CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 29 janvier 2020, n° 18-01068
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Hectare Holding (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
Mme Bodard-Hermant, M. Gilles
FAITS ET PROCÉDURE
M. X est architecte.
La société Hectare Holding exerce une activité de promotion immobilière.
Depuis 2007, M. X et la société Hectare Holding ont collaboré sur divers projets.
Dans le cadre de la réhabilitation de deux bâtiments du Domaine de Cazaban à Palaja, la société Hectare Holding, maître de l'ouvrage, a réglé à M. X trois notes d'honoraires. La mission a été interrompue par le maître d'ouvrage qui a refusé malgré mise en demeure de payer la quatrième note d'honoraire, à hauteur de 54 578,40 euros.
L'architecte a alors saisi le tribunal de commerce de Montpellier pour obtenir la condamnation de la société Hectare Holding au paiement total de ses honoraires, outre l'indemnisation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de la rupture brutale de leur relation commerciale établie.
Par jugement du 9 novembre 2016, le tribunal de commerce de Montpellier s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Marseille.
C'est dans ces conditions que le tribunal de commerce de Marseille, par jugement du 7 novembre 2017, a :
- reçu l'intervention volontaire de la Selarl Y en la personne de Mme Z, en sa qualité de liquidateur de M. X ;
- condamné la société Hectare Holding à payer à la Selarl Y ès qualités les sommes de :
* 41 418,40 euros au titre de la facture n° 15111101 du 9 novembre 2015 avec intérêts au taux légal à compter du 8 décembre 2015, date de la première mise en demeure ;
* 5 778 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies ;
* 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 Code de procédure civile ;
- condamné la société Hectare Holding aux dépens ;
- ordonné pour le tout l'exécution provisoire ;
- rejeté pour le surplus toute autre demande.
Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 10 août 2018 par la société Hectare Holding, demandant à la cour de :
Vu les articles 1104 et 1353 du Code civil ;
Vu l'article L. 442-6 du Code de commerce, et l'annexe 4-2-1 du Code de commerce ;
- dire l'appel recevable ;
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;
- statuant à nouveau :
- dire que rien ne justifie la demande de condamnation présentée par M. X au titre de sa facture en date du 9 novembre 2015, faute de prestation et d'accord contractuel à cet effet ;
- dire que la demande de paiement des dommages et intérêts demandés de M. X est irrecevable sur le fondement de la rupture des relations commerciales établies qui limite ces indemnités au paiement exclusif de la perte de marge sur une période de préavis ;
- dire que la rupture des relations entre les parties n'est pas brutale tenant son organisation préalable et est fondée sur les fautes de M. X et est donc de pourvue de tout caractère abusif, de telle sorte qu'elle ne justifie l'octroi d'aucune indemnité ;
- en conséquence :
- débouter en conséquence M. X de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner M. X au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens d'instance ;
Par dernières conclusions déposées et notifiées le 14 mai 2018, M. X et la société D. et associés, ès qualités, prient la cour de :
Vu l'article L. 442-6 du Code de commerce ;
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
* condamné la SAS Hectare Holding à payer la somme de 41 418,40 euros au titre de la facture du 9 novembre 2015 avec intérêts au taux légal à compter du 8 décembre 2015 ;
* jugé que la SAS Hectare Holding a rompu brutalement les relations commerciales établies ;
- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a limité le montant des dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales à 5 778 euros :
- condamner la SAS Hectare Holding à payer au liquidateur concluant la somme de 120 000 euros à titre dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;
- condamner la SAS Hectare Holding à payer au liquidateur concluant la somme supplémentaire de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.
SUR CE, LA COUR
Si le maître d'ouvrage affirme que la mission d'architecte litigieuse s'est arrêtée de la faute de l'architecte, il ne le prouve en rien.
En outre, aucune preuve de l'insuffisance professionnelle de l'architecte n'est davantage rapportée, malgré les allégations de la SAS Hectare holding.
Sur le paiement de facture
Pour condamner le maître d'ouvrage à payer à l'architecte une somme de 41 418,40 euros au titre de la facture n° 15111101 du 9 novembre 2015, le tribunal de commerce a retenu :
- que les trois précédentes notes d'honoraires pour la même opération, d'un montant de 5 000 euros, 5 793,60 euros et 5 016,72 euros, avaient été acquittées par le maître d'ouvrage et établissent la réalité de la mission complète d'architecte alléguée ;
- que l'architecte a chiffré ses honoraires forfaitisés à 63 000 euros HT, correspondant à 4 % de l'estimation prévisionnelle à hauteur de 1 592 000 euros HT du montant des travaux pour la réhabilitation du bâtiment " sur route ", et à 20 000 euros HT pour le bâtiment " Réception " ;
- que si les bases de calcul de l'honoraire de 20 000 euros pour le bâtiment " Réception " ne sont pas déterminées, le montant des travaux pouvant servir de base au calcul des honoraires de l'architecte doit être fixé à 1 592 000 euros ;
- que le taux de 4 % hors taxes appliqué par l'architecte à un tel montant de travaux pour le calcul de sa rémunération est cohérent avec les contrats habituellement conclus avec le maître d'ouvrage pour ce type de mission, soit la somme arrondie de 63 000 euros HT ;
- que compte tenu de l'avancement de la mission et des travaux effectivement réalisés, l'architecte a droit à des honoraires de 46 418,40 euros TTC ;
- que sur les trois acomptes versés, deux ne concernaient pas la mission complète mais seulement des travaux de sécurisation du site ;
- qu'après déduction de l'acompte n° 1 de 5 000 euros, le maître d'ouvrage reste devoir la somme de 41 418,40 euros TTC.
Toutefois, alors que les trois notes d'honoraires établies par l'architecte et payées par le maître d'ouvrage mentionnent qu'elles correspondent chacune à une avance sur honoraires pour une mission complète d'architecte en cours relative à l'opération en cours dénommée Réhabilitation du Domaine de Cazaban, il ne peut être retenu, faute de preuve contraire aux énonciations de ces documents, que seule la première était une avance sur honoraires pour la mission complète d'architecte.
Il convient donc de réformer sur ce point le jugement entrepris et de dire que le maître d'ouvrage a déjà payé une somme de 15 810,32 euros à valoir sur les honoraires litigieux.
S'agissant du complément de rémunération objet de la note d'honoraire contestée du 9 novembre 2015, les parties sont contraires sur le montant global des honoraires de l'architecte, alors que l'architecte a pris le risque, en contravention avec la déontologie de sa profession, de ne pas le déterminer par écrit et de conclure un contrat verbal.
Dans ce cas, le juge fixe le prix en tenant compte de la valeur du travail fourni qui peut s'apprécier par référence aux barèmes de la profession d'architecte ou, plus généralement, aux usages.
En l'espèce, il est établi que les relations professionnelles étaient habituelles entre les parties.
Le maître d'ouvrage se prévaut en particulier d'un contrat écrit entre les parties, daté du 12 septembre 2012, relatif à une mission de construction de 4 villas, allant de l'assistance à la passation du marché jusqu'à l'assistance aux opérations de réception, rémunérée au forfait à hauteur de 6 000 euros HT pour un montant global de travaux de 268 500 euros HT.
Ramenée à un pourcentage du montant des travaux, cette rémunération équivaut à un taux (2,2 %) presque deux fois moindre que celui dont se prévaut l'architecte en l'espèce (4 %).
Cependant, la particularité de cette mission de 2012 est qu'elle exclut toute esquisse, avant-projet, dossier de permis de construire et projet de conception générale.
La SAS Hectare holding soutient donc au mépris des termes mêmes du contrat qu'elle invoque qu'il s'agirait d'une mission complète allant du relevé d'état des lieux à la réception.
Le contrat d'architecte litigieux consiste en une mission complète de rénovation démarrant à la conception, ainsi que le reconnaît le maître d'ouvrage.
Aucun des autres contrats conclus par le maître d'ouvrage et que celui-ci produit comme exemple ne correspond exactement à la mission litigieuse.
En effet, il s'agit soit :
- d'une mission allant du permis de construire au visa des marchés pour une rémunération de 3,5 % HT du montant des travaux ;
- d'une mission allant du permis de construire au projet de conception général pour une rémunération de 3 % HT du montant des travaux ;
- d'une mission allant du permis de construire au visa des marchés pour une rémunération de 3,3 % HT du montant des travaux ;
- d'une mission allant des études préliminaires aux études de synthèse avec permis de construire modificatif rémunérée 41 000 euros HT, sans référence au montant des travaux ;
- d'une mission de construction allant de l'ouverture du dossier à la consultation des entreprises, rémunérée à hauteur de 4,018 % HT du montant des travaux ;
- de simples missions de maîtrise d'œuvre d'exécution (Villemolaque, et Salses-le-Château) et non des missions complètes ainsi que le soutient le maître d'ouvrage, pour des rémunérations de 10 000 euros HT chacune ;
- d'une mission de maîtrise d'œuvre d'exécution pour 61 750 euros HT.
En l'espèce, dès lors que la rémunération litigieuse n'a été fixée par les parties ni à une somme forfaitaire pour aucun des deux bâtiments, ni par référence aux débours de l'architecte, ni même en fonction de l'aboutissement ou non des travaux, la méthode de fixation des honoraires sur la base du montant prévisionnel hors taxes établi des travaux de 1 592 000 euros doit être retenue.
Le taux de 4 % appliqué à ce montant prévisionnel de travaux par l'architecte dans la facture litigieuse correspond aux usages et doit être également retenu.
La rémunération globale pour la mission complète peut donc être fixée à 63 000 euros, ainsi que l'a retenu l'architecte qui a arrondi.
Cependant, il est constant que le maître d'ouvrage a mis fin au projet et que l'architecte a interrompu sa mission au stade de la consultation des entreprises qui était toujours en cours, après avoir réalisé les études et sollicité les autorisations administratives.
Or, la note d'honoraires litigieuse mentionne des pourcentages pour les différentes tranches de mission qui atteignent 63 % après l'assistance à la passation des marchés, ce qui est contesté à juste raison par le maître d'ouvrage puisque cela ne laisse que 37 % pour les phases de visa de plan, de direction et comptabilité des travaux et d'assistance à la réception, c'est à dire pour les éléments de mission qui n'ont pas été réalisés.
Si le maître d'ouvrage ne peut être suivi lorsqu'il estime que le pourcentage de réalisation de la mission n'a été que de 25 %, par référence à un marché sans rapport déjà analysé (sa pièce n° 10), la cour dispose des éléments pour fixer le pourcentage de réalisation à 48 %, qui tient compte également de la nécessité de ne pas allouer de rémunération pour des actes non effectués ou pour lesquels le maître d'ouvrage ne se serait pas engagé à les payer.
La demande en paiement de l'architecte pour la mission litigieuse ne peut donc excéder en l'espèce 30 240 euros (63 000 x 48 % = 30 240).
Il convient de déduire les sommes déjà versées à hauteur de 15 810,32 euros.
Le solde dû est donc de 14 430 euros.
La lettre recommandée de mise en demeure du 8 décembre 2015 est parvenue le lendemain à la SAS Hectare holding, si bien que les intérêts au taux légal sur la somme allouée courent depuis le 9 décembre 2015.
Sur la rupture brutale
Le tribunal de commerce a alloué à l'architecte une somme de 5 778 euros de dommages-intérêts pour rupture brutale de relations commerciales établies, correspondant à 3 mois de préavis non respecté, calculée sur la base d'un chiffre d'affaires mensuel moyen de 4 815 euros, par application d'un taux de marge de 40 %.
La société Hectare Holding ne soutient pas valablement que la demande en indemnité pour rupture brutale serait irrecevable ou irrégulière pour ne pas justifier de la marge réalisée au titre de son activité et ne pas formuler de demande respectant les critères légaux.
D'ailleurs, sans que cela constitue des conditions de recevabilité de l'action, l'architecte réclame en cause d'appel l'indemnisation d'un préavis de 18 mois en fonction de son chiffre d'affaires réalisé avec le maître d'ouvrage et d'un taux de marge qu'il évalue à 30 %.
La demande n'est donc pas irrecevable.
Il est constant que M. X a travaillé de manière ininterrompue pour la SAS Hectare Holding depuis 2007, jusqu'en 2015, date à laquelle le maître d'ouvrage a décidé de mettre fin à cette collaboration, alors que la mission de réhabilitation du Domaine de Cazaban n'était pas achevée.
Peu important que cette décision fût d'ordre stratégique, pour des motifs de rentabilité connus de l'architecte, la société Hectare Holding devait lui notifier la fin de la relation commerciale établie en respectant un préavis de nature à lui permettre de se réorganiser afin de trouver de nouveaux clients.
Or, la preuve d'un préavis n'est nullement rapportée.
La rupture brutale de la relation commerciale établie qui a duré 9 années environ est donc démontrée.
M. X a su que la relation commerciale était terminée dès avant d'émettre la facture litigieuse ci-dessus, laquelle a d'ailleurs été exagérée par l'architecte dans une mesure incompatible avec le maintien de la confiance nécessaire à la poursuite du courant d'affaires.
M. X n'a eu aucune difficulté objective inhérente à la relation commerciale passée pour poursuivre son activité avec d'autres clients.
Il ne peut imputer à la SAS Hectare holding les causes de la cessation des paiements qui l'a conduit à la procédure de redressement judiciaire puis à la liquidation.
C'est pourquoi le tribunal de commerce doit être approuvé d'avoir dit que le préavis aurait dû être de trois mois.
Alors que le chiffre d'affaires de 2015 réalisé avec la SAS Hectare holding ne peut inclure la facture litigieuse pour la totalité de son montant, le tribunal de commerce doit être approuvé d'avoir retenu la moyenne annuelle de chiffre d'affaires des années 2012, 2013 et 2014 pour déterminer le chiffre d'affaires mensuel moyen de 4 815 euros.
En cause d'appel, le liquidateur se prévaut d'un taux de marge brute de 30 %, sans en justifier par aucun document.
Cependant, cette marge existe nécessairement, de sorte qu'en vertu du principe de réparation intégrale du préjudice, l'architecte ne peut être débouté de sa demande, contrairement à ce que soutient la SAS Hectare holding.
La cour estime avoir les éléments suffisants pour estimer que cette marge ne peut être inférieure à 30%, qui n'excède pas le taux de 40 % retenu par le tribunal et repris par le maître d'ouvrage dans ses moyens subsidiaires.
L'indemnité due par la SAS Hectare holding sera donc fixée à la somme de 4 333,50 euros (4 815 x 30 % x 3 = 4 333,50).
Le lien de causalité entre le surplus des préjudices invoqués par le liquidateur, pris de l'état des dettes arrêté au 5 février 2016, et la rupture brutale alléguée n'est pas établi.
Les prétentions à ce titre doivent être rejetées.
Sur les dépens et les frais
Les parties succombant chacune partiellement en leurs demandes, elles conserveront la charge des dépens d'appel qu'elles auront engagés.
En équité, il n'y a pas lieu à indemnité de procédure en application de l'article 700 du Code de procédure civile en appel.
Par ces motifs : LA COUR, Réforme le jugement entrepris, mais seulement en ce qu'il a : - dit que la somme de 41 418,40 euros restait due au titre de la facture n° 15111101 du 9 novembre 2015, - alloué une somme de 5 778 euros au titre de la rupture brutale de relations commerciales établies, Statuant à nouveau : Condamne la SAS Hectare holding à payer à la Selarl D. ès qualités une somme de 14 430 euros outre intérêts au taux légal à compter du 9 décembre 2015, Condamne la SAS Hectare holding à payer à la Selarl D. ès qualités une somme de 4 333,50 euros au titre de la rupture brutale de relations commerciales établies, Pour le surplus, Confirme le jugement entrepris, Déboute les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens d'appel, Rejette toute autre demande.