CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 9 janvier 2020, n° 19-20016
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Marilyn Agency (SAS)
Défendeur :
Premium Models (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chevalier
Conseillers :
Mmes Dellelis, Chesnot
Avocats :
Mes Ryterband, Benech
Exposé du litige
La SAS Marilyn Agency est une agence de mannequins.
Le 4 juillet 2017, elle a conclu avec Mme F B dite Ling Ling deux contrats.
Le premier, intitulé " convention de collaboration ", a pour objet la recherche d'utilisateurs par l'agence pour la conclusion de contrats de mise à disposition permettant au mannequin d'exercer sa profession dans le monde entier.
Le second, dénommé " mandat civil de représentation ", définit la mission de représentation donnée par le mannequin à l'agence en vertu duquel cette dernière gère l'exploitation de son image.
Ces contrats ont été conclus pour une durée déterminée d'une année à compter du jour de leur signature, soit jusqu'au 4 juillet 2018 et sont renouvelables par tacite reconduction à défaut d'une dénonciation notifiée deux mois avant leur échéance.
Mme X C est également liée à l'agence Marilyn Agency par deux contrats du même type, conclus en date du 19 juin 2017 pour une durée d'un an et renouvelables par tacite reconduction dans les mêmes conditions.
Par lettres en dates, respectivement, du 13 mai et du 6 septembre 2019, Mme F et Mme C ont informé l'agence Marilyn Agency de leur décision de mettre fin à leurs relations contractuelles.
L'agence Marilyn Agency leur a rappelé qu'elles demeuraient liées avec elle par un contrat d'exclusivité en France, Mme F jusqu'au 4 juillet 2020, Mme C jusqu'au 19 juin 2020.
En date des 21 juin et 13 septembre 2019, l'agence Marilyn Agency a fait constater par huissier qu'une agence concurrente dénommée " Premium Models " faisait figurer Mme F ainsi que Mme C sur son site internet au nombre des personnes qu'elle prétendait représenter.
Elle a mis en demeure la SAS Premium Models de cesser tout acte de représentation de Mme F et de Mme D
Par ordonnance du président du tribunal de commerce de Paris en date du18 septembre 2019, la SAS Marilyn Agency a été autorisée à assigner la SAS Premium Models à l'audience des référés du 3 octobre 2019.
Mmes F et C sont intervenues volontairement à cette instance.
Le président du tribunal de commerce de Paris, par ordonnance de référé contradictoire rendue le 21 octobre 2019, a :
- débouté la SAS Premium Models ainsi que Mmes F et C de
- leur exception d'incompétence au profit du conseil des Prud'hommes de Paris ;
- leur demande de voir poser une question préjudicielle au conseil des Prud'hommes de Paris et de sursis à statuer ;
- de leurs fins de non-recevoir ;
- débouté la SAS Marilyn Agency de ses demandes ;
- condamné la SAS Marilyn Agency à payer à la SAS Premium Models la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'à supporter les dépens.
Par déclaration en date du 8 novembre 2019, la société Marilyn Agency a fait appel de cette ordonnance en ce qu'elle l'a déboutée de ses réclamations et condamnée à payer à la SAS Premium Models la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'à supporter les dépens.
La SAS Marilyn Agency, par ordonnance du 18 novembre 2019, a été autorisée à assigner la SAS Pretium Models ainsi que Mmes F et C à l'audience du 28 novembre 2019.
Au terme de ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 18 novembre 2019, la société Marilyn Agency a demandé à la cour, sur le fondement des articles 1240 du Code civil, 145, 485 et 873, alinéa 1, du Code de procédure civile, de :
- infirmer l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal de commerce de Paris le 21 octobre 2019 en ce qu'elle l'a déboutée de ses demandes et condamnée à payer à la SAS Premium Models la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'à supporter les dépens ;
Statuant de nouveau :
- dire que les agissements de Premium Models sont constitutifs d'un trouble manifestement illicite au préjudice de la concluante et lui causent un dommage imminent qu'il convient de faire cesser ;
En conséquence :
- faire défense à Premium Models de poursuivre, dès le prononcé de l'ordonnance à intervenir, toute activité consistant à prospecter et/ou à placer Mme F et Mme C en qualité de mannequin ;
- dire que cette interdiction sera protégée par une astreinte de 20 000 euros par infraction constatée ;
- dire que la société Premium Models devra justifier auprès du conseil de la société demanderesse de la diffusion, dans les 24 heures de la signification de l'arrêt à intervenir, auprès de l'ensemble des personnes qu'elle aura contactées pour faire référence à la possibilité d'un placement de Mme F et Mme C, d'une information indiquant qu'elle ne pourra représenter ces personnes qu'à compter du 4 juillet 2020 pour Mme F et du 19 juin 2020 pour Mme C et que celles-ci sont représentées jusqu'à cette date par l'Agence Marilyn Agency ;
- dire que copie du dispositif de l'ordonnance à intervenir sera publiée sur la page d'accueil du site de Premium Models à l'adresse " www.premiummodels.com " ou toute autre adresse que cette agence utiliserait pour faire connaître ses activités ;
- dire que cette obligation sera protégée par une astreinte de 20 000 euros par jour de retard passé un délai de 24 heures à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir ;
- enjoindre à Premium Models de lui communiquer, dans les 24 heures de la signification de l'arrêt à intervenir, tous contrats de mise à disposition et/ou d'autorisation d'utilisation de droits à l'image concernant Mme F et Mme C, et ce sous astreinte de 20 000 euros par jour de retard et notamment les contrats conclus pour le placement de Mme C pour les défilés Z et Y et pour le placement de Mme F pour le défilé Victoria/G ;
- dire que toutes rémunérations perçues ou à percevoir par Premium Models au titre de l'activité de Mme F et Mme C jusqu'au 4 juillet 2020 pour la première et au 19 juin 2020 pour la seconde seront, sauf meilleur accord entre les parties, intégralement séquestrées entre les mains de Mme E A de l'ordre des avocats de Paris, et ce jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur les agissements de Premium Models ou qu'un accord soit intervenu entre les parties ;
En tout état de cause,
- dire et juger que les demandes reconventionnelles formulées par Mmes F et C pour la première fois en cause d'appel sont irrecevables et, subsidiairement sur ce point, dire et juger que ces demandes sont mal fondées et, en conséquence, débouter Mmes F et C de leurs demandes ;
- condamner la société Premium Models à lui payer la somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance avec application de l'article 699 du même Code au profit de Me Ryterband.
La société Marilyn Agency, Mme F et Mme C, dans leurs conclusions communiquées par voie électronique le 27 novembre 2019, ont demandé à la cour, sur le fondement des articles L. 511-1, L. 1121-1, L. 1411-1, L. 7123-3 et L. 7123-5 du Code du travail, 49 et 873 du Code de procédure civile, de :
À titre liminaire,
- infirmer l'ordonnance de référé du 21 octobre 2019 en ce qu'elle les a déboutées de leur exception d'incompétence et de leurs fins de non-recevoir ;
Statuant à nouveau,
- dire et juger incompétent le juge des référés du tribunal de commerce de Paris au profit du conseil des Prud'hommes de Paris, seul compétent pour trancher le présent litige ;
Sur le fond et en tout état de cause,
- confirmer l'ordonnance entreprise sur l'absence d'engagements d'exclusivité ou de non concurrence dans les clauses litigieuses ;
- en tout état de cause dire et juger nuls car illicites de tels engagements si ceux-ci étaient caractérisés ;
- à titre subsidiaire, dire et juger que la société Marilyn Agency n'établit, ni ne démontre l'existence d'un trouble manifeste illicite et l'existence d'un dommage imminent commis à son encontre par la société Premium Models ;
- en conséquence déclarer irrecevable l'intégralité des demandes formées par Marilyn Agency ;
À titre reconventionnel,
- condamner Marilyn Agency à verser au titre de dommages intérêts pour appel abusif à Mme F la somme de 15 000 euros et la même somme à Mme C ;
- condamner Marilyn Agency à verser au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à Premium Models la somme de 10 000 euros, à Mme F et à Mme F la somme de 5 000 euros chacune ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour la connaissance des moyens et des arguments exposés au soutien de leurs réclamations, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.
SUR CE LA COUR
Sur l'exception d'incompétence
La SAS Premium Models ainsi que Mmes F et C exposent en substance les moyens et arguments suivants :
- l'exercice de la profession de mannequin et des agences de mannequins est régi par des dispositions d'ordre public et spécifiques du Code du travail, soit les articles L. 7123-5 et suivants et R. 7123-1 et suivants, issus de la loi n° 90-603 du 12 juillet 1990 relative aux agences de mannequins et à la protection des enfants et adultes exerçant la profession de mannequin et du décret d'application n° 92-962 du 9 septembre 1992, répondant à la volonté protectrice du législateur ;
- l'exercice de ces professions s'organise autour de trois contrats : le contrat cadre ou convention de collaboration, régissant les relations entre le mannequin et l'agence de mannequins, qui fait l'objet du présent litige, le contrat de mise à disposition conclu entre l'agence de mannequins et l'utilisateur au profit duquel la prestation du mannequin est réalisée et, enfin, le contrat de travail soumis aux dispositions des articles L. 7123-1 et suivants du Code du travail dans le cadre de chaque prestation / mission confiée au mannequin ;
- le contrat cadre ou convention de collaboration constitue un contrat de travail spécifique ainsi qu'il résulte notamment des articles L. 7123-5, L. 7123-17, R 7123-1 et encore des articles L. 7123-3, aux termes duquel tout contrat par lequel une personne s'assure, moyennant rémunération, le concours d'un mannequin est présumé être un contrat de travail et L. 7123-4 qui dispose " La présomption de l'existence d'un contrat de travail subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée au contrat par les parties. Elle n'est pas non plus détruite par la preuve que le mannequin conserve une entière liberté d'action pour l'exécution de son travail de présentation. " ;
- la convention collective nationale des mannequins adultes et mannequins enfants de moins de 16 ans employés par les agences de mannequins du 22 juin 2004, négociée entre les représentants des mannequins et les représentants des agences de mannequins, prévoit expressément la faculté d'encadrer la relation entre les mannequins étrangers et leurs agences dans le cadre d'une convention de collaboration dont elle précise le contenu à son annexe III ;
- les conventions de collaboration conclues par la SAS Marilyn Agency et Mmes F et C prévoient notamment des obligations spécifiques concernant l'apparence physique du mannequin ou les conditions dans lesquelles il doit procéder aux castings d'usage et aux missions proposées (article 3), elles stipulent également les conditions de rémunération des mannequins, salaire et indemnité compensatrice de congés payés (article 4) ; en application de la présomption de l'article L. 7123-3 du Code du travail, ces conventions de collaboration, qui placent les mannequins dans une relation de subordination pendant une durée ininterrompue d'un an renouvelable tacitement, doivent être qualifiées de contrats de travail à durée indéterminée ;
- la SAS Marilyn Agency ayant assigné Premium Models en concurrence déloyale au motif que celle-ci se serait rendue complice de la violation par deux mannequins d'une clause d'exclusivité souscrite par ces dernières dans leur convention de collaboration et ces deux mannequins étant intervenues volontairement en première instance afin de contester l'existence d'une telle clause, la solution du litige suppose qu'il soit statué au préalable sur cette contestation et celle-ci, en vertu de l'article L. 1411-1 du Code du travail, relève de la compétence exclusive de la juridiction prud'homale ;
- la cour de céans, dans une affaire comparable, a, par un arrêt rendu le 21 janvier 2014, confirmé le jugement du tribunal de commerce ayant sursis à statuer et renvoyé les parties devant le conseil des prud'hommes aux fins de qualification de conventions de collaboration.
La cour retiendra qu'elle est saisie d'une action en concurrence déloyale engagée par une société commerciale, la SAS Marilyn Agency, contre une autre société commerciale, la SAS Premium Models et qu'une telle action relève de la compétence du tribunal de commerce.
Le fait que la société Marilyn Agency fonde son action en concurrence déloyale sur l'argumentation selon laquelle la société Premium Models se rend complice de la violation par Mmes F et C d'une clause d'exclusivité stipulée dans leur convention de collaboration, que Mmes F et C sont intervenues volontairement dans cette instance afin de contester la licéité de cette clause au motif que cette convention de collaboration devrait s'analyser en un contrat de travail et, enfin, que la juridiction compétente pour statuer sur la qualification de ladite convention est le conseil de prud'hommes en application de l'article L. 1411-1 du Code de travail ne saurait mettre en cause cette analyse et justifier de déclarer le tribunal de commerce de Paris incompétent au profit du conseil des prud'hommes de la même ville.
Il convient de rappeler, à cet égard, que la compétence exclusive conférée au conseil des prud'hommes pour connaître de tout différend pouvant s'élever à l'occasion d'un contrat de travail ne permet pas de proroger sa compétence à l'examen d'une action en concurrence déloyale entre l'employeur présumé et le tiers complice de la violation par le salarié d'une clause d'un contrat de travail, s'agissant d'une juridiction d'exception.
En outre, la société Marilyn Agency ne fonde pas seulement son action en concurrence déloyale sur la violation de la clause d'exclusivité stipulée dans les conventions de collaboration qu'elle a conclues avec Mmes F et C mais aussi sur la méconnaissance de cette clause contenue dans les mandats de représentation conclus avec celles-ci et dont la qualification de mandat civil n'est pas contestée.
L'ordonnance attaquée doit, par conséquent, être confirmée en ce qu'elle a rejeté l'exception d'incompétence du tribunal de commerce de Paris au profit du conseil des prud'hommes de Paris soulevée par les intimés.
Sur les demandes en cessation du trouble manifestement illicite ou le risque de dommage imminent
La SAS Marilyn Agency expose en résumé ce qui suit :
- la convention de collaboration conclue avec Mme F et Mme C constitue, ainsi qu'il résulte de ses termes clairs et précis, un mandat d'intérêt commun ; elle est prévue à l'annexe III de la convention collective nationale des mannequins du 22 juin 2004 étendue par arrêté du 13 avril 2005 ; elle ne crée pas de lien de subordination entre l'agence et le mannequin sauf pendant l'exécution d'un contrat de mission ; à cet égard, le mannequin demeure libre d'accepter ou non les missions qui lui sont proposées (article 1 de la convention de collaboration, p.3), l'agence ne dispose d'aucun pouvoir hiérarchique ou de sanction à l'égard de celui-ci ; le mannequin demeure libre d'avoir d'autres activités professionnelles, sans en avertir l'agence (article 6 de la convention de collaboration), notamment de s'engager avec d'autres agences de mannequins sur d'autres territoires ; Mme F et C sont notoirement représentées par d'autres agences à l'étranger sans que cela ait posé la moindre difficulté ; de même, le mannequin ne dispose d'aucun bureau dans les locaux de l'agence et n'est soumis, dans les périodes intervenant entre chaque contrat de mission, à aucune obligation de respecter des horaires de travail, par exemple ; les mannequins vivent ainsi à l'étranger et ce sont eux, via leur agence mère, qui informent la concluante de leur planning, sans que l'agence ne puisse contrôler ou influencer cet emploi du temps ;
- la convention de collaboration, à ses articles 3- B-11 et 6, prévoit en termes clairs et précis un caractère exclusif de l'activité de mannequin pendant la durée d'exécution du contrat ; le mandat civil de représentation comporte également une clause d'exclusivité à son article 1 ; ces clauses se justifient par la nécessité de permettre à l'agence d'être certaine qu'elle est en mesure d'assurer le concours du mannequin mandant, ce qui ne serait pas possible si le mannequin avait recours à deux agences sur le même territoire ;
- la SAS Premium Models, en indiquant sur son site internet et son compte Instagram sa capacité à représenter Mme F et Mme C alors celles-ci étaient encore liées à la concluante, s'est rendue complice de cette violation de leurs contrats ; elle l'a fait en toute connaissance de cause, puisqu'elle avait pris contact avec la concluante pour convenir d'une rétrocession des commissions et des droits à l'image, comme il est d'usage entre agences, et les contrats dont Mme F et Mme C restaient tenues lui ont été notifiés par courriers en dates, respectivement, du 8 juillet et du 13 septembre 2019 ;
- les agissements de la SAS Premium Models constituent un trouble manifestement illicite, puisqu'ils ont empêché la concluante d'exercer son activité de placement des deux mannequins concernés, notamment pour les besoins des défilés de mode qui se sont déroulés à Paris entre le 23 septembre et le 1er octobre 2019 au cours de la " Fashion week " et qu'ils l'empêcheront de le faire pour les manifestations à venir ; ils créent pour les mêmes raisons un dommage imminent.
La SAS Premium Models, Mme F et Mme C soutiennent en substance les éléments suivants :
- la SAS Marilyn Agency échoue à prouver juridiquement que Mmes F et C seraient liées à elle par une clause d'exclusivité au titre de leurs conventions de collaboration et de leurs mandats de représentation ; une clause d'exclusivité dans un contrat de travail ne se présume pas, une telle clause doit être expresse, écrite et acceptée ; comme le juge des référés l'a retenu à bon droit, les conventions liant Marilyn Agency à Mme F et à Mme C, en particulier les articles 3- B-11 et 6 de la convention de collaboration, ne comportent pas d'obligations d'exclusivité ou de non concurrence mais une obligation d'exécution de bonne foi et les deux mannequins, en exerçant cette activité, ne concurrencent pas une agence de mannequins ;
- en outre, à supposer qu'une clause d'exclusivité soit caractérisée, elle serait illicite, puisqu'elle n'est admise en droit du travail que si elle remplit les trois conditions cumulatives suivantes : être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché ; or, aucune de ces conditions n'est remplie dans l'affaire en examen ;
- la société Marilyn Agency ne caractérise pas l'existence d'un trouble manifestement illicite ou d'un dommage imminent ; l'appréciation de l'existence du trouble invoqué par Marilyn Agency suppose l'appréciation et l'interprétation des clauses litigieuses des conventions de collaboration et des mandats de représentation s'agissant du caractère exclusif du lien contractuel existant entre cette agence et les mannequins et cette appréciation en relève pas des pouvoirs du juge des référés ;
- la " fashion week " étant terminée à la date de l'audience, le trouble allégué a pris fin et la preuve de l'imminence d'un dommage n'est pas davantage rapportée ;
- la société Marilyn Agency ne justifie pas non plus avoir un motif légitime au sens de l'article 145 du Code de procédure civile à obtenir que la société Premium Models soit condamnée à lui communiquer tous contrats de mise à disposition et/ou d'autorisation de droits à l'image concernant Mmes F et D
La cour retiendra ce qui suit.
Selon l'article 873 du Code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence de ce tribunal et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le dommage imminent s'entend du dommage qui n'est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer et le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d'un fait qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit.
Il s'ensuit, pour que la mesure sollicitée soit prononcée, qu'il doit nécessairement être constaté, à la date à laquelle le juge statue et avec l'évidence qui s'impose à la juridiction des référés, l'imminence d'un dommage ou la méconnaissance d'un droit sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines.
La société Marilyn Agency reproche à la société Premium Models de mentionner sur son site internet qu'elle est le représentant de Mme F et de Mme C et de se livrer ainsi à des actes de concurrence déloyale à son préjudice en se rendant complice de la violation par ces dernières de la clause d'exclusivité stipulée, d'une part, dans la convention de collaboration et, d'autre part, dans le mandat civil de représentation conclus avec chacune d'elles.
La réalité de cette information sur le site internet de la société Premium Models, que l'appelante a fait constater par huissier le 13 septembre 2019, n'est pas contestée par l'intimée.
En ce qui concerne la violation par Mme F et Mme C de la clause d'exclusivité stipulée dans la convention de collaboration conclue avec l 'agence Marilyn Agency, elle repose sur l'argumentation de cette dernière selon laquelle ces deux mannequins, qui ont notifié leur intention de résilier ce contrat moins de deux mois avant sa date d'échéance, demeurent tenues par celle-ci jusqu'à son prochain terme, soit le 4 juillet 2020 pour Mme F et le 19 juin 2020 pour Mme D
Mme F et Mme C contestent la licéité de l'application de cette clause d'exclusivité jusqu'à cette date en soutenant, d'une part, que la convention de collaboration conclue avec Marilyn Agency constitue un contrat de travail et, d'autre part, que la validité d'une clause d'exclusivité en droit du travail est subordonnée à des conditions cumulatives qui ne sont pas satisfaites dans l'affaire en examen.
En vertu de l'article L. 7123-3 du Code du travail, tout contrat par lequel une personne s'assure, moyennant rémunération, le concours d'un mannequin est présumé être un contrat de travail.
Et selon l'article L. 7123-4 du même Code, la présomption de l'existence d'un contrat de travail subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée au contrat par les parties et elle n'est pas non plus détruite par la preuve que le mannequin conserve une entière liberté d'action pour l'exécution de son travail de présentation.
Il ressort de la lecture des conventions de collaboration conclues par les parties que ces contrats prévoient à l'article 4 intitulé 'salaire - indemnité compensatrice de congés payés' le montant de la rémunération et de l'indemnité compensatrice de congés payés dues par l'agence Marilyn Agency à Mme F et à Mme D
Il s'ensuit que la présomption énoncée à l'article L. 7123-3, précité, a vocation à s'appliquer aux conventions de collaboration litigieuses.
Il est également constant qu'une clause par laquelle un salarié s'engage à consacrer l'exclusivité de son activité à un employeur, en ce qu'elle porte atteinte à la liberté du travail, n'est valable que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché (Cass. soc. 11 juillet 2000, n° 98-40.143) et que, sauf exception, elle n'est pas admise pour les contrats de travail à temps partiel.
L'appréciation du point de savoir si les conventions de collaboration conclues par l'agence Marilyn Agency doivent être qualifiées de contrat de travail et, les cas échéants, si la clause d'exclusivité qu'elles contiennent est conforme aux conditions requises par la jurisprudence ne relève pas des pouvoirs conférés au juge des référés par l'article 873 du Code de procédure civile
Il ne peut donc être constaté avec l'évidence requise en référé que la violation par Mme F et Mme C de la clause d'exclusivité stipulée dans les conventions de collaboration qu'elles ont conclues avec la société Marilyn Agency constitue un trouble manifestement illicite et, partant, que la SAS Premium Models, en exécutant à leur profit une convention du même type, crée un tel trouble au préjudice de l'appelante.
En ce qui concerne la violation par Mme F et Mme C de la clause d'exclusivité stipulée dans le mandat civil de représentation conclu par chacune d'elles avec la société Marilyn Agency, les clauses pertinentes du contrat sont rédigées comme suit à l'article 1 :
" Au titre de ce mandat de représentation, l'agence prête, moyennant rémunération fixée selon les modalités édictées par l'article 3 ci-après, son concours au mannequin aux fins d'organiser, pour le compte et au nom de celui-ci, la promotion, la cession, l'exploitation ou la reproduction de l'enregistrement de la présentation et des prestations de mannequin auprès des clients utilisateurs de l'agence et/ou leur représentant dans le monde entier et ceci dans le respect des usages et des conventions professionnelles en vigueur.
[...]
[Le mannequin] déclare qu'il/elle n'est lié(e) par aucun engagement à l'égard des tiers et qu'il/elle ne souscrira avec un tiers pendant la durée des présentes un engagement qui ferait obstacle de quelque manière que ce soit à l'exécution paisible du présent mandat et garantit l'AGENCE contre les conséquences de toute inexactitude ou violation de la présente déclaration. "
Il ressort de la présentation sommaire de l'activité d'agence de mannequin dans les conclusions de la société Marilyn Agency que ce contrat constitue un complément de la convention de collaboration et des contrats de mise à disposition conclus par l'agence avec les utilisateurs.
En outre, la société Marilyn Agency expose dans ses écritures (page 22) que, dans l'affaire en examen, les mandats de représentation conclus avec Mme F et Mme C ont également été violés par ces mannequins avec la complicité de la société Premium Models " puisque chaque prestation réalisée par un mannequin (donnant lieu à la conclusion d'un contrat de travail, par exemple, un défilé, des prises de vues photographiques, un tournage audiovisuel) a pour conséquence nécessaire l'utilisation de l'image du mannequin résultant de cette prestation (reproduction de photographies, diffusion du film, etc.) ".
Il s'en déduit que la violation de la clause d'exclusivité stipulée dans le mandat civil de représentation repose sur le postulat que les prestations effectuées par Mmes F et C dans le cadre de la convention qu'elles ont passée avec la société Premium Models sont illicites comme réalisées en violation de la clause d'exclusivité stipulée dans la convention de collaboration conclue avec la société Marilyn Agency.
Or, il a été vu ci-dessus que les prestations effectuées par Mmes F et C dans le cadre de la convention qu'elles ont passée avec la société Premium Models ne peuvent pas être tenues pour manifestement illicites.
Il s'ensuit que la violation par Mme F et Me C de la clause d'exclusivité stipulée dans le mandat civil de représentation et, partant, du comportement illicite de la société Premium Models de ce chef, allégué par la société Marilyn Agency, ne peut pas non plus être tenue pour établie avec l'évidence requise en référé.
Les motifs qui précèdent font également obstacle aux demandes de la société Marilyn Agency en ce qu'elles sont fondées sur le risque de dommages imminent, puisque ces demandes reposent sur la même argumentation.
L'ordonnance attaquée doit, par conséquent, pour les motifs qui précèdent et ceux non contraires du premier juge, être confirmée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de la SAS Marilyn Agency visant à voir :
- faire défense à Premium Models de poursuivre, dès le prononcé de l'ordonnance à intervenir sous astreinte de 20 000 euros par infraction constatée, toute activité consistant à prospecter et/ou à placer Mme F et Mme C en qualité de mannequin ;
- dire que la société Premium Models devra justifier auprès du conseil de la société demanderesse de la diffusion, dans les 24 heures de la signification de l'arrêt à intervenir, auprès de l'ensemble des personnes qu'elle aura contactées pour faire référence à la possibilité d'un placement de Mme F et Mme C, d'une information indiquant qu'elle ne pourra représenter ces personnes qu'à compter du 4 juillet 2020 pour Mme F et du 19 juin 2020 pour Mme C et que celles-ci sont représentées jusqu'à cette date par l'Agence Marilyn Agency ;
- dire que copie du dispositif de l'ordonnance à intervenir sera publiée sur la page d'accueil du site de Premium Models à l'adresse " www.premiummodels.com " ou toute autre adresse que cette agence utiliserait pour faire connaître ses activités ;
- dire que cette obligation sera protégée par une astreinte de 20 000 euros par jour de retard passé un délai de 24 heures à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir ;
- dire que toutes rémunérations perçues ou à percevoir par Premium Models au titre de l'activité de Mme F et Mme C jusqu'au 4 juillet 2020 pour la première et au 19 juin 2020 pour la seconde seront, sauf meilleur accord entre les parties, intégralement séquestrées entre les mains de Mme E A de l'ordre des avocats de Paris, et ce jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur les agissements de Premium Models ou qu'un accord soit intervenu entre les parties.
Sur la demande de mesure d'instruction
Aux termes de l'article 145 du Code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.
Il résulte de cette disposition que le demandeur à une mesure d'instruction n'a pas à démontrer l'existence des faits qu'il invoque, puisque cette mesure in futurum est destinée à les établir, mais qu'il doit justifier d'éléments les rendant crédibles et de ce que le procès en germe en vue duquel il la sollicite n'est pas dénué de toute chance de succès.
Il suffit ainsi qu'un procès soit possible et que la mesure d'instruction sollicitée soit utile à sa solution.
Il n'est pas établi à ce stade qu'une action en concurrence déloyale engagée par la société Marilyn Agency contre la société Premium Models serait manifestement vouée à l'échec.
Et elle pourrait avoir intérêt dans le cadre d'une telle action au soutien de sa demande indemnitaire de connaître et de disposer des contrats de mise à disposition et d'autorisation d'utilisation de droits à l'image conclus par la société Premium Models et concernant Mme F et Mme D
L'ordonnance attaquée sera donc infirmée en ce qu'elle a rejeté la demande de la société Marilyn Agency sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile.
Statuant à nouveau, celle-ci sera accueillie dans les termes énoncés dans le dispositif de cet arrêt.
Sur la demande reconventionnelle de Mme F et de Mme C
Les demandes de Mmes F et C en condamnation de la société Marilyn Agency à leur payer à chacune la somme de 15 000 euros à titre de dommages intérêts pour le préjudice que son action leur a causé en ce qu'elle les empêcherait de travailler sont nouvelles en cause appel.
Elles sont néanmoins recevables en application de l'article 567 du Code de procédure civile en vertu duquel les demandes reconventionnelles qui présentent un lien avec les prétentions originaires sont recevables en appel.
Et ces demandes présentent un lien suffisant avec les prétentions de Mme F et de Mme C en première instance visant à voir rejeter les réclamations de la société Marilyn Agency.
Selon l'article 873, alinéa 2, du Code de procédure civile, le président du tribunal de commerce, dans les limites de la compétence de ce tribunal, peut accorder en référé une provision au créancier lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable.
Une provision ne peut donc être accordée que si l'obligation sur laquelle elle repose n'est pas sérieusement contestable et elle ne peut l'être qu'à hauteur du montant non sérieusement contestable de cette obligation.
Dans l'affaire examinée, il ne peut pas être établi au vu des motifs exposés ci-dessus que l'argumentation de la société Marilyn Agency selon laquelle Mmes F et C ont violé la clause d'exclusivité stipulée dans leurs conventions de collaboration et, partant, dans leur mandat civil de représentation est manifestement non fondée et que les démarches engagées par celle-ci de ce chef serait de nature à engager sa responsabilité.
En outre, les dommages et intérêts réclamés ne sauraient non plus être alloués en raison de l'appel formé par la société Marilyn Agency, l'exercice d'une voie de recours constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à l'octroi de dommages intérêts que dans le cas de malice, mauvaise foi ou erreur grossière équipollente au dol, ce qui n'est le cas en l'espèce.
Les demandes de dommages et intérêts présentées par Mmes F et C seront donc rejetées.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile
Le premier juge a fait une application équitable de l'article 700 du Code de procédure civile et fondée de l'article 696 du même Code, de sorte que l'ordonnance attaquée doit aussi être confirmée de ces chefs.
En cause d'appel, la SAS Marilyn Agency, dont le recours est rejeté, devra supporter les dépens, conformément à l'article 696 du Code de procédure civile.
L'équité commande de décharger les intimées des frais non compris dans les dépens qu'elles ont dû engager dans le cadre du présent recours et de leur allouer ainsi à chacune, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, la somme de 2 500 euros.
Par ces motifs, Confirme l'ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Paris le 21 octobre 2019 en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de la SAS Marilyn Agency visant à voir : - faire défense à Premium Models de poursuivre, dès le prononcé de l'ordonnance à intervenir sous une astreinte de 20 000 euros par infraction constatée, toute activité consistant à prospecter et/ou à placer Mme F et Mme C en qualité de mannequin ; - dire que la société Premium Models devra justifier auprès du conseil de la société demanderesse de la diffusion, dans les 24 heures de la signification de l'arrêt à intervenir, auprès de l'ensemble des personnes qu'elle aura contactées pour faire référence à la possibilité d'un placement de Mme F et Mme C, d'une information indiquant qu'elle ne pourra représenter ces personnes qu'à compter du 4 juillet 2020 pour Mme F et du 19 juin 2020 pour Mme C et que celles-ci sont représentées jusqu'à cette date par l'Agence Marilyn Agency ; - dire que copie du dispositif de l'ordonnance à intervenir sera publiée sur la page d'accueil du site de Premium Models à l'adresse " www.premiummodels.com " ou toute autre adresse que cette agence utiliserait pour faire connaître ses activités ; - dire que cette obligation sera protégée par une astreinte de 20 000 euros par jour de retard passé un délai de 24 heures à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir ; - dire que toutes rémunérations perçues ou à percevoir par Premium Models au titre de l'activité de Mme F et Mme C jusqu'au 4 juillet 2020 pour la première et au 19 juin 2020 pour la seconde seront, sauf meilleur accord entre les parties, intégralement séquestrées entre les mains de Mme E A de l'ordre des avocats de Paris, et ce jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur les agissements de Premium Models ou qu'un accord soit intervenu entre les parties ; La confirme également en ce qu'elle a statué sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile ; L'infirme pour le surplus ; Statuant à nouveau et ajoutant à celle-ci, Ordonne à la SAS Premium Models de communiquer à la SAS Marilyn Agency, dans le mois de la signification de l'arrêt à intervenir, tous contrats de mise à disposition et/ou d'autorisation d'utilisation de droits à l'image qu'elle a conclus concernant Mme F et Mme C, notamment ceux ayant pour objet le placement de Mme C pour les défilés Z et Y et le placement de Mme F pour le défilé Victoria/G, sous peine de devoir supporter une astreinte provisoire de 1 000 euros par jour de retard et pendant deux mois ; Rejette les demandes de dommages et intérêts de Mme F et de Mme C ; Condamne la SAS Marilyn Agency aux dépens d'appel et à payer en application de l'article 700 du Code de procédure civile la somme de 2 500 euros à chaque intimée, la SAS Premium Agency, Mme F et Mme D