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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 8 janvier 2020, n° 19-11588

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Fremaux Delorme (Sté)

Défendeur :

Standard Textile Production France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

Mes Dauchel, Salmon, Ohana

T. com. Paris, prés., du 22 mai 2019

22 mai 2019

La société Fremaux Delorme, spécialisée dans la confection et la commercialisation d'articles textiles, a confié, en 2003, à la société de droit tunisien Dès d'Or, filiale de la société Ventron Confection, la confection de ses produits ; un contrat de travail à façon a, à cet effet, été conclu le 5 décembre 2003 entre les sociétés Fremaux Delorme et Dès d'Or.

Par jugement rendu le 13 octobre 2017 par le tribunal de commerce de Nancy, avec effet au 1er novembre 2017, la société Standard Textile France a acquis, par l'intermédiaire de sa filiale, la société Standard Textile Production France (STPF), les actifs des sociétés Ventron Production et Ventron Confection.

Selon courrier en date du 21 juin 2018, la société Fremaux Delorme a informé à la société Standard Textile Production France de l'arrêt du contrat les liant, à la date du 4 décembre 2018, avec une réduction des flux commerciaux dès le mois d'octobre 2018.

Le 1er août 2018, Standard Textile Production France a demandé le maintien des relations commerciales avec un préavis conforme aux usages, soit un préavis de 20 mois jusqu'à la fin de février 2020. La société Fremaux Delorme a rejeté cette demande, estimant que la société Standard Textile Production France ne pouvait se prévaloir de l'existence d'une relation commerciale établie.

Par acte en date du 18 février 2019, la société Standard Textile Production France a saisi le président du tribunal de commerce de Paris statuant en référé, sur le fondement des articles 873, alinéa 1er, du Code de procédure civile et L. 442-6 I 5° du Code de commerce alors applicable, aux fins de voir constater que la société Fremaux Delorme avait rompu brutalement les relations commerciale établies avec la société Standard textile et la voir condamner à rétablir, sous astreinte, le flux d'affaires.

Par ordonnance en date du 22 mai 2019, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a :

- ordonné à la société Fremaux Delorme, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du 15e jour suivant la signification de la présente ordonnance, et ce pendant une durée de trente jours, passé lequel délai il sera à nouveau fait droit, de rétablir les relations commerciales avec la SAS à associé unique Standard Textile Production France pour une durée provisionnelle de trois mois ;

- laissé au juge de l'exécution le soin de liquider l'éventuelle astreinte ;

- condamné la SA Fremaux Delorme à payer à la SAS à associé unique Standard textile production France la somme de 1 500 euros, au titre de l'article 700 Code de procédure civile ;

- débouté pour le surplus ;

- rejeté toutes demandes plus amples ou contraires des parties ;

- condamné en outre la SA Fremaux Delorme aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 44,07 euros TTC dont 7,13 euros de TVA.

Par déclaration en date du 4 juin 2019, la société Fremaux Delorme a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions en date du 6 septembre 2019, elle demande à la cour de :

- constater que les conditions fondant la compétence du président du tribunal de commerce de Paris en référé prévue par l'article 873, alinéa 1er, du Code de procédure civile, ne sont pas réunies en l'absence d'urgence, de trouble manifestement illicite et de dommage imminent ;

- en conséquence, réformer en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ;

En toute hypothèse,

- constater l'absence de relations commerciales établies entre elle et la société Standard Textile Production, et constater qu'elle a respecté un préavis écrit suffisant dans l'interruption de sa relation non établie avec Standard Textile Production France ;

- en conséquence, réformer en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ;

- débouter la société Standard Textile Production France de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

Reconventionnellement, vu le contrat conclu entre elle et la société Ventron Dès d'Or le 5 décembre 2003,

- constater que la société Standard Textile Production France lui a facturé plus que le montant contractuellement prévu ;

- en conséquence, condamner la société Standard Textile Production France à lui payer la somme de 116 479 euros au titre du remboursement des sommes indûment perçues ;

- condamner la société Standard Textile Production France au paiement de la somme de 15 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers frais et dépens d'instance.

La société Fremaux Delorme fait valoir qu'une convention a été conclue en décembre 2003 entre elle-même et Ventron Dès d'Or aux termes de laquelle :

* Fremaux Delorme confiait une partie de sa production à la société de droit tunisien Dès d'Or ;

* Fremaux Delorme confiait à Ventron Confection la logistique du transport des toiles livrées chez Ventron Confection en France vers l'usine Dès d'Or en Tunisie, et leur retour ensuite dans les entrepôts de Fremaux Delorme, contre une rémunération fixe pour le coût de transport.

- Standard textile France représentait 90 % au moins du chiffre d'affaires de la société Ventron Confection, Fremaux Delorme en représentant un peu moins de 10 % ;

- suite de sa reprise des actifs de Ventron confection, Standard textile France a très largement diminué le montant du chiffre d'affaires confié à la société STPF, Fremaux Delorme maintenant un chiffre d'affaires constant jusqu'à la fin de l'année 2018 ;

- Standard textile production France reproche, en réalité, à Fremaux Delorme non pas d'avoir continué à confier la fabrication de ses produits finis et semi-finis à la société Des d'Or, mais d'avoir repris en direct de la charge de l'acheminement et du rapatriement des toiles depuis la France vers la Tunisie, en lieu et place de Ventron confection, après un préavis de six mois, parfaitement respecté ;

- en réalité, il n'y avait ni relations commerciales établies entre Fremaux Delorme et STPF, l'activité concernée ayant été expressément exclue du périmètre de la reprise par Standard textile France.

- il résulte de l'offre présentée par Standard textile France que celle-ci a expressément exclu du périmètre de sa reprise l'activité de logistique exercée par Ventron confection pour la sous-traitance de production vers des pays, étrangers, notamment la Tunisie et la Roumanie ;

La société Standard Textile Production France, par dernières conclusions communiquées par voie électronique le 8 novembre 2019, demande à la cour, au visa les articles 564, 873 alinéa 1, et 700 du Code de procédure civile et L. 442-6 IV du Code de commerce, de :

- constater que la société Fremaux Delorme a rompu brutalement les relations commerciales établies avec elle ;

- dire que le trouble manifestement illicite résultant de la brutalité de la rupture des relations commerciales établies est de nature à lui causer des dommages imminents, en termes de baisse de chiffre d'affaires et de maintien de l'emploi ;

En conséquence,

- confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :

- constaté l'existence d'une relation commerciale établie entre les sociétés STPF et Fremaux Delorme ;

- constaté que le préavis laissé à STPF n'était pas suffisant au regard de l'ancienneté de la relation commerciale établies entre les parties ;

- constaté l'existence d'un trouble manifestement illicite et d'un dommage imminent ;

- ordonné à Fremaux Delorme sous astreinte de poursuivre les relations commerciales établies avec STPF.

- infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a limité à trois mois la période provisionnelle de poursuite des relations commerciales ;

Statuant à nouveau,

- étendre cette période de poursuite des relations jusqu'au 29 février 2020, sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard à compter du 1er jour suivant la signification de l'arrêt à intervenir, et ce, jusqu'au 29 février 2020 ;

Sur la " demande reconventionnelle " présentée par Fremaux Delorme,

- déclarer cette demande irrecevable car nouvelle en cause d'appel ;

- à défaut, la rejeter comme étant non fondée ;

En toute hypothèse,

- condamner la société Fremaux Delorme à lui payer la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Elle souligne qu'il a bien existé, dès 2003, un contrat entre Fremaux Delorme et Ventron, contrat qui a été transmis à STPF lors de la reprise du fonds de Ventron, ainsi que stipulé expressément dans les actes de reprise ; Fremaux Delorme a donné son accord pour poursuivre le contrat et les en-cours, dans les conditions convenues antérieurement avec Ventron Confection, de sorte que Fremaux Delorme et Standard Textile Prodution France ont effectivement poursuivi le contrat conclu avec Ventron Confection.

- Fremaux Delorme fait comme si STPF avait pu prendre le contrôle de la société Des d'Or en Tunisie sans préciser que cette société est de droit tunisien, qu'elle n'est pas une filiale du groupe Ventron son activité n'était donc pas dans le périmètre des activités proposées à la reprise ;

- Ventron confection était une entité commerciale et logistique qui faisait travailler à la confection Ventron production mais aussi des sous-traitants tels que Des d'Or, il ne s'agit pas d'un simple intermédiaire comme le soutient Fremaux Delorme ;

- les échanges de courriels entre MM. A et B des 16 et 17 octobre 2017 démontrent que par la voie de son dirigeant, STPPF a expressément indiqué son souhait de reprendre le flux d'affaire avec Fremaux Delorme lors des opérations de reprise ;

- il est constant en jurisprudence, que la durée du préavis expire à la date à laquelle le flux d'affaire a été diminué, dès lors, le préavis a été de 3 mois et quelques jours (21 juin 2018 - 1er octobre 2018 : date de baisse du flux d'affaire), par conséquent la rupture revêt un caractère brutal caractérisant un trouble manifestement illicite, au sens de l'article 873 du Code de procédure civile ;

- la défense de Fremaux Delorme est inopérante car la raison de la rupture des relations commerciales réside dans les choix de Fremaux Delorme d'orienter le flux d'affaire sur le sous-traitant Des d'Or ;

- cette rupture est susceptible de causer un dommage imminent a la société STPF en termes de baisse de chiffre, de maintien de l'emploi et de surcoûts de transport qui sont de nature à engendrer une perte de marge significative.

Elle soutient que la relation entretenue avec Fremaux Delorme ne pouvait être rompue dans le délai notifié par la lettre de rupture, délai trop court au regard d'une relation de quinze ans, ce qui caractérise la brutalité de la rupture, et par conséquent le trouble manifestement illicite.

Elle conclut enfin à l'irrecevabilité de la demande reconventionnelle de la société Fremaux Delorme en paiement de sommes, cette demande étant nouvelle au sens de l'article 564 du Code de procédure civile et, au surplus, non fondée puisque, par une interprétation tronquée du contrat du 5 décembre 2003, Fremaux Delorme expose que STPF aurait facturé à la société Fremaux Delorme plus que le montant contractuellement prévu, ce qui est inexact.

En application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.

MOTIFS

Sur la demande principale de la société Standard Textile Production France

L'article 873, alinéa 1er, du Code de procédure civile dispose que le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

L'article L. 442-6 I 5° du Code du commerce, dans sa rédaction applicable à la cause, prévoit :

" I - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (...)

5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précédent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas ;

(...)

IV. - Le juge des référés peut ordonner, au besoin sous astreinte, la cessation des pratiques abusives ou toute autre mesure provisoire. "

Il n'est pas contesté que Fremaux Delorme et Standard Textile Production France ont entretenu une relation commerciale à partir du 1er novembre 2017, date à laquelle Standard Textile Production France a :

Par courrier en date du 21 juin 2018, la société Fremaux Delorme a notifié à la société Standard Textile Production France l'arrêt de leur relation commerciale à la date du 4 décembre 2018 ; cette notification comporte un préavis de rupture de cinq mois.

La société Standard Textile Production France fait valoir que le préavis qui lui a été notifié est insuffisant au regard de la durée de quinze ans de la relation commerciale, Standard Textile Production France ayant poursuivi la relation nouée dès 2003 par Fremaux Delorme avec la société Ventron Confection.

Par contrat du 5 décembre 2003, la société Fremaux Delorme a confié un travail à façon à Ventron Confection.

La société Standard Textile France a, par jugement en date du 13 octobre 2017 du tribunal de commerce de Nancy, avec effet au 1er novembre 2017, acquis, par l'intermédiaire de sa filiale, la société Standard Textile Production France (STPF), les actifs des sociétés Ventron Production et Ventron Confection.

Toutefois, une cession d'actifs d'une société n'emporte pas automatiquement cession des contrats conclus par cette dernière, sauf disposition expresse contenue dans l'acte.

Il ne résulte, en l'espèce, ni du jugement du tribunal de commerce de Nancy du 3 octobre 2017 arrêtant le plan de redressement par voie de cession de la société Ventron - le plan visant seulement " la clientèle " - ni de l'acte de cession du fonds de commerce de cette dernière du 28 février 2018 que le contrat avec Fremaux Delorme était inclus dans le périmètre de la reprise, cette décision précisant à cet égard que seuls les encours de production de Standard Textile sont repris. De même, le seul courrier en date du 19 octobre 2017 de Standard Textile Production France informant la société Fremaux Delorme du rachat du fonds de Ventron au 1er novembre 2017 (" La cession à la nouvelle entité Standard Textile Production France sera effective au 1er novembre 2017. A compter du 1er novembre 2017, la société Standard Textile Production France poursuivra l'activité actuelle.

Veuillez-vous adresser à votre correspondante habituelle aux mêmes coordonnées téléphoniques. " - pièce n° 4) est insuffisant à établir devant le juge des référés la continuité avec Standard Textile Production France de la relation initiale.

Il ne saurait, dans ces conditions, être admis, avec l'évidence requise en référé, que Fremaux Delorme et Standard Textile Production France ont poursuivi la relation nouée par Fremaux Delorme avec Ventron Confection. C'est donc à tort que le premier juge a retenu que la relation de Fremaux Delorme et de Standard Textile Production France s'est inscrite dans une " coopération de quinze ans ". La cour dira n'y avoir lieu à référé sur la demande de maintien de la relation commerciale au-delà des cinq mois de préavis accordés.

Sur la demande reconventionnelle de la société Fremaux Delorme

Aux termes des dispositions de l'article 564 du Code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou la révélation d'un fait.

En l'espèce, la prétention de la société Fremaux Delorme tendant à la condamnation de la société Standard Textile Production France à lui rembourser un trop perçu de 116 479 euros, est nouvelle comme ne tendant pas aux mêmes fins que celles soumises au premier juge fondées sur la seule rupture brutale de la relation commerciale ; elle doit être déclarée irrecevable. Au surplus, cette demande étant présentée au visa du contrat conclu entre elle et la société Ventron Dès d'Or le 5 décembre 2003, il n'est nullement démontré, avec toute l'évidence exigée, qu'elle concerne Standard Textile Production France.

L'équité commande de condamner la société Standard Textile Production France à payer à la société Fremaux Delorme la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : Infirme l'ordonnance entreprise ; Statuant à nouveau ; Dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de maintien de la relation commerciale au-delà des cinq mois de préavis accordés ; Dit irrecevable la demande de la société Fremaux Delorme tendant à la condamnation de la société Standard Textile Production France à lui rembourser la somme de 116 479 euros ; Condamne la société Standard Textile Production France aux dépens ; Condamne la société Standard Textile Production France à payer à la société Fremaux Delorme la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.