ADLC, 23 janvier 2019, n° 19-A-02
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Avis
relatif à un projet de règles de séparation comptable de l'EPIC SNCF Mobilités
L'Autorité de la concurrence (section II),
Vu la lettre du 12 novembre 2018, enregistrée le 13 novembre 2018, sous le numéro 18/0174 A, par laquelle l'Autorité de Régulation des Activités Ferroviaires et Routières (ci-après " ARAFER ") a saisi pour avis l'Autorité de la concurrence en application de l'article L. 2133-4 du code des transports ; Vu le Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne (TFUE) ; Vu le livre IV du code de commerce ; Vu le code des transports notamment ses articles L. 2123-1-1, L. 2144-1 et L. 2144-2 ; Vu les autres pièces du dossier ; Les rapporteurs, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et les représentants de l'ARAFER, entendus lors de la séance du 15 janvier 2019 ; Les représentants de l'EPIC SNCF Mobilités entendus lors de la même séance, sur le fondement de l'article L. 463-7 du code de commerce ; Est d'avis de répondre à la demande présentée dans le sens des observations qui suivent :
Résumé *1
L'EPIC SNCF Mobilités est soumis aux obligations de séparation comptable prévues aux articles L. 2123-1-1, L. 2144-1 et L. 2144-2 du code des transports.
En 2017, afin de préciser le cadre juridique applicable aux obligations en matière de séparation comptable, l'ARAFER a utilisé son pouvoir réglementaire supplétif et adopté une décision n° 2017-101, homologuée par la ministre des transports, qui s'applique à l'ensemble des entreprises ferroviaires.
Sur le fondement de l'article L. 2133-4 du code des transports, l'ARAFER a saisi pour avis l'Autorité de la concurrence, par lettre du 12 novembre 2018, du projet de règles de séparation comptable de l'EPIC SNCF Mobilités qui lui a été soumis par ce dernier le 31 octobre 2018.
L'Autorité rappelle dans son avis les enjeux économiques et concurrentiels de la séparation comptable des activités d'un opérateur verticalement intégré qui exerce des activités sous monopole, en parallèle d'activités ouvertes à la concurrence, en particulier dans le secteur de l'énergie mais aussi dans celui du transport ferroviaire. L'objet premier de la séparation comptable est de garantir l'absence de discrimination ou de subventions croisées. La séparation comptable permet également d'éviter les transferts de fonds publics d'une activité à l'autre. Ces enjeux concurrentiels sont d'autant plus forts aujourd'hui dans le contexte de l'ouverture imminente à la concurrence des marchés domestiques des services de transport ferroviaire de voyageurs.
Elle rappelle également que, même s'ils poursuivent des finalités convergentes, les objectifs spécifiques de la séparation comptable réglementaire, d'une part, de l'application du droit de la concurrence, d'autre part, ont pour conséquence que les outils mobilisés, et notamment les coûts, ne seront pas nécessairement strictement identiques. Le coût d'un service déterminé par la comptabilité réglementaire tenue par une entreprise dominante en application des règles sectorielles ne saurait dans ces conditions être l'étalon à l'unique aune duquel doivent nécessairement être appréciées des pratiques tarifaires au regard des règles de droit de la concurrence. Les comptes séparés ne déterminent pas ce que sont les coûts réellement encourus pour construire ces offres non régulées et ne réduisent pas l'autonomie de conduite de l'entreprise concernée. Dans le détail, l'analyse montre que les règles soumises par l'EPIC SNCF Mobilités à l'ARAFER sont globalement conformes, d'une part, aux principes énoncés dans la décision n° 2017-101 de l'ARAFER et, d'autre part, aux objectifs énoncés en matière de concurrence dans le code des transports.
L'Autorité approuve dans ces conditions les règles de séparation comptable soumises par l'EPIC SNCF Mobilités.
Elle appelle toutefois l'attention de l'ARAFER sur certaines règles spécifiques qui sont en revanche susceptibles de soulever des questions de concurrence et fait des recommandations afin d'en limiter les effets potentiels.
Ces recommandations sont listées en conclusion du présent avis.
1. Par lettre du 12 novembre 2018, l'ARAFER a saisi pour avis l'Autorité de la concurrence (ci-après " l'Autorité "), sur le fondement de l'article L. 2133-4 du code des transports, du projet de règles de séparation comptable de l'EPIC SNCF Mobilités (ci-après " SNCF Mobilités ") qui lui a été soumis par ce dernier le 31 octobre 2018.
2. L'article L. 2133-4 du code des transports prévoit que l'ARAFER " approuve, après avis de l'Autorité de la concurrence, les règles de séparation comptable prévue aux articles L. 2122-4, L. 2123-1, L. 2144-1 et L. 2144-2, les règles d'imputation, les périmètres comptables et les principes régissant les relations financières entre les activités comptablement séparées, qui sont proposées par les opérateurs. Elle veille à ce que les règles, périmètres et principes ne permettent aucune discrimination, subvention croisée ou distorsion de concurrence " (soulignement ajouté).
3. Aux termes de l'article L. 2141-1 du code des transports *2 " SNCF Mobilités exploite, directement ou à travers ses filiales, des services de transport ferroviaire et exerce d'autres activités prévues par ses statuts. Elle exploite dans ce cadre, les services de transport ferroviaire de voyageurs sur le réseau ferré national ".
4. SNCF Mobilités est soumis aux obligations de séparation comptable prévues aux articles L. 2123-1-1 (exploitation d'installations de services), L. 2144-1 (transport ferroviaire de marchandises et de personnes) et L. 2144-2 (activités de transport conventionné de personnes) du code des transports.
5. L'article L. 2123-1-1 dispose que " la gestion des gares de voyageurs et l'exploitation des autres installations de service, font l'objet d'une comptabilité séparée de la comptabilité de l'exploitation des services de transport ferroviaire. Aucun fonds public versé à l'une de ces activités ne peut être affecté à l'autre ".
6. L'article L. 2144-1 énonce que " des comptes de profits et pertes et, soit des bilans, soit des bilans financiers annuels décrivant l'actif et le passif, sont tenus et publiés, d'une part, pour les activités relatives à la fourniture des services de transport ferroviaire de fret et, d'autre part, pour les activités relatives à la fourniture des services de transport ferroviaire de personnes. Lorsqu'un groupe d'entreprises publiant une comptabilité consolidée ou une entreprise exploite plusieurs services de transport ferroviaire de fret, la gestion de ces services fait l'objet d'une comptabilité séparée, le cas échéant consolidée au niveau du groupe ".
7. L'article L. 2144-2 prévoit que " les fonds publics reçus par les entreprises ferroviaires au titre des missions de service public de transport ferroviaire de voyageurs qui leur sont confiées ne peuvent être affectés à d'autres activités et doivent figurer dans les comptes correspondants. Les comptes sont établis de manière séparée pour chaque convention donnant lieu à des fonds publics pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2015. Les comptes sont tenus de façon à permettre le suivi de l'interdiction de transférer des fonds publics d'une activité à une autre ".
8. L'article 37 du décret n° 2015-138 du 10 février 2015 relatif aux missions et aux statuts de SNCF Mobilités, pris en application des articles précités du code des transports, dispose quant à lui que : " [ ] SNCF Mobilités établit des comptes séparés de profits et de pertes et des bilans retraçant l'ensemble des éléments d'actif et de passif, sur le périmètre de l'établissement public, en distinguant :
1° Les activités de transport ferroviaire de voyageurs et, en leur sein, chaque activité faisant l'objet d'un contrat de service public ;
2° Les activités de transport ferroviaire de marchandises ;
3° Les activités de gestion des installations de service et, en leur sein, les activités de gestion des gares de voyageurs.
En outre, conformément à l'article L. 2144-1 du code des transports, SNCF Mobilités établit de manière consolidée des comptes de profits et de pertes et des bilans retraçant l'ensemble des éléments d'actif et de passif pour les activités de transport ferroviaire de marchandises exercées par SNCF Mobilités ou par ses filiales ".
9. Outre ce cadre juridique, la présente saisine de l'ARAFER s'inscrit dans un contexte particulier.
10. À plusieurs reprises depuis le 22 décembre 2010 *3 , la SNCF a saisi l'ARAF, devenue ARAFER, de règles de séparation comptable concernant certaines de ses activités.
11. En 2014, notamment, par ses décisions n° 2014-009 du 10 juin 2014 et n° 2014-029 du 11 décembre 2014, l'ARAFER a approuvé respectivement le référentiel de séparation comptable de l'activité de gestion des gares de voyageurs de la SNCF et celui de son activité de gestion d'infrastructure " SNCF Infra ", activité partagée à l'époque entre RFF, gestionnaire d'infrastructure ferroviaire, et la SNCF, gestionnaire délégué qui exécutait pour le compte de RFF la maintenance du réseau ferré national. En revanche, en 2015, elle a refusé d'approuver les règles de séparation comptable pour l'activité de fourniture de services de transport ferroviaire de fret de SNCF Mobilités et a demandé à l'opérateur de lui soumettre de nouvelles règles de séparation comptable conformes aux dispositions de la loi n° 2014-872 du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire qui organisait, entre autres, le transfert de certaines installations de service de SNCF Mobilités vers SNCF Réseau (décision n° 2015-010 du 22 avril 2015).
12. Ce refus était notamment motivé par le fait que :
- le document transmis par la SNCF n'excluait pas les installations de service du champ de la séparation comptable présentée pour cette activité ;
- le référentiel de séparation comptable présenté ne comportait pas de règle propre à garantir l'équilibre financier de l'activité et à prévenir de ce fait le risque de subvention croisée et de distorsion de concurrence ;
- ce référentiel ne comportait pas de règle de rémunération de l'endettement propre à refléter la réalité de la situation financière de l'activité et de ses perspectives économiques.
13. Face aux difficultés rencontrées par les opérateurs dans l'établissement des règles de séparation comptable et en l'absence de précisions dans la loi sur les modalités de mise en œuvre de ces règles, l'ARAFER a adopté le 13 octobre 2015 la décision n° 2015-035 portant adoption des lignes directrices relatives à l'application de l'article L. 2133-4 du code des transports et détaillant, notamment, le format de présentation des règles de séparation comptable.
14. Toutefois, saisie par SNCF Mobilités en décembre 2015 et mai 2016 d'un nouveau projet de règles de séparation comptable, l'ARAFER, dans sa décision n° 2016-220 du 13 décembre 2016 concernant les règles de séparation comptable et d'imputation, les périmètres comptables et les principes régissant les relations financières entre activités comptablement séparées, n'a, une nouvelle fois, pas donné son approbation, dans la mesure où l'opérateur ferroviaire ne s'était pas conformé à plusieurs de ses recommandations, notamment celles relatives aux périmètres de séparation comptable.
15. Saisie de ce même projet, l'Autorité, considérant que la définition des périmètres de séparation comptable ne répondait pas aux obligations du code des transports et, accessoirement, que les documents général et particuliers ainsi que les comptes dissociés manquaient de lisibilité, avait de son côté estimé, dans son avis préalable n° 16-A-23 du 12 décembre 2016, qu'il ne lui apparaissait pas utile, à ce stade, de présenter des observations sur les règles et les comptes présentés par SNCF Mobilités. Elle avait indiqué que de telles analyses pourraient être réalisées ultérieurement sur la base d'une nouvelle saisine pour avis de l'ARAFER.
16. Eu égard à cette situation, l'ARAFER, usant du pouvoir règlementaire supplétif qui lui est reconnu par l'article L. 2132-5-4 du code des transports, a adopté le 27 septembre 2017 la décision n° 2017-101, homologuée par la ministre chargée des transports le 4 décembre 2017, relative aux règles de séparation comptable applicables aux entreprises ferroviaires, par laquelle elle a précisé les périmètres de chacune des activités comptablement séparées, désignées aux articles L. 2123-1-1, L. 2144-1 et L. 2144-2 du code des transports (articles 1 et 2 de la décision), les règles d'imputation comptable qui leur sont appliquées (articles 3 à 14) ainsi que les principes déterminant les relations financières entre les activités comptablement séparées (articles 15 et 16). Des dispositions complémentaires régissent l'élaboration et la modification des règles de séparation comptable (articles 17 et 18), l'élaboration des comptes séparés (articles 19 à 23) et leur audit (articles 24 et 25).
17. C'est dans ce contexte que l'Autorité a été saisie par l'ARAFER le 12 novembre 2018 d'un nouveau projet de règles de séparation comptable élaboré par l'EPIC SNCF Mobilités.
18. L'Autorité rappellera le contexte de la séparation comptable (I) et ses enjeux (II A et B) avant de procéder à l'analyse concurrentielle du référentiel de séparation comptable proposé en l'espèce (II C).
I. Les éléments de contexte de la séparation comptable
19. Le groupe public ferroviaire unifié SNCF s'organise autour de trois EPIC depuis la réforme ferroviaire issue de la loi n° 2014-872 du 4 août 2014 : l'EPIC SNCF, qui prend en charge le pilotage global du groupe, l'EPIC SNCF Réseau, qui gère, exploite et développe le réseau ferré national et l'EPIC SNCF Mobilités, dont les activités principales concernent les services de transport ferroviaire de voyageurs et de marchandises. La situation patrimoniale des gares de voyageurs, propriétés de l'État, en France est particulière puisqu'elles sont affectées à l'EPIC SNCF Mobilités.
20. Le groupe public ferroviaire associe à ses trois EPIC un très grand nombre de filiales. Cette dualité de périmètre EPIC et périmètre filiale est représentée dans chaque branche d'activité du groupe.
21. Depuis le 1er janvier 2015, l'EPIC SNCF Mobilités s'organise autour de cinq branches d'activités dont l'une des principales branches, Voyages SNCF, qui propose des prestations de transport ferroviaire de voyageurs en France et en Europe, regroupe les activités de TGV sur le périmètre de l'EPIC mais aussi les filiales Eurostar, Thalys et Lyria par exemple, majoritairement détenues par le groupe SNCF. De la même manière, la branche SNCF Logistics regroupe Fret SNCF sur le périmètre de l'EPIC mais aussi ses filiales de transport de marchandises (exemple : Naviland Cargo, VFLI).
22. Le schéma suivant retrace l'organisation de l'EPIC SNCF Mobilités :
[SCHEMA]
23. La loi n° 2015-515 du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire prévoit toutefois quelques changements quant à l'organisation du groupe public ferroviaire. Ce dernier sera scindé en trois sociétés anonymes à capitaux publics (correspondant aux 3 EPIC actuels) à partir du 1er janvier 2020. Par ailleurs, Gares & Connexions sera rattachée à SNCF Réseau à la même date.
24. En 2017, le chiffre d'affaires *4 de l'EPIC SNCF Mobilités se répartissait de la façon suivante entre les différents périmètres de séparation comptable prescrits par le code des transports et par l'article 37 du décret n° 2015-138 du 10 février 2015.
[SCHEMA]
II. Analyse concurrentielle
25. À titre liminaire, il importe de préciser la nature et les objectifs de l'examen par l'Autorité des règles de séparation comptable proposées par l'EPIC SNCF Mobilités. Comme indiqué supra, l'article L. 2133-4 du code des transports prévoit que l'ARAFER approuve les règles de séparation comptable proposées par certains opérateurs ferroviaires, transporteurs ou gestionnaires d'infrastructures après avis de l'Autorité de la concurrence.
26. Il résulte par ailleurs de la décision précitée n° 2017-101 du 27 septembre 2017 de l'ARAFER que l'approbation des règles de séparation comptable vise notamment à garantir que ces règles n'entraveront pas la concurrence, en limitant les risques de subventions croisées ou de discrimination tarifaire dans l'accès aux infrastructures ferroviaires (installations de services) et en permettant de suivre l'allocation des subventions accordées. Ces règles, qui permettent d'avoir une vision claire et détaillée des différentes activités d'un opérateur, de leurs composantes et des flux internes, forment un socle indispensable à l'exercice des missions, notamment de tarification, du régulateur.
27. L'Autorité a, parallèlement, déjà eu l'occasion de rappeler que l'existence d'un cadre réglementaire spécifique assurant la régulation d'un secteur ne plaçait pas celui-ci en dehors du champ d'application des règles de droit de la concurrence, ni ne contraignait son analyse lorsque l'entreprise en cause dispose d'une autonomie de conduite *5. La Commission européenne a, également, souligné ce point dans sa décision Telefónica, confortée par la Cour de justice, qui a indiqué que " le fait que le comportement d'une entreprise soit conforme à un cadre réglementaire n'implique pas que ce comportement soit conforme à l'article 102 TFUE " *6.
28. Compte tenu de cette articulation entre régulation sectorielle et droit de la concurrence, le coût d'un service déterminé par la comptabilité réglementaire tenue par une entreprise dominante en application des règles sectorielles ne saurait être l'étalon à l'unique aune duquel doivent nécessairement être appréciées des pratiques tarifaires au regard des règles de droit de la concurrence. Les comptes séparés n'ont ainsi aucunement vocation à fixer l'allocation des coûts d'offres non régulées ou les prix de celles-ci. Ils ne déterminent pas ce que sont les coûts réellement encourus pour construire ces offres non régulées et ne réduisent pas l'autonomie de conduite de l'entreprise concernée *7.
29. Les données résultant de l'application des règles sectorielles pourront néanmoins être retenues par les autorités de concurrence, dès lors qu'il pourra être démontré qu'elles fournissent, en tant que telles ou une fois corrigées, une approximation adéquate de la réalité des coûts subis au sens du droit de la concurrence *8.
30. Il résulte de ce qui précède que, même s'ils poursuivent des finalités convergentes, les objectifs spécifiques de la séparation comptable réglementaire, d'une part, de l'application du droit de la concurrence, d'autre part, ont pour conséquence que les outils mobilisés, et notamment les coûts, ne seront pas nécessairement strictement identiques.
31. Dans ces conditions, l'examen de l'Autorité consistera à rappeler les enjeux concurrentiels de la séparation comptable puis à analyser, dans le cas d'espèce spécifique dans lequel l'ARAFER a fait usage de son pouvoir réglementaire supplétif, si les règles proposées par l'EPIC SNCF Mobilités satisfont les prescriptions énoncées par l'ARAFER ainsi que les principes de concurrence. Elle appellera enfin, le cas échéant, l'attention du régulateur sectoriel sur les points qui mériteront selon elle un approfondissement, des précisions ou des précautions d'interprétation afin de limiter les risques d'entrave à la concurrence.
A. ENJEUX CONCURRENTIELS DE LA SÉPARATION COMPTABLE
32. Le Conseil de la concurrence (ci-après le Conseil), puis l'Autorité, ont déjà à plusieurs reprises explicité les enjeux concurrentiels que recouvre l'exigence de séparation comptable entre certaines activités d'un même opérateur et précisé le contenu opérationnel attendu de cette séparation, que ce soit dans les secteurs du gaz et de l'électricité (voir notamment les avis n° 00-A-29, n° 03-A-16, n° 05-A-19, n° 06-A-12, n° 06-A-15, n° 06-A-23) ou dans le secteur ferroviaire, (avis n° 11-A-16 du 29 septembre 2011 sur la séparation des comptes de l'activité gares de voyageurs au sein de la SNCF et avis n° 14-A-09 du 11 juillet 2014 précité relatif à l'activité infrastructure de la SNCF). Ils ont, à chaque fois, rappelé les enjeux concurrentiels et le contenu concret du principe de la séparation comptable d'une activité en droit de la concurrence.
33. De manière générale, le Conseil, puis l'Autorité ont exprimé leur préférence pour la filialisation de l'activité régulée, et à défaut, pour la mise en place de comptes séparés, à condition que ceux-ci se rapprochent le plus possible de ce que seraient ceux d'une véritable filiale.
34. La nécessité de mettre en place des comptes séparés avait été soulignée par le Conseil dans son avis n° 98-A-05 relatif à l'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité : " Lorsqu'une entreprise détenant une position dominante sur un marché exerce à la fois des activités d'intérêt général et des activités ouvertes à la concurrence, le contrôle du respect des règles de la concurrence nécessite que soit opérée une séparation claire entre ces deux types d'activité, de manière à empêcher que les activités en concurrence ne puissent bénéficier pour leur développement des conditions propres à l'exercice des missions d'intérêt général, au détriment des entreprises opérant sur les mêmes marchés. Les autorités de concurrence considèrent généralement que la séparation des comptes constitue une condition nécessaire à l'exercice du contrôle du respect des règles de la concurrence ".
35. La séparation comptable doit tout d'abord permettre de disposer d'informations comptables objectives, détaillées et attribuables à des activités identifiées, afin de garantir que les prestations liées à ces activités, tant du point de vue de leur financement (principalement les charges supportées pour les produire) que de celui de leur tarification (les produits encaissés auprès des clients), ne soient ni contestables par les opérateurs ferroviaires concurrents et les candidats, ni discriminatoires quel que soit leur utilisateur (interne ou externe).
36. Elle doit ensuite permettre d'empêcher la mise en œuvre de pratiques abusives au sens du droit de la concurrence national et européen.
37. Plus spécifiquement, ainsi que l'a souligné l'Autorité dans son avis n° 13-A-14 du 4 octobre 2013 relatif au projet de loi portant réforme ferroviaire (paragraphes 54 à 57), la séparation comptable doit permettre de vérifier l'absence de subvention croisée abusive. De fait, une subvention croisée, par sa durée, sa pérennité et son importance, peut avoir un effet potentiellement négatif sur la concurrence. En effet la mise à disposition de moyens tirés de l'activité de monopole pour le développement d'activités relevant du champ concurrentiel sans contreparties financières est équivalente à l'octroi de subventions qui peuvent aboutir, à long terme, à éliminer du marché les concurrents ne disposant pas d'avantages analogues.
38. Les points devant faire l'objet d'un examen tout particulier et les critères à respecter au regard de l'objectif de loyauté de la concurrence ont été identifiés par le Conseil dans son avis n° 03-A-16 du 5 septembre 2003, consacré à la séparation comptable des activités des entreprises gazières nationales, et demeurent d'actualité. Il s'agit :
- de la délimitation des périmètres comptables selon des méthodes homogènes, justifiées et pérennes ;
- de l'obtention d'une image fidèle du patrimoine et de la situation financière de chaque périmètre ;
- de l'intérêt attaché à l'affectation des fonds propres et des dettes financières à moyen long terme aux différents périmètres ;
- de l'imputation directe des postes aux différents périmètres chaque fois que possible, avec à défaut, l'emploi de clés de répartition précisément définies et mises en œuvre de manière homogène pour les différents périmètres.
B. ENJEUX CONCURRENTIELS DE LA SÉPARATION COMPTABLE DE L'EPIC SNCF MOBILITÉS
1. OUVERTURE À LA CONCURRENCE DU TRANSPORT FERROVIAIRE DE VOYAGEURS
39. Les entreprises ferroviaires pourront concurrencer les services domestiques de transport ferroviaire de voyageurs de SNCF Mobilités dès décembre 2020. Ces services non conventionnés sont aujourd'hui exploités par SNCF Mobilités quasi-exclusivement à l'aide de trains aptes à la grande vitesse circulant sur des lignes à grande vitesse ou sur des lignes classiques sous les marques TGV, InOui et Ouigo. Il sera possible pour un opérateur alternatif de commander des sillons ferroviaires sur ces lignes auprès du gestionnaire d'infrastructure SNCF Réseau à partir du 1er janvier 2019.
40. L'ouverture à la concurrence des services ferroviaires faisant l'objet d'une convention entre une autorité organisatrice de transport (ci-après " AOT ") - régions, Ile-de-France Mobilités (anciennement " Syndicat des transports d'Ile-de-France " ou " STIF ") ou l'État pour les trains d'équilibre du territoire (" TET ") - et un opérateur, aujourd'hui SNCF Mobilités, s'étalera de manière progressive entre décembre 2019 et décembre 2023. Durant cette période, les AOT disposeront, pour la conclusion de nouveaux contrats de service public de transport ferroviaire, de la liberté de choisir entre la mise en concurrence et l'attribution directe à l'opérateur de leur choix pour une durée maximale de 10 ans. À partir de décembre 2023, l'ouverture à la concurrence sera obligatoire, sauf exceptions en cas de situation géographique particulière ou de complexité du réseau, ce qui pourrait être le cas notamment en Ile-de-France.
41. Plusieurs régions, dont Paca, Grand Est et les Hauts-de-France *9 , ont déjà annoncé leur intention d'ouvrir à la concurrence certaines lignes sur leur réseau TER dès décembre 2019, avant l'obligation légale de 2023. Plusieurs opérateurs privés, publics, français ou étrangers, auraient manifesté leur intérêt, au premier plan desquels Transdev, Arriva (filiale de la Deutsche Bahn) ou encore Thello (filiale de Trenitalia).
42. Dans ce contexte, la séparation comptable des activités à vocation concurrentielle et des activités sous monopole ou régulées de l'EPIC SNCF Mobilités, dont l'objet premier est de garantir l'absence de pratiques abusives au sens du droit de la concurrence national et européen, constitue donc un enjeu très fort de transparence, de régulation et de respect des règles de concurrence pour le développement du marché et pour l'ensemble des parties prenantes du secteur.
2. L'ACCÈS AUX INSTALLATIONS DE SERVICE
43. SNCF Mobilités est à la fois un opérateur de transport ferroviaire et un gestionnaire d'installations de service (gares de voyageurs, stations-services et centres de maintenance).
44. L'accès des entreprises ferroviaires et des candidats à ces installations et aux services qui y sont fournis doit être proposé par les gestionnaires d'installations de services dans des conditions équitables, transparentes et non discriminatoires. La séparation comptable participe au respect de ces conditions. La tarification des prestations régulées dans ces infrastructures, comme par exemple celles des prestations réalisées dans les stations-services liées à la fourniture du gazole ou celles de l'accès aux centres d'entretien et aux gares, ne saurait ainsi empêcher, limiter ou discriminer l'accès de nouveaux entrants à des marchés ouverts à la concurrence ou régulés. L'article 3 du décret n° 2012-70 du 20 janvier 2012 relatif aux installations de service du réseau ferroviaire prévoit d'ailleurs que " Pour la détermination du coût [des prestations régulées] et du tarif des redevances, l'exploitant de l'installation de service tient une comptabilité analytique de l'ensemble des recettes et des charges [ ] ".
3. LES SUBVENTIONS D'EXPLOITATION ET D'INVESTISSEMENT VERSÉES À SNCF MOBILITÉS
45. L'EPIC SNCF Mobilités propose à la fois des services de transport ferroviaire subventionnés (transport ferroviaire régional et trains d'équilibre du territoire) et non subventionnés (transport ferroviaire de fret, transport ferroviaire de voyageurs national et international). Dans ces conditions, et compte tenu de l'absence de séparation juridique de ces deux types d'activité, les règles de la séparation comptable doivent permettre de s'assurer que les fonds publics versés au titre des missions de service public de voyageurs ne bénéficient pas aux activités de fourniture de service de transport non conventionnées.
46. Ce risque de subvention croisée pourrait en effet perturber le développement de la concurrence sur les marchés de transport ferroviaire, par exemple en permettant à l'EPIC SNCF Mobilités de profiter des subventions perçues dans le cadre des conventions signées avec les AOT pour pratiquer des prix bas sur les marchés des services de transport non conventionnés.
47. Il en est de même du risque de subvention croisée entre les activités de gestion des installations de services du groupe SNCF Mobilités, faisant l'objet de nombreux concours financiers publics, notamment pour la rénovation des gares et des installations fixes, et les activités de transporteur ferroviaire.
48. La séparation comptable est donc le moyen permettant de délimiter les différents périmètres des activités, d'auditer les flux financiers entre ces activités et, partant, de s'assurer que les objectifs énoncés par le code des transports d'absence de discrimination et de subventions croisées soient atteints.
C. LE PROJET DE SÉPARATION COMPTABLE ÉTABLI PAR SNCF MOBILITÉS
49. Seront examinées successivement ci-après :
- les règles conformes au référentiel de l'ARAFER et aux objectifs du code des transports en matière de concurrence ;
- les règles dérogeant au référentiel de l'ARAFER mais satisfaisant les objectifs du code des transports en matière de concurrence ;
- les règles susceptibles de soulever des questions de concurrence.
1. LES RÈGLES CONFORMES AU RÉFÉRENTIEL DE L'ARAFER ET AUX OBJECTIFS DU CODE DES TRANSPORTS EN MATIÈRE DE CONCURRENCE
a) Les périmètres de séparation comptable proposés par l'EPIC SNCF Mobilités
50. Les périmètres de séparation comptable proposés par SNCF Mobilités distinguent tout d'abord trois grands blocs, à savoir les activités de gestion des installations de service, les activités de transport ferroviaire de voyageurs et les activités de transport ferroviaire de marchandises *10.
51. Par ailleurs, une distinction est opérée au sein des activités de gestion des installations de service entre, i) d'une part, le périmètre de séparation comptable des activités de gestion des gares de voyageurs et, ii) d'autre part, le périmètre des autres activités de gestion des installations de service dont, notamment, les activités d'exploitation et de distribution du gasoil et les activités de gestion des centres d'entretien.
52. De même, au sein du périmètre des activités de transport ferroviaire de voyageurs, sont distinguées les activités de transport ferroviaire de voyageurs librement organisées (comme les services TGV) et les activités de transport ferroviaire de voyageurs conventionnées pour lesquelles chaque convention établie avec une AOT donne lieu à l'établissement d'un compte séparé (par exemple le service TER Occitanie).
53. Enfin, le document de séparation comptable de SNCF Mobilités prévoit de regrouper les autres activités de SNCF Mobilités non prévues par le code des transports au sein du périmètre isolé " Autres activités ". Celui-ci regroupe i) les fonctions communes support au sein de l'EPIC, qui agrègent notamment les activités transversales de stratégie, de finance, de ressources humaines, de régulation ou de services juridiques, ii) les activités de gestion immobilière et foncière des biens à vocation non ferroviaire de l'EPIC SNCF Mobilités dont la gestion est confiée par contrat de mandat à SNCF Immobilier, direction de l'EPIC SNCF, ainsi que, le cas échéant, iii) toute autre activité que développerait l'EPIC SNCF Mobilités sans lien avec les activités décrites précédemment.
b) Les règles d'imputation proposées par l'EPIC SNCF Mobilités Principes généraux
54. Les règles de séparation comptable soumises à l'ARAFER le 31 octobre 2018 par SNCF Mobilités prévoient que les ressources propres aux différentes missions des activités comptablement séparées soient directement affectées aux différents périmètres de séparation comptable *11.
55. Cette disposition générale, conforme au principe d'imputation directe aux activités et services comptablement séparés énoncé dans la décision n° 2017-101 précitée, réduit de fait la répartition indirecte des éléments d'actif, passif, produit et charge entre les diverses activités comptablement séparées. Elle limite donc les flux financiers internes entre activités et, partant, tend à circonscrire les risques d'entrave au bon développement de la concurrence.
56. Faute de lien d'affectation immédiat en raison d'une utilisation partagée par plusieurs activités de l'entreprise, les éléments d'actif, passif, produit et charge sont imputés dans les comptes de l'activité comptablement séparée utilisatrice à titre principal. L'activité utilisatrice à titre principal refacture, dans ce cas, aux autres activités utilisatrices comptablement séparées les prestations réalisées pour leur compte, conformément aux protocoles régissant les relations financières internes préalablement établies. Par exemple, l'établissement " Traction ", activité transverse au sein de SNCF Mobilités, propose des prestations de conduite des trains et refacture les journées de service des conducteurs aux autres transporteurs ferroviaires de l'EPIC. L'établissement " Matériel " refacture également des prestations de maintenance du matériel roulant aux transporteurs du groupe SNCF.
57. Ces principes sont traduits dans l'" arbre de priorisation " reproduit ci-dessous, qui représente graphiquement les différentes étapes d'allocations des éléments de compte de résultat ou de bilan entre les activités comptablement séparées. Il conduit à distinguer dans un premier temps les activités de gestion d'infrastructure de service des activités de transport ferroviaire. Dans un deuxième temps, l'affectation concerne la nature des infrastructures de service (gares de voyageurs ou autres installations de service) et le segment d'activité des services de transport ferroviaire (transport ferroviaire de voyageurs ou transport ferroviaire de marchandises). En dernier lieu, l'arbre de priorisation distingue les activités conventionnées de transport ferroviaire de voyageurs des activités de transport ferroviaire de voyageurs librement organisées, en subdivisant les premières pour chaque convention de service public.
[SCHEMA]
Source : SNCF Mobilités
Application des principes généraux au bilan
58. L'ensemble des actifs immobilisés, incorporels et corporels, dédiés exclusivement à une activité comptablement séparée, est directement affecté à celle-ci. Les actifs dédiés aux installations de service et les subventions reçues dans le cadre des conventions de service public sont inscrits au bilan de l'activité comptablement séparée de gestion de l'installation de service correspondante *12.
59. Par ailleurs, seuls les besoins en fonds de roulement (BFR) liés à des prestations externes sont imputés au bilan des activités comptablement séparées *13. SNCF Mobilités ne retient pas de délais de règlement et de BFR pour les flux des prestations internes, conformément à l'article 10 de la décision n° 2017-101 de l'ARAFER. En application de ce même article, SNCF Mobilités devra toutefois mentionner et justifier cette particularité dans les annexes des comptes séparés communiqués à l'ARAFER.
60. Les dettes et capitaux propres sont calculés sur la base des comptes de chaque activité comptablement séparée et tiennent compte de leurs besoins spécifiques et de leur niveau de risque intrinsèque. Le niveau de capitalisation des activités est déterminé dans les mêmes conditions qu'une activité indépendante et autonome. L'EPIC SNCF Mobilités précise que le niveau des dettes et des capitaux propres de chaque activité comptablement séparée est déterminé chaque année à l'aide d'une analyse financière réalisée par un établissement d'audit externe *14.
61. Par ailleurs, la révision annuelle des comptes séparés tient compte des écritures comptables de clôture des comptes et, partant, de la remontée d'éventuels dividendes pour chaque activité comptablement séparée *15.
Application des principes généraux au compte de résultat
62. Les charges d'exploitation, les dotations et reprises de provisions liées aux provisions et aux passifs sociaux et les produits et charges financiers correspondent aux imputations des passifs concernés pour chaque activité comptablement séparée. Par ailleurs, les dotations aux amortissements prévues par SNCF Mobilités pour chaque activité dépendent directement des actifs immobilisés propres aux périmètres de chaque activité comptablement séparée. Enfin, les reprises de subventions correspondent aux subventions liées aux actifs immobilisés propres aux périmètres de chaque activité comptablement séparée *16.
63. Les taux de financement tiennent compte de l'endettement, du niveau de risque et de la maturité moyenne de la dette en fonction de la durée de vie des actifs à financer, propres à chaque activité comptablement séparée *17.
64. Enfin, l'impôt sur les sociétés interne et les autres taxes sur le résultat (notamment la Taxe sur le Résultat des Entreprises Ferroviaires) sont calculés pour chaque activité comptablement séparée selon les mêmes dispositions que celles de la loi fiscale en vigueur à la date d'arrêté des comptes *18.
c) Principes régissant les relations financières entre activités comptablement séparées
65. Lorsque les éléments d'actif, passif, produit et charge sont indirectement affectables à une activité comptablement séparée, en particulier en raison de l'utilisation commune de ces éléments par plusieurs activités, les règles de l'EPIC SNCF Mobilités prévoient qu'ils doivent être imputés à l'activité comptablement séparée utilisatrice à titre principal et refacturés ensuite aux autres activités comptablement séparées *19.
66. SNCF Mobilités retient conformément à l'article 15 de la décision n° 2017-101 de l'ARAFER une formalisation centralisée des relations financières entre les différentes activités comptablement séparées, afin de préciser la nature des prestations internes, les activités comptablement séparées vendeuses et acheteuses, les unités d'œuvre retenues (les unités d'œuvre permettent en comptabilité analytique de répartir des charges indirectes en fonction de critères tels que le volume d'heures mobilisées, les journées de service, le volume de chiffre d'affaires, etc.) ainsi que les valorisations des prestations.
d) Conclusion
67. L'ensemble de ces principes généraux de séparation comptable apparaissent à la fois globalement conformes aux objectifs énoncés dans le code des transports en matière de concurrence et aux principes énoncés dans la décision n° 2017-101 de l'ARAFER pour les besoins de l'exercice obligatoire de séparation comptable. Ils devraient, partant, permettre d'éviter toute distorsion de concurrence et favoriser, ainsi, le développement de la concurrence sur les marchés de transport ferroviaire prochainement ouverts à la concurrence.
2. LES RÈGLES DÉROGEANT AU RÉFÉRENTIEL DE L'ARAFER MAIS SATISFAISANT LES OBJECTIFS DU CODE DES TRANSPORTS EN MATIÈRE DE CONCURRENCE
a) Première dérogation au principe de l'affectation à " l'activité utilisatrice à titre principal " concernant l'affectation des actifs subventionnés dédiés aux activités de transport ferroviaire
68. La décision n° 2017-101 de l'ARAFER prévoit en son article 4 que " Les éléments d'actif, de passif, de produit et de charge pour lesquels il existe une relation d'affectation avec la production des activités, services ou produits analysés mais qui ne sont pas rattachés à une seule activité sont imputés à l'activité comptablement séparée utilisatrice à titre principal et donnent lieu à refacturation aux autres activités comptablement séparées selon les principes mentionnés aux articles 15 et 16 de la présente décision ".
69. Le projet de SNCF Mobilités laisse toutefois subsister une exception au principe d'affectation indirecte à l'activité utilisatrice à titre principal pour les éléments non directement affectables dans le cas d'une utilisation partagée d'un actif : l'affectation des actifs subventionnés dédiés aux activités de transport ferroviaire *20.
70. SNCF Mobilités reçoit de nombreuses subventions publiques des régions, du syndicat Ilede-France Mobilités (ancien STIF) et de l'État au titre de l'achat de matériel roulant. SNCF Mobilités prévoit que le matériel roulant subventionné et les subventions perçues soient directement affectés dans les comptes de l'activité concernée par la convention signée initialement avec l'AOT. Cependant, selon SNCF Mobilités, le matériel roulant subventionné et les subventions reçues peuvent être transférés par une activité TER par exemple à une autre activité TER voisine, afin d'optimiser l'utilisation de son parc de matériel roulant en cas de travaux sur les lignes empruntées, cette seconde activité devenant ponctuellement " activité utilisatrice à titre principal ". SNCF Mobilités propose alors de contourner ce principe " d'activité utilisatrice à titre principal " et d'allouer directement ce matériel roulant et les subventions à l'activité ayant fait l'objet du financement et du contrat de service public, et non à l' " activité utilisatrice à titre principal ".
71. D'une manière plus générale, SNCF Mobilités prévoit que les actifs subventionnés dédiés aux activités de transport ferroviaire et les subventions reçues, dans le cadre des conventions de service public, soient affectés non pas à l'activité utilisatrice à titre principal mais à l'activité comptablement séparée de transport ferroviaire de voyageurs ayant fait l'objet du financement par une AOT, et ce quelle que soit l'activité utilisatrice à titre principal de l'actif.
72. Pour justifier son choix en faveur de l'exception retenue en l'espèce, SNCF Mobilités fait valoir qu'il lui permet de respecter l'interdiction posée par l'article L. 2144-2 du code des transports, selon lequel les fonds publics reçus par les entreprises ferroviaires au titre des missions de service public de voyageurs qui leur sont confiées ne peuvent être affectés à d'autres activités et doivent figurer dans les comptes correspondants.
b) Deuxième dérogation aux principes régissant les relations financières entre activités comptablement séparées concernant le calcul du coût comptable des prestations internes non régulées lorsque les installations font l'objet d'un subventionnement public
73. Des prestations internes réalisées par des entités opérationnelles distinctes, au sein du groupe SNCF Mobilités, spécialisées par exemple dans la conduite des trains, le contrôle des trains et l'accompagnement, la location des locomotives et/ou wagons ferroviaires ou encore la maintenance du matériel roulant, donnent lieu à des refacturations entre les différentes activités comptablement séparées.
74. Les principes régissant les relations financières entre activités comptablement séparées proposés par SNCF Mobilités prévoient que, pour les besoins de l'exercice obligatoire de séparation comptable, (i) la valorisation des prestations internes régulées soit égale à la valorisation approuvée par l'ARAFER dans le cadre de l'avis conforme rendu sur la fixation des redevances relatives aux prestations régulées fournies dans les installations de services et (ii) la valorisation des prestations non régulées soit établie en retenant la valeur comptable de la prestation, ce dernier point suscitant des interrogations et nécessitant certaines mises en garde dans la suite du présent avis.
75. SNCF Mobilités envisage toutefois, par dérogation à ce dernier principe, que les subventions d'exploitation et d'investissement ne soient pas incluses dans la valorisation comptable des prestations internes non régulées fournies dans les installations de services *21. Ainsi, les éléments du compte de résultat intégrés dans le coût comptable et mobilisés pour définir le tarif de cession interne sont les charges d'exploitation, les dotations nettes aux amortissements, les provisions et les charges financières.
76. Au surplus, lorsque les actifs dédiés aux installations de service et financés par fonds publics sont affectés au bilan de l'activité comptablement séparée de gestion des installations de service, les subventions perçues dans le cadre des conventions de service public sont intégralement rétrocédées au rythme des reprises de subvention au compte de résultat de l'activité conventionnée de transport ferroviaire concernée par la convention de service public.
77. Cette dérogation, selon SNCF Mobilités, garantit que " l'utilisation des financements reçus est exclusivement réservée à l'usage défini par les financeurs dans les dispositions contractuelles et, d'autre part, l'absence de transferts de financements publics reçus ".
c) Analyse de l'Autorité
78. Les dérogations au référentiel de l'ARAFER exposées ci-avant ne semblent pas contrevenir aux objectifs énoncés par le code des transports en matière de concurrence, et ce pour plusieurs raisons.
Sur l'affectation des actifs subventionnés dédiés aux activités de transport
79. Sans exception au principe général d'affectation à l'activité utilisatrice à titre principal, dans le cas d'une utilisation partagée par deux activités subventionnées du groupe SNCF Mobilités, l'actif subventionné et sa subvention seraient positionnés dans les comptes séparés de l'activité ayant emprunté l'actif (le matériel roulant par exemple) à la première. La réalité contractuelle de l'engagement pris entre la première activité et l'autorité organisatrice de transport n'est donc plus reflétée dans la comptabilité.
80. À l'inverse, l'exception proposée par SNCF Mobilités implique que l'actif (le matériel roulant subventionné par exemple) ne figure plus dans les comptes de l'activité utilisatrice, ce qui fausse la perception de la profitabilité de cette activité.
81. Toutefois, dans la mesure où, comme souligné par SNCF Mobilités, cette exception permet d'éviter les transferts de fonds publics prohibés par l'article L. 2144-2 du code des transports, elle ne paraît pas devoir être remise en question.
Sur la valeur des prestations non régulées
82. Le mécanisme de rétrocession proposé par SNCF Mobilités a pour conséquence d'entraîner des transferts de fonds publics entre les activités de gestion des installations de service recevant la subvention et des activités de fourniture de services de transport ferroviaire de voyageurs. Cependant, ces subventions perçues par SNCF Mobilités pour la rénovation des gares ou des autres installations de service s'inscrivent dans le cadre général des conventions conclues entre les AOT et les transporteurs ferroviaires de voyageurs. Le traitement comptable retenu permet alors de refléter au mieux la réalité des relations contractuelles entre le transporteur ferroviaire et l'AOT, et parallèlement les subventions versées par l'AOT ont toujours pour finalité de supporter une activité de transport ferroviaire de voyageurs.
83. Par ailleurs, ce mécanisme de rétrocession, qui implique que les subventions ne sont finalement pas affectées aux comptes séparés des activités de gestion des installations de service, vient majorer le prix des prestations internes non régulées, limitant ainsi le risque de pratiques tarifaires abusives destinées à évincer les concurrents réels ou potentiels de SNCF Mobilités ou à les discriminer en faveur de ses propres activités.
84. Enfin, si d'une manière générale, le jeu de la concurrence entre opérateurs est susceptible d'être faussé lorsque des fonds publics sont utilisés pour financer des activités soumises à la concurrence, le mécanisme de rétrocession qui accompagne le traitement dérogatoire proposé par SNCF Mobilités permet de garantir que la subvention perçue par SNCF Mobilités ne pourra pas bénéficier à une autre activité que celle pour laquelle elle a été octroyée. En particulier, cette dérogation permet de s'assurer que les fonds publics perçus ne bénéficient pas aux activités de transport ferroviaire de voyageurs librement organisées et de transport de marchandises.
85. Dans ces conditions, cette dérogation ne paraît pas non plus contrevenir aux objectifs énoncés par le code des transports en matière de concurrence. L'Autorité rappelle toutefois à cette occasion l'importance de la description des flux des financements reçus des régions et de l'État dans la comptabilité de SNCF Mobilités et la nécessité pour l'ARAFER de s'assurer que les règles de séparation comptable et les comptes communiqués garantissent un contrôle efficace de ces flux de fonds publics au sein du groupe, permettant de vérifier que les subventions reçues des AOT ne sont utilisées qu'aux seules finalités poursuivies dans les conventions de service public signées.
3. LES RÈGLES DE SÉPARATION COMPTABLE SUSCEPTIBLES DE SOULEVER DES QUESTIONS DE CONCURRENCE
a) Sur le périmètre de séparation comptable de l'activité de transport ferroviaire de fret
Au sein de l'EPIC SNCF Mobilités
86. L'article L. 2144-1 du code des transports prévoit que SNCF Mobilités établit des comptes de résultat et des bilans financiers annuels séparés pour les activités relatives à la fourniture des services de transport ferroviaire de marchandises. La décision n° 2017-101 de l'ARAFER ne prévoit aucune disposition dérogatoire à cet impératif.
87. Pourtant, le périmètre comptablement séparé des activités de transport ferroviaire de marchandises du groupe SNCF Mobilités tel que défini par celui-ci comprend les services de location de matériel roulant (locomotives et wagons ferroviaires) de Fret SNCF *22, alors que ces derniers ne relèvent pas des services de transport ferroviaire de marchandises.
88. Selon l'importance de ces services de location de matériel roulant, l'inclusion de cette activité pourrait soulever des risques de distorsion de la concurrence en faussant la perception des véritables résultats économiques ou financiers des activités de fourniture de services de fret de SNCF Mobilités.
89. Dans son projet, SNCF Mobilités soutient que ces locations " éventuelles " de matériel roulant ferroviaire seraient " marginales " et réalisées dans le cadre de l'optimisation du parc de matériel roulant ferroviaire, sans cependant apporter d'éléments confortant cette affirmation. Il ressort d'informations communiquées par SNCF Mobilités après la séance que la part des locations de matériel roulant comprises dans le périmètre de l'activité de fret représente environ [ ] millions d'euros, soit [ ] % du chiffre d'affaires fret, pour l'année 2017. SNCF Mobilités a en outre précisé en séance que l'activité de location de matériel roulant au sein de l'EPIC SNCF Mobilités était en forte décroissance dans la mesure où Fret SNCF l'externalise petit à petit vers les filiales spécialisées du groupe (principalement vers sa filiale Akiem).
90. Nonobstant ces précisions, qui tendent à relativiser les effets de l'inclusion des activités de location de matériel roulant dans le périmètre comptablement séparé des activités de fret, il convient que l'ARAFER s'assure concrètement, notamment à la suite de la soumission des comptes séparés de SNCF Mobilités, que cette dérogation ne compromet pas une présentation adéquate des résultats, lui permettant d'identifier des distorsions de concurrence telles que des transferts indus entre les activités de l'opérateur ferroviaire pouvant constituer des subventions croisées.
91. L'Autorité note, sur ce point, que pour pallier tout risque de cette nature, l'activité de location de matériel roulant pourrait être incluse dans le périmètre " Autres activités ", au même titre que les activités annexes de Fret SNCF de location de son patrimoine immobilier.
Au sein du groupe SNCF Mobilités
92. Le groupe SNCF Mobilités, qui publie une comptabilité consolidée, exploite dans le cadre du pôle " transport ferroviaire multimodal de marchandises " de SNCF Logistics, plusieurs services de transport ferroviaire de fret au sein de l'EPIC (Fret SNCF) ou via ses filiales (Naviland Cargo, Captrain, VFLI, Lorry Rail).
93. Aux termes de l'article L. 2144-1 du code des transports, la gestion des services de transport ferroviaire de fret doit faire l'objet d'une comptabilité séparée consolidée au niveau du groupe.
94. Or, les règles de séparation comptables soumises à l'ARAFER traitent exclusivement de la séparation comptable de l'activité d'exploitation de services de transport ferroviaire de marchandises exercée au sein de l'EPIC, limitée à l'activité de Fret SNCF.
95. L'ARAFER a admis, lors d'échanges avec les services d'instruction, que l'établissement de ces règles pourra intervenir dans un second temps, une fois que les règles de séparation comptable auront été validées au niveau de l'EPIC et que SNCF Mobilités sera en mesure de produire les comptes de Fret SNCF sur cette base. Il est toutefois recommandé à l'ARAFER de rappeler à SNCF Mobilités la nécessité de se conformer aux dispositions de l'article L. 2144-1 et, partant, de respecter l'obligation de fournir à l'ARAFER les règles d'établissement de ses comptes consolidés transport de marchandises.
b) Sur les protocoles régissant les relations financières entre activités comptablement séparées
Les règles prévues par la décision n° 2017-101
96. Aux termes de l'article 15 des règles de séparation comptable posées par l'ARAFER, les relations financières entre activités comptablement séparées font l'objet de protocoles mentionnant les parties prenantes (activité vendeuse ou acheteuse), leur durée, la nature de la prestation, la valorisation retenue pour la prestation, son mode d'évaluation ainsi que les modalités de contrôle de la réalité de la prestation et de son coût par l'acheteur.
97. Le deuxième alinéa de l'article 15 prévoit que l'opérateur peut retenir " une formalisation centralisée des protocoles " à condition que celle-ci " n'empêche pas l'auditabilité et la traçabilité des relations financières internes avec les comptes séparés de chacune des activités ".
98. L'ARAFER a précisé dans son référentiel *23 les principes généraux d'auditabilité et de traçabilité auxquels doivent satisfaire les règles de séparation comptable.
99. S'agissant de l'auditabilité, les règles et méthodes utilisées dans le cadre de l'établissement de la séparation comptable doivent être suffisamment détaillées et explicites afin que la démarche d'audit puisse être réalisée dans un délai et à des coûts raisonnables.
100. S'agissant de la traçabilité, les règles et méthodes utilisées dans le cadre de l'établissement de la séparation comptable doivent être cohérentes avec celles utilisées dans le cadre de l'établissement de la comptabilité générale (réconciliation des actifs, passifs, produits et charges composant les comptes séparés avec la comptabilité générale pour toutes les activités, qu'elles soient ou non séparées).
101. L'ARAFER prévoit que les documents résultant de la formalisation centralisée des protocoles fassent l'objet d'une validation par une instance de gouvernance de l'opérateur ainsi que d'un audit par un tiers externe qui contrôle ce document et s'assure de sa traçabilité avec les comptes séparés de chacune des activités comptablement séparées (article 24 de la décision de l'ARAFER).
102. Les protocoles doivent être homogènes pour l'ensemble des acheteurs d'un même type de prestation.
Les règles prévues par SNCF Mobilités
103. Les règles d'imputation comptable retenues par l'EPIC SNCF Mobilités prévoient que les actifs, passifs, produits et charges sont imputés aux différents périmètres des activités comptablement séparées *24 selon les règles définies par l'ARAFER dans sa décision n° 2017-101 (articles 3 à 5) :
- Les actifs, passifs, produits et charges affectables directement sont imputés dans les comptes des activités comptablement séparées utilisatrices à titre exclusif ;
- Les éléments d'actif, de passif, de produit et de charge qui ne sont pas rattachés à une seule activité comptablement séparée sont imputables à l'activité comptablement séparée utilisatrice à titre principal en cas d'utilisation partagée (affectation indirecte). L'activité utilisatrice à titre principal est déterminée selon des critères pertinents d'utilisation, la priorité étant d'abord donnée au type d'activité (transport ferroviaire ou gestion d'installations de service), puis au type d'installation de service (gestion des gares ou autres activités de gestion de service) ou de service de transport ferroviaire (voyageurs ou marchandises) et enfin au type de service de transport ferroviaire de voyageurs (conventionnés ou non).
104. Selon la contribution en date de septembre 2014 *25 de la SNCF au SGAE en réponse à la DGMOVE de l'Union européenne, " l'imputation comptable directe des charges et des produits externes ( ) représente près de [ ] % pour les charges et [ ] % des financements publics reçus ".
105. Dans le cas des éléments affectables indirectement, SNCF Mobilités prévoit que l'activité comptablement séparée, utilisatrice à titre principal, refacture dans le cadre de protocoles internes les autres activités comptablement séparées (non utilisatrices à titre principal) au titre des prestations réalisées pour leur compte.
106. SNCF Mobilités a précisé en séance que les flux internes entre activités comptablement séparées atteignaient [ ] milliards d'euros en 2017, pour un chiffre d'affaires total réalisé par l'EPIC de 18,8 milliards d'euros *26 pour la même année, soit près de [ ] fois ce chiffre d'affaires.
Formalisation centralisée des relations financières entre activités comptablement séparées de l'EPIC SNCF Mobilités
107. SNCF Mobilités a retenu " une formalisation centralisée des relations financières entre activités comptablement séparées afin de garantir une auditabilité et une traçabilité tout en maîtrisant les coûts de ce processus compte tenu du nombre important de flux internes ".
108. Selon les règles posées par SNCF Mobilités, le protocole centralisé précise par nature de prestations, les activités comptablement séparées vendeuses et acheteuses, les unités d'œuvres retenues ainsi que la valorisation de la prestation (prix régulé ou coût comptable).
109. Les modalités de contrôle de la réalité de la prestation et de son coût sont homogènes pour toutes les activités comptablement séparées pour un type de prestation donnée.
110. La durée de ces protocoles est d'un an à l'exception des locations immobilières (18 mois).
111. Ils sont validés par le comité d'audit des comptes et des risques de l'entreprise après validation du budget par son conseil d'administration.
112. SNCF Mobilités a précisé que le modèle de formalisation centralisé était en cours d'élaboration dans le cadre du processus budgétaire 2019 et que la définition des protocoles et des flux internes conformes à la décision n° 2017-101 de l'ARAFER ne devrait intervenir que pour l'exercice 2019. " Le modèle centralisé n'est pas disponible et pas circularisé " à la date du 12 décembre 2018.
Observations de l'Autorité sur la conformité aux règles de l'ARAFER de la formalisation centralisée des relations financières
113. Les règles posées par l'ARAFER ne prévoient pas d'intégrer ces protocoles aux règles de séparation comptable applicables aux entreprises ferroviaires.
114. Par ailleurs, ni les protocoles régissant les relations financières internes entre activités comptablement séparées ni les modalités de mise en œuvre de la formalisation centralisée ne figurent actuellement parmi les règles de SNCF Mobilités. Il n'est donc pas possible à ce stade d'apprécier dans quelle mesure ils pourront remplir leur objectif de traçabilité et d'auditabilité.
Rappel des enjeux concurrentiels des protocoles régissant les relations financières entre activités comptablement séparées
115. Il est rappelé que le respect de l'obligation de non-discrimination ou de l'absence de distorsion de concurrence suppose que les opérateurs soient placés dans une situation comparable à celle d'entités indépendantes. C'est dans ce cadre que les relations financières entre les activités comptablement séparées doivent être formalisées à travers des protocoles de cession interne, qui présentent des enjeux concurrentiels à plusieurs titres.
116. Ils permettent d'abord de vérifier le respect de l'obligation de non-discrimination en comparant les conditions d'approvisionnement interne et externe.
117. Les protocoles de cession interne permettent ensuite de vérifier l'absence de transferts indus, pouvant constituer des subventions croisées, entre les activités de l'opérateur ferroviaire.
118. Les protocoles peuvent enfin être déterminants pour évaluer la profitabilité des différentes activités.
Conditions d'auditabilité et de traçabilité des relations financières entre activités comptablement séparées dans le cadre de la formalisation centralisée des protocoles de cession interne
119. Comme indiqué supra (cf. § 106) l'EPIC SNCF Mobilités a retenu une formalisation centralisée afin, selon lui, de garantir l'auditabilité et la traçabilité des relations financières entre activités comptablement séparées.
120. Or, l'article 15 de la décision n° 2017-101 précise expressément que la formalisation centralisée ne doit pas empêcher l'auditabilité et la traçabilité des relations financières internes avec les comptes séparés de chacune des activités.
121. Il ressort de cette règle posée par l'ARAFER que la formalisation centralisée ne saurait, contrairement à ce que laisse supposer le paragraphe 4.1 des règles de séparation de l'EPIC, constituer une garantie d'auditabilité et de traçabilité des relations financières entre activités comptablement séparées. De fait, la formalisation centralisée, qui induit des regroupements, paraît davantage porteuse de risque d'opacité que des protocoles individuels de cession interne.
122. Dans ces conditions, il peut être recommandé que les règles soumises par SNCF Mobilités concernant la formalisation centralisée des protocoles précisent les garanties apportées pour favoriser l'auditabilité et la traçabilité des relations financières internes avec les comptes séparés de chacune des activités, exigence qui s'impose d'autant plus que SNCF Mobilités soutient que la formalisation centralisée des protocoles de cession favoriserait l'auditabilité et la traçabilité des relations internes.
Validation et audit de la formalisation centralisée des protocoles
123. Les règles de séparation comptable de l'EPIC SNCF Mobilités prévoient une validation des protocoles par le comité d'audit des comptes et des risques de l'entreprise après validation du budget par son conseil d'administration.
124. Le décret n° 2015-138 du 10 février 2015 relatif aux missions et aux statuts de SNCF Mobilités ne fait toutefois pas mention du comité d'audit comme instance de gouvernance de l'EPIC *27.
125. Or le référentiel de l'ARAFER prévoit que les documents résultant de la formalisation centralisée des protocoles feront l'objet d'une validation par une instance de gouvernance de l'opérateur (article 15) et d'un audit par un tiers externe qui s'assurera de leur traçabilité avec les comptes séparés de chacune des activités comptablement séparées (article 24).
126. Il conviendra par conséquent que SNCF Mobilités désigne l'instance de gouvernance, distincte du comité d'audit, qui validera les documents résultant de la formalisation centralisée et non les seuls protocoles, comme cela figure dans les règles soumises à approbation. Le conseil d'administration pourrait être cette instance.
127. La mention de l'audit par un tiers externe des documents résultant de la formalisation centralisée des protocoles devra également figurer dans les règles de séparation comptable. Homogénéité des protocoles pour l'ensemble des acheteurs à prestation identique
128. Les règles posées par SNCF Mobilités prévoient l'homogénéité des modalités de contrôle de la réalité de la prestation et de son coût pour toutes les activités comptablement séparées pour une nature de prestation donnée.
129. Or les règles de l'ARAFER régissant les relations entre activités comptablement séparées prévoient, d'une part l'homogénéité des protocoles pour l'ensemble des acheteurs à prestation identique (dernier alinéa de l'article 15) et d'autre part la mention par les protocoles des modalités de contrôle de la réalité de la prestation et de son coût par l'acheteur (1er alinéa de l'article 15).
130. Dans la mesure où d'une part la règle d'homogénéité posée par SNCF Mobilités en limite le champ aux seules modalités de contrôle par l'acheteur de la réalité et du coût de la prestation et où, d'autre part la règle d'homogénéité vise explicitement les protocoles, il pourrait être opportun de faire préciser par SNCF Mobilités que l'homogénéité des protocoles doit concerner l'ensemble des acheteurs d'un même type de prestation.
131. Par ailleurs, les règles de séparation posées par l'EPIC devraient préciser que les protocoles doivent mentionner les modalités de contrôle par l'acheteur de la réalité de la prestation et de son coût.
c) Sur l'affectation des coûts non directement imputables et la définition des clés de répartition
132. Dans le cas d'une utilisation mutualisée d'un actif, la méthode générale de refacturation des prestations internes décrite dans le document de SNCF Mobilités prévoit que cette dernière définit des " critères pertinents d'utilisation " (les exemples mentionnés sont le temps de main-d'œuvre, la surface utile occupée et les recettes voyageurs comptabilisées), en fonction de l'actif et du passif ou de la nature des produits et charges, afin de déterminer les activités utilisatrices à titre principal et, partant, un schéma de priorisation et d'affectation " permettant de refléter au mieux l'utilisation réelle des activités comptablement séparées ".
133. Par ailleurs, l'EPIC SNCF Mobilités précise que les éléments d'actif, passif, produit et charge non affectables directement ou indirectement, comme par exemple les frais de structure, sont attribués au compte séparé des " Autres activités ". SNCF Mobilités souligne que ces éléments sont ensuite répartis entre les activités comptablement séparées " selon des clés de répartition équitables et non discriminatoires, tenant compte de la nature des produits et charges concernées afin de les répartir au plus près de l'utilisation réelle des activités ". L'EPIC SNCF Mobilités précise que ces clés seront fixées de manière stable et pérenne et modifiées uniquement sur la base d'études documentées et fiables.
134. Enfin, SNCF Mobilités prévoit une autre exception aux principes d'affectation pour certains passifs sociaux non affectables directement (car concernant des engagements relatifs à du personnel désormais retraité ou des ayants droit dont l'historique disponible ne permet pas d'affectation), qui sont de ce fait alloués entre les différentes activités comptablement séparées selon une clé de répartition " en adéquation avec ces engagements ".
135. L'Autorité relève que ces critères et ces différentes clés de répartition, pourtant déterminants du point de vue de l'analyse concurrentielle, ne sont pas définis par SNCF Mobilités dans ses règles de séparation comptable.
136. Or, en l'absence de définition suffisamment précise des clés de répartition, le risque est que les tarifs de certaines de ces prestations facturées aux concurrents de SNCF Mobilités soient supérieurs aux tarifs internes que SNCF Mobilités s'applique à elle-même.
137. De plus, une mauvaise allocation des charges non affectables directement ou indirectement pourrait également être le support de subventions croisées et, dans tous les cas, fausser la présentation des résultats économiques ou financiers de chaque activité séparée. Le risque de subvention croisée existant entre les activités d'entreprise ferroviaire et de gestion des installations de services et entre les activités subventionnées et les activités non subventionnées du groupe SNCF Mobilités peut être la source d'une perturbation durable du développement de la concurrence dans le secteur du transport ferroviaire de voyageurs ou de marchandise.
138. Une telle orientation de ressources publiques pourrait ainsi créer de graves distorsions de concurrence en faveur d'une entreprise ferroviaire qui profiterait d'un avantage concurrentiel artificiel qui ne serait pas fondé sur ses propres mérites, par exemple en adaptant indument sa politique commerciale pour proposer des prix artificiellement bas, que sa structure de coûts en services de transport ne pourrait normalement pas lui permettre.
139. En séance, l'ARAFER a toutefois indiqué qu'il lui paraissait difficile, voire impossible, au stade de la fixation des règles de séparation comptable, d'aller au-delà de l'énoncé des principes généraux applicables aux clés de répartition (pérennité, stabilité, homogénéité) en déterminant a priori des clés de répartition suffisamment précises. Elle a en revanche affirmé qu'elle serait en mesure d'affiner la définition de ces clés à la suite de l'examen par ses soins des comptes séparés résultant d'une première mise en œuvre de règles de séparation comptable et de leur audit par un tiers (articles 24 et 25 du référentiel).
140. L'Autorité, consciente des difficultés évoquées par l'ARAFER, mais également soucieuse de prévenir les risques concurrentiels évoqués ci-avant, prend acte de la position exprimée par l'ARAFER et recommande, par conséquent, que les clés de répartition ressortissant à la mise en œuvre des comptes séparés puissent être définies de façon plus précise après leur examen par le régulateur et par un tiers auditeur, à l'aune des principes énoncés de stabilité, de pérennité et d'homogénéité.
d) Sur la valorisation des prestations internes non régulées au coût comptable
141. L'article 16 des règles de séparation comptable adoptées par l'ARAFER dans la décision n° 2017-101 distingue, s'agissant du mode de valorisation applicable aux relations financières entre activités comptablement séparées, les prestations internes selon qu'elles sont régulées ou non régulées :
- La valorisation des prestations régulées est effectuée au tarif de l'horaire de service concerné tel qu'approuvé par l'ARAFER dans le cadre de l'avis conforme rendu sur la fixation des redevances concernées (articles L. 2133-5 et L. 2251-1-1 du code des transports) ;
- La valorisation des prestations non régulées est en principe établie en retenant la valeur comptable de la prestation. Le coût comptable comprend les charges d'exploitation concourant à la prestation, les dotations nettes aux amortissements ainsi que les provisions et charges financières. L'évaluation du coût comptable n'intègre pas les subventions tant d'investissement que d'exploitation, en minoration des prestations internes non régulées.
142. Les règles de séparation comptable présentées par SNCF Mobilités suivent les dispositions de la décision n° 2017-101 pour établir la valorisation des prestations internes et prennent en compte la distinction entre prestations régulées et non régulées, et ce que l'activité séparée pour le compte de laquelle la prestation est réalisée soit régulée ou non.
143. Sur ce point, il convient tout d'abord de relever que le périmètre d'application de ces dispositions n'est pas, en l'état, stabilisé.
144. En premier lieu, si un consensus s'est dégagé sur le fait, d'une part, que les prestations régulées incluaient les prestations en gare et les prestations d'approvisionnement en gazole et, d'autre part, que les prestations non régulées comprenaient les prestations de location effectuées par SNCF Gares & Connexions dans le cadre de la gestion et de la valorisation du patrimoine Gares ainsi que l'immobilier de bureau, l'instruction et la séance ont en revanche mis en évidence une divergence d'appréciation entre l'ARAFER et SNCF Mobilités concernant les activités de maintenance. Celles-ci sont en effet classifiées de 1 à 5 : les matériels en exploitation relèvent des niveaux 1 à 3, tandis que les matériels retirés de la circulation pour des durées plus longues (maintenance industrielle) relèvent des niveaux 4 et 5. Or, selon SNCF Mobilités, seuls les niveaux 1 à 3 seraient régulés, les niveaux 4 et 5, dont le chiffre d'affaires représente un peu plus de [ ] millions d'euros en 2017 *28, ne l'étant pas. Selon l'ARAFER, les prestations de niveaux 4 et 5 seraient également régulées, à l'exception de celles concernant les TGV.
145. En second lieu, les prestations de location de SNCF Gares & Connexions seront à partir de l'exercice 2020 exercées dans une filiale distincte de SNCF Mobilités au sein du groupe public ferroviaire et ne constitueront donc plus des prestations internes.
146. Par ailleurs, si les dispositions présentées par SNCF Mobilités en matière de valorisation des prestations internes non régulées satisfont les règles de séparation comptable posées par l'ARAFER, la question se pose de savoir si le choix d'une valorisation au coût comptable peut être à l'origine de distorsions de concurrence.
147. De telles distorsions peuvent, schématiquement, être de deux ordres, selon que les prestations internes non régulées seraient facturées au-delà ou en deçà d'un montant reflétant la réalité des conditions économiques.
148. Dans le premier cas, elles pourraient engendrer des transferts injustifiés de ressources et amplifier artificiellement les recettes de l'une des activités, laquelle pourrait ensuite utiliser ce gain à son profit ou le redistribuer vers d'autres activités ouvertes à la concurrence. Il est alors important, dans cette hypothèse, de garantir que les prestations internes ne permettent pas que soient pratiqués des transferts de ressources au-delà de ce qui est raisonnablement nécessaire pour rémunérer les activités qui fournissent ces prestations *29.
149. Dans le second cas, les prestations pourraient être facturées en interne à un niveau inférieur à celui subi par les tiers sur le marché, ce qui créerait un avantage concurrentiel indépendant de tout mérite.
150. Dans ces conditions, la manière la plus satisfaisante pour s'assurer que la valorisation des prestations internes non régulées respecte les objectifs de non-discrimination et prévienne le risque de subventions croisées serait, en théorie, de l'établir sur la base des prix que pratiqueraient pour des transactions identiques des entités indépendantes sur un marché concurrentiel, lorsque la comparaison est faisable.
151. Cependant, l'ARAFER et SNCF Mobilités justifient le choix de retenir une valorisation au coût comptable par le fait que cette méthodologie serait plus fiable et plus facilement contrôlable que celle visant à identifier un prix de marché. A cet égard, elles indiquent notamment que la valorisation au coût comptable permettra de compléter les comptes séparés en les faisant coïncider avec la comptabilité de l'EPIC, ce que ne permettrait pas une valorisation au prix de marché.
152. De telles justifications se comprennent dans un contexte où, jusqu'ici, aucun outil permettant d'avoir une vision complète et stable des activités au sein de SNCF Mobilités n'existait. Or, les principes de séparation comptable proposés par la SNCF permettront désormais d'avoir une base de travail saine, présentant de manière uniformisée les comptes des différentes activités ainsi que l'imputation des produits et charges et les flux entre ces activités. Sur la base de cette représentation comptable, le régulateur pourra remplir ses missions, approfondir sa connaissance du fonctionnement de SNCF Mobilités et, si besoin, préciser dans le futur les règles de séparation comptable afin de les rendre plus pertinentes. Le choix retenu pour la mise en place initiale de la séparation comptable paraît donc raisonnable.
153. L'Autorité de la concurrence souhaite néanmoins effectuer les deux remarques suivantes.
154. Premièrement, le dispositif ne remplira ses objectifs que si le choix fait ne conduit pas à ce que les valeurs utilisées dans les comptes séparés soient déconnectées de la réalité. La finalité de la représentation comptable des activités est en effet précisément d'offrir un instrument d'observation représentatif aidant à prévenir d'éventuelles subventions croisées entre les activités ou discriminations vis-à-vis des tiers.
155. Lorsque les premiers comptes annuels seront déposés, il est donc nécessaire que l'ARAFER essaye d'évaluer, au moins globalement ou qualitativement, l'existence d'un écart entre les valeurs issues d'un coût comptable et celles auxquelles auraient abouti la détermination d'un coût économique.
156. Ceci permettrait notamment d'apprécier si le recours à l'approximation que constitue le coût comptable, compréhensible pour les raisons indiquées aux paragraphes 151 et 154 et pour les besoins de l'exercice de séparation comptable, a des conséquences d'un point de vue concurrentiel. Une telle analyse est en effet délicate à mener en l'état, dès lors, d'une part, que le périmètre des prestations internes non régulées concernées est, comme indiqué aux paragraphes 143 à 145, encore incertain et, d'autre part, que la discussion ne porte à ce stade que sur des principes, sans clés de répartition et sans données concrètes. Dans ces conditions, il n'est pas possible de se faire une idée de l'étendue des prestations internes concernées, ni du sens (à la hausse ou à la baisse) ou du niveau des écarts qu'une valorisation au coût comptable pourrait générer.
157. Deuxièmement, pour les raisons indiquées aux paragraphes 27 à 30, il convient de rappeler que la valorisation au coût comptable telle qu'elle résulte des comptes séparés proposés ne contraint pas SNCF Mobilités dans la détermination des prix réellement pratiqués. SNCF Mobilités ne pourra l'utiliser pour arguer de la licéité de son comportement en matière tarifaire que s'il est démontré que le coût comptable constitue au cas d'espèce une approximation adéquate de la réalité des coûts subis au sens du droit de la concurrence.
e) Sur le mécanisme de régularisation des données budgétaires
158. Aux termes de l'article 16 des règles de séparation comptable adoptées par l'ARAFER dans sa décision n° 2017-101, la valorisation retenue pour les prestations dans le cadre des protocoles de cession interne est basée sur les comptes définitifs des opérateurs.
159. Or, la valorisation retenue pour les prestations internes non régulées consiste à prendre en compte des coûts prévisionnels non réellement constatés ressortissant aux bases budgétaires pour évaluer les différentes composantes de l'assiette des charges (coûts directs des ressources nécessaires à la réalisation des prestations, quote-part des frais financiers et des frais de structure).
160. Le prix de la prestation interne non régulée est calculé en rapportant l'assiette des charges à une " unité d'œuvre pertinente " (journée de service, heure d'accompagnement ).
161. Un rapprochement de ces valorisations budgétaires avec les éléments issus des comptes définitifs de l'opérateur est réalisé après la clôture de l'exercice. En cas d'impact significatif des écarts constatés entre les données budgétaires et le réalisé, un ajustement est effectué dans les comptes des activités séparées comptablement.
162. Les seuils de matérialité déclenchant les ajustements entre le prévisionnel et le réalisé sont, pour une activité comptablement séparée, une variation supérieure à respectivement 5 % et 1 % pour les indicateurs que sont la marge opérationnelle (fonds propres) et les capitaux employés (endettement financier net).
163. Dans la mesure où l'article 16 de la décision n° 2017-101 prévoit que la valorisation retenue pour les prestations dans le cadre des protocoles de cession interne est basée sur les comptes définitifs des opérateurs, il ne semble pas justifié que l'ajustement final soit conditionné à un seuil de matérialité. Il est donc recommandé que les écarts constatés entre le réalisé et le prévisionnel ressortissant à la base budgétaire soient intégralement pris en compte afin de garantir la conformité de la valorisation des prestations internes non régulées aux données réelles des comptes définitifs.
D. CONCLUSION GÉNÉRALE
164. L'Autorité de la concurrence approuve les règles de séparation comptable soumises à l'ARAFER par l'EPIC SNCF Mobilités.
165. Toutefois, elle appelle l'attention de l'Autorité saisissante sur certaines règles de séparation comptables qui sont susceptibles de soulever des questions de concurrence et fait les recommandations suivantes afin d'en limiter les effets potentiels :
Sur le périmètre de l'activité de transport ferroviaire de fret
Recommandation n° 1 : s'assurer concrètement, lors de la soumission des comptes séparés notamment, que l'inclusion de l'activité de location de matériel roulant dans le périmètre comptablement séparé des activités de fret ferroviaire, ne compromet pas une présentation adéquate des résultats lui permettant d'identifier des distorsions de concurrence.
Une alternative permettant de pallier tout risque de cette nature pourrait être d'inclure dans le périmètre des " Autres activités ", au même titre que les activités annexes de Fret SNCF de location de son patrimoine immobilier, l'activité de location de matériel roulant. Recommandation n° 2 : rappeler à l'EPIC SNCF Mobilités la nécessité de se conformer aux dispositions de l'article L. 2144-1 et, partant, de respecter l'obligation de fournir à l'ARAFER les règles d'établissement de ses comptes consolidés de transport de marchandises.
Sur les règles d'imputation des éléments comptables non affectables
Recommandation n° 3 : les clés de répartition ressortissant à la mise en œuvre des comptes séparés doivent être définies de façon plus précise après leur examen par le régulateur et par un tiers auditeur, à l'aune des principes énoncés, de stabilité, de pérennité et d'homogénéité.
Sur les protocoles régissant les relations financières entre activités comptablement séparées
Sur la formalisation centralisée des protocoles
Recommandation n° 4 : les règles soumises par SNCF Mobilités concernant la formalisation centralisée des protocoles devront préciser les garanties apportées pour favoriser l'auditabilité et la traçabilité des relations financières internes avec les comptes séparés de chacune des activités, exigence qui s'impose d'autant plus que SNCF Mobilités soutient que la formalisation centralisée des protocoles de cession favoriserait l'auditabilité et la traçabilité des relations internes.
Recommandation n° 5 : SNCF Mobilités désigne l'instance de gouvernance, distincte du comité d'audit, qui validera les documents résultant de la formalisation centralisée et non les seuls protocoles, comme cela figure dans les règles soumises à approbation. Le conseil d'administration pourrait être cette instance.
Recommandation n° 6 : mention dans les règles de séparation comptable de l'audit par un tiers externe des documents résultant de la formalisation centralisée des protocoles.
Recommandation n° 7 : faire préciser par SNCF Mobilités que l'homogénéité des protocoles doit concerner l'ensemble des acheteurs d'un même type de prestation et que les protocoles doivent mentionner les modalités de contrôle par l'acheteur de la réalité de la prestation et de son coût.
Sur la valorisation au coût comptable des prestations non régulées
Recommandation n° 8 : lorsque les premiers comptes annuels seront déposés, il est nécessaire que l'ARAFER essaye d'évaluer, au moins globalement ou qualitativement, l'existence d'un écart entre les valeurs issues d'un coût comptable et celles auxquelles aurait abouti la détermination d'un coût économique pour la valorisation des prestations internes non régulées.
Sur le mécanisme de régularisation
Recommandation n° 9 : s'agissant du mécanisme de régularisation des données budgétaires utilisées pour la détermination du coût comptable, il est recommandé que les écarts constatés entre le réalisé et le prévisionnel ressortissant à la base budgétaire soient intégralement pris en compte afin de garantir la conformité de la valorisation des prestations internes non régulées aux données réelles des comptes définitifs.
Délibéré sur le rapport oral de M. Nicolas Lluch et M. Gilles Vaury, rapporteurs et l'intervention de M. Umberto Berkani, rapporteur général adjoint, par Mme Fabienne Siredey-Garnier, vice-présidente, présidente de séance et par Mme Chantal Chomel, M. Noël Diricq et M. Olivier d'Ormesson, membres.
NOTES
1 Ce résumé a un caractère strictement informatif. Seuls font foi les motifs de l'avis numérotés ci-après.
2 Version à venir au 1er janvier 2020, telle que prévue par la loi n° 2018-515 du 27 juin 2018.
3 Saisine de la SNCF du 22 décembre 2010 d'une demande d'approbation des règles relatives à la tenue d'une comptabilité séparée pour son activité de gestion des " gares de voyageurs ".
4 Sources : comptes annuels 2017 de l'EPIC SNCF Mobilités (normes françaises) approuvées par le conseil d'administration de SNCF Mobilités du 23 février 2018.
5 Voir, par exemple, avis n° 04-A-17 du 14 octobre 2004 relatif à une demande d'avis présentée par l'Autorité de Régulation des Télécommunications, paragraphe 8 ; décision n° 04-D-48 du 14 octobre 2004 relative à des pratiques mises en œuvre par France Télécom, SFR Cegetel et Bouygues Télécom, paragraphes 200 et 201 ; décision n° 07-D-43 du 10 décembre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre par Électricité de France, paragraphes 122 à 131.
6 Arrêt du 10 juillet 2014, Telefónica SA/Com., aff. C-295/12 P, ECLI:EU:C:2014:2062, paragraphe 133.
7 Voir décision n° 16-MC-01 du 2 mai 2016 relative une demande de mesures conservatoires présentée par la société Direct Energie dans le secteur de l'énergie, paragraphes 151 à 166.
8 Voir décision n° 17-D-26 du 21 décembre 2017 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la collecte et de la valorisation de déchets banals d'entreprises, paragraphes 118 et 119.
9 La région Paca est la première à avoir lancé un appel à manifestation d'intérêt pour trois lignes en 2018 (Marseille-Toulon-Nice-Monaco-Vintimille, Marseille-Briançon et Nice-Breil-Tende) auquel une dizaine d'opérateurs auraient répondu favorablement. Ces opérateurs seraient selon la revue spécialisée Ville, Rail & Transports Arriva, Keolis (SNCF), MTR de Honkong, RATP Dev (RATP), la Régie départementale des Bouches-du-Rhône, Thello et Transdev (Caisse des dépôts et Veolia). Le Grand Est a prévu dans sa convention 2017-2024 la mise en concurrence d'au moins 10 % du réseau d'ici la fin de l'année 2020. Les Hauts-de-France comptent diviser leur réseau TER en six lots pour en soumettre certains à des appels d'offres (" 10 à 25 % du réseau " affirme Xavier Bertrand, président des Hauts-de-France).
10 Voir en page 5 du Document de séparation comptable de l'EPIC SNCF Mobilités du 31 novembre 2018.
11 Voir en page 6 du Document de séparation comptable.
12 Voir en page 9 du Document de séparation comptable.
13 Voir en page 9 du Document de séparation comptable.
14 Voir en pages 11-12 du Document de séparation comptable.
15 Voir en page 12 du Document de séparation comptable.
16 Voir en page 13 du Document de séparation comptable.
17 Voir en page 15 du Document de séparation comptable.
18 Voir en page 16 du Document de séparation comptable.
19 Voir en pages 18-19 du Document de séparation comptable.
20 Voir au 3e paragraphe en page 9 du Document de séparation comptable.
21 Voir en page 19 du Document de séparation comptable.
22 Voir en page 6 du Document de séparation comptable.
23 Considérant 19 de la décision n° 2017-101.
24 Cf. page 5 des règles soumises à approbation.
25 Réponse à la DGMOVE mise à jour du fait de la réforme ferroviaire mise en œuvre au 1er juillet 2015.
26 Avant éliminations.
27 Cf. Titre II du décret.
28 Sources : SNCF Mobilités (information communiquée le 15 janvier 2019).
29 Voir avis 14-A-09 du 11 juillet 2014 relatif au projet de séparation comptable de l'activité infrastructure de la SNCF, paragraphes 77 et 78.