Livv
Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 28 janvier 2020, n° 19-04389

RENNES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Agence 3C (SARL)

Défendeur :

Precom (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Contamine

Conseiller :

M. Garet

Avocat :

Me Baczkiewicz

T. com. Rennes, du 28 mai 2019

28 mai 2019

FAITS ET PROCEDURE :

Par bon du 15 juin 2015, la société Agence 3C a commandé auprès de la société Publicité Régies Edition et Communication (la société Précom) certaines prestations d'affichage, de six encartages de chéquier de bons de réduction sur la période de septembre 2015 à septembre 2016, de publicité sur site internet et de manchette dans les journaux Ouest-France et Presse Océan.

Par courriel du 12 janvier 2016, la société Précom a indiqué à la société Agence 3C qu'elle ne pourrait plus distribuer le chéquier " Les bons plans " de la société Agence 3C pour l'année 2016.

Estimant avoir subi un préjudice résultant de cette rupture du contrat, la société Agence 3C a assigné la société Précom en paiement de dommages-intérêts.

Par jugement du 28 mai 2019, le tribunal de commerce de Rennes a :

- Condamné la société Précom à payer la somme de 18 695 euros à la société Agence 3C, avec intérêts au taux légal avec anatocisme à compter du 11 juillet 2017,

- Débouté la société Agence 3C de sa demande au titre du préjudice moral,

- Condamné la société Précom à verser à la société Agence 3C la somme de 5 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et débouté la société Agence 3C du surplus de sa demande,

- Prononcé l'exécution provisoire du jugement,

- Condamné la société Précom Nantes aux entiers dépens.

La société Agence 3C a interjeté appel le 2 juillet 2019.

Par note du 1er octobre 2019, le conseiller de la mise en état a invité les parties à faire valoir toutes observations utiles sur la compétence de la cour pour statuer sur un litige relevant des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce.

Les dernières conclusions de la société Agence 3C sont en date du 22 octobre 2019. Les dernières conclusions de la société Précom sont en date du 8 octobre 2019.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 décembre 2019.

PRETENTIONS ET MOYENS :

La société Agence 3C demande à la cour de :

- Dire et juger la demande de la société Agence 3C recevable sur le fondement des dispositions de la responsabilité contractuelle de droit commun,

- Dire et juger que la société Précom a commis une faute engageant sa responsabilité contractuelle et qu'en conséquence, elle doit indemniser le préjudice subi par la société Agence 3C,

- Infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Précom à payer à la société Agence 3C la somme de 18 695 euros,

Statuant à nouveau :

- Condamner la société Précom à payer à la société Agence 3C la somme de 105 047 euros HT au titre de la perte de marge bénéficiaire sur 4 ans,

- Dire et juger que cette somme portera intérêts au taux légal avec anatocisme à compter du 11 juillet 2017,

A titre subsidiaire :

- Condamner la société Précom à payer à la société Agence 3C la somme de 50 418 euros HT au titre de la perte de marge bénéficiaire pour les parutions de février, avril, juin et septembre 2016, de la perte de chiffre d'affaires encaissé puis remboursé et de la perte d'investissement,

- Dire et juger que cette somme portera intérêts au taux légal avec anatocisme à compter du 11 juillet 2017,

- Infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Agence 3C de sa demande au titre du préjudice moral,

Statuant à nouveau :

- Condamner la société Précom à payer à la société Agence 3C la somme de 20 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice moral,

- Confirmer pour le surplus et en conséquence, condamner la société Précom en une indemnité de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et aux dépens exposés devant le tribunal,

Y additant :

- Condamner la société Précom en une somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel et dépens exposés devant la cour,

- Débouter la société Précom de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

La société Précom demande à la cour de :

A titre principal,

- Déclarer la société Agence 3C irrecevable en sa demande tendant à engager la responsabilité de la société Précom sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, en vigueur en janvier 2016,

- Condamner la société Agence 3C à payer à la société Précom la somme de 3 500 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile,

A titre subsidiaire, réformant le jugement :

- Dire et juger que la société Précom n'a commis aucune faute susceptible d'engager sa responsabilité contractuelle,

- Dire et juger que l'Agence 3C ne justifie d'aucun préjudice indemnisable,

- Débouter la société Agence 3C de toutes ses demandes, fins et conclusions,

En tout état de cause :

- Condamner la société Agence 3C à payer à la société Précom la somme de 3 500 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamner la société Agence 3C aux entiers dépens dont distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.

DISCUSSION :

Sur la recevabilité des demandes présentées par la société Agence 3C :

La société Agence 3C a renoncé à invoquer devant la cour d'appel les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce. Elle ne se prévaut plus que de la responsabilité contractuelle de droit commun. Il y a lieu de remarquer que, devant les premiers juges, la société Agence 3C avait, notamment, également invoqué ce fondement de droit commun à l'appui de ses demandes.

La demande de la société Précom tendant à l'irrecevabilité des demandes fondées sur les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce est donc sans objet.

Sur la rupture du contrat :

Le contrat du 14 juin 2016 prévoyait six prestations d'encartages s'échelonnant du 18 septembre 2015 au 1er septembre 2016. Il comportait des conditions générales de commercialisation, signées par la société Agence 3C, dont une clause de résiliation unilatérale de la diffusion de tout message publicitaire :

Conditions générales de commercialisation :

" Toute souscription d'un ordre de publicité implique de plein droit l'acceptation par l'annonceur et son mandataire éventuel, des présentes conditions générales de commercialisation lesquelles viennent rappeler voire compléter nos conditions générales de vente disponibles sur simple demande auprès du siège social de Précom et consultables sur le site http://www.Précom.fr. Les présentes conditions sont complétées par les conditions particulières de vente propres aux différents produits commercialisés sur tous supports par notre société du fait des spécificités inhérentes à leurs conception, mise en ligne, obligation... Un simple accusé de réception n'implique pas l'accord du journal, du site web ou de son régisseur.

Les supports et leur régisseur se réservent le droit de refuser ou de suspendre purement et simplement, sans devoir en préciser les motifs, tout message publicitaire et/ou lien hypertexte renvoyant vers le site de l'annonceur (même en cours d'exécution), dont la nature, le texte ou la présentation apparaîtraient comme contraire à leurs intérêts moraux ou commerciaux, sans autre obligation que de rembourser des sommes éventuellement versées. "

Cette possibilité de mettre fin unilatéralement au contrat ne vise que tout message publicitaire et/ou lien hypertexte renvoyant vers le site de l'annonceur contraire aux intérêts moraux ou commerciaux de la société Précom.

Même si la clause prévoit que la décision de résiliation n'a pas à être motivée, il appartient au juge de vérifier, alors que cela est contesté, si elle est intervenue dans l'un des cas prévu au contrat, à savoir une atteinte aux intérêts moraux ou commerciaux de la société Précom.

La société Précom ne se prévaut que d'une atteinte à ses intérêts commerciaux. Elle fait valoir que la société Agence 3C se trouve en concurrence directe avec elle.

Il est vrai que les sociétés interviennent toutes deux dans le domaine de la publicité. Mais la société Précom n'a pas refusé dès l'origine de contracter avec la société Agence 3C. Elle a même commencé à diffuser les chéquiers promotionnels en les encartant dans certains suppléments télévision hebdomadaires des éditions du groupe Ouest France. Elle n'indique pas en quoi les chéquiers promotionnels qu'elle a refusé de diffuser auraient été différents de ceux qu'elle avait accepté de diffuser auparavant ni en quoi ils seraient devenus contraires à ses intérêts commerciaux alors qu'ils ne l'auraient pas été auparavant. Il n'est ainsi pas justifié que le refus de la société Précom ait été fondé sur une atteinte à ses intérêts commerciaux. Ce refus unilatéral d'encartage était donc contraire aux stipulations contractuelles.

En tout état de cause, si la société Précom avait, dès l'origine, refusé de contracter en se prévalant d'une atteinte à ses intérêts commerciaux, la société Agence 3C n'aurait pas développé son projet ni investi dessus. En se prévalant, en cours d'exécution d'un contrat qu'elle avait accepté, de la défense de ses intérêts commerciaux, sans qu'il soit justifié qu'il leur ait été porté atteinte, après le début de l'exécution du contrat, la société Précom a commis un abus de droit.

Sur les préjudices :

Le contrat ayant été rompu en violation de ses dispositions et, en tout état de cause, par un abus de droit, la clause prévoyant la limitation de l'indemnisation due en cas de rupture du contrat au seul remboursement des sommes éventuellement versées n'est pas opposable à la société Agence 3C.

Sur la perte de marge escomptée :

La société Agence 3C se prévaut de la perte des bénéfices escomptés, et donc des bénéfices qu'elle estime avoir eu une chance de réaliser.

La société Agence 3C produit des documents établis par son expert-comptable. Ils doivent être appréciés en tenant compte de ce qu'ils ont été établis par une personne rémunérée par la société Agence 3C. Mais il n'en demeure pas moins qu'ils présentent des évaluations dont il convient d'apprécier la pertinence.

L'expert-comptable évalue ainsi les coûts directs pour chaque chéquier à 3 811 euros, incluant les coûts de création graphique, d'impression, de distribution et de démarchage, et les coûts d'amortissement à 902 euros, incluant les coûts initiaux d'investissement en factures fournisseurs et temps de travail. Au vu des coûts supportés par la société Agence 3C et des investissements réalisés pour concevoir et commercialiser ces chéquiers, ces évaluations correspondent à la réalité. Elles ne sont d'ailleurs pas utilement remises en cause par la société Précom.

Le chiffre d'affaires relatif au chéquier de février 2016, tel qu'il est justifié qu'il avait été facturé, était de 8 289 euros. Pour la diffusion annulée de ce chéquier, la société Agence 3C justifie d'une perte certaine d'une marge de 8 289 - 3 811 - 902 euros = 3 576 euros.

Il est justifié que la commercialisation de ces chéquiers montait en puissance lorsque le contrat a été rompu. Il ne peut cependant être retenu avec certitude que cette progression aurait été maintenue jusqu'à la fin du contrat, soit septembre 2016, ni que la commercialisation n'aurait pas pu connaître de régression. Il y a lieu de retenir que pour les chéquiers d'avril, juin et septembre 2016, la perte de chance de la société Agence 3C de réaliser une marge a été de 3 500 euros pour chacun de ces trois chéquiers.

Le contrat n'était pas prévu au-delà de septembre 2016. La perte de chance que le contrat se poursuive au-delà de cette date n'est pas établie.

La perte de chance de réaliser une marge pour les chéquiers postérieurs à celui de février 2016 doit être fixée à la somme de 10 500 euros.

Il y a lieu d'infirmer le jugement en ce qu'il a fixé à la somme de 18 695 euros le préjudice subi par la société Agence 3C du fait des pertes de marge et de chance de réaliser une marge. Ce préjudice sera fixé à la somme de 14 076 euros.

Sur le remboursement de chiffre d'affaires :

La société Agence 3C justifie qu'elle avait déjà commercialisé les chéquiers promotionnels auprès de ses clients pour une somme totale pour l'année 2016 de 15 918 euros TTC. Elle ne justifie cependant pas avoir dû rembourser des sommes qu'elle aurait perçues de ses clients. Cette demande sera rejetée.

Sur la perte d'investissement :

La perte d'investissement a déjà été prise en compte au titre de la perte de marge et il a été vu supra que la perte de chance d'amortir l'investissement au-delà de la date initialement prévue de fin du contrat n'était pas établie. La demande de paiement de la somme de 18 042 euros HT formée à ce titre sera rejetée.

Sur le préjudice moral :

Le chéquier de décembre 2015, qui avait été distribué, annonçait la parution d'un prochain chéquier en février 2016. La cessation de la distribution de ces chéquiers dans ces conditions a porté atteinte à la crédibilité et l'image de la société Agence 3C. De même, comme il a été vu supra, la société Agence 3C a dû annuler les commandes que ses clients lui avaient passées pour les chéquiers de l'année 2016. Ces annulations de commande ont porté atteinte à la crédibilité et à l'image de la société Agence 3C.

Au vu de ces éléments, il y a lieu de condamner la société Précom à payer à la société Agence 3C la somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral.

Il convient de ne pas faire supporter à la société Agence 3C les conséquences de la durée de la procédure et de la résistance de la société Précom. Les sommes dues au titre des dommages-intérêts produiront des intérêts à compter du 11 juillet 2017, date de l'assignation et ils seront capitalisés dans les conditions de l'article 1154 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.

Sur les frais et dépens :

Il y a lieu de condamner la société Précom à payer à la société Agence 3C la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'appel.

Par ces motifs : LA COUR, Déclare sans objet la demande de la société Précom tendant à l'irrecevabilité des demandes fondées sur les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, Infirme le jugement en ce qu'il a fixé à la somme de 18 695 euros le préjudice subi par la société Agence 3C du fait de la perte de marge et débouté la société Agence 3C de sa demande au titre du préjudice moral, Confirme le jugement pour le surplus, Statuant à nouveau et y ajoutant : Condamne la société Publicité Régies Edition et Communication à payer, au titre de son préjudice matériel, la somme de 14 076 euros à la société Agence 3C, avec intérêts au taux légal à compter du 11 juillet 2017 et capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, Condamne la société Publicité Régies Edition et Communication à payer payer, au titre de son préjudice moral, la somme de 5 000 euros à la société Agence 3C, avec intérêts au taux légal à compter du 11 juillet 2017 et capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, Condamne la société Publicité Régies Edition et Communication à la somme de 5 000 euros à la société Agence 3C au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette les autres demandes des parties, Condamne la société Publicité Régies Edition et Communication aux dépens d'appel.