CA Agen, ch. civ., 26 décembre 2018, n° 18-00373
AGEN
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
ATESN (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Blum
Conseillers :
Mmes Benon, Menu
Avocats :
Mes Narran, Seutet, Morisset
La SARL ATESN a pour activité la fabrication de matériel inox dans le domaine vinicole et agroalimentaire.
Courant mars 2010, le groupe SICOF rachetait la SARL ATESN, M. Alexandre F. succédait à l'ancien gérant M. Bruno L., ce dernier était nommé responsable du bureau d'étude de la SARL ATESN.
Le 30 mars 2016, M. L. prenait sa retraite et quittait la société.
Apprenant que M. L. avait développé une activité de consultant en conception de machines et lignes de production agroalimentaire, identique à celle précédemment exercée au sein de la SARL ATESN, cette dernière saisissait le Président du tribunal de grande instance d'une requête aux fins de faire constater par huissier les actes de concurrence déloyale , lequel y faisait droit par ordonnance du 26 juillet 2017.
Le 5 septembre 2017, la SCP ANDRIEU BRUNEAU GUILLAUME I. établissait un procès-verbal de constat.
Sur les constations du procès-verbal de constat, par acte du 21 novembre 2017, la SARL ATESN assignait M. Bruno L. en raison de ses agissements déloyaux devant le juge des référés du tribunal de grande instance d'Agen aux fins de lui voir interdire l'utilisation des données et fichiers lui appartenant, lequel par ordonnance du 20 mars 2018 la déboutait de ses demandes et la condamnait à une indemnité de procédure de 900 euros.
Par acte du 11 avril 2018, la SARL ATE SOCIÉTÉ NOUVELLE relevait appel.
Selon ordonnance du 11 avril 2018, l'affaire a été fixée à bref délai conformément aux articles 905, 905-1et 905-2 du Code de procédure civile.
Le 19 avril 2018, l'intimé se constituait.
Dans le délai d'un mois de l'avis à bref délai, l'appelante déposait le 20 avril 2018 ses conclusions. Par dernières écritures du 5 juin 2018 auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions, la SARL ATESN au visa de l'article 809 du Code de procédure civile, 1240 et 1241 du Code civil, conclut à l'infirmation de l'ordonnance et demande de :
- Interdire à M. L. d'utiliser tous fichiers, documents, données et plans appartenant à la société ATESN, ce sous astreinte de 500 euros par infraction constatée,
- Ordonner à M. L. de supprimer de son site internet tous documents, références, données et plans, clichés photographiques appartenant à la société ATESN, ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard, passé un délai de 15 jours après la signification de l'arrêt, le condamner à en justifier.
Enfin, elle sollicite une indemnité de procédure de 3 000 euros et la somme de 3 583,70 euros au titre des frais de procès-verbal de constat.
A l'appui de ses prétentions, elle fait valoir :
- que l'activité de M. L. est rigoureusement identique à celle qu'il développait au sien de l'entreprise, qu'elle est directement concurrente de celle de la société
- que le logo de la société apparaît sur les documents publiés,
- que M. L. a anticipé son départ, en subtilisant des documents et des fichiers appartenant à son ancien employeur, qu'il s'est livré à des actes de concurrences déloyales.
Dans le délai d'un mois des premières conclusions de l'appelante, M. L. déposait le 22 mai 2018 ses écritures. Par dernières écritures du 12 juin 2018 auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions, il conclut à la confirmation l'ordonnance et sollicite une indemnité de procédure de 3 000 euros.
A l'appui de ses prétentions, il fait valoir :
- que rien ne permet d'affirmer qu'il y a eu détournement en vue d'une activité de concurrence déloyale puisque dans le cadre de ses activités professionnelles il conservait une copie des documents ne serait-ce qu'à titre de sauvegarde
- que l'appelante savait qu'il avait débuté une activité de consultant
- qu'il n'exerce que sous la forme de la micro entreprise, il ne fait donc que du conseil, de la création, il ne fabrique pas, alors que la société ATESN fabrique et vend
- que la société ne démontre pas l'imitation servile des machines, que les logos de la société ne sont pas sur les photographies, mais sur les machines elles-mêmes, que les photographies datent du temps où il était gérant
- que la société ATESN ne produit aucun brevet quant aux machines figurant que le procès-verbal de constat.
Un deuxième appel enregistré sous le n° 18/372 a été interjeté le 11 avril 2018, il convient pour une bonne administration de la justice de prononcer la jonction des deux procédures 18/372 et 18/373.
SUR CE, LA COUR
Aux termes de l'article 809 du Code de procédure civile "Le président peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite".
Le trouble manifestement illicite est caractérisé par toute violation évidente d'une règle de droit résultant tant d'un fait matériel que juridique ; il doit être recherché si le risque de désordres allégué est de nature à entraîner la menace d'un dommage. Le juge des référés peut alors prendre les mesures nécessaires à la cessation du trouble ou à la prévention du dommage imminent, qui ne peut attendre que les juges du fond statuent. La question de l'urgence est sans objet, le juge des référés doit seulement rechercher pour apprécier le caractère manifestement illicite du trouble invoqué, si le droit ou la cause dont la violation est invoquée existe.
La société ATESN soutient que M. L. se livre à des actes fautifs, parasitaires et déloyaux.
A cet égard, les actes fautifs, fondés sur les articles 1240 et 1241 du Code civil, sont constitutifs d'actes parasitaires, lesquels constituent un trouble manifestement illicite.
Aux termes de l'article 10 de son contrat de travail intitulé "confidentialité", "M. L. s'engage à observer la confidentialité la plus absolue sur les travaux, études, recherches, plans inventions et renseignements de toute nature et notamment d'ordre technique, commercial et financier dont il aurait à connaître, et ce, tant pendant l'exécution qu'après la cessation du présent contrat".
Selon procès-verbal de constat d'huissier en date du 17 avril 2017, il a été retrouvé sur l'ordinateur de M. L. le détail des plans des machines dans un format DWG, correspondant au plan vectoriel des machines. Le nom du client correspondant à la machine. Le constat précise "on peut relever plusieurs dizaines de client par années". Le constat fait état de sept clients au titre de l'année 2013, à une date où M. L. était salarié de la société.
Or le simple fait pour un ancien employé de conserver par devers lui lors de son départ des fichiers appartenant à l'entreprise constitue une faute susceptible de caractériser un acte de concurrence déloyale.
M. L. fait valoir que nombre de réalisation l'ont été alors qu'il était encore gérant, que la société ATESN ne produit aucun brevet quant aux machines qui sont collationnées au constat d'huissier, sauf que le parasitisme, forme de concurrence déloyale, n'impose pas que les machines soient couvertes par des brevets. Le parasitisme ne vise que les circonstances de cette exploitation dès lors qu'elles révèlent un comportement contraire à la pratique loyale des affaires, la faute doit être intentionnelle et consiste à détourner la notoriété ou l'investissement d'autrui. Or en utilisant sur son site internet, des informations, des plans et produits fabriqués par la société ATESN M. LAFLAQUIERE s'immisce dans le sillage de cette dernière et tire profit de sa notoriété et peu importe que M. L. ne fabrique pas les machines mais ne soit qu'un concepteur, à cet égard les machines référencées sur son site portent bien le logo de la société ATESN.
S'il ne pourrait être reproché à M. L. en l'absence de clause de non concurrence, de continuer à utiliser son savoir-faire, sa créativité, il ne lui est pas permis de copier servilement les process désormais propriété de la société ATESN, du moins il ne démontre pas le contraire, allant jusqu'à mettre des photographies de leurs machines pour illustrer son site marchand.
En conséquence, M. L. qui a commis des actes déloyaux et parasitaires, constitutifs d'un trouble manifestement illicite devra :
- cesser d'utiliser l'ensemble des fichiers, données et plans contenus dans son ordinateur correspondant à la date ou il était encore salarié, ce sous astreinte d'une somme de 50 euros par jour de retard passé un délai de 15 jours après la signification de l'arrêt et sur un délai de trois mois.
- supprimer de son site, tous plans, photographies appartenant à la société ATESN, ce sous astreinte de 50 euros par jour de retard passé un délai de 15 jours à compter de la signification du présent arrêt.
En revanche, dans l'attente de la saisine des juges du fond, il ne sera pas fait droit à la demande de destruction des documents.
Succombant, M. L. est condamné à une indemnité de procédure de 2 000 euros. Au stade des référés, il ne sera toutefois pas fait droit à la demande au titre des frais de procès-verbal de constat.
Par ces motifs, LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe et en dernier ressort, prononce la jonction des procédures 18/372 et 18/373, infirme l'ordonnance déférée, statuant à nouveau, dit que M. L. a commis des actes parasitaires et déloyaux constitutifs d'un trouble manifestement illicite, dit en conséquence que M. L. devra : - cesser d'utiliser l'ensemble des fichiers, données et plans contenus dans son ordinateur correspondant à la date ou il était encore salarié, ce sous astreinte d'une somme de 50 euros par jour de retard passé un délai de 15 jours après la signification de l'arrêt et sur un délai de trois mois, - supprimer de son site, tous plans, photographies appartenant à la société atesn, ce sous astreinte d'une somme de 50 euros par jour passé un délai de 15 jours après la signification de l'arrêt et sur un délai de trois mois, déboute la sarl atesn de sa demande de destruction des documents, condamne M. Bruno L. à payer à la SARL ATESN la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. Bruno L. aux entiers dépens et autorise Me Narran, avocat, à recouvrer les siens conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile. Le présent arrêt a été signé par Aurore Blum, conseiller faisant fonction de présidente, et par Nathalie Cailheton, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.