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Décisions

CA Douai, 1re ch. sect. 1, 9 janvier 2020, n° 17-06302

DOUAI

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Masseron

Conseillers :

Mmes Boutié, Tuffreau

Avocats :

Mes Franchi, Meillier

CA Douai n° 17-06302

9 janvier 2020

M. D H X était éleveur de bovins à Coigneux (80).

Le 14 mai 2005, M. C F, négociant en bestiaux, a vendu à M. X douze génisses de race Blonde d'Aquitaine pour un prix de 9 675,02 euros.

Pour ce faire, ils se sont rendus ensemble sur l'exploitation de M. A, GAEC de l'Entente à Lozinghem, afin de choisir les douze génisses parmi un troupeau de vingt bêtes.

A partir du mois d'août 2007, des signes de la paratuberculose bovine sont apparus dans le troupeau de M. X, qui a établi un plan d'éradication de la maladie.

Par acte d'huissier de justice en date du 12 mai 2010, M. B X, fils de M. D H X, a saisi le juge des référés aux fins de voir ordonner une expertise afin de déterminer notamment l'origine de la paratuberculose, l'origine de l'anomalie d'identification des animaux et estimer le coût de remise en état du troupeau avant le vente du 14 mai 2005.

Par ordonnance en date du 09 juin 2010, le juge des référés a ordonné une expertise et désigné le Docteur Z I, vétérinaire, pour y procéder.

L'expert a déposé son rapport le 23 avril 2011.

Faisant état d'un manquement à son obligation d'information et de conseil, par acte d'huissier de justice en date du 11 juin 2012, M. D H X et M. B X ont fait assigner M. F aux fins de le voir condamner au paiement de la somme de 14 949,03 euros HT au titre de la réparation du préjudice subi et de celle de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, et aux dépens.

Par jugement en date du 19 avril 2016, le tribunal de grande instance de Béthune a :

- reçu l'action de M. B X tendant à l'indemnisation de son préjudice ;

- déclaré M. D H X irrecevable en son action tendant à l'indemnisation de ses seuls frais irrépétibles ;

- condamné M. C F à payer à M. B X la somme de 11 025,27 euros hors taxe au titre de l'indemnisation de son préjudice ;

- condamné M. C F à payer à M. B X la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- rejeté toute demande plus ample ou contraire ;

- condamné M. C F aux dépens ;

- admis les avocats qui en ont fait la demande et qui peuvent prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire de la décision.

M. C F a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 18 juillet 2018, il sollicite l'infirmation de la décision entreprise en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a déclaré M. D H X irrecevable en son action tendant à l'indemnisation de ses seuls frais irrépétibles.

Il demande à la cour, statuant à nouveau, de :

- à titre principal, dire M. B X irrecevable en ses demandes pour défaut de qualité à agir et ses demandes étant prescrites ;

- à titre subsidiaire, débouter M. X de toutes ses demandes ;

- en tout état de cause, condamner M. X à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans leurs dernières conclusions notifiées le 08 novembre 2018, M. D H X et M. B X sollicitent la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a déclaré M. F responsable du préjudice subi par M. B X mais son infirmation en ce qu'il a limité le préjudice subi par M. X et limité le montant des sommes dues par M. F à M. X à la somme de 11 025,27 euros.

Ils demandent à la cour, statuant à nouveau sur ce point, de condamner M. F à lui payer la somme de 14 949,03 euros et à titre reconventionnel, celle de 4 000 euros à chacun en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP meillier thuilliez.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, pour plus ample exposé des moyens, il est renvoyé aux dernières écritures des parties.

Pour la clarté des débats, il sera seulement indiqué que l'appelant fait essentiellement valoir que :

- M. B X ne justifie pas de la reprise de l'exploitation de son père ni de l'acquisition des génisses ;

- les dispositions de l'article R.213-5 du Code rural qui prévoient un délai de quinze jours pour engager une action concernant un vice rédhibitoire présenté par un animal, sont applicables en l'espèce ;

- aucun billet de garantie n'a été régularisé ;

- il n'est pas prouvé que la contamination du troupeau objet du litige proviendrait des animaux vendus ;

- M. X ne justifie pas que les animaux objets de la vente étaient destinés à l'élevage et non à la boucherie ;

- M. A atteste que les génisses vendues à M. X proviennent de mères saines et sont nées après la fin du plan d'éradication ;

- M. F n'avait aucune obligation réglementaire d'informer l'acheteur et n'avait aucune raison de douter de la santé des génisses vendues.

Quant à M. D H X et M. B X, ils soutiennent que :

- M. B X justifie de la cession de l'intégralité du cheptel de M. D H X à son profit le 30 décembre 2005 ;

- la paratuberculose ne fait pas partie des maladies visées par les dispositions des articles L. 213-1 et L. 213-9 du Code rural relatives aux vices rédhibitoires et aucune mesure de police sanitaire ou de déclaration obligatoire ne s'imposent pour cette maladie ;

- le rapport d'expertise précise que l'achat de 12 génisses chez M. A a été déterminant dans la contamination du troupeau de M. D H X, cédé ensuite à M. B X ;

- M. F ne conteste pas ne pas l'avoir informé de l'infection du cheptel du GAEC L'Entente dont provenaient les bovins vendus, par la paratuberculose ainsi que la mise en place d'un plan de lutte contre cette infection.

MOTIVATION

Sur la recevabilité de l'action de M. B X

Aux termes des dispositions de l'article 122 du Code de procédure civile, constitue une fin de non recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut du droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

En l'espèce, M. F fait valoir que M. B X n'a pas qualité ni intérêt à agir dans la mesure où il ne justifie pas de la reprise de l'exploitation de son père, M. D H Y

Pour justifier de sa qualité de repreneur de l'exploitation de M. D H X, M. B X produit aux débats une facture en date du 30 décembre 2005 portant sur la vente à son profit de 55 vaches et génisses, 33 génisses de 2 ans, 3 taureaux, 31 laitonnes bêtes d'un an et deux taurillons pour un montant de 109 500 euros.

Cette facture justifiant de la cession du cheptel de M. D H X à son fils B est confortée par l'attestation établie par M. J K, directeur de l'établissement départemental de l'élevage qui " atteste que l'exploitation 82 101 012, détenue par X D H et située ... à COIGNEUX 80560, a notifié en sortie vers l'exploitation 82 101 023 détenue par X B 124 bovins le 10 janvier 2006 et 7 bovins le 17 mars 2006. Le service d'identification a enregistré l'arrêt de l'exploitation bovine 82 101 012 en date du 20 mars 2006".

Il résulte de ces éléments que M. B X a repris l'exploitation de son père et acquis les bovins litigieux de sorte qu'il justifie tant de sa qualité que de son intérêt à agir, en sa qualité de sous acquéreur, à l'encontre de M. G

Son action sera donc déclarée recevable, la décision déférée étant confirmée sur ce point.

Sur la prescription

Aux termes des dispositions de l'article R.213-5 du Code rural, le délai imparti à l'acheteur d'un animal tant pour introduire l'une des actions ouvertes par l'existence d'un vice rédhibitoire tel qu'il est défini aux articles L.213-1 à L.213-9 que pour provoquer la nomination d'experts chargés de dresser un procès verbal est de dix jours sauf, dans les cas désignés ci après :

1° Quinze jours pour la tuberculose bovine ;

2° Trente jours pour l'uvéite isolée et l'anémie infectieuse dans l'espèce équine, pour la brucellose, la leucose enzootique et la rhinotrachéite infectieuse dans l'espèce bovine, pour la brucellose dans l'espèce caprine, ainsi que pour les maladies ou défauts des espèces canine ou féline mentionnés à l'article L. 213-3.

Si M. F soutient que l'action de M. B X et de M. D H X serait prescrite dans la mesure où elle n'a pas été engagée dans le délai de quinze jours prévu par le texte susvisé dans les cas de tuberculose bovine, il résulte des éléments du dossier et notamment du rapport d'expertise judiciaire que les animaux acquis par M. X auprès de M. F étaient porteurs de la paratuberculose, maladie due à la contamination des bovins par une bactérie " mycobacterium bovis " non visée par les dispositions du Code rural précitées, la tuberculose et la paratuberculose étant deux maladies différentes, non liées, de sorte que le délai de prescription abrégé de quinze jours, applicable pour la tuberculose bovine, n'est pas applicable en l'espèce.

En outre, le premier juge a justement relevé que la durée quinquennale du délai de prescription de l'action en responsabilité contractuelle a été valablement interrompue par l'assignation en référé, signifiée à M. F par acte d'huissier de justice en date du 12 mai 2010 ainsi que par l'assignation au fond par acte d'huissier de justice en date du 11 juin 2012.

En conséquence, l'action engagée par M. B X n'est pas prescrite et doit être déclarée recevable, la décision entreprise étant confirmée sur ce point.

Sur le fond

Aux termes des dispositions de l'article 1134 du Code civil, dans sa rédaction applicable au présent litige, les conventions légalement conclues tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise.

Elles doivent être exécutées de bonne foi.

L'article 1147 du même Code dispose que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Enfin, il résulte des dispositions de l'article 1315 du même Code que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

En l'espèce, M. X fait valoir que M. F a manqué à son obligation d'information et de conseil découlant du contrat de vente, en ne l'informant pas que le troupeau de M. A était ou avait été contaminé par la paratuberculose, le privant de la possibilité d'évoquer ce fait avec son vétérinaire traitant et de prendre des mesures adaptées.

S'agissant de l'obligation de conseil, le premier juge a justement retenu que la transaction litigieuse a été conclue entre deux professionnels de l'élevage bovin dont les relations étaient anciennes, M. X ne pouvant contester sa qualité de professionnel alors qu'il résulte des éléments du dossier qu'il exerce en tant qu'exploitant d'élevage bovin depuis de nombreuses années et qu'il était accompagné lors de la vente par un autre professionnel, M. E exerçant l'activité de marchand de bestiaux.

En outre, si M. X reproche à M. F de ne pas avoir signé de billets de garantie conventionnelle, alors qu'il n'est pas contesté que cette formalité n'avait pas de caractère obligatoire dans le cadre de la vente, force est de constater qu'il était membre d'un groupement de défense sanitaire qui informait ses adhérents, et ce de manière détaillée, de l'existence de ces billets couvrant le risque lié à la contamination du troupeau par une maladie non réglementée et ne pouvait dès lors méconnaître leur utilité.

En conséquence, c'est à bon droit que le tribunal a considéré qu'aucun manquement à son obligation de conseil ne peut être retenu à l'encontre de M. G

S'agissant de l'obligation d'information mise à la charge de M. F en sa qualité de négociant en bovin, il n'est pas contesté qu'il a été informé le jour de la vente par M. A, exploitant du GAEC L'Entente dont étaient issues les génisses acquises par M. X, que celui ci venait de terminer un plan de lutte contre la paratuberculose.

Si M. F soutient qu'il ne connaissait pas la destination des génisses dont M. X souhaitait faire l'acquisition alors que M. X affirme qu'il souhaitait acquérir des bêtes pour l'élevage et constituer ainsi progressivement un troupeau composé uniquement de Blondes d'Aquitaine, l'expert judiciaire a pu relever aux termes de son rapport que lors de la première réunion d'expertise, il n'a pas contesté avoir connaissance de la destination des génisses acquises par M. Y

En outre, la facture en date du 04 octobre 2005 produite aux débats par M. F et portant sur la vente au profit de M. X de broutards, bovins destinés à la boucherie après engraissement, près de cinq mois après la conclusion de la vente litigieuse, ainsi que la vente d'une génisse litigieuse " par choix de l'éleveur " sont insuffisantes à rapporter la preuve de l'ignorance par M. F de la destination des génisses objets de la vente.

De plus, M. F soutient que la séropositivité d'un bovin FR 80 65281842 déjà présent dans l'exploitation de M. X au jour de la cession, permet d'avoir un doute sur le fait que le troupeau de M. X était indemne de paratuberculose avant 2005 en l'absence d'élément probant sur l'état sanitaire du troupeau à cette époque.

Alors qu'il appartient à M. F de rapporter la preuve du caractère infecté du cheptel de M. X antérieurement à l'introduction des douze génisses provenant de l'exploitation de M. A, l'expert judiciaire a relevé qu'au moins cinq des animaux vendus par M. F à M. X étaient porteurs de la bactérie et ont excrété des bactéries dans son cheptel, " initiant ou accentuant la contamination du troupeau souche ", ces animaux étant ainsi " déterminants dans le développement de la paratuberculose dans l'élevage de M. X " dans la mesure où " si contamination du troupeau de M. X il y a avait avant 2005, il s'agissait d'une contamination très limitée avec faiblesse ou absence de circulation bactérienne. Par contre, l'arrivée simultanée de cinq animaux porteurs a obligatoirement contribué à une diffusion importante de Mycobacterium Paratuberculosis ".

Par ailleurs, si M. F soutient que le plan de lutte contre la paratuberculose était terminé au sein de l'exploitation de M. A au jour de la vente et que les génisses vendues avaient fait l'objet d'un test de sérologie négatif, il résulte de la convention conclue le 07 mai 2004 entre le GAEC de l'Entente et le Groupement de défense sanitaire 62, soit un an avant la cession litigieuse, que la mise en place d'un plan technique de lutte contre la paratuberculose était prévue pour une durée de cinq ans pour cette exploitation et impliquait de nombreuses obligations mises à la charge de l'éleveur, telles que l'engagement d'abattre les animaux infectés, de ne pas vendre pour l'élevage le dernier descendants des animaux séropositifs et la recherche systématique de la paratuberculose.

Ainsi, alors que l'importance des conséquences liées à la mise en place de ce plan au sein de l'exploitation dont provenaient les génisses acquises par M. X ne pouvaient être ignorées par M. F, en sa qualité de négociant en bovins, celui-ci avait l'obligation de l'informer de l'existence de ce plan afin de lui permettre de se renseigner auprès de son médecin vétérinaire et de prendre toutes les éventuelles mesures utiles à l'intégration de ces animaux dans son cheptel.

En conséquence, en sa qualité de vendeur professionnel, M. F a manqué à son obligation d'information et doit être déclaré responsable du préjudice subi par M. Y

Enfin, si M. F conteste l'existence du préjudice subi par M. X, il résulte des développements précédents qu'alors que les animaux introduits et acquis par l'intermédiaire de M. F ont joué un rôle déterminant dans la propagation de la maladie dans l'élevage de M. X, celui ci a été contraint de mettre lui même en œuvre un plan d'assainissement et d'éradication de la paratuberculose dans son exploitation pendant cinq ans, et ce à partir de 2008, consistant dans un dépistage régulier de tous les animaux sensibles et dépistables de l'élevage, une élimination de ces animaux vers la boucherie et un contrôle rigoureux des introductions.

En outre, il résulte des termes du rapport que dans l'hypothèse où le troupeau de M. X aurait été contaminé avant 2005, il s'agissait d'une contamination très limitée avec faiblesse ou absence de circulation bactérienne et que par contre, l'arrivée simultanée de cinq animaux porteurs a obligatoirement contribué à une diffusion importante de la bactérie

Par expert, l'expert a précisé que M. X avait adopté un comportement d'éleveur prudent en réformant de manière anticipée tout le groupe d'animaux litigieux ainsi que les veaux issus des génisses achetées, avec pour objectif de limiter les risques de diffusion de la maladie, le seul " paradoxe " étant le cas de la vache 1736, conservée par M. X, qui n'a toutefois pas été mélangée avec les autres génisses provenant du GAEC de l'Entente et qui présentait des résultats séronégatifs en 2008.

Ainsi, la vente des ventes des animaux provenant de la vente du 13 mai 2005 mais séronégatives apparaissant justifiée, il y a lieu d'homologuer le rapport d'expertise en ce qu'il a évalué le préjudice subi par M. X à la somme de 14 019,03 euros HT au jour du rapport outre celle de 930 euros HT au titre du préjudice certain à venir.

Dès lors, il y a lieu de fixer le préjudice subi par M. X et résultant du manquement de M. F à son obligation d'information à la somme de 14 949,03 euros, la décision entreprise étant infirmée sur ce point.

Sur les autres demandes

M. F, partie perdante, sera condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel en application des dispositions de l'article 696 du Code de procédure civile.

Il n'apparaît pas inéquitable de le condamner à payer à M. B X la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, M. D H X étant débouté de sa demande à ce titre.