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Décisions

CA Nîmes, 2e ch. civ., 16 janvier 2020, n° 18-02926

NÎMES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

La Belle Vue (SCI)

Défendeur :

Crouzet, MAAF Assurances (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Michel

Conseillers :

Mmes Ginoux, Robin

Avocats :

Mes Jourdy, Flichy, Pomies Richaud

TGI Privas, du 7 juin 2018

7 juin 2018

EXPOSE DU LITIGE

La SCI la belle vue, dont Monsieur C E G et Madame D X A sont cogérants, est propriétaire de deux bâtiments à Saint Agrève (Ardèche), l'un rénové dans le courant des années 2007/2008 et l'autre édifié en 2013/2014.

Le premier immeuble est un immeuble collectif composé de deux locaux au rez-de-chaussée et de quatre appartements dans les niveaux supérieurs et le deuxième, également collectif, composé au rez-de-chaussée de garages et de deux appartements aux étages.

Courant 2008, lors des opérations de rénovation, la SCI a confié la partie chauffage et eau chaude sanitaire destinée à alimenter à terme les deux bâtiments à Monsieur Michel Crouzet, artisan plombier chauffagiste. Les travaux se sont élevés suivant facture du 7 août 2008, entièrement réglée à la somme de 37 885,36 euros TTC.

Le 2 septembre 2008 la chaudière a été mise en service dans la partie rénovée.

Soutenant que les travaux présentaient des malfaçons et défauts de conformité révélés lors du raccordement des deux bâtiments en février 2014, la SCI la belle vue à saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Privas aux fins de voir ordonner une expertise. Par ordonnance du 30 avril 2014 le juge des référés a ordonné une expertise confiée à Monsieur Z F, lequel a déposé son rapport le 21 avril 2016.

Par actes d'huissier en date des 25 et 28 octobre 2016, la SCI la belle vue, Monsieur C E G et Madame D X A ont fait assigner Monsieur Michel Crouzet et la SA MAAF devant le tribunal de grande instance de Privas.

Par jugement du 7 juin 2018 le tribunal de grande instance a statué comme suit :

Vu l'accord des parties sur la mise en œuvre de la garantie décennale au titre des travaux sur l'immeuble ancien (rénovation) sis ... à Saint Agrève, propriété de la SCI la belle vue (maître de l'ouvrage et maître d'œuvre),

Vu l'action introduite sur le seul fondement des dispositions des articles 1792 et suivants du Code civil,

- condamne in solidum sur le fondement de la garantie décennale, Monsieur Michel Crouzet et la SA MAAF à payer à la SCI la belle vue les sommes de :

* 11 570,55 euros TTC au titre des travaux de reprise des désordres,

* 15 270,43 euros TTC au titre des frais de la chaudière électrique de remplacement et des surcoûts liés,

- déboute la SCI la belle vue de ses réclamations au titre des frais d'études thermiques, d'avis technique du fabricant, et du BET, outre de sa demande indemnitaire au titre des travaux de calorifugeage,

- déboute la SCI la Belle vue de sa demande indemnitaire au titre du préjudice né de perte financière de nature locative,

- déboute Monsieur C E G et Madame D X A de leur demande indemnitaire au titre d'un préjudice de jouissance,

- condamne la SA MAAF à payer à la SCI la belle vue la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- laisse les entiers dépens de l'instance à la charge in solidum de Monsieur Michel Crouzet et de la MAAF y compris le coût de la procédure de référé et celui des frais d'expertise judiciaire sur la base de la taxation de celle-ci.

Par déclaration du 30 juillet 2018, Monsieur C E G, Madame D X A et la SCI la belle vue ont relevé appel de ce jugement.

Dans leurs dernières conclusions remises et notifiées le 17 octobre 2019, auxquelles il est expressément référé, Monsieur C E G, Madame D X A et la SCI la belle vue demandent à la cour de':

Vu les articles 1792 et suivants du Code Civil,

Vu les articles 1231 et suivants du Code Civil,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a constaté l'accord des parties sur la mise en œuvre de la garantie décennale au titre des travaux sur l'immeuble de la propriété de la SCI la belle vue,

- réformer le jugement en ce qu'il a débouté la SCI la belle vue de ses réclamations au titre des frais d'étude thermique, d'avis technique du fabricant et du B.E.T., de sa demande indemnitaire au titre des travaux de calorifugeage, de sa demande indemnitaire au titre du préjudice né des pertes financières de nature locative et des demandes indemnitaires de Monsieur C E G et Madame D X A,

Et statuant à nouveau,

- condamner in solidum l'entreprise Michel Crouzet et son assureur, la MAAF, à payer à la SCI la belle vue, les sommes de :

- 11 537,98 € HT au titre des travaux réalisés suivant facture

- 2 484,00 € HT au titre de la nécessité de missionner un B. E.T.,

- 2 450,00 € HT au titre de l'étude calorifugeage,

- 4 313,00 € TTC au titre du bilan thermique réalisé dans le cadre des opérations d'expertise et de l'intervention du sapiteur B. E.T. Thermi conseil,

- 11 132,00 € TTC au titre de la surconsommation électrique

- 8 462,00 € TTC au titre de la location de la chaudière électrique (8 030 € + 462 €)

- 24 000,00 € au titre de la perte locative,

- dire et juger que l'intégralité des travaux de reprises seront indexés sur l'évolution de l'indice BT01,

- dire et juger que les fautes commises par Monsieur Y ont entraîné un trouble de jouissance, un préjudice moral et un préjudice financier, à Monsieur G et Madame A,

- en conséquence, condamner in solidum Monsieur Y et son assureur, la MAAF, à payer à Monsieur G et Madame A la somme de 10 000 € chacun en réparation de leurs préjudices,

- rejeter l'intégralité des demandes et prétentions de Monsieur Y,

- condamner in solidum Monsieur Y et son assureur, la MAAF, à payer à la S. C.I la Belle Vue la somme de 4 000 € au titre de l'Article 700 du Code de Procédure Civile,

- condamner in solidum Monsieur Y et son assureur, la MAAF, aux entiers dépens qui comprendront les dépens de la procédure en référé, de la présente procédure, les frais d'expertise (5 442 €), de sapiteur, du technicien Froling, distraits au profit de Me Jourdy.

Dans leurs dernières conclusions remises et notifiées le 15 octobre 2019, auxquelles il est expressément référé, M. Michel Crouzet et la SA MAAF demandent à la cour de :

Vu le rapport d'expertise déposé,

Vu les pièces versées aux débats,

Vu les articles 1792 et suivants du Code civil,

- donner acte à la MAAF de son règlement au 27 novembre 2018 de la somme de 11 570,55 € au titre des travaux de reprise des désordres sur laquelle ne porte pas l'appel,

- dire et juger que les pièces 33 et 45 de la SCI la belle vue n'ont aucune valeur probante en l'espèce,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a alloué à la SCI la belle vue une indemnité de 6 994,43, sur la base de cette pièce 33, comprise dans la somme de 15 270,43 € TTC de son dispositif au titre des frais de la chaudière électrique et des surcoûts liés,

Et statuant à nouveau,

- dire et juger que les frais de la chaudière électrique de remplacement sont de 180 euros TTC faute pour la SCI de rapporter la preuve de sa réelle location et de la surconsommation électrique de 2024 euros par an de mars à novembre 2018,

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions,

- condamner les consorts G et A à verser à Monsieur Y et à la MAAF, chacun la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles engendrés par l'appel sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner les consorts G et A aux dépens d'appel.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 octobre 2019.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le montant des travaux de reprise des désordres,

La responsabilité décennale de l'entrepreneur et la garantie de sa compagnie d'assurance ne sont pas discutées, l'expert relevant que la réalisation de l'installation n'est pas conforme aux préconisations du fabricant sur la partie hydraulique, qu'il faut la reprendre avec redimensionnement des pompes.

Les premiers juges ont condamné in solidum M. Y et son assureur au paiement de la somme de 9 642,13 € HT, soit 11 570,55 € TTC, laquelle a été réglée le 27 novembre 2018 par versement de compte à compte Carpa entre les avocats de la cause.

Les appelants sollicitent de ce chef la somme de 11 537,98 € HT, montant des travaux effectivement réalisés en septembre 2019. La facture produite constituant la pièce 43 de leur dossier figure au bordereau comme communiquée, elle est accompagnée de la pièce 46, portant mention " acquittée le 17 octobre 2019 " suivie du numéro du chèque et du tampon de l'entreprise Charel.

Ce chef est inclus dans la déclaration d'appel, ledit règlement ne peut donc valoir renonciation des appelants à une réclamation sur ce point. Ladite facture correspond aux travaux retenus et chiffrés par l'expert, certains postes à des montants inférieurs.

Ensuite, les parties s'opposent que le coût d'intervention d'un BET, fixé à 2484 € HT'. L'expert affirme que cette prestation est nécessaire pour éviter toute incohérence dans le dimensionnement dans les diamètres des différents réseaux lors des travaux de reprise, dès lors qu'il n'a pas pu obtenir du fabricant les notes de calcul hydrauliques pour le dimensionnement des circuits et des circulateurs. A cet égard, il est indifférent que la SCI n'ait pas fait réaliser cette étude initialement, dès lors que la réparation intégrale qui est due au maître de l'ouvrage implique que ce dernier soit replacé dans la situation qui aurait été la sienne si le désordre ne s'était pas produit de sorte que les travaux de reprise qui doivent éviter toute réapparition des désordres imposent une étude préalable d'un BET, qui apparaît sous le terme " étude hydraulique " sur la facture pièce 23.

En conséquence, la somme due au titre des travaux de reprise, intégrant une étude hydraulique sur le dimensionnement des réseaux, sera fixée à 14 793,19 € TTC, somme mise à la charge de l'entrepreneur et son assureur en deniers ou quittances et qu'il n'y a pas lieu d'assortir d'indexation dès lors qu'elle a d'ores et déjà été réglée.

Sur la location d'une chaudière électrique de remplacement et la surconsommation d'électricité,

Ainsi que justement retenu par le tribunal, l'assureur et l'entrepreneur, dont la contestation de ce chef est limitée aux montants sollicités, n'ont versé aucune somme au titre des travaux de reprise, fut ce à titre provisionnel, de sorte qu'ils doivent supporter le coût des sommes exposées par les appelants pour pallier l'absence de chauffage et d'eau chaude, soit l'installation d'une chaudière électrique, sa location et la surconsommation d'électricité consécutive.

Au vu des pièces versées au dossier (pièces 26 et 46 des appelants et rapport d'expertise), la somme due à ce titre s'établit comme suit, étant relevé que les travaux de reprise ne pouvaient être effectués en période hivernale, sauf à priver la famille (cinq personnes, dont trois enfants) de chauffage dans une zone aux hivers rigoureux, de sorte que les chiffres seront arrêtés au 31 août 2019 :

- installation : 180 € TTC,

- surconsommation d'électricité : 2 024 € par an de mars 2014 à août 2019, soit cinq et cinq mois : (2 024 € x 5) + (2 024 € x 5/12) = 10 963,33 €,

- location de la chaudière pour 1845 jours : 8 030 € TTC (pièce 46 : facture acquittée mentionnant le numéro du chèque et le tampon de l'entreprise), soit la somme totale de 19 173,33 € TTC.

Sur le coût du bilan thermique et de l'intervention du fabricant,

A ce titre, la SCI la belle vue justifie avoir payé la somme de 3 840 € TTC et 373,20 €. Dès lors que ces prestations ont été effectuées à la demande de l'expert afin de définir les travaux de reprise, que le principe de la responsabilité décennale de l'entrepreneur n'est pas discutée, que les parties n'ont pas contesté la nécessité de recours à ces sapiteurs lors des opérations d'expertise, que ces coûts, représentant la somme totale de 4 213,20 € ne sont pas intégrés dans les frais taxés, ces sommes seront supportées par M. Y et la MAAF.

Sur le calorifugeage,

Se fondant sur la constatation de l'expert selon lequel " nous notons l'absence de calorifuge sur l'ensemble des réseaux de distribution, nous rappelons que le DTU P1-1 article 6. 3 précise la nécessité de calorifuger les réseaux dont la température est supérieure à la température ambiante " et invoquant le manquement de M. Y à son obligation de conseil, la SCI sollicite à ce titre la somme de 2 450 € HT.

Ce manquement constitutif d'une non-conformité relève de la responsabilité contractuelle de droit commun, prévue par l'article 1147 du Code civil, dans sa rédaction applicable au litige, à laquelle est tenue M. Y, débiteur au surplus d'une obligation de conseil élargie en l'absence de maître d'œuvre. Il sera tenu avec la MAAF, qui ne conteste nullement sa garantie de ce chef, au paiement de la somme chiffrée par l'expert, soit 2 315 € HT, outre indexation telle que fixée au dispositif.

Sur le préjudice moral, financier et de jouissance,

M. G et Mme A réclament chacun à ce titre la somme de 10 000 €. Ils font valoir qu'ils ont été contraints de vivre dans un local de fortune au rez-de-chaussée avec leurs trois enfants, en l'absence de chauffage, que Mme B était tenue de se lever la nuit pour remettre la chaudière en marche et que M. G a dû prendre des jours de congés pour assister aux réunions d'expertise, qu'enfin leur situation financière est compromise car ils n'ont pas pu louer l'intégralité des appartements.

S'il est exact que l'installation a fonctionné " sans souci apparent " de septembre 2008 à mars 2014 (cf lettre de la SCI la belle vue du 18 février 2014), à partir de cette date, la chaudière s'est mise en défaut, cependant, il résulte du rapport d'expertise que la mise en place de la chaudière électrique, indépendante de la chaufferie principale à bois, a permis de dissocier les deux bâtiments et d'avoir un fonctionnement correct par bâtiment, de sorte que le préjudice de jouissance a été limité dans le temps. Cette situation justifie d'allouer à chacun d'eux la somme de 1 000 € en réparation du préjudice de jouissance en résultant.

Sur la perte locative,

La SCI la belle vue expose qu'elle n'a pas pu mettre en location le duplex F3 d'une superficie de 100 m² qu'elle aurait pu louer pour la somme de 500 € par mois, un délai de 6 mois étant nécessaire pour terminer les travaux et réclame à ce titre la somme de 24 000 € (48 x 500 €).

Ainsi que relevé par les premiers juges, la demande de ce chef est insuffisamment démontrée par les pièces du dossier limitée à une seule attestation, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la SCI de cette demande.

Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile,

Les dépens d'appel seront supportés in solidum par M. Y et la MAAF qui seront condamnés in solidum à payer à la SCI la belle vue la somme de 2 000 € au titre des frais irrépétibles d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré uniquement en ses dispositions relatives à l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens, L'infirme pour le surplus, Statuant à nouveau, Condamne in solidum M. Michel Crouzet et la SA MAAF assurances à payer à la SCI la belle vue les sommes suivantes en deniers ou quittances valables : 14 793,19 € TTC représentant les travaux de reprise des désordres, 2 315 € HT au titre de la non-conformité tenant à l'absence de calorifugeage, avec indexation sur la base l'évolution de l'indice BT01 entre avril 2016 et le présent arrêt, 19 173,33 € en réparation du préjudice résultant de l'installation et de la location d'une chaudière provisoire et de la surconsommation d'électricité, 4 213,20 € représentant le coût du bilan thermique et de l'intervention du fabricant de la chaudière lors de l'expertise, 2 000 € au titre des frais irrépétibles d'appel, Condamne in solidum M. Michel Crouzet et la SA MAAF assurances à payer à M. C E G et Mme D X A la somme de 1 000 € à chacun en réparation du préjudice de jouissance, Déboute les parties du surplus de leurs demandes, Condamne in solidum M. Michel Crouzet et la SA MAAF assurances aux dépens d'appel avec distraction au profit de Me Jourdy, avocate, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.