué en toutes hypothèses à M. B. la somme de 600 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
La société D. sécurity a relevé appel de ce jugement le 25 octobre 2016.
Par arrêt en date du 29 mars 2018, la cour d'appel de Bordeaux a:
- déclaré recevable la demande de la société DAT Security tendant à voir statuer sur la résiliation du contrat de télésurveillance et sur ses conséquences,
Avant dire droit sur le fond,
- invité les parties à conclure sur le moyen soulevé d'office en cours de délibéré, concernant le caractère abusif et non écrit des clauses figurant aux articles 5.3 alinéa 2, 5.4 des conditions générales d'abonnement, et à l'article 14 des conditions particulières,
- ordonné la réouverture des débats, et le renvoi de l'affaire devant le conseiller de la mise en état,
- réservé les dépens.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 4 mai 2018, la société demande à la cour, au visa des articles 564 et 567 du Code de procédure civile, de l'article L.132-1 du Code de la consommation dans sa rédaction en vigueur lors de la conclusion du contrat, de l'article 1226 du Code civil:
- de réformer le jugement en toutes ses dispositions,
en conséquence,
- de débouter M. B. de toutes ses demandes,
-à titre principal, de déclarer non abusives les clauses des articles 5.3, 5.4 alinéa 2 des conditions génrales du contrat d'abonnement, et la clause de l'article 14 des conditions particulières de ce contrat,
-à titre subsidiaire, et en cas de clauses déclarées abusives et non écrites, de dire que le contrat d'abonnement de télésurveillance peut parfaitement subsister sans les trois clauses précitées, et en conséquence,
- de dire que le contrat d'abonnement de télésurveillance demeure applicable en toutes ses dispositions à l'exception des clauses déclarées abusives,
- en tout état de cause, de dire que M. B. a résilié de manière abusive le contrat de télésurveillance,
- de condamner en conséquence M. B. à lui payer la somme de 2746,80 euros au titre des mensualités du contrat restant dues jusqu'à son terme,
- de condamner M. B. à lui restituer les matériels installés à son domicile et à défaut d'exécution dans un délai d'un mois à compter du prononcé de la décision, à lui verser la somme de 6540 euros à titre de dommages intérêts,
- de condamner M. B. à lui payer la somme de 2500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Par dernières conclusions en date du 21 juin 2018, M. B. demande à la cour:
- de confirmer le jugement en son principe,
et faisant droit à son appel incident,
- de condamner la société à lui payer la somme de 4473,99 euros correspondant aux frais de remplacement des serrures, selon devis, et celle de 3000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des divers tracas subis et à subir,
- de juger que subsistent des clauses abusives au contrat du 29 janvier 2015,
-à titre principal, de prononcer la nullité du contrat du 29 janvier 2015,
-à titre subsidiaire, de juger non écrites les clauses dénoncées, et par conséquent inopposables à M. B., consommateur,
- de condamner en conséquence la société à lui payer la somme de 3580 euros au titre du remboursement des mensualités dues au titre de l'exécution du contrat,
- de rejeter toutes les demandes de la société Dat Security,
- en tout état de cause, de condamner la société à lui payer la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux dernières conclusions précitées pour plus ample exposé des faits de l'espèce, des prétentions et moyens des parties.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 octobre 2018.
Motifs de la décision:
1- Sur les demandes de la société DAT Security :
Avant d'examiner les obligations des parties, il convient de déterminer si le contrat du 29 janvier 2015 demeure en cours comme le soutient la société DAT Security.
Par courrier recommandé avec avis de réception en date du 19 janvier 2016, M. B. a notifié à la société DAT Security la résiliation du contrat de télésurveillance, avec effet au 22 janvier 2016, pour fautes répétées de service, d'entretien et défaut d'obligation de moyen, après avoir mentionné que depuis le 15 janvier au matin, les télécommandes avaient un fonctionnement fantaisiste, irrégulier (avec nécessité d'arrêter avant de mettre en marche), que certains détecteurs n'étaient pas activés et que l'un d'eux (le détecteur de fumée) sifflait toutes les 30 secondes en émettant un bruit entendu dans tout le rez de chaussée. Il ajoutait avoir tenté sans résultat de contacter la société DAT Security et son technicien, dès vendredi matin, sans résultat malgré deux messages sur le répondeur.
Il résulte de l'article 1184 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, que la gravité du comportement d'une partie à un contrat peut justifier que l'autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls, que le contrat soit à durée indéterminée ou non.
Pour s'opposer au principe même de résiliation, la société invoque les stipulations de l'article 5.3 alinéa 2 des conditions générales d'abonnement de télésurveillance et de location de matériel, selon lesquelles ''si le bien est atteint de vices rédhibitoires ou cachés ou en cas de détérioration ou de fonctionnement défectueux, de mauvais rendement ou dommage quelconque causé par ce bien, le locataire renonce à tout recours contre le loueur, que ce soit pour obtenir des dommages intérêts, la résiliation ou la résolution du contrat et ne pourra différer au prétexte de cette contestation de sa part aucun règlement de loyer (') En contrepartie de cette renonciation (...) le loueur lui transmet la totalité des recours contre le constructeur ou le fournisseur.''
Mais ce moyen est inopérant, dès lors que M. B., qui avait souscrit à l'option ''Maintenance'' reprochait essentiellement à la société DAT Security de ne pas intervenir chez lui pour remédier au dysfonctionnement de certains éléments du système de télésurveillance, ce qui constituait un manquement aux articles 3 et 11.1 des conditions particulières du contrat de télésurveillance, selon lequel ''dans le cas où l'abonné a souscrit à l'option maintenance, le prestataire s'engage à assurer pendant toute la durée du contrat la maintenance du seul matériel qu'il aura fourni et installé (') Les interventions de maintenance sont effectuées sur demande de l'abonné, en cas d'anomalie de fonctionnement''.
La société se fonde en second lieu sur l'article 5.4 des mêmes conditions, selon lesquelles ''tant qu'il n'y a pas résolution judiciaire du contrat de vente, le locataire est tenu de
respecter les conditions de la location et notamment de payer les loyers aux échéances prévues.''
Elle invoque également l'article 14 des mêmes conditions particulières, selon lesquelles le contrat prend fin à l'issue d'une période irrévocable et indivisible de 36 ou 48 mois d'après les conditions choisies (48 mois en l'espèce).
Il convient en outre de relever que le professionnel dispose pour sa part, selon les stipulations de l'article 10-1 a) des conditions générales du contrat d'abonnement, ''d'une faculté de résiliation de plein droit, sans aucune formalité, en cas de non paiement ne serait ce que partiel à sa date d'exigibilité d'une seule échéance du loyer et de l'abonnement et/ou de maintenance ou de prestations, comme en cas d'inexécution de l'une quelconque des conditions du présent contrat, le locataire étant constitué en demeure par le seul effet du contrat.'' Dès lors qu'elle se termine par une mise en demeure du locataire, il est évident que la clause est stipulée au seul bénéfice du loueur.
En outre, par application de l'article 10-1 b) des mêmes conditions, le contrat pouvait être résilié de plein droit, sans aucune formalité, ''à la convenance du loueur nonobstant l'exécution de toutes ses obligations contractuelles, en cas de diminution des garanties et sûreté, liquidation amiable ou judiciaire, redressement judiciaire, déconfiture, décès du client, cessation d'activité partielle ou totale, cession amiable ou forcée du fonds de commerce, aliénation du bien, changement de forme sociale''.
En application des dispositions de l'article L.132-1 et R.132-1 du Code de la consommation dans leur rédaction applicable au 29 janvier 2015 (devenus article L.212-1 et R.212-1), ces clauses 5.4 et 14, insérées dans un contrat d'adhésion entre professionnel et consommateur, et qui n'envisagent aucune possibilité de rupture anticipée du contrat alors que le professionnel se réserve une faculté de réalisation du contrat notamment 'à sa convenance' même en l'absence de manquement de son co contractant à ses engagements doivent être regardées de manière irréfragable comme abusives et non écrites, en ce qu'elles portent une atteinte grave à l'équilibre du contrat, en privant le consommateur d'une possibilité de résiliation unilatérale du contrat avant saisine du juge, en dépit du manquement du professionnel à une obligation de fourniture de services à savoir en l'espèce la maintenance des matériels.
Sur le fond, les dysfonctionnements invoqués par M. B. dans son courrier du 19 janvier 2016 étaient graves puisqu'il n'était plus possible de disposer de télécommandes fiables, que le nombre irrégulier de bips émis permettait de déduire que certains détecteurs n'étaient pas activés, et que le détecteur de fumée sifflait toutes les 30 secondes en émettant du bruit.
M. B. invoquait en outre des manquements précis à l'obligation de maintenance, en indiquant avoir essayé de contacter la société DAT Security (ainsi que le technicien) dès vendredi matin, sans résultat ni effet durant cinq jours, en dépit de deux messages laissés sur le répondeur, et d'un contact avec le secrétariat. Il convient de relever que la société D. ne conteste pas avoir reçu ces appels téléphoniques ni ces message.
Précédemment, par courrier recommandé du 6 juillet 2015, elle avait été mise en demeure par M. B. d'assurer une intervention urgente en raison déjà d'un dysfonctionnement des télécommandes, et elle ne verse au débat aucun bon d'intervention de nature à démontrer qu'elle avait rempli avec diligence et de manière complète ses obligations de maintenance durant l'été 2015.
Compte tenu des risques occasionnés à la sécurité des biens de M. B., du fait de cette nouvelle défaillance du système de télésurveillance en janvier 2016, le client était fondé à
procéder à la résiliation unilatérale du contrat avec un préavis de trois jours.
Il convient donc de dire que le contrat a été valablement résilié aux torts de la société DAT Security, et que celle ci n'est pas fondée à réclamer paiement de la somme de 2746,80 euros au titre des mensualités qui auraient dû être payées jusqu'au terme normal du contrat.
La résiliation du contrat doit conduire à la restitution des matériels de télésurveillance, ce que M. B. avait proposé dès son courrier du 28 janvier 2016. En tant que de besoin, il sera condamné à cette restitution, sans qu'il y ait lieu de prévoir à défaut une condamnation à paiement de la valeur de ces matériels eu égard à la proposition de restitution amiable, et à l'absence de preuve de perte du système.
2- Sur les demandes de M. B.:
La demande de M. B. en répétition des sommes réglées à la société depuis le début des relations contractuelles (pour un total de 3580,80 euros) est recevable bien que nouvelle en cause d'appel, dès lors qu'elle tend à compensation et procède du même contrat, mais elle doit être rejetée comme infondée, car le contrat litigieux pouvait subsister sans les clauses abusives précitées réputées non écrites.
Le contrat signé le 11 avril 2011 entre la société First Securité et M. B. stipulait en ses articles 14.2 et 14.4 (conditions générales du contrat d'abonnement) qu'il pouvait donner lieu à une cession.
Il est constant que ce premier contrat a été cédé par La société First Securité à la société D. security au cours du second trimestre 2011, et il est mentionné expressément au contrat du 7 juin 2012 qu'il annule et remplace le contrat du 11 avril 2011.
Celui signé le 29 janvier 2015 stipule à son tour qu'il remplace et annule le contrat du 7 juin 2012.
Il en résulte nécessairement qu'à la date de résiliation du dernier contrat, le 22 janvier 2016, la société DAT Security était tenue en qualité de cessionnaire du premier contrat de restituer à son client les clés qui avaient été confiées le 19 avril 2011 à la société The first Securité représentée par son gérant M. D. (selon reçu versé au débat) et conservées par la suite dans le cadre de l'abonnement de clés, expressément souscrit dans les contrats des 7 juin 2012 et 29 janvier 2015. et qui imposait en application de l'article 11.4 au prestataire de garantir l'anonymat des clés en sa possession, notamment en les logeant dans des pochettes individuelles numérotées.
Il convient donc d'écarter, comme inopérantes, les digressions de la société appelante selon lesquelles elle ne pouvait procéder qu'à des rondes extérieures.
La perte avérée de quatre clés de sécurité justifie la demande en paiement de M. B., fondée sur une devis détaillé établi par la société Point fort Fichet le 4 novembre 2016 (remplacement des serrures, cylindres ou demi cylindres, avec réalisation de 4 clés et non 5 comme soutenu par l'appelante à l'appui de sa contestation).
Il sera ajouté qu'il ne peut être exigé que M. B. produise une facture et non un devis; la réalisation des travaux de remise en état nécessaire n'étant pas un préalable obligatoire à son indemnisation.
Il convient donc de condamner la société à payer à M. B. la somme de 4473,99 euros à titre de dommages intérêts.
Par ailleurs, M. B. justifie d'un préjudice moral causé par les carences et manquements contractuels de la société DAT Security , par son incapacité à restituer des clés, et par les pertes de temps et désagréments occasionnés par une longue procédure.
Il convient de lui allouer la somme de 1000 euros à titre de dommages intérêts.
L'évolution du litige conduit donc à une infirmation du jugement sur les points évoqués ci dessus.
Il est en outre équitable d'allouer à M. B. une indemnité de 1500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Échouant en son appel, la société DAT Security doit supporter les dépens d'appel et ses propres frais irrépétibles.
Par ces motifs: Infirme le jugement, sauf en ce qu'il a condamné la société DAT Security aux dépens, Statuant à nouveau, et y ajoutant, Déclare abusives et non écrites les clauses figurant à l'article 5.4 des conditions générales du contrat d'abonnement de télésurveillance du 29 janvier 2015, et l'article 14 des conditions particulières de ce contrat, Dit que le contrat conclu le 29 janvier 2015 entre la société DAT Security et M. B. a été valablement résilié de manière unilatérale par ce dernier, à effet au 22 janvier 2016, aux torts de la société DAT Security, Dit que M. B. devra restituer à la société DAT Security les matériels de télésurveillance qui avaient été installés dans sa propriété en exécution du contrat, dans le délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt, et en tant que de besoin, condamne M. B. à cette restitution, Déboute la société DAT Security de ses autres demandes, Condamne la société DAT Security à payer à M. B. les sommes suivantes : - 4473,99 euros à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice matériel, - 1000 euros à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice moral, - 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette les autres demandes de M. B., Condamne la société DAT Security aux dépens d'appel