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Décisions

ADLC, 21 janvier 2019, n° 19-A-01

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Avis

concernant un projet de décret relatif au dispositif d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH)

ADLC n° 19-A-01

21 janvier 2019

L'Autorité de la concurrence (section V),

Vu la lettre, enregistrée le 29 octobre 2018 sous le numéro 18/0160 A par laquelle le Ministre de l'économie et des finances a saisi l'Autorité de la concurrence d'une demande d'avis concernant un projet de décret portant modification de certaines dispositions réglementaires relatives à l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique ; Vu le livre IV du code de commerce ; Vu le code de l'environnement ; Vu le code de l'énergie, notamment ses articles L. 336-1 à L. 336-10, L. 337-1 et L. 337-3 à L. 337-16 ; Vu le décret n° 2011-466 du 28 avril 2011 fixant les modalités d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique ; Vu le décret n° 2014-1250 du 28 octobre 2014 modifiant le décret n° 2009-975 du 12 août 2009 relatif aux tarifs réglementés de vente de l'électricité ; Vu le décret n° 2015-1823 du 30 décembre 2015 relatif à la codification de la partie règlementaire du code de l'énergie ; Vu l'avis du Conseil supérieur de l'énergie du 18 septembre 2018 ; Vu la délibération de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) du 25 octobre 2018 portant avis sur le projet de décret modifiant la partie réglementaire du code de l'énergie portant sur les modalités d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et les représentants du ministre de la transition écologique et solidaire entendus lors de la séance du 11 décembre 2018 ; Les représentants de la CRE, du Comité de liaison des entreprises consommatrices d'électricité (CLEEE), du Réseau de transport de l'électricité (RTE) et des sociétés Engie et Électricité de France, entendus sur le fondement de l'article L. 463-7 du code de commerce ; Est d'avis de répondre à la demande présentée dans le sens des observations qui suivent :

Résumé *1

L'Autorité de la concurrence a été saisie le 29 octobre 2018 d'un projet de décret visant à modifier les dispositions réglementaires du code de l'énergie relatives au mécanisme d'accès à l'électricité nucléaire historique (ARENH).

L'ARENH est un dispositif transitoire, prévu pour fonctionner du 1er juillet 2011 au 31 décembre 2025, permettant aux fournisseurs d'électricité d'accéder à des volumes d'électricité issus du parc historique électronucléaire, dans des conditions de volumes et de prix déterminés.

Le projet de décret soumis à l'examen de l'Autorité vise, d'une part, à revoir les modalités et le calendrier annuel d'attribution des volumes d'électricité ARENH et, d'autre part, à renforcer la symétrie entre la situation d'EDF sur le marché et celle des fournisseurs alternatifs, en répliquant la contrainte du plafond de l'ARENH à EDF pour la construction de ses offres.

Concernant le premier point, l'Autorité émet un avis favorable au nouveau dispositif envisagé, à savoir la suppression du guichet de mi-année (et de sa période de livraison consécutive) et la substitution du guichet de fin d'année en trois guichets d'engagements répartis sur l'ensemble de l'année civile. Elle émet toutefois le souhait que des modalités de mise en œuvre plus simples, prévoyant des allocations fermes à chaque guichet intermédiaire, fassent l'objet d'une concertation pour en vérifier la pertinence.

Concernant le second point, l'Autorité émet un avis défavorable sur les articles 18 à 24 du projet de décret qui ont pour objet de placer EDF dans une situation équivalente à celle de ses concurrents au regard du plafonnement de l'ARENH pour construire ses offres. Elle considère, en particulier, que ces dispositions conduiraient à privilégier un mode de fixation des tarifs réglementés de vente, dont les ménages sont les principaux bénéficiaires, qui pourrait porter atteinte à l'objectif de modération et de stabilité des prix de l'électricité que la loi assigne à ces tarifs.

L'Autorité rappelle que la loi NOME a institué une régulation transitoire, limitée et asymétrique de l'accès des concurrents d'EDF à l'électricité d'origine électronucléaire et que ce dispositif trouve normalement ses limites lorsque le plafond légal de cet accès est atteint. Elle émet donc de profondes réserves sur la possibilité d'adopter des modifications importantes du dispositif ARENH par voie réglementaire et considère que toute réforme de ce dispositif de régulation, dérogatoire au droit de la concurrence, relève du Parlement.

L'Autorité considère enfin que le Gouvernement a annoncé qu'il souhaitait réformer le dispositif ARENH pour maintenir la compétitivité du parc nucléaire au bénéfice des consommateurs au-delà de 2025. Il estime, en effet, qu'une telle réforme est nécessaire et ne peut passer que par la loi.

1. Par lettre enregistrée le 29 octobre 2018 sous le numéro 18/0160 A, l'Autorité de la concurrence (ci-après " l'Autorité ") a été saisie par le gouvernement d'une demande d'avis concernant un projet de décret portant modification du dispositif d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ci-après " ARENH "), dans un contexte nouveau qui doit être pris en compte.

2. En effet, la Commission de régulation de l'énergie (ci-après la " CRE ") a annoncé par communiqué de presse du 29 novembre 2018 que, pour la première fois, la demande d'ARENH allait devoir être rationnée : " la CRE a reçu un total de demande de 132,9 TWh pour l'année 2019 de la part de 69 fournisseurs d'électricité (hors filiales d'EDF), alors que le plafond législatif fixe à 100 TWh par an la quantité d'électricité allouée aux fournisseurs au prix de 42 € le MWh. Conformément à sa mission, la CRE a donc procédé à la répartition de ce volume de 100 TWh au prorata des demandes des fournisseurs à l'exception des filiales d'EDF qui ont été intégralement écrêtées ". *2

3. Après cette annonce, les fournisseurs alternatifs ont appelé à une réforme ayant pour but de prolonger le dispositif et d'augmenter son plafond afin de supprimer toute perspective de rationnement. Ainsi, dans un communiqué de presse conjoint du 30 novembre 2018, les associations AFIEG et ANODE ont demandé " soit un relèvement très conséquent du plafond de l'ARENH dès que possible, soit sa suppression pure et simple - le rationnement qu'il implique étant totalement injustifié et au détriment des consommateurs ". *3

4. De son côté, le Comité de liaison des entreprises consommatrices d'électricité (CLEEE), qui représente les intérêts des grands clients professionnels, a indiqué dans le cadre de l'instruction du présent avis que : " le projet de réforme de l'ARENH ne peut pas être dissocié du contexte dans lequel il prend place, à savoir le dépassement très probable du plafond, en 2019 et 2020 " et a même considéré que le projet de décret " nous paraît dangereux, nuisible au développement de la concurrence et à l'intérêt des consommateurs du fait de ce contexte de dépassement du plafond. (…) C'est pourquoi nous pensons que la remontée du plafond doit être un préalable à la mise en place du décret ".

5. Enfin, à l'occasion de la présentation de la prochaine programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE 2023-2028 et au-delà), le Président de la République a annoncé, le 27 novembre 2018, qu'une réflexion allait être engagée sur l'avenir du dispositif ARENH, sans préciser à ce stade les objectifs et les grands axes de la future réforme.

6. Pour ces motifs, l'Autorité considère qu'elle doit apprécier la portée du projet de décret en tenant compte de ce contexte particulier et notamment des effets du plafonnement de l'ARENH sur la régulation des marchés.

7. À cet égard, elle a constaté, lors des débats en séance, que les contraintes que pouvait faire peser le droit de la concurrence sur la régulation du secteur de l'électricité n'étaient pas toujours correctement appréhendées. Elle a donc jugé utile de donner, dans la perspective de la réforme annoncée par le Président de la République, quelques indications sur une évolution possible du dispositif ARENH.

I. Constatations

A. CONTEXTE JURIDIQUE ET ÉCONOMIQUE

1. LE CADRE JURIDIQUE DU DISPOSITIF ARENH

8. L'ARENH a été instauré par la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant organisation du marché de l'électricité (ci-après " loi NOME "). Ce dispositif, créé pour une période transitoire allant du 1er juillet 2011 au 31 décembre 2025, consiste à reconnaître aux fournisseurs d'électricité alternatifs un droit d'accès, à un tarif régulé, à une quantité d'énergie électrique issue du parc historique de production nucléaire d'Électricité de France (ci-après " EDF "), dans la limite d'un volume global de 100 TWh.

9. Le mécanisme de l'ARENH a été institué afin de remplir trois grands objectifs non hiérarchisés : (i) faire bénéficier le consommateur de la compétitivité du parc électronucléaire historique français, (ii) stimuler la concurrence sur le marché aval de la fourniture au détail d'électricité et (iii) stimuler la concurrence sur le marché amont en favorisant les investissements dans les installations de production.

10. Les dispositions de la loi NOME relatives au mécanisme ARENH sont codifiées aux articles L. 336-1 et suivants du code de l'énergie. S'agissant du prix, l'article L. 336-1 prévoit que des volumes limités d'énergie électrique couverts par le dispositif ARENH sont consentis " à des conditions économiques équivalentes à celles résultant pour Électricité de France de l'utilisation de ses centrales nucléaires ".

11. Le décret n° 2011-466 du 28 avril 2011 a précisé ces dispositions législatives, en élaborant des règles d'accès au parc nucléaire historique d'EDF. Le décret a notamment fixé la procédure de demande de droits d'accès ARENH, les modalités de calcul et de répartition des volumes d'électricité ainsi cédés, les modalités de facturation et la gestion des flux financiers ou encore le mécanisme de contrôle ex post des volumes consommés et les compléments de prix dus par les fournisseurs en cas de non-respect de certaines conditions.

2. MODALITÉS DES DEMANDES ET LIVRAISONS DE VOLUMES D'ARENH

12. L'ARENH repose sur le principe de cessions annuelles de volumes d'électricité issus de la production nucléaire, en distinguant la date où la demande est faite par anticipation d'une consommation future et la date où la livraison ferme est effectuée pour une utilisation sur 12 mois. Les demandes des fournisseurs alternatifs peuvent être exprimées deux fois par an, à l'occasion de deux livraisons intervenant les 16 novembre et 16 mai de chaque année (qui correspondent aux cessions s'échelonnant respectivement du 1er janvier au 31 décembre de l'année N et du 1er juillet de l'année N au 30 juin de l'année N+1).

[SCHEMA]

13. Les demandes annuelles peuvent être ajustées à chaque guichet pour suivre l'évolution du portefeuille de clientèle, dans la limite du respect de la clause de monotonie *4 qui permet d'éviter les possibilités d'arbitrage saisonnier (le prix de l'électricité variant selon les saisons) dont disposeraient autrement les fournisseurs alternatifs.

14. La demande d'ARENH est optionnelle. Les fournisseurs ont ainsi la faculté d'approvisionner leur clientèle finale aux conditions de prix du marché de gros, quand celles-ci sont plus favorables que le prix de l'ARENH, et au prix de l'ARENH, dans le cas contraire. Cette option est gratuite et les quantités d'énergie sont cédées à un prix reflétant les conditions économiques de production d'électricité par les centrales nucléaires d'EDF mises en service avant le 8 décembre 2010.

B. LE PROJET DE DÉCRET SOUMIS À L'EXAMEN DE L'AUTORITÉ

1. RAPPEL DU CONTEXTE DANS LEQUEL S'INSCRIT CE DÉCRET

15. Le mécanisme a été conçu en faisant l'hypothèse d'un maintien des prix de marché de gros à des niveaux supérieurs à celui de l'ARENH. Cependant, les fluctuations des cours sur le marché de gros en dessous de 42 euros du MWh, en 2016 et 2017, ont conduit la CRE à identifier deux comportements d'arbitrage qui n'avaient pas été envisagés en 2010. *5

16. Le premier consistait, pour le demandeur de volumes d'ARENH, à résilier unilatéralement et moyennant un court préavis son accord-cadre avec EDF. Le fournisseur avait ainsi la possibilité de s'approvisionner en produit ARENH lorsque les prix de marché étaient supérieurs à 42 euros du MWh puis, en cas d'inversion des cours, de cesser son approvisionnement en ARENH sans contrepartie pour EDF. Dans une telle situation, la clause de monotonie ne trouvait pas à s'appliquer, permettant à l'acheteur de réaliser une modulation infra-annuelle.

17. Plusieurs mesures ont alors été prises pour renforcer le caractère annuel du dispositif ARENH et circonscrire ce type de comportement. L'arrêté du 14 novembre 2016 a modifié le modèle d'accord-cadre entre le demandeur et EDF pour limiter les conditions de résiliation et le décret n° 2017-369 du 21 mars 2017 a précisé les conditions d'application de la clause de monotonie.

18. Le second comportement est apparu en 2016 puis 2017, dans un contexte de prix de marché de gros bas au premier semestre et élevés au second semestre. Selon la CRE, les fournisseurs alternatifs couvriraient leur portefeuille de consommation au premier semestre, lorsque le cours est inférieur à 42 euros du MWh, puis, en cas de remontée des prix de marché, solliciteraient des volumes ARENH pour les revendre. Le projet de décret soumis au présent avis a pour objectif de remédier à ce second type de comportement.

2. LES DISPOSITIONS DU PROJET DE DÉCRET

19. Le projet de décret peut être séparé en deux grands blocs. Le premier, qui comprend les articles 1 à 17, a pour objet de modifier le mécanisme d'attribution des volumes d'ARENH avec deux modifications principales : la répartition des demandes d'ARENH sur trois guichets (articles 1 à 14) et, par voie de conséquence, la suppression du guichet de miannée et de la superposition des périodes de livraison (articles 15 à 17). Le second, qui comprend les articles 18 à 24, a pour ambition de renforcer la symétrie entre EDF et les autres fournisseurs, en permettant à la CRE d'adapter les méthodologies de calcul des compléments de prix et de contrôler le respect par EDF des règles de plafonnement.

20. Les autres ajustements techniques ainsi que les dispositions finales, figurant aux articles 25 à 32, n'appellent pas de commentaires.

a) La modification de la structure des guichets de l'ARENH (art. 1 à 17)

21. Les articles 1 à 14 du projet de décret conduisent à substituer à l'actuel guichet annuel d'attribution des volumes, trois nouveaux guichets où seront formulées des demandes de volumes ARENH pour l'année de livraison considérée et où pourront, sous certaines conditions, être attribués des volumes intermédiaires d'ARENH.

22. Pour chaque guichet, un seuil est établi, pour l'ensemble des fournisseurs, suivant un rythme régulier reflétant un rythme de référence de contractualisation avec les clients :

- un premier guichet au 15 janvier de l'année (N-1) précédant l'année N de livraison, doté de 40 TWh ;

- un second guichet au 15 juillet de l'année N-1, doté de 25 TWh, soit un seuil cumulé de 65 TWh ;

- un troisième guichet au 15 novembre de l'année N-1, doté du reliquat de 35 TWh pour atteindre le plafond global de 100 TWh.

23. Chaque fournisseur alternatif s'engage, à chaque guichet de l'année N-1, sur une demande pour l'année N de livraison. L'article 1er du projet de décret prévoit qu'une " demande à une nouvelle échéance ne peut pas diminuer la demande cumulée ". À chaque guichet, la demande agrégée des fournisseurs alternatifs est comparée au seuil fixé. Trois scénarios sont alors possibles, selon que le plafond est ou non atteint et selon que le prix de marché sur les six derniers mois est ou non supérieur à celui de l'ARENH corrigé.

24. 1er scénario : la demande agrégée des fournisseurs alternatifs est inférieure au seuil fixé et, sur les six mois précédant le guichet visé, le prix de marché constaté du produit calendaire en base sur la bourse EEX pour l'année de livraison visée n'a pas été constamment supérieur au prix de l'ARENH diminué du prix de référence de la capacité pour l'année de livraison considérée et majoré de 5 €/MWh . Il est alors procédé à une allocation de volumes d'ARENH dès ce guichet :

o les fournisseurs qui ont demandé des volumes à ce stade obtiennent de manière certaine les demandes formulées jusqu'à ce guichet (" demandes prioritaires ") ;

o la différence entre le volume-seuil du guichet et la demande agrégée n'est pas souscrite et soustraite du volume global maximal pouvant être cédé (" renoncement collectif "). Les allocations de volumes sur les guichets suivants porteront donc sur les volumes restants ;

25. 2ème scénario : la demande agrégée des fournisseurs alternatifs est inférieure au seuil fixé et, sur les six mois précédant le guichet visé, le prix de marché constaté du produit calendaire en base sur EEX pour l'année de livraison visée a été constamment supérieur au prix de l'ARENH diminué du prix de référence de la capacité pour l'année de livraison considérée et majoré de 5 euros par MWh :

o les fournisseurs qui ont demandé des volumes à ce stade obtiennent de manière certaine les demandes formulées ;

o les volumes non-sollicités sont reportés sur le guichet suivant et la non-souscription au guichet n'est pas considérée comme étant un renoncement au droit ARENH ; 26. 3ème scénario : la demande agrégée des fournisseurs alternatifs est supérieure au seuil fixé. Aucun volume n'est alloué à ce guichet. Les demandes sont enregistrées en vue d'une allocation lors du guichet suivant. Le fonctionnement du dernier guichet est le suivant :

o s'il y a eu précédemment un guichet d'engagement où le volume-seuil n'a pas été atteint, l'allocation du volume seuil à ce guichet est respectée : les demandes prioritaires sont attribuées et les renoncements collectifs sont comptabilisés dans le volume total restant ;

o le reste des volumes pouvant être alloués est réparti selon une méthode définie par la CRE et, à défaut, au prorata des demandes qui n'ont pas encore donné lieu à l'attribution de volume d'ARENH.

27. L'exemple ci-dessous modélise une demande avec trois fournisseurs :

[SCHEMA]

28. Au guichet du 15 janvier, le fournisseur bleu demande 30 TWh et le fournisseur vert 15 TWh. Le fournisseur jaune ne formule aucune demande. La demande agrégée (45 TWh) dépassant le seuil de 40 TWh, les demandes sont consignées (sans pour autant être des demandes prioritaires) et la CRE informe que 45 TWh ont été sollicités lors de ce guichet sans les attribuer.

29. Au guichet du 15 juillet, le fournisseur vert demande 5 TWh. Les fournisseurs bleu et jaune ne formulent aucune demande. La demande agrégée, prenant en compte les volumes consignés mais non attribués du guichet précédent, est de 50 TWh, soit en dessous du seuil de 65 TWh fixé par décret. Les conditions de prix observées sont celles décrites dans le 1er scénario. La CRE procède alors à l'allocation des 65 TWh. Les fournisseurs vert et bleu obtiennent de manière certaine les volumes déjà demandés qui deviennent des demandes prioritaires (respectivement 30 TWh et 20 TWh). Le volume manquant de 15 TWh entre la demande agrégée (50 TWh) et le volume seuil (65 TWh) ne sera pas livré et ne sera plus disponible pour les demandes ultérieures.

30. Au guichet du 15 novembre, le fournisseur vert demande 10 TWh supplémentaires et le fournisseur jaune 30 TWh. Le fournisseur bleu ne formule aucune demande. L'ensemble des demandes (90 TWh) excède le volume total disponible (100 TWh - 15 TWh = 85 TWh). La répartition de ces 85 TWh se fera de la manière suivante : les demandes prioritaires sont intégralement fournies (respectivement 30 TWh pour le fournisseur bleu et 20 TWh pour le fournisseur vert). La quantité restante (35 TWh) est écrêtée de la manière Suivante *6 (100-50-15) / (90-50) = 88 % (0,875). Ce taux est appliqué à la demande restante : pour le fournisseur vert 8,75 TWh et pour le fournisseur jaune 26,25 TWh.

31. Les volumes complets alloués sont donc :

[TABLEAU]

32. Comme l'illustre cet exemple, une des hypothèses envisagées par le décret peut conduire à une attribution d'un volume global d'ARENH inférieur au plafond de 100 TWh prévu par la loi, alors même que la demande globale des alternatifs exprimée au dernier guichet atteindrait, voire dépasserait, ce plafond.

33. Enfin, à ses articles 15 à 17, le projet de décret envisage de supprimer le guichet du 16 juin et la période consécutive de livraison du 1er juillet de l'année N au 30 juin de l'année N+1, du fait de la modification introduite aux articles 1 à 14.

b) Le renforcement de la symétrie entre EDF et les alternatifs (art. 18 à 24)

34. Les acheteurs d'ARENH sont soumis à des compléments de prix en cas de demandes excédentaires (CP1) et, le cas échéant, excessives (CP2).

35. Le montant CP1 vise à neutraliser les gains réalisés par un fournisseur qui, ayant demandé une quantité excédentaire d'ARENH au regard de son portefeuille de clients, l'aurait revendue sur le marché de gros avec un bénéfice. Le CP1, calculé par rapport à un prix de référence, est reversé à EDF.

36. Le montant CP2 fonctionne comme une pénalité et vise à inciter les fournisseurs à faire la meilleure prévision possible de leurs portefeuilles et ainsi éviter aux autres fournisseurs les conséquences dommageables d'une surévaluation de leurs besoins.

37. Le CP2 s'applique lorsque les quantités demandées excèdent une certaine marge de tolérance (5 MW ou 10 % de la consommation moyenne constatée dudit fournisseur) et est reversé aux autres fournisseurs à partir d'une clé de répartition spécifique.

38. La première modification envisagée est liée au changement du mécanisme d'attribution des volumes ; l'article 22 prévoit ainsi la possibilité pour la CRE d'appliquer des méthodologies de calcul différentes entre le CP1 ou le CP2 pour neutraliser les risques de demandes excessives aux guichets intermédiaires et ainsi rétablir les incitations à la communication de meilleures prévisions de portefeuilles.

39. Les autres modifications, bien qu'insérées dans la section V du code de l'énergie relative au " contrôle ex post et complément de prix ", dépassent en réalité le simple cadre du système de complément de prix ; à la lueur des explications données en séance, ces propositions substantielles ont vocation à impacter structurellement le comportement d'EDF dans la construction de ses offres.

40. En premier lieu, l'article 18 du projet de décret (modifiant l'article R. 336-28 du code de l'énergie) prévoit un contrôle des consommations pour chaque fournisseur " y compris EDF ".

41. Les articles 20, 21 et 22 du projet de décret prévoient ainsi qu'EDF devrait produire une déclaration de la quantité d'électricité dont le prix est fondé sur l'ARENH (notée Q EDF) et un calcul théorique de droits ARENH fictifs selon la méthodologie appliquée aux demandeurs d'ARENH (noté Q max EDF). Ces déterminants serviront par la suite comme nouvelle marge de tolérance pour le complément CP2 (autorisant, pour les demandeurs d'ARENH, une marge d'erreur similaire à celle d'EDF).

42. Enfin, l'article 23 du projet de décret (modifiant l'article R. 336-37) prévoit qu'EDF devrait transmettre à la CRE ses modèles d'offres fondées sur l'ARENH et les quantités d'électricité dont le prix est fondé sur l'ARENH, afin notamment que " la CRE vérifie la bonne application des dispositions de l'ARENH par EDF, en particulier la prise en compte des règles de plafonnement ".

43. L'ensemble de ces dispositions, et notamment l'article 23, ont des conséquences multiples sur l'ensemble du marché de détail puisqu'elles posent comme principe qu'EDF devrait être soumise à une forme de plafonnement de son accès à sa propre électricité nucléaire pour la construction de ses offres de marché.

44. Selon la Direction générale de l'énergie et du climat (ci-après la DGEC), entendue lors de la séance, ce principe de plafonnement théorique de l'accès d'EDF à ses propres ressources devrait également être répercuté dans le calcul des tarifs réglementés de vente, en application de l'article R. 337-19 du code de l'énergie.

II. Analyse concurrentielle

A. SUR LE PREMIER BLOC RELATIF AUX GUICHETS (ART. 1 À 17)

1. LES OBJECTIFS DE LA RÉFORME

45. La loi NOME avait pour objectif de corriger une défaillance de marché liée à la structure atypique du parc de production français marqué par la prépondérance des capacités d'origine nucléaire. Il apparaît, en effet, difficile de restituer aux consommateurs la compétitivité de ce parc sans une régulation des prix du fait de la situation dominante d'EDF sur ces moyens de production au moment de l'ouverture du marché à la concurrence, ainsi que l'avait relevé la Commission européenne dans sa décision relative aux aides d'État, en partie à l'origine du vote de cette loi *7.

46. Le caractère dérogatoire aux règles de la concurrence du mécanisme ARENH, prévu pour une durée de quinze ans, est justifié par la poursuite de trois objectifs : faire bénéficier les consommateurs de la compétitivité du parc électronucléaire historique, favoriser la concurrence et inciter les opérateurs alternatifs à investir dans les moyens de production.

47. Un des objectifs directs de la réforme était donc de permettre aux opérateurs alternatifs d'investir dans les moyens de production pour permettre, dans le secteur de l'électricité, une concurrence par les infrastructures sur marché oligopolistique, comme l'avait relevé l'Autorité dans son avis n°10-A-08 relatif au projet de loi NOME : " L'effectivité de la concurrence sur le marché de la fourniture d'électricité implique l'existence aux côtés d'EDF de plusieurs opérateurs intégrés, qui soient également présents dans la production et investissent dans des capacités nouvelles " *8.

48. La poursuite de ces objectifs justifie que les pouvoirs publics veillent à ce que le mécanisme de l'ARENH ne soit pas détourné de son objet ainsi que l'avait souligné le Premier ministre, en 2009 : " pour éviter qu'un fournisseur n'utilise le système sans volonté réelle de développer un portefeuille de clients finals (et donc d'assumer les risques inhérents à une expansion commerciale), il semblerait utile de prévoir que le régulateur puisse dissuader, le cas échéant par des moyens financiers ou un ajustement des droits, des comportements tels que celui d'un fournisseur qui demanderait de façon récurrente des quantités d'électricité largement supérieures à celles nécessaires à l'approvisionnement de sa base de clientèle " *9.

49. Or, les comportements observés en 2016 et 2017 et décrits au paragraphe 18 correspondent bien au risque identifié dès le vote de la loi (achats d'ARENH sans lien avec la nécessité d'approvisionner un portefeuille de clients). Ce constat justifie les correctifs apportés au dispositif par les articles 1 à 17 du projet de décret.

50. Les observations de l'Autorité porteront sur la suppression du guichet intermédiaire de miannée et de la superposition des périodes de livraison et le séquencement des demandes d'ARENH lors de trois guichets.

2. LA SUPPRESSION DU GUICHET INTERMÉDIAIRE DE MI-ANNÉE

51. La CRE rappelle que ce guichet de juillet, qui devait permettre aux fournisseurs d'ajuster leurs demandes d'ARENH en cas d'évolution significative de leur portefeuille de clients en cours d'année, n'a fait l'objet que d'une utilisation marginale et propose de le supprimer ainsi que la période de livraison attachée. La disparition du guichet de mi-année conduit mécaniquement à la disparition de la clause de monotonie, introduite afin d'éviter toute possibilité d'arbitrage infra-annuel.

52. Les acteurs interrogés sur ce sujet ne se sont pas opposés à cette proposition, sur laquelle l'Autorité n'a pas de remarque particulière à formuler.

3. LE SÉQUENCEMENT DES DEMANDES D'ARENH LORS DE TROIS GUICHETS

53. Comme le relève la CRE dans sa délibération n° 2018-221, " lors de leur audition, les acteurs concernés n'ont pas présenté d'argument convaincant en faveur du maintien du système de guichets actuel autre que la perte d'opportunités d'arbitrages entre l'ARENH et le marché de gros. La CRE considère que ces arbitrages ne sont pas dans l'esprit du dispositif ARENH " *10.

54. Ces constats étaient déjà formulés par le régulateur dans le cadre de son rapport quinquennal : " La CRE constate que des acteurs ont recours à l'ARENH aux fins de réaliser des arbitrages avec le marché de gros. Et ce, alors même que l'approvisionnement des consommateurs est déjà assuré par l'achat de produits sur le marché de gros. La CRE s'interroge sur la conformité de ces pratiques avec l'esprit du dispositif ARENH qui vise à faire " bénéficier [aux] consommateurs de la compétitivité du parc électronucléaire français " *11.

55. La CRE se prononce donc favorablement à l'instauration de ces différents guichets d'engagement dans le projet de décret à l'examen. Interrogés sur ce point, les fournisseurs alternatifs relèvent en substance que l'instauration d'un tel séquencement contreviendrait au caractère par nature optionnel de l'ARENH, qui implique un libre exercice de ce choix par les fournisseurs.

56. Il convient, sur ce point, de distinguer deux éléments de la réforme : d'une part, le principe même d'instauration un tel mécanisme (a) et, d'autre part, les modalités de mise en œuvre de la modification envisagée (b).

a) En ce qui concerne le principe d'un séquencement des demandes

57. Le mécanisme proposé dans le projet de décret ne restreint pas, dans son principe, l'accès à l'ARENH puisqu'à chaque guichet prévu, les fournisseurs auront la possibilité de choisir entre le prix de marché ou le prix de l'ARENH. L'optionalité entre le marché et le mécanisme ARENH est donc conservée.

58. À cet égard, il faut rappeler que certains fournisseurs, actifs sur le marché de masse, avaient demandé un séquencement trimestriel des guichets, comme l'avait relevé l'Autorité dans son avis de 2011: " Les fournisseurs actifs sur le marché de la clientèle de masse, entendus lors de l'instruction de la demande d'avis ont émis le souhait de pouvoir faire des demandes d'ARENH tous les trois mois (au lieu de tous les six mois), de manière à mieux accompagner le développement de leur portefeuille client et à limiter les erreurs de prévision de croissance de ce portefeuille. À l'inverse, plusieurs fournisseurs de grands clients industriels privilégient un seul guichet annuel, afin d'avoir davantage de visibilité sur leur approvisionnement " *12.

59. Dans la mesure où le mécanisme envisagé a pour objet de prévenir un comportement qui ne vise pas le développement d'un portefeuille de clients et qui est, pour cette raison, étranger aux objectifs de l'ARENH, l'Autorité est favorable au principe de séquencement des demandes sur trois guichets.

b) En ce qui concerne les modalités de mise en œuvre de ce séquencement

60. Le décret envisagé prévoit une première situation dans laquelle le cumul des volumes demandés à un guichet intermédiaire dépasse le plafond de ce guichet. Dans un tel cas, aucun volume n'est attribué et les demandes sont seulement enregistrées. Le dispositif ne prévoit donc pas d'écrêtement en janvier et juillet, même si les plafonds intermédiaires de ces deux guichets sont dépassés. Ces guichets intermédiaires ne jouent alors qu'un rôle restreint et les décisions d'attribution sont reportées au guichet de fin d'année. À ce terme, si le plafond global de 100 TWh est dépassé, les volumes livrés sont écrêtés.

61. Dans un tel cas, les demandeurs ayant marqué, de manière répétée en cours d'année, leur préférence pour l'ARENH, le risque d'arbitrage infra annuel disparaît et il n'y a pas d'inconvénient à attendre la fin d'année pour procéder aux attributions fermes.

62. La seconde situation est plus complexe car elle correspond au cas où le seuil n'est pas atteint à un guichet intermédiaire donné, ce qui conduit à distinguer deux variantes. Lorsque le prix de gros sur le marché a été durablement supérieur à celui de l'ARENH avant ce guichet intermédiaire, on considère que le risque d'arbitrage ultérieur n'existe pas et on procède à l'attribution de volumes prioritaires sans application du renoncement collectif pour les volumes non souscrits.

63. En revanche, si les prix de gros ont été durablement proches de l'ARENH, on considère que les fournisseurs, en ne demandant pas tout le volume d'ARENH offert, ont en partie arbitré en faveur des prix de marché. Il n'y a alors pas lieu de faire porter une incertitude supplémentaire sur le dernier guichet en les autorisant à augmenter leurs demandes finales si les évolutions du marché au second semestre modifient leurs prévisions d'achat. Lorsqu'une telle situation de prix est constatée à un guichet intermédiaire, les fournisseurs concernés sont assurés d'obtenir les volumes demandés à ce guichet mais les quantités non demandées par l'ensemble des fournisseurs sont perdues car on considère qu'elles ont fait l'objet d'un renoncement collectif.

64. Les comportements collectifs pris en compte pour effectuer un écrêtement intermédiaire font ainsi peser une incertitude sur l'obtention des volumes individuels pour chacun des demandeurs, et cela même dans les cas où le plafond final de 100 TWh ne serait pas atteint, laissant ainsi des volumes d'ARENH disponibles et inutilisés.

65. Cette incertitude résultant de l'articulation de comportements collectifs et individuels n'est toutefois pas une innovation. Elle est, au contraire, une caractéristique intrinsèque du dispositif, liée à la limitation du volume d'ARENH disponible. Le système actuel à un seul guichet peut lui aussi conduire à un écrêtement pour tous les demandeurs du simple fait que certains fournisseurs ont surévalué leurs besoins. Elle trouve sa source dans le fait que le législateur a choisi d'attribuer les quantités limitées d'ARENH non pas par une enchère, c'est-à-dire en agissant sur les prix, mais par un rationnement, c'est-à-dire en agissant directement sur les quantités.

66. L'Autorité l'avait déjà relevé dans son avis sur le projet de loi NOME : " Il faut distinguer entre le droit d'accéder à la production d'électricité des centrales nucléaires d'EDF et le prix à payer pour la quantité d'électricité obtenue par le fournisseur alternatif. Le droit d'accès représente une valeur en soi, car il permet à des concurrents d'EDF d'utiliser l'outil de production de cette dernière pour leurs propres besoins, en sachant qu'EDF n'a aucune obligation d'approvisionner en électricité ses concurrents si elle ne le souhaite pas (…/…). Le projet de loi choisit d'accorder gratuitement ce droit de tirage à tout fournisseur, avec comme seule limite un plafonnement du volume maximal rendu ainsi disponible. Cela a pour conséquence que toute concurrence [en prix] est éliminée entre les fournisseurs pour l'accès à l'électricité de base. Une solution alternative était concevable par le recours à un système d'enchères organisant la confrontation réelle de l'offre et de la demande. " *13

67. Dès lors que les quantités obtenues ne peuvent pas être uniquement déterminées à partir de la situation individuelle de chaque demandeur pris séparément, on doit raisonner sur un comportement moyen, réputé valable pour l'ensemble du marché. L'équité du système dépend donc de la capacité des plafonds fixés aux guichets intermédiaires à refléter plus ou moins bien le comportement standard d'un acheteur d'ARENH.

68. La DGEC indique à cet égard que ces seuils représentent le rythme de signature des contrats de fourniture entre fournisseurs et consommateurs finals. L'Autorité comprend que ce rythme est la moyenne d'une série statistique, sans pour autant être assurée que l'échantillon employé est représentatif de l'ensemble des fournisseurs d'électricité. Elle souligne qu'aucune analyse concrète de certaines des conséquences de ces seuils ne peut être réalisée. Ceci requerrait en effet une modélisation nécessitant un volume d'informations considérable et dont, en tout état de cause, le nombre trop important de paramètres (nombre de fournisseurs alternatifs, portefeuilles différents, cours de marché, déclenchement ou non des seuils, etc.) rendrait toute conclusion délicate.

69. Un mauvais positionnement des plafonds intermédiaires peut toutefois avoir des conséquences importantes : si les plafonds sont trop bas, les arbitrages de fin d'année restent prépondérants et l'objectif même du projet de décret est remis en cause ; s'ils sont trop hauts, une partie des volumes d'ARENH risquent d'être verrouillés très rapidement, au détriment de fournisseurs alternatifs qui auraient une politique de développement plus étalée au cours de l'année. De plus, le mécanisme de renoncement collectif ne serait pas nécessairement pénalisant au même degré pour chacun des fournisseurs, qui peuvent avoir des politiques commerciales différentes selon leur portefeuille de clients.

70. Lors de la séance, la DGEC et la CRE ont estimé que les risques attachés au nouveau mécanisme étaient modérés. Elles ont relevé que les grands comptes avaient souvent des politiques d'achat pluriannuel, ce qui réduisait l'incertitude des fournisseurs sur l'évolution de leurs besoins. La CRE a par ailleurs souligné la capacité des clients professionnels à s'adapter à ces évolutions, ce qui devrait limiter les incohérences éventuelles entre leur politique d'achat sur le marché de détail et le rythme d'approvisionnement des fournisseurs sur le marché de gros.

71. Enfin, il est admis que les portefeuilles de clients résidentiels n'évoluent que lentement et sont peu volatils. Pour cette catégorie de consommateurs également, l'incertitude sur les besoins annuels en ARENH serait limitée.

72. Tous ces arguments sont sérieux et recevables mais leur portée est difficile à évaluer compte tenu des nombreuses hypothèses qui doivent nécessairement être faites sur le comportement des acteurs. C'est pourquoi la CRE a insisté sur l'attention qu'elle allait porter à l'apparition d'éventuelles dérives et a, dans sa délibération n° 2018-221, proposé que lui soit confié le pouvoir de modifier les seuils en fonction du retour d'expérience, afin de mettre en adéquation autant que possible le plafond de chaque guichet intermédiaire avec le rythme des demandes observé et corriger d'éventuels biais.

73. Cette proposition d'adaptation rapide des guichets ou tout autre mécanisme équivalent est cruciale si le mécanisme de renoncement collectif envisagé est maintenu en l'état.

c) Conclusion sur le séquencement en trois guichets

74. L'Autorité approuve l'objectif poursuivi par la réforme et le principe d'un séquencement en trois guichets, mais constate qu'il est difficile de savoir si les modalités de mise en œuvre retenues sont proportionnées au regard de l'objectif fixé.

75. Le mécanisme proposé dans le projet de décret semble vouloir concilier deux conceptions possibles d'attribution de volumes ARENH : d'une part, un modèle de cession annuelle unique mais dont les demandes seraient lissées dans le temps (avec un écrêtement final et sans renoncement collectif intermédiaire) et, d'autre part, un modèle de cessions fermes réparties dans l'année (avec, à chaque étape, un écrêtement ou un renoncement collectif selon l'atteinte ou non du seuil fixé).

76. S'il n'appartient pas à l'Autorité de se prononcer sur le choix du modèle retenu au regard de l'objectif poursuivi, elle s'interroge cependant sur la possibilité de mettre en place un mécanisme à trois guichets, moins sophistiqué mais peut-être plus lisible, fonctionnant avec des allocations fermes d'ARENH à chaque demande intermédiaire.

B. SUR LE SECOND BLOC RELATIF À LA SYMÉTRIE DU DISPOSITIF (ART. 18 À 24)

1. LES OBJECTIFS DE LA RÉFORME

77. Les articles 18 à 24 ont pour objet de renforcer l'application du " principe d'équivalence " entre EDF et les fournisseurs alternatifs. L'article 23 du projet de décret pousse cette recherche de l'équivalence jusqu'à prévoir qu'EDF devrait transmettre à la CRE ses modèles d'offres de détail fondées sur l'ARENH et les quantités d'électricité correspondantes afin notamment que " la CRE vérifie la bonne application des dispositions de l'ARENH par EDF, en particulier la prise en compte des règles de plafonnement ".

78. Il est apparu lors de la séance que cette dernière expression devait être comprise comme une forme de restriction de l'utilisation par EDF de sa propre production nucléaire pour vendre sur le marché de détail en cas de dépassement du plafond de l'ARENH par les fournisseurs alternatifs. Cette règle aurait des conséquences pratiques sur les prix puisque l'objectif du texte serait d'obliger le " fournisseur EDF " à prendre en compte les prix de marché pour construire une partie de ses offres alors même qu'il dispose d'électricité d'origine nucléaire à un coût pouvant être inférieur.

79. La DGEC justifie ces dispositions en soutenant que, pour obtenir des " conditions économiques équivalentes " entre EDF et les alternatifs sur le marché de détail, il faut raisonner en considérant que tous les fournisseurs sont réputés acheter de l'électricité en base dans les mêmes conditions, y compris le " fournisseur EDF ", qui ne pourrait alors plus bénéficier des avantages de l'appartenance à une entreprise intégrée verticalement puisqu'on lui appliquerait un équivalent du plafonnement de l'ARENH.

80. Lors de la séance, elle a soutenu que cette conception serait conforme aux exigences du droit de la concurrence car elle permettrait d'éviter un ciseau tarifaire et serait la seule qui permette d'assurer la contestabilité des toutes les offres d'EDF, offres réglementées et offres libres, en cas de dépassement du plafond de l'ARENH.

81. Avant d'examiner les dispositions des articles 18 à 24 du projet de texte à la lumière de ces explications, il convient de rappeler, d'une part, que seule la conception initiale asymétrique de l'ARENH est conforme au droit positif et, d'autre part, que l'intégration dans l'ordre juridique par décret, sans modification préalable de la loi, d'une conception symétrique de la régulation, fondée sur une lecture extensive des notions d'équivalence et de contestabilité, conduirait à des difficultés sérieuses.

2. SUR LE CARACTÈRE ASYMÉTRIQUE DU DISPOSITIF DE L'ARENH

82. Le dispositif ARENH a été mis en place pour corriger une défaillance de marché liée au fait qu'EDF est l'exploitant exclusif du parc électronucléaire français. Cette asymétrie justifie que cette entreprise soit la seule à être nommément désignée par la loi en tant que contrepartie des " fournisseurs " éligibles à l'ARENH, visés par l'article L. 336-2.

83. On peut, à cet égard, relever que la CRE a décidé de ne pas considérer les filiales d'EDF comme des " fournisseurs " pour le calcul du dépassement du plafond de l'ARENH en 2019, nonobstant le fait qu'elles avaient demandé de l'électricité en base à leur maison mère en utilisant le formalisme de la procédure ARENH. Cette décision respecte la nature asymétrique du dispositif.

84. La DGEC ne conteste pas cette asymétrie mais soutient qu'elle doit être conciliée avec le " principe d'équivalence " qui imposerait d'assurer, en toute circonstance, des conditions économiques équivalentes entre EDF et les autres fournisseurs.

85. L'Autorité ne partage pas cette conception.

86. En effet, aucun " principe d'équivalence " n'est inscrit dans la loi. Cette expression, consacrée par l'usage, n'est qu'une commodité de langage pour désigner l'exigence d'accès à l'ARENH à un prix reflétant les coûts de production d'EDF.

87. Dans la loi, l'adjectif " équivalent " vise les conditions de prix de l'ARENH mais pas les quantités ou les contraintes de rationnement éventuel, comme le confirme le troisième alinéa de l'article L. 336-2 : " Les conditions d'achat reflètent les conditions économiques de production d'électricité par les centrales nucléaires d'Électricité de France situées sur le territoire national et mises en service avant le 8 décembre 2010 ".

88. Ces dispositions ont pour objet de fixer le prix de l'ARENH par référence aux coûts complets de production d'EDF et non d'imposer à EDF un comportement particulier sur le marché, par exemple d'agir comme si elle subissait les mêmes contraintes quantitatives d'accès à sa production électronucléaire qu'un acheteur d'ARENH.

89. Force est de constater que la rédaction de l'article 23 du projet de décret s'écarte de celle de la loi sur ce point. La phrase " Afin d'assurer l'accès régulé à l'électricité nucléaire aux opérateurs fournissant les consommateurs finals dans des conditions économiques équivalentes à celles d'EDF telles que prévues au second alinéa de l'article L 336-1 " est sensiblement différente de celle figurant à l'article L. 336-1 : " Cet accès régulé est consenti à des conditions économiques équivalentes à celles résultant pour Électricité de France de l'utilisation de ses centrales nucléaires ", proposition qui a un sens différent et une portée plus limitée.

90. Selon le projet de décret, le champ d'application de l'adjectif " équivalent " ne serait plus seulement le prix auquel l'accès est consenti mais viserait potentiellement les conditions générales de l'accès au nucléaire pour tous les opérateurs. Les " conditions économiques équivalentes " ne viseraient donc plus les conditions de production d'EDF, comme le dit la loi, mais les conditions économiques, sans restriction particulière, que connaît l'opérateur EDF lorsqu'il intervient sur le marché.

91. Lors des débats en séance, il est apparu que cette confusion sur la portée de l'équivalence pourrait elle-même résulter d'une conception de la contestabilité qui devrait être propre au secteur de l'électricité, pour atteindre les objectifs assignés à la régulation sur ces marchés, notamment en ce qui concerne les tarifs réglementés de vente (ci-après les TRV). Selon cette conception ad hoc, un tarif régulé ne serait contestable que s'il permet à tout opérateur de contester effectivement les TRV de l'électricité, compte tenu des conditions concrètes de son activité, même s'il est moins efficace que l'opérateur régulé.

92. L'Autorité reconnaît que l'utilisation de la notion de contestabilité est délicate lorsqu'il faut l'interpréter en tenant compte des conditions juridiques et économiques concrètes des situations auxquelles on l'applique. Au cas d'espèce, il ne lui appartient pas, mais au juge, éventuellement saisi de cette question, de dire si une telle conception ad hoc résulte ou non de l'ensemble des textes qui organisent le secteur de l'électricité.

93. Mais elle doit néanmoins rappeler que cette conception s'écarte de celle habituellement utilisée pour la régulation ou en droit de la concurrence.

94. En outre, l'Autorité ne peut pas, dans le cadre de ses missions consultatives ou contentieuses, utiliser des conceptions différentes d'une même notion. Elle ne peut pas non plus utiliser, pour les contentieux éventuels concernant le secteur de l'électricité, une notion de la contestabilité différente de celle qu'elle utilise de manière constante pour celui des télécoms, de l'audiovisuel ou de tout autre marché sur lequel elle identifierait une position dominante.

95. Elle considère donc qu'il convient d'éviter toute confusion entre la notion de tarif contestable et celle de tarif effectivement contesté.

96. En matière de régulation des prix, le tarif d'un bien donné est dit " contestable " dès lors qu'il couvre les coûts complets de production de ce bien. Il est donc une propriété intrinsèque des caractéristiques économiques du producteur du bien en cause.

97. La contestabilité signifie seulement qu'un opérateur aussi efficace que le producteur régulé doit pouvoir pratiquer le même prix que lui sans subir de perte, comme l'avait rappelé le Conseil d'État dans une décision de 2015 : " Considérant que la règle d'établissement des tarifs réglementés " par empilement " est réputée garantir par elle-même la fixation de ces tarifs à un niveau qui assure leur "contestabilité" économique, c'est-à-dire la faculté pour un opérateur concurrent d'Électricité de France présent ou entrant sur le marché de la fourniture d'électricité de proposer, sur ce marché, des offres à des prix égaux ou inférieurs aux tarifs réglementés ". *14

98. La notion de contestabilité appliquée aux TRV est donc la même que celle utilisée en droit de la concurrence pour la détection des abus de position dominante, comme l'a déjà indiqué l'Autorité : " en droit de la concurrence, les tests de coûts utilisés pour démontrer une pratique tarifaire abusive susceptible d'exclure les concurrents du marché, que ce soient des prix prédateurs ou un ciseau tarifaire, sont mis en œuvre à partir des coûts de l'opérateur dominant. L'objectif de contestabilité des TRV, qui consiste précisément à prévenir de tels risques d'exclusion des concurrents par une mauvaise fixation du tarif, rejoint sur ce point l'exigence de couverture des coûts de l'opérateur historique " *15.

99. Cette analyse, fondée sur la structure de coûts de l'opérateur dominant est celle appliquée en droit des pratiques anticoncurrentielles comme l'a rappelé la Cour d'appel de Paris : " afin d'apprécier la licéité de la politique de prix appliqué par une entreprise dominante, il convient, en principe, de se référer à des critères de prix fondés sur les coûts encourus par l'entreprise dominante elle-même et sur la stratégie de celle-ci. En particulier, s'agissant d'une pratique tarifaire aboutissant à la compression des marges, l'utilisation de tels critères d'analyse permet de vérifier si cette entreprise aurait été suffisamment efficace pour proposer ses prestations de détail aux clients finals autrement qu'à perte, si elle avait été préalablement obligée d'acquitter ses propres prix de gros pour les prestations intermédiaires (CJUE, arrêt du 17 février 2011, TeliaSonera Sverige, C-52/09, points 41 et 42 ; TUE, arrêt Telefonica et Telefonica de España/Commission, précité, points 190 et 191) " *16.

100. En outre, la prise en compte des coûts de l'entreprise dominante, sans considération des coûts des concurrents, est la seule méthode compatible avec le principe de sécurité juridique, comme l'a rappelé le Tribunal de l'Union dans sa décision Deutsche Telekom de 2008 : " Il y a lieu d'ajouter que toute autre approche risquerait de violer le principe général de sécurité juridique. En effet, si la légalité des pratiques tarifaires d'une entreprise dominante dépendait de la situation spécifique des entreprises concurrentes, notamment par la structure des coûts de celles-ci, qui sont des données qui ne sont généralement pas connues de l'entreprise dominante, cette dernière ne serait pas à même d'apprécier la légalité de ses propres comportements. " *17

101. En revanche, la possibilité de contester en pratique un tarif, réputé " contestable " au sens qui vient d'être rappelé, dépend des caractéristiques économiques des concurrents et non de celles du producteur du bien en cause. Certains d'entre eux pourront effectivement contester ce tarif, d'autres ne le pourront pas ou devront consentir des pertes. Dans d'autres cas, des opérateurs ne seront en mesure de contester le tarif que de manière épisodique, en fonction des variations de leurs coûts d'approvisionnement. Mais cet état de fait ne remet pas en cause la contestabilité et donc la licéité des tarifs qui ne dépendent pas de ces aléas mais seulement des coûts de l'opérateur régulé.

102. Ces confusions sur l'équivalence et la contestabilité sont susceptibles de remettre en cause le caractère asymétrique et limité du dispositif de l'ARENH et pourraient avoir des conséquences qui dépassent l'objet du projet de texte.

103. En effet, en introduisant une règle de plafonnement de l'accès d'EDF à l'électricité nucléaire pour ses offres de détail, le projet de décret pourrait, par une lecture combinée des articles 18 à 24 du projet et du deuxième alinéa du l'article R. 337-19 du code de l'énergie, conduire à une modification importante du mode de calcul des TRV, non plus seulement afin d'établir leur contestabilité, assurée en toutes circonstances par la méthode de l'empilement des coûts, mais dans le but de donner à tout fournisseur les moyens de contester effectivement ces tarifs même en cas de plafonnement de l'ARENH.

104. Ainsi, dans sa délibération n° 2018-221, du 25 octobre 2018, portant avis sur le projet de décret ARENH ici en cause, la CRE a considéré que, si les règles de plafonnement devaient s'appliquer dans le sens des articles 18 à 24, alors : " EDF devra appliquer le même taux d'écrêtement dans ses offres sur le marché de détail.(…/…), le prix de l'électricité augmentera à proportion du taux d'écrêtement pour la grande majorité des consommateurs, résidentiels et entreprises, qu'ils soient aux TRV, en offre de marché chez EDF, ou en offre de marché chez un autre fournisseur. " *18.

105. Pour analyser les effets du plafonnement d'un point de vue juridique, il faut toutefois bien distinguer la question des offres de marché, qui relève du droit commun de la concurrence, et celle des TRV, qui relève de textes réglementaires.

3. EN CE QUI CONCERNE LES OFFRES DE MARCHÉ

106. Selon la conception sous-jacente au projet de décret, explicitée en séance, EDF devrait, en cas d'atteinte du plafond de l'ARENH pour les alternatifs, écrêter volontairement son recours à l'électricité en base au prix de l'ARENH dans ses offres de marché pour éviter d'imposer un ciseau tarifaire à ses concurrents.

107. Mais cette conception ne tient pas compte des principes de fonctionnement du marché de gros de l'électricité tel qu'il a été conçu au moment de la libéralisation et n'est pas conforme à la jurisprudence.

108. La conception du marché de l'électricité promue par la directive de 1996 se fonde sur la libre formation des prix par la rencontre de l'offre et de la demande d'énergie sur les différents marchés de gros et de détail. Le prix de gros est alors réputé refléter le coût marginal de la dernière centrale de production appelée pour équilibrer le réseau. Dans ce cadre, chaque producteur qui supporte des coûts marginaux inférieurs au prix d'équilibre bénéficie d'une " rente infra marginale " qui contribue à la couverture de ses coûts fixes.

109. En France, les centrales nucléaires ne sont marginales *19 que pendant très peu de temps, en période estivale, et bénéficient potentiellement d'une rente infra marginale pendant presque toute l'année. De plus, si les coûts variables des moyens thermiques (calés sur les cours des combustibles) restent soutenus, les prix de gros sur le marché couvrent non seulement les coûts marginaux mais aussi les coûts complets du nucléaire et EDF bénéficie alors d'une forme de rente de Ricardo (rareté des moyens de production les plus efficaces).

110. Seule une régulation adaptée permet de capturer cette rente en imposant à ce producteur une baisse de ses prix de détail au profit des consommateurs.

111. Cette capture est l'objectif principal recherché par l'article L. 336-1 du code de l'énergie aux termes duquel les consommateurs français doivent bénéficier " de la compétitivité du parc électronucléaire français ". De fait, la compétitivité du nucléaire historique a pendant longtemps été restituée aux consommateurs par des tarifs réglementés. Depuis 2010, elle est partiellement restituée aux consommateurs par le dispositif ARENH combiné au maintien des tarifs bleus pour les particuliers.

112. Mais, en dehors des éléments de régulation spécifiques que constituent les TRV et le mécanisme ARENH avant l'atteinte du plafond, la construction des offres obéit aux règles du marché dans le schéma instauré par la directive de 1996. Dans ce contexte, dès lors que le prix de gros est supérieur au prix de l'ARENH et que l'accès à l'ARENH ne couvre plus la totalité des besoins des concurrents d'EDF, l'éventuelle augmentation du prix des offres commerciales de tous les fournisseurs, y compris EDF, n'est qu'une conséquence du libre jeu de la concurrence.

113. L'entreprise EDF, lorsqu'elle bénéficie des moyens les plus efficaces pour la production d'électricité en base, a alors le choix d'utiliser son avantage concurrentiel pour maximiser ses marges en alignant ses offres sur les prix de marché, comme elle peut, en sens contraire, chercher à gagner des parts de marché en baissant ses prix, à condition toutefois de couvrir ses coûts, sans nécessairement commettre un abus de ciseau tarifaire.

114. À cet égard, il faut distinguer la notion de " ciseau " lorsqu'elle est utilisée au sens commun pour désigner la situation d'un fournisseur soumis à une concurrence en prix à laquelle il ne peut pas répondre et cette même notion lorsqu'elle est utilisée au sens juridique pour désigner une compression des marges entre le prix d'un bien intermédiaire et les prix de détail constitutif d'une infraction au droit de la concurrence.

115. Pour illustrer le premier cas, on peut donner l'exemple d'un fournisseur qui s'approvisionne en partie sur le marché au-dessus du prix de l'ARENH parce que sa demande d'ARENH a été insuffisante pour couvrir son portefeuille de clients. Ce fournisseur, en difficulté pour soutenir une concurrence en prix sur le marché de détail, pourrait dire qu'il est " pris en ciseau ", au sens commun du terme. Ce cas s'est sans doute déjà produit car il n'est pas lié au dépassement du plafond collectif de 100 TWh. Il s'agit donc d'une situation de marché parmi d'autres et non d'une conséquence du plafonnement.

116. Mais cette situation ne relève pas pour autant d'un abus de position dominante car une telle infraction exige des conditions qui ne seraient pas remplies en l'espèce. En effet, un tel abus ne peut être établi en droit que si l'entreprise dominante fournit le bien intermédiaire qui va être le support d'une des branches du ciseau présumé, ce qui n'est pas le cas lorsque ce bien est acquis par ses concurrents sur le marché de gros, à un prix de marché.

117. La condition préalable du constat d'une infraction est, en effet, que l'entreprise mise en cause dispose d'une marge d'autonomie suffisante20 pour qu'on puisse lui imputer la responsabilité de la compression des marges entre le prix de la prestation intermédiaire et le prix de détail. Ce test consiste à vérifier " que la différence entre les prix de détail d'une entreprise qui domine le marché et le tarif des prestations intermédiaires pour des prestations comparables à ses concurrents est soit négative soit insuffisante pour couvrir les coûts spécifiques des produits de l'opérateur dominant pour la prestation de ses propres services " *21.

118. C'est à la lumière de ce principe que doivent également être lues les décisions n° 07-MC-04 et n° 07-D-43 de 2007 dont une interprétation trop extensive semble avoir guidé la rédaction du décret. Ces deux décisions *22 insistent, en effet, sur le fait qu'un ciseau tarifaire n'avait pu être envisagé, au cas d'espèce, que parce qu'EDF avait utilisé son autonomie commerciale pour vendre de gré à gré à un concurrent un bien intermédiaire et avait ainsi " de sa propre initiative " fournit un " produit non disponible sur le marché " et dont le prix était " déconnecté des conditions du marché de gros, en particulier en lui offrant un contrat de cinq ans à prix fixe" *23.

119. Or, cette situation n'est plus celle qu'on observe aujourd'hui.

120. Selon les déclarations faites en séance, EDF n'a plus passé de contrats de gré à gré pour offrir des produits de gros en base à ses concurrents depuis que l'entrée en vigueur de la loi NOME en 2010 a rendu caduc le dispositif issu des engagements de 2007.

121. Ce point est confirmé par le rapport de la CRE de janvier 2018 : " En réponse aux incitations liées au caractère limité et transitoire de l'ARENH, les fournisseurs alternatifs pourraient souhaiter conclure des contrats de gré à gré afin de disposer d'un approvisionnement à des prix plus bas que celui de l'ARENH, en contrepartie, par exemple, d'engagements de plus long terme et de clauses permettant à EDF de partager des risques industriels et de sécuriser une partie de ses revenus sur le long terme.(…/…) Il ressort des réponses des acteurs qu'aucun contrat de ce type n'a été conclu depuis le démarrage du dispositif ARENH et aucun d'entre eux n'a, semble-t-il, entrepris la démarche de négocier de tels contrats. " *24.

122. Ainsi, le droit de la concurrence n'interdit pas par principe à un opérateur dominant d'utiliser l'espace économique que lui procure l'écart entre ses propres coûts de production et les coûts d'approvisionnement sur les marchés de gros pour proposer des offres à des prix inférieurs à ceux de ses concurrents. Un tel comportement, sous réserve que l'existence d'un bien intermédiaire soit établie, ne pourrait constituer un ciseau tarifaire prohibé au sens des articles 102 TFUE et L. 420-2 du code de commerce qu'au regard de circonstances particulières que seule une procédure contentieuse contradictoire pourrait permettre d'examiner.

123. Il n'est donc nullement besoin d'appliquer à EDF un taux d'écrêtement fictif de son accès à son énergie électronucléaire pour l'obliger à aligner ses offres libres sur les prix de marché. Cette entreprise pourrait d'ailleurs considérer qu'elle a un intérêt économique à le faire spontanément dans le cadre d'une libre concurrence.

124. Ce constat emporte une conséquence majeure pour l'appréciation des articles 18 à 24 du projet de décret : la régulation envisagée destinée à vérifier qu'EDF augmente ses prix de détail pour prendre en compte le plafonnement de l'ARENH ne trouverait à s'appliquer que pour les tarifs réglementés.

4. EN CE QUI CONCERNE LES TARIFS RÈGLEMENTÉS (TRV)

125. La portée des articles 18 à 24 du projet de texte en ce qui concerne le calcul des TRV ne peut résulter que de la lecture combinée de plusieurs textes législatifs et réglementaires.

126. Ce point appelle un avertissement liminaire.

127. L'Autorité n'entend pas se substituer au juge de la légalité à qui il appartiendrait de se prononcer, le cas échéant, sur la validité d'un arrêté tarifaire qui lui serait soumis pour contester, soit une hausse insuffisante des TRV si le plafonnement de l'ARENH n'était pas pris en compte, soit une hausse excessive dans le cas contraire.

128. Néanmoins, elle relève que les articles 18 à 24 du projet de décret, s'ils étaient adoptés, modifieraient le cadre réglementaire dans lequel le juge serait éventuellement amené à trancher cette question.

129. L'Autorité considère donc que la question de l'impact sur la fixation des TRV, même indirect, de la nouvelle réglementation de l'ARENH qui lui est soumise dans le projet de décret doit être traitée en tant que telle, d'autant que le dispositif envisagé soulève des interrogations d'ordre juridique et méthodologique et pourrait entraîner des difficultés de mise en œuvre.

130. L'expression de ces réserves est d'autant plus nécessaire que la conception de la régulation tarifaire inscrite dans le projet de décret pourrait être prise en compte par la CRE pour la prochaine fixation du niveau des TRV en février 2019. En effet, selon les informations données lors de la séance, l'écrêtement annoncé de 25 % des demandes d'ARENH pour 2019, pourrait entrainer une hausse très sensible des prix de l'électricité.

131. Bien qu'elle ne soit pas en mesure de vérifier ce chiffre, faute de disposer de la méthode de calcul utilisée, l'Autorité a noté que plusieurs intervenants interrogés lors de la séance, dont la CRE et la DGEC, ont indiqué que, selon eux, la charge supplémentaire pour les bénéficiaires des tarifs réglementés serait supérieure à un demi-milliard d'euros en 2019.

a) Les incertitudes juridiques

132. La fixation des TRV est un acte réglementaire. Elle doit donc être déterminée par des textes afin que le juge puisse vérifier que ces derniers ont été correctement appliqués. Cette exigence soulève des interrogations sur l'existence de ces textes, leur portée, la difficulté de leur interprétation et sur la procédure qui a permis de les adopter. Les incertitudes sur la portée de l'article R. 337-19 du code de l'énergie

133. Le deuxième alinéa de l'article R. 337-19 du code de l'énergie prévoit que, dans le cadre de l'empilement des coûts, l'étage correspondant au coût de l'ARENH tient compte, " le cas échéant, de l'atteinte du plafond global maximal d'électricité nucléaire historique fixé par l'article L. 336-2 ", c'est-à-dire du plafond des 100 TWh.

134. Mais la méthode à utiliser pour traiter cette situation n'a fait l'objet d'aucun texte réglementaire. Dans son avis de 2015 relatif au projet de décret qui a introduit cette disposition, l'Autorité avait pourtant considéré que : " la manière dont l'atteinte du plafond est prise en compte dans le calcul des TRV mériterait d'être explicitée " *25 .

135. Toutefois, la rédaction finale du décret n'a été ni modifiée, ni complétée pour prendre en compte cette demande alors même que l'exercice méthodologique attaché à la mise en œuvre de cette disposition apparaît particulièrement délicat.

136. En effet, le premier alinéa de l'article R. 337-19 pose le principe selon lequel les TRV sont déterminés par empilement de quatre composantes de coûts et d'une rémunération normale, " sous réserve de la prise en compte des coûts de l'activité de fourniture de l'électricité aux tarifs réglementés d'Électricité de France et des entreprises locales de distribution ".

137. Cette référence préalable et transversale à la couverture des coûts d'EDF structure tout l'article R. 337-19. Cette contrainte crée une tension au sein de cet article chaque fois qu'on cherche à intégrer à l'empilement des coûts des éléments exogènes non directement liés à l'activité de fourniture d'EDF.

138. Ainsi, dans son avis de 2014, l'Autorité avait relevé que le calcul du complément de fourniture partait de l'hypothèse de la pertinence d'une moyenne de prix de marché pour approximer la politique d'approvisionnement d'EDF. Elle avait alors accepté la rédaction proposée après avoir constaté que : " Si cette hypothèse est vérifiée, les coûts du complément d'approvisionnement d'EDF pourraient être correctement reflétés par les prix des contrats à terme sur le marché de gros.(…/…) Selon le ministère de l'énergie, interrogé sur ce point lors de la séance, les prix des contrats à terme seraient, lorsqu'ils sont bien choisis, une bonne approximation des coûts supportés par EDF pour son complément de fourniture hors parc nucléaire ". *26

139. Dans le sens contraire, s'agissant des coûts commerciaux, l'Autorité s'était opposée à la prise en compte de coûts des concurrents d'EDF en observant que : " aucun élément du dossier ou exposé oralement lors de la séance ne vient établir que les coûts commerciaux des opérateurs alternatifs sont suffisamment convergents pour donner, chacun séparément ou en moyenne, une bonne approximation des coûts commerciaux d'EDF. ".

140. Elle avait émis des doutes sur la possibilité de s'exonérer de l'obligation de calculer ces coûts en auditant la comptabilité analytique d'EDF et avait, en conséquence, invité le gouvernement à faire preuve de simplicité : " L'Autorité recommande donc de revenir à la rédaction initiale du projet de décret afin de prévoir que les coûts de commercialisation pris en compte dans la structure des TRV sont ceux supportés par EDF pour la fourniture de ces tarifs " *27. Cette proposition n'avait pas été retenue.

141. Ce dernier exemple est particulièrement instructif car le texte final avait retenu une formulation encore différente, visant " les coûts de commercialisation d'un fournisseur d'électricité au moins aussi efficace qu'Electricité de France ", qui s'est révélée inapplicable en pratique, la CRE continuant d'auditer chaque année les coûts commerciaux d'EDF pour les répercuter dans les TRV. La mention des " coûts d'un concurrent aussi efficace qu'EDF " plutôt que des " coûts d'EDF " dans l'article R. 337-19 reste donc purement déclarative tant qu'une méthode permettant de calculer le premier type de coûts autrement qu'en calculant le second n'aura pu être définie.

142. Cette absence de portée pratique de la rédaction retenue était prévisible comme l'avait relevé l'Autorité dans son avis : " En visant simultanément, voire cumulativement, les coûts d'un fournisseur, sans plus de précision, et les coûts d'EDF, cette nouvelle formulation est beaucoup moins claire que la précédente, ce qui est de nature à rendre malaisés son interprétation, son application et son contrôle par le juge. " *28

143. On ne peut donc exclure que la mention, au deuxième alinéa du même article R. 337-19, d'une prise en compte de l'atteinte du plafond de l'ARENH, dans la composante du coût de l'ARENH, sans définir une méthode précise pour le faire, soit purement déclarative tant que cette méthode ne sera pas explicitée dans un texte de niveau suffisant pour respecter la hiérarchie des normes.

144. Or, vu la complexité de cette question, le juge n'aurait pas nécessairement la possibilité de se référer à une méthode implicite, immédiatement intuitive, ou d'en produire aisément une qui soit incontestable, sans l'appui d'un texte. Ces points sont examinés ci-après.

Les incertitudes sur la détermination de la méthode

145. L'article R. 337-19 du code de l'énergie définit la composante ARENH de la manière suivante : " Le coût de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique est déterminé en fonction du prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique appliqué au prorata de la quantité de produit théorique calculée en application de l'article R. 336-14, compte tenu, le cas échéant, de l'atteinte du volume global maximal d'électricité nucléaire historique fixé par l'article L. 336-2. ".

146. Le coût de l'ARENH est donc le produit d'un prix par un volume d'énergie électrique.

147. Le prix est nécessairement le prix de l'ARENH, actuellement de 42 €/MWh. Cette contrainte est de niveau législatif (article L. 337-6 du code de l'énergie).

148. Le volume est fixé à partir d'une modélisation des consommations moyennes des différentes catégories de clients aux TRV *29. Il doit nécessairement prendre en compte les caractéristiques intrinsèques de la consommation de la catégorie de clients concernée. Cette contrainte est également de niveau législatif (article L. 337-5 du code de l'énergie).

149. Ces deux éléments de calcul du coût relevant de la loi, il convient de vérifier s'il existe des marges d'interprétation suffisantes pour y ajouter la prise en compte du plafonnement de l'ARENH et, le cas échéant, de définir la méthode pour y parvenir dans le respect de la hiérarchie des normes.

150. En 2016, la CRE avait mis en consultation ses réflexions sur la nouvelle méthode d'empilement des coûts et avait proposé un calcul permettant la prise en compte du plafonnement, sans préciser quel serait le raisonnement juridique sous-jacent susceptible de valider ce calcul et sans donner de suite concrète à cette proposition, en demandant par exemple qu'elle soit inscrite dans un texte réglementaire.

151. Plus récemment, dans sa délibération de janvier 2018 sur la fixation des TRV, elle a donné des indications sur l'adaptation de la période de moyennisation des prix de marché pour prendre en compte l'atteinte du plafond dans le calcul du prix du complément de fourniture, qui est un prix de marché. Mais, en principe, ces éléments ne concernent pas la composante ARENH qui n'est pas une composante basée sur des prix de marché.

152. Il est donc difficile, à ce stade, d'identifier un acte juridique précis qui aurait fixé la méthode de prise en compte de l'atteinte du plafond de l'ARENH dans le calcul de la composante ARENH des TRV.

153. Il n'appartient pas à l'Autorité de proposer une telle méthode, ni de vérifier sa légalité au regard de l'ensemble des textes qui fondent la régulation du secteur. Elle peut cependant, pour donner la mesure des principales difficultés de l'exercice, examiner quelques hypothèses de travail en s'appuyant sur les déclarations faites, lors de la séance, par les différents intervenants.

154. Ces derniers ont, en effet, évalué l'impact financier du plafonnement sur les TRV (plusieurs centaines de millions d'euros selon leurs estimations) en se fondant sur la méthode implicite inscrite dans les articles 18 à 24 du projet de décret, c'est-à-dire en traitant EDF comme un demandeur d'ARENH écrêté à proportion de l'écrêtement collectif. Ils ont ainsi considéré que la composante ARENH devrait être, en 2019, composée de deux termes : 75 % du droit à l'ARENH au prix réglementaire de 42 € /MWh et les 25 % restants au prix de marché, de l'ordre de 60 €/MWh.

155. Ce calcul simple permet d'obtenir un résultat financier mais il ne fournit pas un raisonnement juridique pour le justifier. De fait, l'Autorité a identifié au moins trois méthodes différentes qui aboutiraient au même calcul mais qui seraient, sous réserve de l'appréciation souveraine du juge, toutes contestables sur le plan de leur légalité.

156. La première méthode consisterait à utiliser deux prix pour la part ARENH d'un client dont le volume global resterait inchangé pour respecter son profil de consommation. Mais cette méthode ne serait pas nécessairement compatible avec l'article L. 337-6 du code de l'énergie qui ne mentionne qu'un prix.

157. La deuxième consisterait à diminuer les droits à l'ARENH de chaque profil de client à proportion de l'écrêtement, c'est-à-dire de le fournir à hauteur de 75 % de ses besoins en ARENH au lieu de 100 %, et de transférer les 25 % restants dans le bloc de " complément de fourniture ", ce dernier étant facturé à un prix de marché. Mais cette méthode ne serait pas nécessairement compatible avec l'article L. 337-5 du code de l'énergie qui, pour chaque catégorie de clients, aligne le droit à l'ARENH sur un profil préalablement défini, indépendant de l'atteinte du plafond. Elle conduirait, en outre, au regard de la délibération du 11 janvier 2018 de la CRE sur les TRV, à distinguer deux éléments dans le complément de fourniture, ce qui obligerait aussi à justifier la validité d'une nouvelle méthode de fixation du prix de cette composante.

158. La troisième consisterait à introduire une composante nouvelle dans l'empilement des coûts, qu'on pourrait appeler " approvisionnement complémentaire en base ", qui serait représentative de la part de 25 % de la fourniture relevant normalement de l'ARENH et qui serait facturée à un prix de marché. Mais cette méthode demanderait une modification préalable de l'article L. 337-5 du code de l'énergie, qui ne prévoit que deux composantes de coûts pour l'énergie fournie : l'ARENH et le complément de fourniture. Elle demanderait sans doute aussi, une modification du dispositif de l'ARENH dans son ensemble puisqu'il faudrait imposer une restriction d'accès d'EDF à sa propre électricité électronucléaire pour justifier la création de cette nouvelle catégorie de coût, destiné à compenser le rationnement de l'ARENH pour EDF, alors que la loi ne le prévoit pas.

Les incertitudes sur la procédure d'adaptation de la méthode

159. Dans son avis n° 09-A-43, l'Autorité avait rappelé l'importance de définir par décret les éléments de la méthode de calcul des TRV : " Le caractère public des tarifs est assuré par leur adoption par la voie d'un décret pris en Conseil d'État après avis de l'Autorité de la concurrence, qui est prévue par l'article 4 de la loi de 2000. La garantie procédurale ainsi accordée aux opérateurs et aux consommateurs conduit à faire figurer dans le texte du décret l'ensemble des règles relatives au mode de calcul des tarifs et à la procédure à suivre pour la fixation de leur niveau. Le renvoi à un arrêté pour des éléments constitutifs essentiels du tarif aurait pour conséquence de priver les opérateurs et les consommateurs des garanties de procédure et de stabilité des règles fixées par décret. " *30.

160. Si le gouvernement estime néanmoins que l'article R. 337-19 est une base suffisante pour prendre en compte l'atteinte du plafond, sans complément méthodologique pris par décret, il pourrait considérer que la publication d'un arrêté tarifaire fixant le niveau des TRV à partir d'un écrêtement de l'ARENH, sur la base d'une nouvelle méthode utilisée pour la première fois par la CRE, pourrait valoir approbation implicite de celle-ci.

161. Dans une telle situation, l'application d'une nouvelle méthode de calcul des TRV directement par arrêté ministériel devrait malgré tout faire l'objet d'une information de l'Autorité au titre de l'article L. 462-2-1 du code de commerce.

162. En effet, l'article L. 337-1 du code de l'énergie prévoit que " Le deuxième alinéa de l'article L. 410-2 du code de commerce s'applique : (…)1° Au prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique ; 2° Aux tarifs réglementés de vente d'électricité ; (…) ".

163. Or, l'article L. 462-2-1 du code de commerce prévoit, pour sa part, que : " L'Autorité de la concurrence donne son avis sur les prix et tarifs réglementés mentionnés, respectivement au deuxième alinéa de l'article L. 410-2 et à l'article L. 444-1. Cet avis est rendu public ". Les deuxième et troisième alinéas de l'article L. 462-2-1 prévoient que l'Autorité est saisie au moins deux mois avant la révision du tarif en cause afin de permettre notamment " aux associations de défense des consommateurs (…/…) d'adresser leurs observations ".

164. Cette information préalable de l'Autorité, selon une procédure différente de celle mise en œuvre pour les projets de décrets relevant de l'article L. 410-2 du code de commerce, pourrait être nécessaire pour valider une méthode de calcul des TRV qui introduirait un élément nouveau dans le dispositif, comme par exemple une limitation du champ d'application du prix de l'ARENH, une restriction des droits à l'ARENH pour certaines catégories de consommateurs ou l'introduction d'une nouvelle composante de coût.

165. Dans une décision, du 31 décembre 2018, le Conseil d'État a annulé un arrêté ministériel relatif aux courses de taxis, pour défaut de consultation préalable de l'Autorité sur le fondement de l'article L. 462-2-1, en considérant que : " L'arrêté attaqué, qui n'institue pas un nouveau régime de prix à la profession d'exploitant de taxi, modifie cependant les dispositions prises sur le fondement de l'article L. 410-2 du code de commerce pour réglementer les tarifs des courses de taxis non-parisiens notamment afin de limiter les suppléments que ces taxis sont susceptibles d'appliquer. Dès lors, en vertu du dernier alinéa de l'article L. 462-2-1 précité du code de commerce, le ministre de l'intérieur était tenu d'informer l'Autorité de la concurrence du projet de révision de ces tarifs réglementés au moins deux mois avant l'édiction de l'arrêté attaqué, afin de permettre à cette autorité de prendre l'initiative d'émettre un avis, après avoir mis à même certaines associations de défense des consommateurs et les organisations professionnelles de lui présenter leurs observations." *31

166. La délibération de la CRE proposant une fixation des TRV pour 2019 est la première étape d'un processus de validation de ces tarifs par arrêté ministériel. Si cette étape devait intégrer un plafonnement de l'ARENH par une méthode qui ne serait fixée par aucun texte, la question de la saisine préalable de l'Autorité par le ministre se poserait, compte tenu des modifications substantielles qui seraient ainsi apportées à des dispositions tarifaires prises sur le fondement de l'article L. 410-2 du code de commerce.

167. Le cas échéant, il appartiendrait alors au Gouvernement de saisir l'Autorité d'un projet d'arrêté dans des conditions qui lui permettent de disposer d'un délai de deux mois pour recueillir les observations des parties intéressées, et notamment celles des associations de consommateurs, comme le prévoit la loi.

b) Les incertitudes sur le respect des objectifs fixés par la loi

168. Les TRV sont construits par orientation des prix vers les coûts d'EDF afin d'atteindre un double objectif : un prix aussi bas que possible au regard des coûts de fourniture de ce service et la restitution au consommateur de l'efficacité du parc nucléaire par un plafonnement de la marge du fournisseur. La réalisation de cet objectif a pour effet de garantir un prix stable puisque les coûts de production sous-jacents d'EDF, seule entreprise qui a l'obligation d'offrir ces tarifs aux consommateurs, sont peu volatils.

169. Or, comme l'a relevé la CRE dans son rapport de 2018, le rationnement de l'ARENH a un impact direct sur la facture des consommateurs dans la mesure où : " Les consommateurs rationnés ne bénéficieront alors plus intégralement de la " compétitivité du parc électronucléaire français " telle que visée par l'article L. 336-1 du code de l'énergie. " *32.

170. À contrario, les consommateurs aux TRV qui n'ont pas vocation à être rationnés lorsqu'ils sont fournis par EDF, qui elle-même ne l'est pas, devraient continuer à profiter des dispositions de l'article L. 336-1 du code de l'énergie.

171. La décision de rationner le volume d'électricité d'origine nucléaire disponible pour les particuliers et de ne pas refléter les coûts de production d'EDF pour le calcul des TRV, relèverait d'un choix et non d'une obligation juridique. Ce choix pourrait porter atteinte à un des objectifs de la loi en affaiblissant la protection des ménages contre la volatilité des prix de marché alors que cette protection est la raison principale du maintien de tels tarifs.

172. En effet, le Conseil d'État, interrogé sur la légalité des TRV, a jugé en 2018 que : " la réglementation contestée peut être regardée comme poursuivant l'objectif de garantir aux consommateurs un prix plus stable que les prix de marché. Il ressort en effet des pièces du dossier, notamment des informations publiées par la CRE, et de l'audience d'instruction tenue par la 9ème chambre de la section du contentieux que les prix du marché de gros de l'électricité se caractérisent par une forte volatilité, les prix pouvant varier de 25 à 60 euros par mégawattheure en quelques mois. Cette volatilité est susceptible de se traduire sur le marché de détail. À l'inverse, la méthode de détermination des tarifs réglementés garantit une relative stabilité, dès lors que la méthode " par empilement " des coûts permet de maîtriser chacune des composantes du prix " *33

173. La proximité des chiffres mentionnés dans cette décision, notamment le prix de gros de 60 €/MWh, avec la situation actuelle doit être relevée puisque l'écart entre le prix de gros et le prix de l'ARENH que le Conseil d'État a pris comme exemple de volatilité est du même ordre de grandeur que celui qui a conduit au dépassement du plafond légal de 100 TWh. La CRE a ainsi constaté, dans sa délibération d'octobre 2018, que : " Les prix de gros pour l'année de livraison 2019 ont fortement augmenté ces derniers mois et se situent depuis plusieurs semaines entre 50 et 60 €/MWh, soit un niveau très supérieur au prix de l'ARENH fixé à 42 €/MWh. Ce qui signifie que le plafond de 100 TWh sera probablement dépassé. " *34.

174. La méthode de l'écrêtement de la ressource en nucléaire historique dans le calcul des TRV qui pourrait résulter de l'interprétation de l'article R. 337-19 du code de l'énergie après l'adoption des articles 18 à 23 du projet de décret aurait donc pour effet de soumettre les ménages à la volatilité des prix de marché au moment même où la protection apportée par les tarifs contre cette volatilité serait la plus nécessaire.

175. Cette situation traduirait une confusion des objectifs assignés à chaque outil de régulation. Dans le dispositif en vigueur, la contestabilité des TRV, au sens du droit de la concurrence, est assurée par la méthode de l'empilement des coûts de l'activité de fourniture d'EDF alors que leur contestation effective sur le marché par un fournisseur alternatif est rendue possible par le dispositif de l'ARENH, dans la limite du volume qui lui est attribué, l'accès n'étant pas illimité, qui rend ce concurrent aussi efficace qu'EDF pour la composante de la fourniture en base, la seule pour laquelle une défaillance de marché a été identifiée. 176. La hausse des TRV reviendrait donc à demander au premier outil de régulation de pallier l'insuffisance du second lorsque le plafond de l'ARENH est atteint. Cela reviendrait aussi à faire supporter la charge financière liée au dépassement du plafond aux consommateurs plutôt qu'aux fournisseurs.

c) Les difficultés de mise en œuvre

177. La méthode de calcul des TRV visant à garantir la possibilité pour tous les fournisseurs de les contester effectivement, même en cas d'atteinte du plafond de l'ARENH, soulève plusieurs difficultés techniques de mise en œuvre, sans préjudice de sa légalité.

Le taux d'écrêtement réel n'est pas connu ex ante

178. En admettant que l'écrêtement de l'ARENH dans le calcul des TRV soit l'option retenue par les autorités compétentes, ce choix se heurterait à une difficulté pour en fixer le niveau.

179. En effet, le constat d'une demande d'ARENH de 133,6 TWh en 2019 pour un plafond légal de 100 TWh a été analysé par les opérateurs comme générant un taux d'écrêtement de 25 % de leurs besoins. Mais ce calcul de l'écrêtement reste virtuel tant que le volume de leurs besoins réels n'est pas connu puisque le taux de 25 % n'est fondé que sur une prévision des demandeurs eux-mêmes, effectuée fin 2018 pour l'année 2019.

180. Les gestionnaires du dispositif de l'ARENH reconnaissent d'ailleurs que cette prévision est généralement surestimée et que la surestimation est même structurelle puisqu'elle peut atteindre jusqu'à 10 % sans entraîner de pénalité. Autrement dit, il est impossible de savoir aujourd'hui si le taux effectif d'écrêtement serait de 25 % ou moins. Le chiffre exact ne serait connu qu'en avril de l'année suivant l'année de livraison, une fois tous les calculs pour l'année 2019 effectués par la CRE sur la base des données fournies par les opérateurs de réseau (article R. 336-28 du code de l'énergie).

181. Cela soulève une difficulté méthodologique car il ne s'agit pas pour le Gouvernement de préparer une future hausse de prix en 2020 mais d'appliquer immédiatement une hausse du prix de l'électricité en 2019. On pourrait donc légitimement s'interroger sur la possibilité de le faire sur la foi d'un calcul provisoire, susceptible d'être révisé plus d'un an après la décision tarifaire.

182. En outre, la difficulté pourrait s'aggraver dans le temps si une nouvelle demande excédentaire apparaissait en novembre 2019 pour l'année 2020. Il faudrait alors décider une seconde augmentation, sur la base d'une seconde prévision, dès le mois de février 2020, alors que le bilan de 2019 ne serait pas encore arrêté.

183. Si ces taux de rationnement devaient être révisés à la baisse, la question de la réparation du préjudice subi par les clients se poserait, un remboursement du trop-perçu aux clients bénéficiant des TRV n'étant pas exclu, de même qu'un remboursement aux clients bénéficiant d'une offre de marché intégrant un prix de l'énergie indexé sur les TRV.

184. Les difficultés pratiques de mise en œuvre sont donc réelles et, avant de s'engager dans la voie du plafonnement de l'ARENH pour les TRV, il serait sans doute opportun de prévoir une méthode inscrite dans un texte pour rectifier les effets d'une erreur éventuelle de prévision qui aurait un impact financier sur les consommateurs.

La rémunération réelle d'EDF serait artificiellement augmentée

185. L'application d'un taux d'écrêtement constaté ex ante soulèverait aussi la question de la rémunération d'EDF qui en résulterait. En effet, dès lors que les TRV seraient construits en intégrant un surcoût fictif, proportionnel à la part d'électricité d'origine nucléaire facturée aux clients au prix du marché, la marge réalisée par EDF sur la vente des TRV s'en trouverait augmentée, au-delà du taux de la " rémunération normale " prévu au sixième alinéa l'article R. 337-19 du code de l'énergie. Ce niveau a été estimé à 3 % par la CRE et son dépassement pourrait être significatif en cas d'écrêtement en 2019.

186. Dans un raisonnement strict de couverture des coûts de l'activité de fourniture des TRV, cette marge pourrait être vue comme un effet d'aubaine résultant d'une mesure administrative. Cette dernière pourrait dès lors apparaître disproportionnée puisqu'elle toucherait indifféremment l'ensemble du stock des clients aux TRV alors que son utilité serait limitée au flux des clients qui souhaiteraient renoncer à cette offre.

187. Cet effet sur le stock de clients reviendrait ainsi à transférer, sans justification économique, vers le fournisseur une partie des bénéfices de l'efficacité du parc électronucléaire, ce qui reviendrait à poursuivre un objectif inverse de celui recherché par la loi à travers le dispositif ARENH et le maintien des TRV pour les particuliers.

188. Enfin, comme cela a été vu précédemment, le calcul de cette sur rémunération pourrait se révéler inexact si le taux d'écrêtement prévisionnel se révèle trop élevé au regard de la réalité des consommations constatées ex post.

189. À titre subsidiaire, on peut ajouter que la hausse des TRV du fait du plafonnement pourrait aussi avoir des effets sur la marge des fournisseurs alternatifs offrant des contrats indexés sur les TRV. En effet, si on admet que les quantités d'ARENH obtenues jusqu'en 2018 ont couvert leurs besoins, un rationnement éventuel apparaîtrait, en 2019, essentiellement pour le flux net de nouveaux clients.

190. Bien que l'Autorité ne dispose pas d'éléments chiffrés pour mesurer l'ampleur de ce phénomène, on peut relever, au plan qualitatif, qu'un fournisseur ayant un stock important de clients à des offres indexées sur les TRV pourrait bénéficier, comme EDF, d'un effet d'aubaine. En effet, la hausse des prix générale toucherait son stock de clients à contrats indexés alors que lui-même ne subirait aucune hausse de ses coûts pour approvisionner ce stock. Cette marge pourrait être utilisée pour proposer des offres plus attractives aux nouveaux clients ou financer des promotions. Cet effet d'aubaine ne profiterait pas à un nouvel entrant ayant un faible stock de clients à contrats indexés ou à un concurrent proposant des offres à prix fixes. Les effets collatéraux indifférenciés de la mesure d'écrêtement pourraient ainsi être à l'origine de distorsions de concurrence.

d) Conclusion sur les articles 18 à 24

191. À certains égards, les articles 18 à 24 du projet de décret anticipent sur une réforme que le législateur pourrait éventuellement adopter et qui consisterait à placer EDF dans une position de demandeur d'ARENH au même titre que ses concurrents.

192. En créant un lien nouveau entre l'ARENH et les TRV, ces articles introduisent une confusion des objectifs et des outils de la régulation. Les effets du rationnement de l'ARENH, prévu par la loi, ne seraient plus supportés par les fournisseurs mais par les clients concernés par ces tarifs, qui subiraient une augmentation de leur facture d'électricité sans rapport avec l'évolution des coûts supportés par EDF.

193. Pour l'ensemble des raisons qui ont été développées ci-dessus, l'Autorité émet les plus extrêmes réserves sur la nécessité d'introduire, même de manière indirecte, dans un décret relatif au dispositif de l'ARENH, des dispositions qui auraient pour effet une hausse additionnelle des TRV et la remise en cause des objectifs de modération et de stabilité des prix qui leur sont assignés par la loi.

194. Si un tel choix était fait, il ne résulterait pas, en toute hypothèse, d'une contrainte imposée par le droit de la concurrence.

C. SUR L'AVENIR DU DISPOSITIF ARENH

195. Bien que les conséquences de l'atteinte du plafond de l'ARENH ne soient pas l'objet de la saisine ministérielle, cette question et celle de l'avenir de ce dispositif ont été au centre des débats. Ceux-ci ont fait apparaître un consensus sur le fait que l'atteinte du plafond de l'ARENH va entraîner une hausse des prix pour un grand nombre de consommateurs.

196. Pour éviter ce phénomène, un déplafonnement bien dimensionné de l'ARENH, simple au plan technique, serait une solution adaptée. Mais elle se heurte à une difficulté de mise en œuvre rapide puisqu'elle passe par un vote du Parlement. Son opportunité pourrait également être questionnée dès lors qu'une réforme d'ensemble plus ambitieuse a été annoncée par le Président de la République.

197. L'Autorité, qui n'a l'occasion de s'exprimer sur l'évolution des marchés de l'électricité que de manière épisodique, en étant le plus souvent consultée sur des points techniques, souhaite saisir l'opportunité qui lui est offerte par ce contexte particulier pour faire quelques observations plus générales sur la régulation du secteur de l'électricité.

a) Le cadre général de réflexion sur l'avenir de l'ARENH

198. L'atteinte du plafond de l'ARENH en 2019 met en évidence les limites de la régulation actuelle, dès lors qu'on ne la considère plus comme transitoire mais comme ayant vocation à devenir permanente.

199. Lorsque le dispositif atteint ses limites, certains des objectifs poursuivis sont moins bien respectés. En l'occurrence, la plupart des opérateurs considèrent que la concurrence sur le marché de détail est un objectif prioritaire. Ils demandent, en conséquence, la pérennisation et le déplafonnement du dispositif ARENH, en considérant que la concurrence sur le marché de détail ne pourra être assurée, au-delà de 2025, que par une régulation plus forte du parc électronucléaire historique.

200. L'avenir du dispositif de l'ARENH ou de tout autre dispositif qui viendrait s'y substituer exige donc une clarification préalable des objectifs qu'on lui assignera et de leur éventuelle hiérarchisation.

201. Dans son intervention du 27 novembre 2018, le Président de la République a réaffirmé la poursuite de l'objectif de maîtrise des prix pour le consommateur en lui donnant même une pérennité qui devrait aller très au-delà de la durée prévue pour le dispositif ARENH : " Le nucléaire nous permet aujourd'hui de bénéficier d'une énergie décarbonée et à bas coût. C'est une réalité, et c'est d'ailleurs pour cela que nous allons engager un travail sur une nouvelle régulation du parc nucléaire existant. Car le dispositif actuel, qui permet aux Français d'avoir les prix de l'électricité parmi les plus bas d'Europe, s'arrête en 2025. Il est pourtant indispensable que les Français puissent en bénéficier au-delà, tant que les réacteurs nucléaires sont toujours en activité. " *35

202. La priorité politique ainsi affirmée est donc de continuer à faire bénéficier les Français de la compétitivité du parc électronucléaire historique. Or, cet objectif ne peut pas être atteint par le marché en dehors des périodes de surcapacités du parc de production et de baisse des prix des combustibles fossiles, entrainant une forte diminution des prix de gros de l'électricité, telles que celles connues en 2016.

203. Ces périodes de prix bas restant encore exceptionnelles, la réalisation de cet objectif dans des conditions pérennes passe soit par une régulation tarifaire sur le marché de détail, soit par une régulation plus large de l'accès à la production nucléaire sur le marché de gros.

204. Sans trancher cette question de manière prématurée, on peut considérer que la clarification des objectifs de la régulation au-delà de 2025 demandera de trouver un bon compromis entre, d'une part, un pilotage des modes de rémunération des producteurs d'électricité pour préserver les incitations à l'investissement tout en remplissant les objectifs de la transition énergétique et, d'autre part, une régulation suffisante du marché de gros pour assurer une concurrence effective sur le marché de détail.

b) Le choix d'une structure cible du secteur électrique

205. Dans son avis de 2010, l'Autorité prenait clairement parti pour un marché oligopolistique intégré : " L'effectivité de la concurrence sur le marché de la fourniture d'électricité implique l'existence aux côtés d'EDF de plusieurs opérateurs intégrés, qui soient également présents dans la production et investissent dans des capacités nouvelles. (…/…). En Grande-Bretagne, la libéralisation du marché s'est organisée différemment en dissociant les différents stades de l'activité entre plusieurs entreprises pour des résultats peu satisfaisants, suivis d'un retour au modèle intégré" *36.

206. Mais, dans son rapport quinquennal publié en 2015 *37, l'Autorité avait constaté que cette perspective s'éloignait et perdait de sa crédibilité au fil du temps car le mécanisme ARENH ne semblait pas en mesure d'inciter les fournisseurs alternatifs à investir dans des moyens de production.

207. Dans son rapport de 2018, la CRE a présenté des conclusions similaires : " le dispositif ARENH n'a généré aucune des incitations à l'amont évoquées dans l'exposé des motifs de la loi NOME. Le constat de 2009 d'absence de concurrence sur le segment de la production (particulièrement de base), à l'origine de la création du dispositif ARENH, demeure valable en 2017 " *38.

208. Selon ces diagnostics convergents, la perspective d'investissements nouveaux dans des moyens en base non nucléaires et faibles émetteurs de carbone est donc très limitée.

209. À cet égard, il faut relever que l'affirmation, souvent émise, selon laquelle la mise en concurrence des concessions hydroélectriques apporterait une solution à cette situation n'est pas convaincante. Les capacités hydroélectriques françaises, qui ont produit 53,6 TWh en 201739, ne constituent un ensemble homogène, ni au regard de leur taille, ni au regard de leurs coûts d'exploitation qui dépendent du cycle des investissements nécessaires à leur maintenance. En outre, elles sont utilisées en large partie en semi-base ou en pointe et même les grands sites fluviaux de production " au fil de l'eau ", comme les barrages sur le Rhin ou sur le Rhône, ne sont pas susceptibles de produire de l'énergie électrique dans les mêmes conditions que le nucléaire, compte tenu de la variabilité des débits en fonction des conditions climatiques et de la saisonnalité.

210. Même en faisant l'hypothèse d'une pleine utilisation de ces moyens de production en base, les capacités au fil de l'eau restent modestes au regard du plafond de l'ARENH, 100 TWh, puisque la production est limitée à environ 8 TWh par an pour le Rhin et entre 12 et 15 TWh par an pour le Rhône.

211. Au surplus, le régime des concessions impose à l'exploitant des contraintes financières spécifiques. À titre d'exemple, la Compagnie nationale du Rhône (CNR), dont l'opérateur industriel n'est plus EDF mais Engie, est soumise au paiement d'une redevance sur son chiffre d'affaires, afin de restituer une partie de la rente hydroélectrique aux collectivités publiques.

212. Ce panorama de l'évolution du secteur depuis 2010 doit toutefois être nuancé sur un point. Le rachat du fournisseur Direct Energie par Total au printemps 2018 a permis d'adosser le principal opérateur alternatif actif sur le marché de masse à un major du secteur pétrolier et gazier, en voie de diversification sur le marché de l'électricité, ce qui pourrait modifier la physionomie des différents marchés de l'énergie.

213. Désormais, les trois principaux acteurs sur le marché de l'électricité de détail, EDF, Engie et Total sont des opérateurs historiques du secteur de l'énergie, intégrés verticalement à l'amont, dont les chiffres d'affaires, les moyens techniques et les capacités d'investissement dans la production sont largement comparables.

214. La constitution d'un marché oligopolistique pérenne n'est donc pas nécessairement hors d'atteinte, d'autant que la Programmation pluriannuelle de l'énergie, qui vient d'être adoptée, a pour objectif de faire baisser la part du nucléaire dans la consommation électrique nationale au profit des énergies renouvelables pour lesquelles Engie et Total ont annoncé des stratégies de développement.

215. Ainsi, la question de la structure de marché cible comprenant plusieurs opérateurs intégrés à l'amont et de la place d'EDF sur ce marché de gros ne peut être considérée comme déjà tranchée. La concertation sur la future réforme devra apporter des réponses sur ce point.

c) La base juridique d'une réforme d'ensemble

216. La réforme de l'ARENH annoncée ne pourra pas se limiter à prolonger de quelques années le dispositif actuel en déplafonnant progressivement les quantités offertes. La France devra trouver une base juridique suffisante pour réguler plus largement un marché qui, en principe, devait être largement libéralisé.

217. La recherche d'une base juridique nouvelle tient au fait que la loi NOME était fortement associée à la décision d'acceptation d'engagements de la Commission européenne, C(2012) 2559 du 12 juin 2012, qui lui donnait une légitimité dans le cadre européen, notamment en mentionnant explicitement le calendrier de suppression des tarifs verts et jaunes à l'origine du contentieux en aides d'État, le plafond de l'ARENH de 100 TWh et la date limite d'application de 2025.

218. Les tarifs bleus pour les particuliers, non concernés par la décision de 2012, ont été jugés conformes aux directives de libéralisation par le Conseil d'État et le quatrième paquet énergie en cours d'adoption par l'Union européenne ne prévoirait pas leur suppression.

219. Ainsi, la réforme future devra dégager des motifs légitimes pour mettre en place une régulation d'ampleur des marchés de gros de l'électricité dont la compatibilité avec les directives en vigueur devrait être vérifiée.

220. À cet égard, on peut relever que la défaillance de marché identifiée par la Commission européenne dans sa décision C(2012) 2559 susvisée, n'a pas été éliminée sur le marché amont de la production et qu'elle pourrait justifier des mesures de régulation adéquates *40.

221. Pour mettre en œuvre cette régulation, il faudrait donc développer une analyse concurrentielle propre à la situation française, ce qui peut se concevoir puisque le secteur de l'électricité n'est pas exempt de régulations, celles-ci étant plus ou moins importantes et prenant des formes diverses en fonction de la situation particulière de chaque État membre.

222. Ce travail pourrait s'appuyer sur l'article 194 du Traité de l'Union, qui dispose que les textes pris pour la mise en œuvre de la politique énergétique européenne " n'affectent pas le droit d'un État membre de déterminer les conditions d'exploitation de ses ressources énergétiques, son choix entre différentes sources d'énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique ".

223. Selon le Traité, la définition du mix électrique et des conditions de son exploitation relève en partie du principe de subsidiarité, chaque État membre disposant d'une large autonomie pour atteindre les objectifs de transition énergétique et de construction du marché intérieur de l'énergie fixés en commun. Dans ces conditions, et au regard des politiques déjà mises en œuvre par certains États membres, la France pourrait probablement soutenir qu'une régulation prolongée de la production électronucléaire en France est nécessaire au maintien de la concurrence sur le marché de détail tout en restant compatible avec les règles de fonctionnement du marché intérieur de l'électricité.

224. À titre d'exemple, cette marge de manœuvre nationale a déjà été exploitée pour mettre en place des mécanismes de capacités qui ont pris des formes relativement variées dans les différents États membres.

225. Dans le même sens, le Royaume-Uni, confronté à un déficit d'investissements dans la production, a structuré sa régulation nationale autour de l'utilisation de contrats de long terme pour le nucléaire et les énergies renouvelables.

226. En dehors de l'Europe, on peut mentionner l'existence de modèles dits " patrimoniaux ", comme celui qui fonctionne depuis plusieurs années au Québec. Cet État, qui dispose de ressources hydroélectriques très importantes, considérées comme des biens nationaux, a mis en place une sorte " d'ARENH de l'hydroélectricité " qui permet que la compétitivité de ces ressources naturelles profitent au consommateur canadien à travers des tarifs patrimoniaux pour une partie de leur consommation.

227. Un dispositif équivalent qui reposerait sur une approche " patrimoniale " du parc nucléaire historique et des sites de production hydroélectrique, ces derniers relevant aussi d'un régime de bien public à travers un système de concessions et de redevances, pourrait être envisagé en France.

CONCLUSION

o L'Autorité émet un avis favorable sur les articles 1 à 17 du projet de décret qui lui est soumis, sous réserve de la surveillance étroite du fonctionnement des guichets par la CRE et souhaite que l'administration évalue la solution alternative proposée.

o Elle émet un avis défavorable sur les articles 18 à 24 du même projet, en tant qu'ils introduisent des dispositions affaiblissant le caractère limité et asymétrique du dispositif de l'ARENH, ce qui pourrait entraîner des modalités inadéquates de fixation des tarifs réglementés de vente de l'électricité.

o Elle souhaite être saisie, sur le fondement de l'article L. 462-2-1 du code de commerce, de tout arrêté ministériel qui adapterait la méthode de calcul d'une ou de plusieurs composantes du coût des tarifs réglementés.

o Enfin, elle souhaite être associée le plus en amont possible aux réflexions qui seront menées par le gouvernement sur l'avenir du mécanisme de l'ARENH et sur la future régulation du secteur de l'électricité.

Délibéré sur le rapport oral de Mme Marie-Aimée Veinberg-Trouvet, rapporteure, et l'intervention de M. Umberto Berkani, rapporteur général adjoint, par M. Thierry Dahan, vice-président et président de séance, Mme Pierrette Pinot et M. Olivier d'Ormesson, membres.

NOTES

1 Ce résumé a un caractère strictement informatif. Seuls font foi les motifs de l'avis numérotés ci-après.

2 CRE, communiqué de presse du 29 novembre 2018, " les demandes d'ARENH pour 2019 ".

3 AFIEG et ANODE, communiqué de presse du 30 novembre 2018 " ARENH : l'AFIEG et l'ANODE

alertent les pouvoirs publics sur les conséquences de l'atteinte du plafond ".

4 Pour rappel, la clause de monotonie prévoit que lorsqu'un fournisseur augmente sa demande d'ARENH entre deux guichets successifs, il ne peut pas la réduire au guichet suivant et, à l'inverse, lorsqu'il diminue sa demande d'ARENH entre deux guichets successifs, il ne peut pas l'augmenter au guichet suivant.

5 CRE, " Rapport d'évaluation du dispositif ARENH entre 2011 et 2017 ", 18 janvier 2018, page 34.

6 La méthodologie suivie est celle proposée par la DGEC dans sa consultation sur le mécanisme de mars 2018.

7 Décision de la Commission C(2012) 2559 du 12.06.2012, point 157.

8 Avis n°10-A-08, du 17 mai 2010, relatif au projet de loi portant nouvelle organisation du marché de

l'électricité, point 186.

9 Courrier du Premier ministre, en date du 15 septembre 2009, à la Commission européenne, page 2.

10 CRE, délibération n° 2018-221 du 25 octobre 2018, page 3.

11 CRE, " Rapport d'évaluation du dispositif ARENH entre 2011 et 2017 ", 18 janvier 2018, page 6.

12 Avis n° 11-A-06 du 15 mars 2011 relatif à un projet de décret fixant les modalités d'accès à l'électricité nucléaire historique, paragraphe 84.

13 Avis n° 10-A-08, précité, points 88 à 92.

14 CE, n° 386076 du 7 janvier 2015, " Association nationale des opérateurs détaillants en énergie " 15 Avis n° 14-A-14 déjà cité, paragraphe 68

16 Arrêt cour d'appel de Paris du 12 octobre 2017, n° 15/14038, TDF, point 310.

17 Arrêt du Tribunal de l'Union du 10 avril 2008, T-271/03, Deutsch Telekom/ Commission, point 192.

18 CRE, délibération n° 2018-221, du 25 octobre 2018, portant avis sur le projet de décret ARENH

19 Une filière de production, prise dans son ensemble, est dite marginale lorsque la dernière unité de

production appelée pour satisfaire la demande appartient à cette filière. En 2017, les centrales nucléaires n'ont été marginales que 11 % de l'année. Pour plus de détail, voir le rapport CRE " Le fonctionnement des marchés de gros de l'électricité et du gaz naturel ", 2017, page 30 et suivantes.

20 Voir arrêt du Tribunal du 10 avril 2008, T-271/03 susvisé, points 85 à 89 ; arrêt du Tribunal du

29 mars 2012, T-336/07, points 328 à 330.

21 Voir arrêt du Tribunal du 10 avril 2008, T-271/03 susvisé pour un exemple d'autonomie suffisante.

22 Il faut rappeler que ces deux décisions, qui concernent la même affaire, ne sont pas des décisions de fond. La première est une décision accordant des mesures conservatoires, la seconde est une décision d'acceptation d'engagements fondée sur des " préoccupations de concurrence ". Elles n'établissent donc aucune infraction.

23 Décision n° 07-D-43, du 10 décembre 2007, relative à des pratiques mise en œuvre, point 102.

24 CRE, Rapport d'évaluation de l'ARENH du 18 janvier 2018, déjà cité, page 44.

25 Avis n° 15-A-18 du 14 décembre 2015 concernant un projet de décret modifiant le décret n° 2009-975 du 12 août 2009 relatif aux tarifs réglementés de vente de l'électricité, paragraphe 14.

26 Avis n° 14-A-14 précité, paragraphe 57.

27 Avis n° 14-A-14 précité, paragraphe 73.

28 Avis n° 14-A-14 précité, paragraphe 65.

29 Par exemple, un client ayant un abonnement en base aura un pourcentage d'ARENH dans sa consommation totale différent d'un client ayant un abonnement heures pleines /heures creuses.

30 Avis n° 09-A-43 du 27 juillet 2009 relatif à un projet de décret concernant les tarifs réglementés de vente de l'électricité, paragraphes 35 et 36.

31 Arrêt du Conseil d'État, N° 418187, 31 décembre 2017, Union nationale des taxis

32 CRE, janvier 2018, " Rapport d'évaluation du dispositif ARENH entre 2011 et 2017 ", page 40.

33 CE, décision du 18 mai 2018, Société Engie et Association nationale des opérateurs détaillants en énergie.

34 CRE, délibération n° 2018-221, du 25 octobre 2018, portant avis sur le projet de décret ARENH, page 2

35 Transcription du discours disponible sur le site de l'Elysée : https://www.elysee.fr/emmanuelmacron/2018/11/28/transition-energetique-changeons-ensemble

36 Avis n° 10-A-08 déjà cité, point 189.

37 Autorité de la concurrence, Rapport d'évaluation du 18 décembre 2015 sur le dispositif d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, paragraphes 32 à 47.

38 CRE, Évaluation du dispositif ARENH entre 2011 et 2017, 18 janvier 2018, page 44.

39 RTE, Bilan électrique 2017 : http://bilan-electrique-2017.rte-france.com/production/le-parc-de-productionnational/#

40 " Compte tenu de la dimension et du caractère non-réplicable des avantages concurrentiels que conférait et confère à cette entreprise l'exploitation de son parc de production électronucléaire, expliqués plus en détail aux considérants (48) à (50), il eût été vain d'espérer que le seul jeu concurrentiel de nouveaux entrants permette de créer les conditions optimales de concurrence dans la prestation de services de fourniture d'électricité. (…/...) L'aide résultant des tarifs objets de la présente procédure peut donc être considérée, dans ce cas spécifique, comme nécessaire pour pallier cette défaillance du marché ", décision de la Commission C(2012) 2559 du 12.06.2012, " Défaillance de marché, nécessité de l'aide ", points 153 à 157.