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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 20 décembre 2018, n° 16-03010

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Westas Raunio Oy (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mmes Soudry, Moreau

Avocats :

Mes Meurin, Fisher, Compagnon

T. com. Meaux, du 17 nov. 2015

17 novembre 2015

Faits et procédure

Monsieur X, exerçant l'activité d'agent commercial dans le domaine du bois, a représenté, à partir de 1989, sur le marché français, en vertu d'un contrat d'agent commercial non écrit, la société Raunio Saha Oy, société de droit finlandais exploitant une activité de scierie. La société Westas Group a racheté en 2013 la société Raunio Saha Oy, devenue Westas Raunio Oy (Westas), et a repris le contrat initialement exécuté au profit de la société Raunio Saha Oy.

Par courriel en date du 21 octobre 2013, la société Westas a notifié à Monsieur X la fin de son mandat d'agent commercial, avec effet immédiat, et lui a proposé, à titre d'indemnité de fin de contrat, la somme de 17 030 euros.

Par courrier en date du 24 février 2014, Monsieur X a mis en demeure la société Westas de lui régler la somme de 43 600 euros à titre d'indemnité de fin de contrat d'agent commercial, d'une indemnité de préavis et d'une indemnité complémentaire en réparation de son préjudice.

La société Westas a alors porté la somme proposée à 35 892,48 euros, ce que Monsieur X a refusé par courrier du 26 mars 2014, courrier demeuré sans réponse.

Par acte en date du 5 septembre 2014, Monsieur X a assigné la société Westas devant le tribunal de commerce de Meaux aux fins de la voir condamner à lui régler les sommes de 44 200 euros à titre d'indemnité de résiliation de contrat, de 6 600 euros à titre d'indemnité de préavis et de 44 200 euros à titre de dommages et intérêts, soit une somme totale de 95 060 euros.

Par jugement rendu le 17 novembre 2015, le tribunal de commerce de Meaux a :

- reçu les demandes de Monsieur X, au fond les a dites bien fondées en partie ;

- reçu les demandes de la société Westas ;

- au fond, les a dites mal fondées et l'en a débouté ;

- condamné la société Westas Raunio Oy à payer à Monsieur X la somme de 41 000 euros TTC en principal, au titre d'indemnité de résiliation du contrat, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 24 février 2014 ;

- débouté Monsieur X de sa demande à titre d'indemnité de préavis ;

- débouté Monsieur X de sa demande à titre de dommages et intérêts ;

- condamné la société Westas Raunio Oy à payer à Monsieur X la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire du jugement nonobstant appel et sans caution ;

- condamné la société Westas Raunio Oy en tous les dépens.

Monsieur X a interjeté appel de cette décision le 28 janvier 2016.

PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Monsieur X, par dernières conclusions, signifiées le 21 août 2018, demande à la cour de :

- confirmer le jugement du tribunal de commerce Meaux du 17 novembre 2015 en ce qu'il a déclaré bien fondées les demandes de Monsieur X ;

- infirmer le jugement entrepris en ce qui concerne le quantum des sommes allouées ;

- débouter la société Westas de son appel incident ;

En conséquence,

- condamner la société Westas à payer à Monsieur X la somme de 44 200 euros à titre d'indemnité de résiliation de contrat, avec intérêts au taux légal à compter du 24 février 2014 ;

- condamner la société Westas à payer à Monsieur X la somme de 6 600 euros à titre d'indemnité de préavis, avec intérêts au taux légal à compter du 24 février 2014 ;

- condamner la société Westas à payer à Monsieur X la somme de 44 200 euros à titre de préavis avec intérêts au taux légal à compter du 24 février 2014 ;

- ordonner la capitalisation des intérêts ;

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Meaux du 17 novembre 2015 en ce qu'il a débouté la société Westas de ses demandes reconventionnelles ;

- condamner la société Westas à payer à Monsieur X la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- débouter la société Westas de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et des dépens.

Il soutient avoir été victime d'une rupture brutale du contrat d'agent commercial qui le liait à la société Westas. Il demande ainsi une indemnité en réparation du préjudice subi comprenant la perte de toute rémunération acquise à l'agent par l'activité développée dans l'intérêt commun des parties. M. Z souligne que le montant de ladite indemnité doit être déterminé en fonction des revenus qu'aurait réalisé l'agent de son activité si cette activité s'était poursuivie normalement, et doit être fixée à un montant de 44 200 euros.

Concernant l'indemnité de préavis, Monsieur X estime que celle-ci lui est due puisqu'il n'a bénéficié d'aucun préavis en l'espèce, alors que le contrat d'agence commerciale le liant à la société Westas date de plus de deux ans, ce qui lui donne droit, selon le moyen, à une indemnité de préavis égale à trois mois de commissions basée sur la dernière année d'exercice, en application de l'article L. 134-11, alinéa 3, du Code de commerce. Il allègue enfin avoir subi un préjudice du fait de la rupture brutale d'une relation de confiance longue de plusieurs années, au vu notamment de la durée de son activité d'agent commercial pour le compte de la société Westas, préjudice qu'il estime à deux années de commissions.

La société Westas Raunio Oy, par dernières conclusions signifiées le 10 septembre 2018, demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté Monsieur X de sa demande à titre de préavis et de dommages et intérêts ;

Statuant à nouveau,

- dire que Monsieur X ne justifie d'aucun préjudice indemnisable en application de l'article L. 134-12 du Code de commerce ;

- le débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- le condamner à payer à la société Westas la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

En tout état de cause,

- condamner Monsieur X à payer à la société Westas la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens qui seront directement recouvrés par la SCP Fischer, Tandeau de Marsac, Sur & Associés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.

Sur l'indemnité de préavis, la société Westas la conteste à la fois en son principe et en son quantum. Elle soutient que M. Z ne démontre aucun préjudice, lequel devrait être constitué en la perte d'investissements important, de frais spécifiques liés à la rupture du contrat d'agence ou des frais généraux qui se seraient accrus du fait de cette rupture. La société Westas conteste par ailleurs le fait que M. Z aurait perdu son droit de prospecter la clientèle, en soulignant qu'il représenterait d'autres scieries finlandaises sur le marché français.

S'agissant du préjudice complémentaire, la société Westas soutient qu'aucune preuve de l'existence d'un tel préjudice n'est rapportée par Monsieur X, notamment en matière de perte de revenus.

La société Westas se porte enfin reconventionnellement demanderesse en dommages et intérêts pour concurrence déloyale tenant à ce que Monsieur X a prétendu faussement, sur son site internet, être toujours l'agent commercial de la société Raunio alors qu'il est celui d'autres sociétés concurrentes de la société Westas Raunio Oy et qu'il a donc fait état d'une fausse qualité pour attirer la clientèle qu'il prospecte et la diriger vers les produits des sociétés Koskisen, Ragsvedens SAG AB et Luviawood dont il est l'agent en France.

Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.

MOTIFS

Sur les demandes principales de Monsieur X

L'indemnité de préavis

Considérant que l'article L. 134-11 du Code de commerce dispose, en son alinéa 2, que "lorsque le contrat d'agence est à durée indéterminée, chacune des parties peut y mettre fin moyennant un préavis", et, en son alinéa 3, que "la durée du préavis est d'un mois pour la première année du contrat, de deux mois pour la deuxième année commencée, de trois mois pour la troisième année commencée et les années suivantes. En l'absence de convention contraire, la fin du délai de préavis coïncide avec la fin d'un mois civil" ;

Considérant que la société Westas a notifié à Monsieur X la fin du contrat d'agent commercial le 21 octobre 2013 à effet du 21 octobre 2013, sans aucun préavis (pièce X n° 1) ;

Considérant qu'il est constant que Monsieur X a perçu des commissions jusqu'au 27 février 2014, ce dont se prévaut la société Westas pour affirmer que le contrat s'est poursuivi jusqu'à cette date et que l'agent commercial a bénéficié d'un préavis supérieur à trois mois ;

Mais considérant que Westas ne soutient pas que la date d'effet de la rupture du contrat, fixée au 21 octobre 2013, aurait fait l'objet d'un report ; que la seule perception de commissions jusqu'au 27 février 2014 est insuffisante à établir que le contrat d'agence commerciale se serait poursuivi jusqu'à cette date ; que la société Westas ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, que Monsieur X a poursuivi son activité postérieurement au 21 octobre 2013, Westas n'identifiant d'ailleurs pas les contrats ayant donné lieu à perception de commissions entre le 21 octobre 2013 et le 27 février 2014 et n'opposant aucun élément précis aux indications de l'agent commercial aux termes desquelles les encaissements de 2014 se rapportent à des opérations antérieures au 21 octobre 2013 (pièces Ragot n° 11 et 12) ; qu'en conséquence, les commissions obtenues par l'agent commercial la dernière année s'élevant à 26 640 euros, Monsieur X est fondé à percevoir, au titre du préavis, trois mois de commissions, soit la somme de 6 660 euros (26 640 euros / 12 x 3) ; que le jugement entrepris sera infirmé en ce sens ;

Sur l'indemnité de rupture

Considérant que l'article L. 134-12 du Code de commerce dispose qu'"en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi" ;

Considérant que Westas prétend que Monsieur X ne justifie pas du moindre préjudice indemnisable en ce qu'il a pu poursuivre, avec la même clientèle, son activité et n'a subi aucune perte de revenu ;

Mais considérant qu'il n'est pas contesté que Monsieur X, représentant, sur le marché français, la société Westas, percevait plus de 20 000 euros par an au titre de cette activité ; qu'il est fondé à soutenir que la rupture du contrat d'agent commercial lui a causé un préjudice correspondant à la perte des commissions auxquelles il pouvait raisonnablement prétendre dans la poursuite du mandat, ainsi que cela est confirmé par l'attestation de Monsieur Y, expert-comptable, en date du 10 mars 2018 qui établit la baisse de chiffre d'affaires de Monsieur X à partir de 2013 (pièce X n° 12) ; que Monsieur X n'oppose aucun élément aux chiffres d'affaires qu'il a réalisés au cours des années 2009 à 2014 avec Westas, communiqués par la société Westas en pièce Westas n° 12, correspondant à une moyenne des 24 derniers mois de 41 342,56 euros ; que le jugement entrepris sera confirmé sur la condamnation prononcée à l'encontre de Westas à hauteur de 41 000 euros ;

Sur le préjudice distinct invoqué par Monsieur X

Considérant que Monsieur X sollicite la condamnation de Westas au paiement de dommages et intérêts en réparation de la perte de crédit auprès des scieries finlandaises pour lesquelles il travaille et de la perte de chiffre d'affaires avec ses autres clients ;

Mais considérant qu'il ne rapporte pas la preuve des préjudices allégués, et notamment ne démontre pas que la réduction de 50 % du budget qui lui aurait été attribué en 2015 et 2016 par ses autres clients serait la conséquence de la rupture du contrat Westas ; que Monsieur X ne justifie, dans ces conditions, d'aucun préjudice distinct de celui indemnisable au titre de l'article L. 134-12 ; que le jugement entrepris sera en conséquence confirmé sur ce point ;

Sur la demande reconventionnelle de la société Westas

Considérant que la société Westas ne rapporte pas plus qu'en première instance la preuve de l'usage allégué par Monsieur X, sur son site internet, d'une fausse qualité, dès lors d'une part, que la pièce produite par Westas en numéro 1 ne fait pas apparaître la date à laquelle Monsieur X aurait prétendu être encore l'agent de Westas, d'autre part, que cette dernière ne rapporte la preuve du préjudice que lui aurait causé le fait invoqué ; que le jugement sera confirmé sur le rejet de la demande de ce chef ;

Considérant que l'équité commande de condamner la société Westas à payer à Monsieur X la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme le jugement entrepris sur l'indemnité de préavis ; Statuant à nouveau de ce chef ; Condamne la société Westas Raunio Oy à payer à Monsieur X la somme de 6 660 euros au titre de l'indemnité de préavis ; Confirme le jugement entrepris pour le surplus ; Condamne la société Westas Raunio Oy à payer à Monsieur X la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; Condamne la société Westas Raunio Oy aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.