CA Aix-en-Provence, ch. 1 sect. 6, 23 janvier 2020, n° 18-20631
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Les Laboratoires Servier (SAS)
Défendeur :
La Caisse Primaire d'assurance Maladie des Bouches du Rhône (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Noel
Conseillers :
Mmes Gilly-Escoffier, Vella
FAITS ET PROCÉDURE
À compter de l'année 2000, Jean Da S. a pris du Médiator' sur prescription de son médecin traitant pour soigner des troubles métaboliques ; à partir de l'année 2003, il s'est plaint d'une dyspnée initialement modérée ; une échographie réalisée le 24 juin 2003, a mis en évidence une insuffisance aortique et une insuffisance mitrale de grade III.
L'état de Jean Da S. s'est aggravé.
Par ordonnances du 29 mars 2011 et du 2 avril 2013, le juge des référés a prescrit une mesure d'expertise médicale confiée au professeur Yves F. qui a établi son rapport le 4 octobre 2011 puis une expertise complémentaire à l'effet d'évaluer, à l'aggravation de son état de santé et les conséquences de celle-ci.
Le 8 juillet 2003, Jean Da S. est décédé dans le service de pneumologie de l'Hôpital Nord à Marseille.
Le juge des référés par ordonnance du 18 février 2014 a de nouveau désigné le professeur F. afin de connaître les causes de la mort de Jean Da S. ; l'expert a établi son rapport le 24 juillet 2014.
Par acte du 26 octobre 2017, Mme Sabine B. veuve Da S., Monsieur Christian Da S., Mme Chloé Da S. et Mme Claire B. épouse C., respectivement veuve, fils, petite-fille et belle-s'ur de Jean Da S. ont assigné devant le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence la SAS Laboratoires Servier et la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône (CPAM) pour obtenir sur le fondement des articles 1245 et suivants du Code de procédure civile l'indemnisation du préjudice corporel de Jean Da S. et du préjudice moral subi par chacun d'entre eux à la suite de son décès.
Par jugement du 26 novembre 2018, cette juridiction a :
- rejeté la demande de la SAS Laboratoires Servier tendant au rabat de l'ordonnance de clôture,
- déclaré le jugement commun à la CPAM,
- dit que le lien de causalité entre la prise de Mediator' et la valvulopathie développée par Jean Da S. est établi,
- dit que le lien de causalité entre la prise de Médiator' et le décès de Jean Da S. n'est pas établi,
- déclaré la SAS Laboratoires Servier responsable de la valvulopathie développée par Jean Da S. sur le fondement des articles 1245 et suivants du Code civil,
- dit que la SAS Laboratoires Servier n'est pas responsable du décès de Jean Da S.,
- débouté les consorts Da S. de leurs demandes présentées au titre de leur préjudice d'accompagnement, (préjudice moral, frais d'obsèques et préjudice économique de Mme Sabine B. veuve Da S.),
- condamné la SAS Laboratoires Servier à payer à Mme Sabine B. veuve Da S. et à Monsieur Christian Da S., dans le cadre de l'action successorale, les sommes de :
- 6 193,56 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel,
- 39 750 euros au titre du déficit fonctionnel permanent,
- 18 000 euros au titre des souffrances endurées,
- 5 918,40 euros au titre de l'assistance par tierce personne,
- débouté les consorts Da S. de leurs demandes au titre du préjudice d'agrément et du préjudice moral,
- débouté les consorts Da S. de leur demande de dommages et intérêts pour résistance abusive,
- condamné la SAS Laboratoires Servier à payer à la CPAM les sommes de :
- 4 254 euros en remboursement des sommes versées par elle à la victime ou pour son compte,
- 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par l'article L. 376-1 du Code de la sécurité sociale,
- 650 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la SAS Laboratoires Servier à verser aux consorts Da S. la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire,
- condamné la SAS Laboratoires Servier aux dépens dont les frais d'expertise avec distraction.
Pour statuer ainsi, le tribunal a considéré que :
- l'expertise et les certificats médicaux des docteurs T. et N. ont établi que la double valvulopathie mitrale et aortique présentée par Jean Da S. est en lien de cause à effet avec la prise du Médiator',
- l'état des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise en circulation des produits administrés à Jean Da S. entre 2004 et 2009 permettait de déceler l'existence du défaut du Médiator',
- les effets nocifs du principe actif du Médiator' soit le benfluorex ont été révélés dès 1997 ce qui aurait dû conduire la SAS Laboratoires Servier à procéder à des investigations sur la réalité du risque signalé à tout le moins à en informer les médecins et les patients, or la SAS Laboratoires Servier ne rapportait pas la preuve d'une telle information,
- la responsabilité de la SAS Laboratoires Servier est engagée sur le fondement des articles 1245 et suivants du Code civil dans la mesure où le Médiator' est un produit défectueux comme n'offrant pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre en ce que, d'une part, les risques afférents à son utilisation dépassent son intérêt thérapeutique, et, d'autre part, ces mêmes risques n'ont été portés à la connaissance ni des médecins ni des patients,
- la SAS Laboratoires Servier ne s'exonère pas de sa responsabilité,
- en revanche, il n'est pas établi que le décès de Jean Da S. est en lien avec la prise de Médiator' car le rapport d'expertise s'il démontre que le décès est consécutif à un arrêt cardiorespiratoire dans lequel la responsabilité de l'insuffisance respiratoire a été prédominante ne permet pas de relier de façon directe et certaine l'hypertension pulmonaire à la prise du Médiator' car celle-ci n'a été constatée que trois ans après l'arrêt du médicament et est survenue dans un contexte de fibrose pulmonaire.
Par déclaration du 29 décembre 2018, la SAS Laboratoires Servier a interjeté appel de cette décision en visant les diverses énonciations du dispositif.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
La SAS Laboratoires Servier demande à la cour dans ses conclusions du 21 août 2019, de :
' à titre principal :
- infirmer le jugement en ce qu'il a retenu l'imputabilité de la valvulopathie au traitement par Médiator', l'expert ayant considéré la possibilité d'une cause dégénérative,
- confirmer le jugement, en ce qu'il a dit que le décès n'était pas imputable au traitement,
' à titre subsidiaire :
- infirmer le jugement en ce qu'il ne lui a pas accordé le bénéfice de l'exonération pour risque de développement,
en conséquence statuant à nouveau :
- débouter les consorts Da S. de l'ensemble de leurs demandes,
' à titre plus subsidiaire :
sur les préjudices des victimes indirectes :
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les consorts Da S. de leurs demandes au titre du préjudice d'accompagnement, le décès n'étant pas en lien avec le dommage,
sur le préjudice personnel de Jean Da S. :
- infirmer le jugement, en ce qu'il a fixé à 6 193,56 euros la somme due au titre du déficit fonctionnel temporaire et statuant à nouveau fixer l'indemnisation dudit préjudice à la somme de 4 290,87 euros,
- infirmer le jugement en ce qu'il a retenu le besoin d'assistance par tierce personne,
- infirmer le jugement en ce qu'il a alloué une somme de 39'750 euros au titre du déficit fonctionnel permanent et statuant à nouveau fixer l'indemnisation de ce poste à la somme de 225,46 euros,
sur la demande de la CPAM :
- débouter la CPAM de sa demande tendant à se voir allouer une somme supplémentaire de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion déjà allouée par le tribunal et de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
' confirmer le jugement pour le surplus
' débouter les consorts Da S. et la CPAM de leurs demandes plus amples ou contraires,
' statuer ce que de droit sur les dépens avec distraction pour ceux d'appel.
Elle rappelle que, selon la Cour de cassation la mise en jeu de la responsabilité sur le fondement de l'article 1245 et suivants du Code civil exige la réunion de deux conditions à savoir l'imputabilité du dommage allégué au traitement en cause et l'existence d'un fait générateur de responsabilité à l'origine du dommage, en l'espèce un défaut du produit.
Elle fait valoir que :
' sur l'imputabilité de la pathologie et du décès au traitement :
la charge de la preuve du caractère direct et certain du lien de causalité entre le dommage et le fait générateur pèse sur le demandeur et il lui revient de démontrer que sans ce fait générateur, le dommage ne se serait pas produit,
en matière de produit de santé, la Cour de cassation permet au demandeur, en l'absence de certitude scientifique, de rapporter cette preuve par de simples présomptions de fait, à la triple condition que le facteur incriminé puisse être, au regard des données acquises de la science, une cause génératrice du dommage, qu'il soit hautement probable qu'il ait été à l'origine du dommage et que toutes les autres causes possibles de ce dommage aient pu être circonscrites et exclues,
sur l'imputabilité de la valvulopathie à la prise de Médiator' :
- en l'espèce, selon les rapports d'expertise du professeur F., s'il est possible que la valvulopathie présentée par Jean Da S. ait été d'origine médicamenteuse, il ne s'agit pas d'une certitude, une autre étiologie à savoir la cause dégénérative étant également envisageable,
- le docteur T. a indiqué que le Médiator' était 'probablement' impliqué dans la genèse des lésions valvulaires,
- le docteur N. a également estimé que l'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) est d'origine mixte 'probable',
- il n'est donc pas établi que la prise du Médiator' est la cause directe et certaine de la maladie,
sur l'imputabilité du décès à la prise de Médiator' :
- Jean Da S. présentait une fibrose pulmonaire, probablement en rapport avec son exposition de longue durée à l'amiante dans le cadre de son activité professionnelle de monteur en chauffage ainsi qu'avec le traitement par Cordarone et dérivés d'ergot de seigle auxquels il avait été soumis ce qui résulte de l'avis sapiteur du professeur A., pneumologue, qui figure en annexe au rapport d'expertise numéro trois du professeur F.,
- cette affection respiratoire majoritairement responsable de la dégradation de l'état de santé de Jean Da S. était indépendante de sa pathologie cardiaque et sans aucun lien avec la prise de Médiator',
- l'avis du docteur F. sollicité par les consorts Da S. en dehors de l'expertise judiciaire n'est pas contradictoire ; l'impartialité du docteur F. est très largement sujette à caution ; en toute hypothèse, cet avis n'est pas de nature à remettre en cause la valeur probante de l'expertise du professeur F. et de l'avis sapiteur du professeur A. qui sont concordants quand au fait que la victime présentait une fibrose pulmonaire soit une pathologie grave d'évolution, le plus souvent fatale et qui en l'espèce, a été à l'origine du décès,
' sur le fait générateur de responsabilité :
l'article 1245-10 du Code civil prévoit que le producteur est responsable de plein droit à moins qu'il ne prouve que l'état des connaissances scientifiques et techniques au moment où il a mis le produit en circulation n'a pas permis de déceler l'existence du défaut,
en l'espèce, le risque a été identifié tardivement :
- malgré le nombre important de patients traités par Médiator' depuis 1976 les très rares cas rapportés de valvulopathie sous benfluorex sont restés isolés jusqu'en 2009,
- les autorités de santé ont considéré à plusieurs reprises jusqu'en 2009, qu'il n'existait pas de signal d'alarme significatif en pharmacovigilance permettant d'identifier l'existence d'un risque lié à l'utilisation du benfluorex alors même qu'une surveillance renforcée avait été mise en place,
- la communauté scientifique considérait, également en 2009 et 2011 que peu de cas de troubles cardiaques étaient rapportés, qui plus est sans lien causal démontré, et que de nouvelles études étaient nécessaires,
- l'AFSSAPS rappelle que ce n'est qu'en 2006, que l'on a rapporté en France le premier cas confirmé de fuite mitrale chez une femme traitée par Médiator' pendant une durée indéterminée,
- ainsi à la date à laquelle est survenu le dommage, la valvulopathie ayant été diagnostiqué le 24 juin 2003, aucune notification n'avait été faite en France permettant aux producteurs d'identifier le risque de survenue d'une valvulopathie et c'est au regard de cette connaissance progressive du risque associé à l'exposition au Médiator' que l'avocat général près la Cour de cassation a considéré qu''il doit être admis que le demandeur était en situation de pouvoir prétendre bénéficier de l'exonération de responsabilité prévue par l'article 1386-11 4° du Code civil....' ; cet avis fondé sur l'analyse des données de la pharmacovigilance, de la position des autorités de santé, des publications scientifiques les plus récentes et de l'opinion d'experts judiciaires démontre qu'elle est légitime à se prévaloir de l'exonération pour risque de développement,
- l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 20 septembre 2017, dont se prévalent les consorts Da S. n'est pas pertinent sur ce point, car cette juridiction ne s'est pas prononcée sur le caractère indécelable du défaut qui est une question de fait et les éléments de faits retenus par la cour d'appel pour écarter l'exonération pour risque de développement sont inexacts car si le Médiator' présente une parenté chimique et un métabolite commun avec l'Isoméride' et le Pondéral' retirés du marché en 1997, les molécules ne sont pas pour autant identiques et l'étude internationale à laquelle a fait référence la cour d'appel qui est l'étude épidémiologique IPPHS qu'elle a elle-même diligentée qui portait sur le lien possible entre la prise d'anorexigène, à l'exclusion du Médiator', qui ne fait pas partie de cette classe de médicaments et la survenue d'hypertension artérielle pulmonaire exclusivement, n'est pas pertinente,
- le Médiator' n'a pas fait l'objet d'un retrait de la part de l'Agence de santé Suisse puisque c'est elle-même qui n'a pas renouvelé la demande de mise sur le marché en 1998, date à laquelle aucun cas de valvulopathie sous Médiator' n'avait encore fait l'objet de déclaration de pharmacovigilance ; de même en Espagne et en Italie, c'est elle-même qui a retiré le médicament du marché pour des raisons commerciales,
' sur les préjudices :
sur les préjudices des victimes indirectes :
- le premier juge a justement rejeté la demande portant sur le préjudice d'accompagnement puisque le décès de Jean Da S. n'est pas en lien avec le fait dommageable ; si le décès était considéré comme en lien avec la prise de Médiator', la dégradation de l'état de santé de Jean Da S. n'a été que très partiellement imputable à la valvulopathie ; ainsi au terme de son deuxième rapport, le professeur F. a estimé que la limitation fonctionnelle n'était attribuable qu'à hauteur de 30 % à l'état cardiaque, de sorte que le préjudice d'accompagnement de Mme Sabine B. veuve Da S. ne saurait excéder 8 000 euros ; les autres demandes portant sur le préjudice d'accompagnement ne sont pas fondées alors qu'il n'est pas démontré que Monsieur Christian Da S., majeur qui ne vivait pas sur le même toit que son père, ni Mme Chloé Da S. ni Mme Claire B. épouse C., avaient avec le défunt une communauté de vie affective leur permettant de prétendre à cette indemnisation,
sur les préjudices de Jean Da S. :
- les montants alloués au titre du déficit fonctionnel temporaire dont le calcul n'est pas précisé doivent être réduits étant rappelé que l'indemnisation doit être limitée à 30 % ; elle propose une base mensuelle de 550 euros soit 18,33 euros par jour,
- la pathologie respiratoire n'étant pas en lien avec la pathologie cardiaque, le besoin en tierce personne ne saurait lui incomber,
- l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent doit être limitée à 30 % correspondant au lien entre la prise du Médiator' et l'insuffisance respiratoire et il y a lieu de tenir compte du décès survenu 41 jours après la consolidation ; elle propose à ce titre une indemnisation à hauteur de 225,46 euros,
- aucune somme ne peut être allouée au titre d'un préjudice moral, ce poste de dommage ayant été indemnisée dans le cadre des souffrances endurées,
sur le recours de la CPAM :
- elle ne peut être tenue que des débours exposés dans le cadre de la pathologie cardiaque et non de l'affection respiratoire majoritairement responsable de la dégradation de l'état de santé de Jean Da S.
Mme Sabine B. veuve Da S., Monsieur Christian Da S., Mme Chloé Da S. et Mme Claire B. épouse C. demandent à la cour dans leurs conclusions en date du 27 juin 2019, en application des articles 1245 et suivants (anciennement 1386-1 et suivants) du Code civil, de :
- juger autant irrecevable que mal fondé l'appel formé par la SAS Laboratoires Servier,
- débouter la SAS Laboratoires Servier de toutes ses demandes,
- juger recevable et bien fondé leur appel incident,
- constater le décès de Jean Da S. survenu le 8 juillet 2013 à l'Hôpital Nord de Marseille,
- juger que son fils unique, son épouse, sa petite-fille et sa belle-soeur sont bien fondés à poursuivre la procédure en leur qualité d'ayants-droit du défunt ainsi qu'à titre personnel et a solliciter juste et entière réparation,
- tirer les conséquences du rapport d'expertise judiciaire du professeur F. en date du 24 juillet 2014 ainsi que de ses annexes dont l'avis du professeur A., sapiteur, rendu le 15 juillet 2014,
- juger que la SAS Laboratoires Servier a engagé sa responsabilité à l'égard de Jean Da S. et de ses ayants-droit sur le fondement des articles 1245 et suivants du Code civil et est tenue à réparation à leur égard pour les préjudices occasionnés,
- juger que la SAS Laboratoires Servier a également manqué à son devoir d'information,
- confirmer en conséquence, le jugement en ce qu'il a dit que le lien de causalité entre la prise de Médiator', et la valvulopathie développée par Jean Da S. est démontré et en ce qu'il a déclaré la SAS Laboratoires Servier responsable de cette valvulopathie sur le fondement des articles 1242 et suivants du Code civil,
- confirmer le jugement, en ce qu'il a retenu que la responsabilité de la SAS Laboratoires Servier est engagée sur le fondement des articles 1245 et suivants du Code civil dans la mesure où le Médiator' est un produit défectueux comme n'offrant pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre en ce que, d'une part, les risques afférents à son utilisation dépassent son intérêt thérapeutique et, d'autre part, ces mêmes risques n'ont été portés à la connaissance, ni des médecins, ni des patients,
- infirmer le jugement en ce qu'il a notamment :
- dit que le lien de causalité entre la prise de Médiator' et le décès de Jean Da S. n'est pas démontré,
- dit que la SAS Laboratoires Servier n'est pas responsable du décès de Jean Da S.,
- rejeté la demande présentée au titre de leur préjudice d'accompagnement (préjudice moral, frais d'obsèques et préjudice économique de Mme Sabine B. veuve Da S.)
- rejeté leur demande au titre du préjudice d'agrément et du préjudice moral
- rejeté leur demande de dommages et intérêts pour résistance abusive,
- minoré certaines sommes au titre de l'action successorale,
- condamner en conséquence, la SAS Laboratoires Servier à verser les sommes suivantes au titre de l'indemnisation de leurs préjudices détaillés comme suit :
- préjudice moral résultant du décès et de l'accompagnement de la victime au cours de sa maladie (préjudice direct de ses ayants-droit) :
- Mme Sabine B. veuve Da S. : 40 000 euros,
- M. Christian Da S. : 35 000 euros,
- Mme Chloé Da S. : 10 000 euros,
- Mme Claire B. épouse C. : 3 000 euros,
- préjudices personnels au titre de l'action successorale sollicités par Mme Sabine B. veuve Da S. et M. Christian Da S. :
- déficit fonctionnel temporaire partiel à 25 % : 15 400 euros,
- déficit fonctionnel temporaire partiel à 40 % : 2 880 euros,
- déficit fonctionnel temporaire partiel à 50 % : 11 200 euros,
- déficit fonctionnel temporaire partiel à 60 % : 2 400 euros,
- déficit fonctionnel permanent évalué à 80 % comprenant l'angoisse et l'anxiété de développer la maladie : 200 000 euros,
- souffrances endurées : 45 000 euros,
- préjudice moral : 80 000 euros,
- préjudice d'agrément : 50 000 euros,
- frais d'obsèques : 3 673,80 euros,
- tierce personne : 19 728 euros,
- préjudice économique de l'épouse issu de la perte de revenus du mari entraînant une baisse de niveau de vie pour le conjoint suivi survivant : 90 000 euros à parfaire sur la base de 15 000 euros par an durant six ans,
- condamner la SAS Laboratoires Servier à leur verser la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive,
- condamner la SAS Laboratoires Servier à leur verser la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la SAS Laboratoires Servier aux dépens de première instance et d'appel notamment la prise en charge des frais d'expertise avec distraction.
Ils soutiennent que :
" sur le caractère défectueux du Médiator " :
- le Médiator' a non seulement eu des effets nocifs sur la santé de Jean Da S. mais il comportait un défaut majeur dans sa présentation,
- la toxicité du Médiator' dont le principe actif est le benfluorex qui a pour métabolite la norfenfluramine laquelle stimule certains récepteurs de la sérotonine ce qui induit une prolifération de fibroblastes et de collagène et provoque ainsi des remaniements valvulaires dominés par des aspects de fibrose avec épaississement et rigidité valvulaire responsable de régurgitations de type restrictif, a été révélée dès 1997 et la Cour de cassation a d'ailleurs estimé dans un arrêt du 20 septembre 2017 que la SAS Laboratoires Servier ne pouvait invoquer un risque de développement pour s'exonérer de sa responsabilité car l'état des connaissances scientifique ne permettait pas d'ignorer les risques d'HTAP et de valvulopathie induits par le benfluorex, principe actif du médiator,
- la SAS Laboratoires Servier ne rapporte pas la preuve de l'exonération de sa responsabilité en application de l'article 1245-10 du Code civil au titre du risque de développement ; en effet, les études épidémiologiques et de pharmacovigilance menées à partir de 2009 en France et bien auparavant dans le monde entier ont démontré que le benfluorex est responsable d'affections cardiaques et pulmonaires dont étaient atteints les patients traités par le Médiator' ; le 30 novembre 2009, l'AFSSAPS a suspendu l'autorisation de mise sur le marché du benfluorex précisément au regard du risque élevé de valvulopathie associé à la prise de cette molécule,
- la Cour de cassation à de nombreuses reprises et dans l'arrêt du 20 novembre 2017 a validé définitivement la responsabilité civile de la SAS Laboratoires Servier dans l'état de santé de patientes ayant pris du Médiator' en retenant le caractère défectueux de ce produit,
- le défaut du produit est notamment caractérisé par l'absence de toute information relative aux risques qu'il comportait, à savoir le risque d'apparition d'une valvulopathie cardiaque, sur la notice du médicament, ce que la Cour de cassation a sanctionné à plusieurs reprises,
- la SAS Laboratoires Servier doit être tenue pour responsable de ce défaut d'information quand bien même 'le produit aurait été fabriqué dans le respect des règles de l'art ou de normes existantes ou qu'il aurait fait l'objet d'une autorisation administrative' et ce au regard de l'article 1245-9 du Code civil,
" sur l'imputabilité du dommage au Médiator " :
- il est incontestable que Jean Da S. a consommé du Médiator' qui a été mis sur le marché par la SAS Laboratoires Servier entre 2000 et 2009, et ce de façon continue,
- le professeur F. a conclu dans son rapport à une forte probabilité de la responsabilité du Médiator' dans la survenue de la double valvulopathie dont a été atteint Jean Da S. et tous les médecins, cardiologues et chirurgiens cardiaques l'ayant pris en charge ont retenu de façon unanime l'imputabilité du benfluorex ; les minimes réserves émises par le professeur F. sont parfaitement théoriques et de principe comme il l'a lui-même reconnu,
- le lien de causalité entre la prise de Médiator' durant neuf ans et les multiples préjudices subis par Jean Da S., décédé des suites de la prise de ce médicament, est donc établi,
- en toute hypothèse, les éléments portés aux débats sont largement suffisants pour constituer pour le moins des présomptions graves, précises et concordantes ; en matière de produit de santé la Cour de cassation permet au demandeur, en l'absence de certitude scientifique, de rapporter la preuve du lien causal par de simples présomptions de fait,
- le docteur F. a expliqué dans son rapport que l'arrêt du benfluorex n'a pas fait régresser les graves valvulopathies consécutives à sa toxicité et que celles-ci ont évolué pour leur propre compte, c'est-à-dire vers une insuffisance cardiaque irréversible conduisant au décès que seule une intervention cardiaque pourrait prévenir, mais qui n'a pas pu être envisagée dans le cas de Jean Da S. en raison de sa fibrose pulmonaire,
- Jean Da S. est ainsi décédé d'une insuffisance cardiaque très évoluée attestée par un marqueur fondamental qu'est l'HTAP post-capillaire qui a été associée et aggravée par une insuffisance respiratoire d'une autre cause que le benfluorex,
- absoudre la part de l'insuffisance cardiaque dans le décès de Jean Da S. est aberrant scientifiquement et d'ailleurs, le docteur T. en charge de Jean Da S. a écrit en janvier 2013 que son état s'était aggravé avec à la fois des poussées d'insuffisance cardiaque et des décompensations respiratoires,
' sur l'indemnisation des préjudices subis :
- le professeur F. n'a pas repris correctement la nomenclature Dintilhac et ne s'est pas prononcé sur la nécessité d'une assistance par tierce personne,
- la période de déficit fonctionnel temporaire comprise entre le mois de septembre 2010 et le mois de janvier 2013 n'a pas été précisée par l'expert,
- depuis son retour à domicile et jusqu'à son décès plusieurs témoignages de proches et de tiers dont les infirmières établissent que les soins quotidiens notamment d'hygiène dont Jean Da S. a eu besoin ont été fournis par son épouse ; cette assistance doit être indemnisée à hauteur de 2 heures par jour durant 548 jours et selon un tarif horaire de 18 euros,
- Mme Sabine B. veuve Da S. a subi un préjudice économique du fait du décès de son conjoint ; en effet, le couple a déclaré des revenus de 29 620 euros pour l'année 2012, année ayant précédé le décès, et la veuve a déclaré des revenus de 14 626 euros pour 2014, année ayant suivi le décès ; la perte doit donc être évaluée à 15 000 euros par an,
- leur préjudice moral résulte du décès et de l'accompagnement de Jean Da S., qu'ils ont tous effectués, en se relayant, au cours de sa maladie.
La CPAM demande à la cour dans ses dernières conclusions du 2 septembre 2019, en application de l'article L. 376-1 du Code de la sécurité sociale, de :
' confirmer le jugement en ce qu'il a :
- déclaré la SAS Laboratoires Servier responsable des dommages subis par Jean Da S. des suites de la prise du Médiator',
- condamné la SAS Laboratoires Servier à lui payer la somme de 4 254 euros en remboursement des sommes versées au profit de Jean Da S. en raison du développement d'une valvulopathie à la suite de la prise de Médiator', celle de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion en application de l'article L. 376-1 du Code de la sécurité sociale et celle de 650 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et l'a condamnée aux dépens,
statuant à nouveau :
' condamner la SAS Laboratoires Servier à lui verser la somme de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de l'article L. 376-1 alinéa 9 du Code de la sécurité sociale,
' condamner la SAS Laboratoires Servier à lui verser la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
' condamner la SAS Laboratoires Servier aux dépens avec application de l'article 699 du Code de procédure civile.
Elle avance que contrairement à ce qu'affirme la SAS Laboratoires Servier, l'indemnité forfaitaire de gestion est différente de la somme allouée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et peut se cumuler avec elle car selon la Cour de cassation dans un arrêt du 12 avril 2012 elle 'diffère tant par ses finalités que par ses modalités d'application des frais exposés non compris dans les dépens de l'instance'.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la responsabilité
Il est prévu par les articles 1245 et 1245-8 du Code civil, que le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime et que le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.
Cette preuve peut être rapportée par tous moyens et notamment par présomptions graves, précises et concordantes.
En l'espèce, la SAS Laboratoires Servier ne conteste pas que le Médiator' est un produit défectueux au sens des textes précités.
Il est mentionné dans le rapport d'expertise du professeur F. en date du 4 octobre 2011, que Jean Da S. a consommé du Médiator' à raison de deux comprimés par jour du 8 décembre 2000 à la fin de l'année 2009, ce qui n'est pas contesté par la SAS Laboratoires Servier, et que ce médicament a été prescrit en raison d'une hypercholestérolémie et d'une hypertrigycéridémie.
' Sur le lien entre la prise de Médiator' et l'affection cardiaque de Jean Da S. :
L'expert le professeur F. a noté à partir du dossier médical de Jean Da S. que :
- Jean Da S. s'est plaint à partir de 2001, d'une dyspnée qui a amené son cardiologue, le docteur P., à prescrire une échographie cardiaque qui, réalisée le 24 juin 2003, a conclu à une insuffisance aortique grade III, une insuffisance mitrale grade III, une dilatation de l'oreillette gauche à 50mm et des calcifications de la valve mitrale,
- en juillet 2003, des explorations fonctionnelles respiratoires ont mis en évidence un épaississement pleural, ayant conduit à la réalisation d'un scanner le 29 juillet 2003 qui a objectivé un épaississement pleural et des images interstitielles,
- en novembre 2005, Jean Da S. a été hospitalisé dans le service de pneumologie de l'Hôpital de Martigues pour un épisode de dyspnée fébrile qui était en rapport avec un trouble du rythme cardiaque (fibrillation auriculaire et mise en évidence d'un épanchement pleural stérile),
- une échographie réalisée le 16 juin 2011 à l'Hôpital Nord à Marseille a conclu à une insuffisance aortique grade 2/4 et une insuffisance mitrale grade 2/4 avec aspect restrictif du jeu valvulaire.
Lors de l'examen de Jean Da S. le professeur F. a noté un souffle d'insuffisance aortique 2/6.
Cet expert a précisé que la double valvulopathie mitrale et aortique diagnostiquée en 2003 est restée stable d'après les différentes échocardiographies réalisées depuis lors mais que l'évolution a été marquée par une arythmie par fibrillation auriculaire ayant justifié des hospitalisations en service de cardiologie du 13 au 17 mai 2004 et en service de cardiologie et de pneumologie à partir de novembre 2005, date à partir de laquelle Jean Da S. a fait l'objet d'un suivi pneumologique régulier car une insuffisance respiratoire s'est progressivement développée.
Le professeur F. a conclut que Jean Da S. ne présentait pas d'autres facteurs de risque de développement de la double valvulopathie mitrale et aortique, notamment rhumatisme articulaire aigü ou angines à répétition, que la prise de Médiator' durant 9 ans et l'aspect des valvulopathies était compatible avec une origine iatrogène et donc avec la prise du Médiator'.
Il est mentionné dans le pré-rapport du professeur F. en date du 6 janvier 2014, que :
- le docteur T. qui a pratiqué en janvier 2012 une échocardiographie de Jean Da S. a estimé qu'il était atteint d'une 'valvulopathie mitro-aortique organique probablement d'origine médicamenteuse',
- le professeur H. cardiologue à l'Hôpital de la Timone à Marseille a indiqué dans le compte-rendu d'hospitalisation que Jean Da S. présentait 'une double valvulopathie mitro-aortique évocatrice d'une atteinte au Médiator'...'.
Le professeur F. a estimé au terme de son rapport du 24 juillet 2014, qu'il y avait une forte probabilité de la responsabilité du Médiator' dans la survenue de la double valvulopathie présentée par Jean Da S.
Les données qui précèdent (développement de la pathologie après une prise prolongée de Médiator', absence d'autres facteurs de risque, avis concordants des spécialistes en cardiologie et écographie cardiaque sur un aspect des valvulopathies en rapport avec une cause iatrogène et spécialement la prise du Médiator'), constituent des présomptions graves, précises et concordantes du lien de causalité direct et certain entre la prise de Médiator' et la valvulopathie mitro-aortique ayant affecté Jean Da S., et rendent la cause dégénérative liée à l'âge non pertinente.
' Sur le lien entre la prise de Médiator' et le décès de Jean Da S. :
Le professeur A., spécialisé en oncologie et pneumologie, a précisé dans son avis sapiteur en date du 15 juillet 2014, que les divers examens pratiqués et notamment le dernier scanner thoracique du 14 mai 2013 avait montré une image d'épaississement nodulaire irrégulier de la plèvre pariétale et notamment au niveau de sa partie médiastinale avec infiltration médiastinale évocatrice d'un processus tumoral malin primitif et donc d'un mésenthéliome pleural malin et que Jean Da S. présentait une fibrose pulmonaire dont l'évolution et l'aspect tomodensitométrique étaient en faveur d'une pneumopathie interstitielle diffuse idiopathique, type pneumopathie interstitielle usuelle, même si l'origine médicamenteuse ne pouvait être formellement écartée.
Par ailleurs, les rapports d'expertise du professeur F. en date du 4 octobre 2011 et du 24 juillet 2014 établissent que :
- la pathologie cardiaque de Jean Da S. n'a pas évolué entre 2011 et 2013,
- à partir de novembre 2005, Jean Da S. a progressivement développé une insuffisance respiratoire qui s'est aggravée significativement en 2013,
- l'intervention chirurgicale qui aurait permis de réparer la double valvulopathie a été exclue en raison de la nature médiocre des explorations respiratoires et de la présence d'une hypertension artérielle pulmonaire mixte avec une part importante pré-capillaire à intégrer dans la maladie fibrosante pulmonaire,
- Jean Da S. a été hospitalisé en urgence du 4 au 8 juillet 2013, pour une dégradation respiratoire dans le cadre d'une fibrose pulmonaire associée à une hypertension artérielle pulmonaire,
- Jean Da S. est décédé le 20 juillet 2013 d'une décompensation cardio-respiratoire et plus précisément, d'un arrêt cardiaque dans le cadre d'une hypoxie majeure,
- la présence d'une hypercapnie plaide en faveur d'un versant respiratoire dominant dans la survenue de l'arrêt cardio-respiratoire,
- il n'est pas possible de relier de façon directe et certaine l'hypertension artérielle pulmonaire à la prise de Médiator' car elle n'a été constatée que 3 ans après l'arrêt du médicament et elle est survenue dans un contexte de fibrose pulmonaire.
Eu égard à l'ensemble des éléments qui précèdent le décès de Jean Da S. ne peut être rattaché de façon directe et certaine à la prise du Médiator'.
Le jugement doit donc être confirmé sur ce point.
' Sur le risque de développement :
Il est prévu par l'article 1245-10 du Code civil, que le producteur peut s'exonérer de sa responsabilité, s'il prouve que l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut.
La date de mise en circulation du produit qui a causé le dommage s'entend, dans le cas de produits fabriqués en série, de la date de commercialisation du lot dont il faisait partie.
En l'espèce, le traitement ayant été administré entre 2000 et 2009, il convient de vérifier si durant cette période l'état des connaissances scientifiques permettait ou non à la SAS Laboratoires Servier de déceler le défaut du Médiator'.
Il ressort des pièces communiquées par les consorts Da S. et notamment des conclusions scientifiques et motifs de retrait des autorisations de mises sur le marché des médicaments contenant du benfluorex présentées par l'Agence européenne des médicaments, de l'étude 'benluorex (médiator) et atteintes valvulaires' et des jurisprudences et commentaires doctrinaux communiqués que :
- le principe actif du médiator est le benfluorex, lequel a pour métabolite la norfenfluramine qui stimule certains récepteurs de sérotonine, ce qui induit une prolifération de fibroblastes et de collagène, et provoque ainsi des remaniements valvulaires dominés par des aspects de fibrose, avec épaississement et rigidité valvulaire,
- la SAS Laboratoires Servier savait depuis 1993 que le benfluorex se métabolise en norfenfluramine,
- l'usage du benfluorex dans les préparations magistrales a été interdit en France dès 1995, en tant qu'anorexigène,
- deux anorexigènes la fenfluramine (Pondéral') et la dexfenfluramine (Isoméride) également produits par la SAS Laboratoires Servier ont été retirés du marché en 1997,
- le benfluorex qui n'était pas considéré comme un anorexigène n'a pas été concerné par ces mesures, néanmoins, la présence du métabolite commun avec le benfluorex (la norfenfluramine) ne permettait pas d'exclure, même à l'époque, que cette molécule, malgré les différences de classe thérapeutique et de mécanisme d'action principal, pût être à l'origine de risques de lésions cardio-vasculaires analogues à celles détectées pour les anorexigènes en 1997,
- ces éléments ont d'ailleurs conduit la SAS Laboratoires Servier, à retirer du marché le benfluorex en Espagne en 2003 et en Italie en 2005.
Il est ainsi établi qu'au plus tard en 1997 et donc en 2000, date de début d'administration du médicament à Jean Da S., existaient des données scientifiques et techniques concordantes sur les effets nocifs du Médiator' et l'intervention tardive du comité technique de pharmaco-vigilance et de l'ASSFAPS qui ne conduira à l'interdiction de commercialisation du médiator qu'en 2009, n'est pas de nature à dégager la SAS Laboratoires Servier de sa responsabilité.
Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a déclaré la SAS Laboratoires Servier responsable de la valvulopathie développée par Jean Da S.
Sur la réparation
Le décès de Jean Da S. n'étant pas imputable à la prise de Médiator' seul sont indemnisables le préjudice corporel subi par cette victime jusqu'à son décès et les préjudices personnels soufferts par ses ayants-droit en rapport avec cette pathologie.
Les consorts Da S. doivent donc être déboutés de leur demandes d'indemnisation des préjudices personnels qu'ils ont subis du fait du décès de Jean Da S.
' Sur le préjudice corporel de Jean Da S. :
L'expert a estimé dans ses rapports en date des 4 octobre 2011 et 24 juillet 2014, que Jean Da S. a subi :
- un déficit fonctionnel temporaire partiel à 25 % du 3 juillet 2003 au 7 décembre 2009,
- un déficit fonctionnel temporaire partiel de 40 % du 8 décembre 2009 au 22 septembre 2010,
- un déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 60 % du 1er janvier 2013 au 27 mai 2013,
- un préjudice d'agrément et des souffrances endurées de 6/7 dont 60 % est imputable à la part pulmonaire et 40 % à la part cardiaque,
- un déficit fonctionnel permanent de 80 % dont 30 % pour la part cardiaque.
Il a précisé en outre que, la double valvulopathie était fixée au jour du rapport du 4 octobre 2011.
Compte tenu de ces éléments, le préjudice corporel subi par Jean Da S. doit être évalué ainsi qu'il suit :
- Dépenses de santé actuelles 4 254 euros
La SAS Laboratoires Servier soutient ne pouvoir être tenue que des frais médicaux liés à la pathologie cardiaque à l'exclusion de ceux exposés au titre de la pathologie pulmonaire.
La CPAM a communiqué un état de ses débours faisant notamment état de frais d'hospitalisation à l'Hôpital de La Timone à Marseille du 12 mars 2012 au 15 mars 2012 à hauteur de 4 254 euros et il résulte du pré-rapport du professeur F. en date du 6 janvier 2014 que cette hospitalisation s'est faite dans le service de cardiologie.
L'imputabilité de ces dépenses à la pathologie cardiaque est donc établie et le jugement doit être confirmé en ce qu'il a fixé la créance de la CPAM à la somme de 4 254 euros et a condamné la SAS Laboratoires Servier au paiement de cette somme.
- Assistance temporaire par tierce personne /
Il n'est pas établi que, l'état de Jean Da S., en lien avec sa double valvulopathie, qui a été stabilisée en 2011, a nécessité qu'il soit aidé par une tierce personne dans l'accomplissement des actes de la vie courante, alors que ce besoin n'a pas été retenu par l'expert, que le certificat du docteur L. fait état d'un état de dépendance en lien avec l'oxygénothérapie à domicile et que la dégradation de l'état de santé de Jean Da S., a été la conséquence de sa pathologie pulmonaire ; le jugement doit être infirmé sur ce point.
- Déficit fonctionnel temporaire 7 014,60 euros
Ce poste inclut la perte de la qualité de la vie et des joies usuelles de l'existence et le préjudice d'agrément et le préjudice sexuel pendant l'incapacité temporaire.
Il doit être réparé sur la base d'environ 900 euros par mois, soit 27 euros par jour, eu égard à la nature des troubles et de la gêne subie et proportionnellement pendant la période d'incapacité partielle, et en tenant compte, du fait qu'il convient de considérer que la pathologie cardiaque n'en est responsable qu'à concurrence de 30 % :
- 5 211 euros (900 euros x 25% x 30 % x 77,2 mois) au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel à 25 % de 77,2 mois,
- 1 026 euros (900 euros x 40 % x 30 % x 9,5 mois) au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel à 40 % de 9,5 mois,
- 777,60 euros (900 euros x 60 % x 30 % x 4,8 mois) au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel à 60 % de 4,8 mois,
Soit au total 7 014,60 euros.
- Souffrances endurées 30 000 euros
Ce poste prend en considération, l'ensemble des souffrances physiques et morales, de quelque nature qu'elles soient, et les troubles associés supportés par la victime en raison de sa pathologie cardiaque et des examens et soins imposés par celle-ci ; évalué à 6/7 par l'expert, il justifie une indemnisation à hauteur de 30 000 euros pour la part imputable à la pathologie cardiaque.
- Préjudice moral /
L'angoisse liée à la maladie et à son évolution possible est indemnisée au titre des souffrances endurées ; aucune somme ne peut être distinctement allouée et le jugement doit être confirmé.
- Déficit fonctionnel permanent 4 427,16 euros
Ce poste de dommage vise à indemniser la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel résultant de l'atteinte anatomo-physiologique à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques et notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence (personnelles, familiales et sociales).
Il correspond à un taux de 80 % justifiant une indemnité de 78 000 euros selon une valeur du point devant être fixée à 2 600 euros pour un homme âgé de 77 ans au 4 octobre 2011 et atteint d'un déficit de 80 %.
Il n'est indemnisable que pour la période écoulée entre le 4 octobre 2011 et le 8 juillet 2013, date du décès soit la somme de 14 757, 20 euros (78 000 euros / 9,514 x 1,8 ans) calculée par conversion de cette indemnité sous forme de rente annuelle, par application du prix de l'euro de rente viagère selon le barème publié par la Gazette du palais le 28 novembre 2017 soit 9,514 pour un homme de 77 ans, à multiplier par les 1,8 années de survie.
Il n'est imputable à la pathologie cardiaque qu'à hauteur de 30 % ce qui représente une indemnité de 4 427,16 euros.
Le préjudice corporel global subi par Jean Da S. au titre de la pathologie cardiaque s'établit ainsi à la somme de 45 695.76 euros soit, après imputation des débours de la CPAM, une somme de 41 441,76 euros revenant à Mme Sabine B. veuve Da S. et M. Christian Da S.
Aux termes de l'article L 376-1 du Code de la sécurité sociale en contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement des prestations mises à sa charge, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affiliée la victime recouvre une indemnité forfaitaire de gestion, d'un montant en l'espèce de 1 080 euros, à la charge du responsable au profit de l'organisme national d'assurance maladie.
Il résulte des dispositions qui précèdent que la CPAM ne peut percevoir cette indemnité qu'à une seule reprise lorsqu'elle poursuit le recouvrement des mêmes prestations ; le jugement doit donc être infirmé sur le montant de l'indemnité forfaitaire de gestion et la SAS Laboratoires Servier sera condamnée à ce titre au paiement de la somme de 1 080 euros.
' Sur le préjudice d'accompagnement des proches :
Les proches de Jean Da S. ne rapportent pas la preuve, qu'ils ont subi un préjudice moral du fait de l'état dans lequel l'a placé sa pathologie cardiaque alors que la dégradation de son état de santé est liée à sa pathologie pulmonaire.
Le jugement doit être confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.
Sur la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive
L'exercice d'une action en justice ne dégénère en faute pouvant donner lieu à des dommages et intérêts que si le demandeur a agi avec intention de nuire, légèreté blâmable ou a commis une erreur équivalente au dol, tous faits insuffisamment caractérisés en l'espèce ; la demande des consorts Da S. de dommages et intérêts pour procédure abusive doit, dès lors, être rejetée.
Le jugement doit donc être confirmé sur ce point.
Sur les demandes annexes
Les dispositions du jugement relatives aux dépens, dont ceux d'expertise, et aux frais irrépétibles doivent être confirmées.
La SAS Laboratoires Servier qui succombe partiellement dans ses prétentions et qui est tenue à indemnisation supportera la charge des dépens d'appel avec application de l'article 699 du Code de procédure civile.
L'équité commande d'allouer à Mme Sabine B. veuve Da S., Monsieur Christian Da S., Mme Chloé Da S. et Mme Claire B. épouse C. 4 000 euros et à la CPAM 1 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.
Par ces motifs, LA COUR, - Confirme le jugement, hormis sur le montant de l'indemnisation du préjudice corporel de Jean Da S. et les sommes revenant à ce titre à ses héritiers et sur l'indemnité forfaitaire de gestion de la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône, Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant, - Fixe le préjudice corporel global de Jean Da S. imputable à la pathologie cardiaque à la somme de 45 695,76 euros, - Dit que l'indemnité revenant à cette victime s'établit à 78 629,52 euros, - Condamne la SAS Laboratoires Servier à payer à Mme Sabine B. veuve Da S. et M. Christian Da S. la somme de 41 441,76 euros en réparation du préjudice corporel de Jean Da S. imputable à la pathologie cardiaque, - Condamne la SAS Laboratoires Servier à payer à Mme Sabine B. veuve Da S., Monsieur Christian Da S., Mme Chloé Da S. et Mme Claire B. épouse C. la somme de 4 000 euros au titre de leurs frais irrépétibles d'appel, - Condamne la SAS Laboratoires Servier à payer à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône les sommes suivantes : * 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, * 1 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, - Condamne la SAS Laboratoires Servier aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.