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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 30 janvier 2020, n° 17-12292

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Kalhyge 2 (Sasu)

Défendeur :

Hôtel Batignolles Villiers (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Prigent

Conseillers :

Mmes Soudry, Lignières

T. com. Paris, du 12 juin 2017

12 juin 2017

FAITS ET PROCÉDURE :

La société RLD2 est spécialisée en location et entretien de linge à destination d'une clientèle de professionnels.

Dans le cadre d'un contrat conclu le 22 décembre 2011 avec la société Hôtelière Bery, elle a fourni du linge et exécuté des prestations de blanchisserie au profit d'un hôtel situé <adresse>.

La société Hôtel Batignolles Villiers a repris l'exploitation de cet hôtel en 2013.

La société RLD2 a poursuivi ses prestations de blanchisserie au profit de l'établissement sis <adresse> et la société Hôtel Batignolles Villiers a réglé les factures qui lui ont été présentées.

Le 18 février 2015, la société Hôtel Batignolles Villiers a informé la société RLD2 qu'elle mettait fin à leur collaboration à compter du 1er avril 2015.

Le 9 mars 2015, la société RLD2 a adressé à la société Hôtel Batignolles Villiers une facture d'un montant de 17 055 euros au titre d'une indemnité de résiliation de contrat.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 6 mai 2015, la société RLD2 a, par l'intermédiaire d'une société de recouvrement, mis en demeure la société Hôtel Batignolles Villiers de lui régler une somme de 17 055 euros au titre de la facture du 9 mars 2015.

Cette mise en demeure étant demeurée infructueuse, la société RLD2 a, par acte du 26 mai 2015, assigné la société Hôtel Batignolles Villiers en paiement devant le tribunal de commerce de Paris.

Par jugement du 12 juin 2017, le tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la société Hôtel Batignolles Villiers de son exception d'incompétence ;

- débouté la société Hôtel Batignolles Villiers de son exception de nullité ;

- débouté la société RLD2 de sa demande au titre du paiement de sa facture du 9 mars 2015 ;

- condamné la société RLD2 à payer à la société Hôtel Batignolles Villiers la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

- condamné la société RLD2 aux dépens.

Par déclaration du 20 juin 2017, la société RLD2 a interjeté appel de ce jugement.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Dans ses dernières conclusions du 17 août 2018, la société Kalhyge 2 (anciennement dénommée RLD2) demande à la cour de :

- la recevoir en son appel et l'y déclarer bien fondée,

In limine litis,

Vu les articles 42 et 48 du Code de procédure civile,

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 12 juin 2016 en ce qu'il s'est reconnu compétent pour connaître du présent litige ;

Vu l'article 56 du Code de procédure civile,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité soulevée à l'encontre de l'assignation du 26 mai 2015 ;

Au fond,

Vu les dispositions des articles 1134 et suivants anciens du Code civil,

Vu les dispositions de l'article L. 441-6 du Code de commerce,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a refusé d'appliquer les dispositions du contrat professionnel d'entretien d'articles textiles à la relation entre les parties,

Statuant à nouveau,

- condamner la société Hôtel Batignolles Villiers à lui payer la somme principale de 17.055 euros au titre de la facture n° 206/649472 du 9 mars 2015 demeurée impayée ;

- dire et juger que la somme principale de 17.055 euros portera intérêt au taux contractuellement défini, égal à trois fois le taux d'intérêt légal, à compter de la date d'échéance de la facture n° 206/649472 du 9 mars 2015, soit à compter du 9 avril 2015 ;

Subsidiairement,

- dire et juger que la somme principale de 17 055 euros portera intérêt au taux légal à compter de l'assignation du 26 mai 2015 ;

En tout état de cause,

Vu les dispositions des articles 1134, 1152 et 1226 anciens du Code civil,

- condamner la société Hôtel Batignolles Villiers à lui payer la somme de 2 558,25 euros au titre de la clause pénale contractuelle,

Vu les dispositions combinées des articles 1147 et 1153 alinéa 4 anciens du Code civil,

- condamner la société Hôtel Batignolles Villiers à lui payer une indemnité de 5 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'indisponibilité des sommes dues et de l'inexécution par la défenderesse de ses obligations contractuelles,

Vu les dispositions de l'article L. 131-1 du Code des procédures civiles d'exécution et l'article L. 442-6 III alinéa 4,

- dire et juger que la condamnation de la société Hôtel Batignolles Villiers à lui payer la somme en principal de 17 055 euros sera assortie d'une mesure d'astreinte, à hauteur de 500 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir,

- condamner la société Hôtel Batignolles Villiers à lui payer la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Hôtel Batignolles Villiers aux entiers dépens.

Pour soutenir la validité de l'assignation du 26 mai 2015, la société Kalhyge 2 estime avoir accompli différentes démarches amiables à l'égard de la société intimée avant d'introduire une action en justice. Elle estime encore que l'absence de mention des diligences accomplies en vue de parvenir à une résolution amiable du litige n'est pas sanctionnée par la nullité de l'assignation.

A l'appui de sa demande en paiement, elle explique qu'elle a conclu, le 22 décembre 2011, avec la société Hôtelière Berry, qui exploitait précédemment l'hôtel situé <adresse>, un contrat intitulé " contrat professionnel de location entretien d'articles textiles " et que ce contrat a été repris en 2013 par la société Hôtel Batignolles Villiers. Elle soutient à cet égard que l'exécution du contrat s'est poursuivie au bénéfice de la société Hôtel Batignolles Villiers selon les mêmes modalités que celles prévues dans le contrat litigieux : même stock de linge, même nombre de livraisons, mêmes fréquences, même prix et que les factures émises entre mars 2014 et février 2015 ont été réglées. Elle ajoute avoir transmis à la société Hôtel Batignolles Villiers, par courriels des 25 juillet 2014 et 25 août 2014, le contrat litigieux et ses conditions générales de vente ainsi qu'un avenant et que cette dernière a poursuivi l'exécution du contrat après avoir été dûment informée des conditions contractuelles.

Elle sollicite en conséquence l'application de l'article 11 de ce contrat prévoyant une indemnité en cas de résiliation anticipée. A cet égard, elle estime que le contrat arrivait à échéance le 22 décembre 2015 et aurait dû être résilié six mois avant son échéance, ce qui n'a pas été le cas. Dès lors, elle demande le versement d'une indemnité couvrant les sommes qu'elle aurait dû percevoir si le terme du contrat avait été respecté.

A titre subsidiaire, elle considère qu'en vertu de l'article 10 du contrat du 22 décembre 2011, ce contrat a été cédé à la société Hôtel Batignolles Villiers lors de la cession du fonds de commerce.

A titre infiniment subsidiaire, elle se prévaut des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et estime que la responsabilité de la société Hôtel Batignolles Villiers doit être retenue au titre d'une rupture brutale des relations commerciales établies.

A cet égard, elle affirme que le préavis d'un mois et dix jours qui a été observé était insuffisant.

Dans ses dernières conclusions du 25 septembre 2017, la société Hôtel Batignolles Villiers demande à la cour de :

Vu les dispositions de l'article 56 du Code de procédure civile,

Vu les dispositions de |'article 1104 du Code civil,

In limine litis,

- juger nulle l'assignation délivrée le 26 mai 2015 et, de ce chef, infirmer le jugement rendu le 12 juin 2017 par le tribunal de commerce de Paris,

Dans tous les cas,

- confirmer le jugement rendu le 12 juin 2017 en ce qu'il a débouté la société RLD2 de ses demandes de condamnation à son encontre,

- juger que la société RLD2 ne justifie pas de l'existence d'un contrat écrit ;

- débouter la société RLD2 de l'intégralité de ses demandes ;

Subsidiairement, s'il était jugé qu'elle a commis une faute,

- dire que celle-ci n'a pas eu de conséquence pour la société RLD2,

- réduire à néant l'indemnité de résiliation du contrat,

- dire n'y avoir lieu à condamnation au titre de la clause pénale et, en tant que de besoin, la réduire à néant,

- dire n'y avoir lieu à condamnation des intérêts, pas plus qu'au prononcé d'une astreinte ou à des dommages et intérêts,

- condamner la société RLD2 aux entiers dépens de première instance et d'appel,

- condamner la société RLD2 à lui payer la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

A l'appui de sa demande d'annulation de l'acte introductif d'instance, la société Hôtel Batignolles Villiers fait valoir l'absence d'information donnée dans l'assignation quant aux diligences entreprises par la société RLD2 pour parvenir à une résolution amiable du litige en violation des dispositions de l'article 56 du Code de procédure civile.

Sur le fond, la société Hôtel Batignolles Villiers dénie être liée par le contrat conclu le 22 décembre 2011. Elle explique n'avoir aucun lien avec la société Hôtelière Berry de sorte que les stipulations contractuelles invoquées lui sont inopposables. Elle dément avoir eu connaissance desdites stipulations avant l'envoi de sa lettre de résiliation. Elle ajoute avoir demandé en vain à la société RLD2 la conclusion d'un contrat écrit. Elle prétend que dans ces conditions, les relations qui ont eu lieu avec la société RLD2 sur la période comprise entre les mois de janvier 2013 et février 2015 sont régies par un accord verbal et qu'aucune indemnité de résiliation ne peut donc lui être réclamée. Elle ajoute avoir respecté un préavis de deux mois avant la résiliation effective du contrat, ce qu'elle estime suffisant au regard des relations contractuelles qui ont duré deux ans. Elle observe que la société RLD2 a réalisé en 2014 un chiffre d'affaires de 85 180 900 € de sorte que la rupture de leurs relations ne lui a causé aucun préjudice.

Par ailleurs, la société Hôtel Batignolles Villiers relève que la société RLD2 retient la date du 22 décembre 2015 comme date d'échéance du contrat alors que le contrat prévoit comme date d'échéance la date anniversaire de la première livraison. Or la société RLD2 ne justifie pas de la date à laquelle cette première livraison est intervenue. En outre, elle prétend que la société RLD2 ne peut réclamer une indemnité correspondant à un chiffre d'affaires alors qu'elle n'a exposé aucune charge et n'a exécuté aucune prestation.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 20 juin 2019.

MOTIFS

Sur la nullité de l'assignation

Selon l'article 56 alinéa 7 du Code de procédure civile dans sa rédaction applicable au litige, " sauf justification d'un motif légitime tenant à l'urgence ou à la matière considérée, en particulier lorsqu'elle intéresse l'ordre public, l'assignation précise également les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige. "

Toutefois contrairement à ce qu'affirme la société Hôtel Batignolles Villiers, cette précision n'est pas requise à peine de nullité. Ainsi l'article 127 du même Code prévoit-il que s'il n'est pas justifié, lors de l'introduction de l'instance et conformément aux dispositions des articles 56 et 58, des diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige, le juge peut proposer aux parties une mesure de conciliation ou de médiation.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande en nullité de l'assignation de la société Hôtel Batignolles Villiers.

Sur les demandes en paiement au titre du contrat du 22 décembre 2011

A l'appui de sa demande en paiement d'une indemnité de résiliation, la société Kalhyge 2 se prévaut d'un contrat intitulé " contrat professionnel de location entretien d'articles textiles " en date du 22 décembre 2011. Pourtant ce contrat a été conclu avec la société Hôtelière Berry qui est une personne morale distincte de la société Hôtel Batignolles Villiers.

Le simple fait pour la société Hôtel Batignolles Villiers d'avoir repris l'exploitation de l'hôtel situé <adresse> ne peut lui rendre applicable un contrat conclu par une société tierce.

De même, le fait pour la société Hôtel Batignolles Villiers d'avoir acquitté, dès le mois de janvier 2013, les factures qui lui étaient présentées par la société RLD2 au titre de prestations de blanchisserie ne peut équivaloir à une acceptation des termes du contrat du 22 décembre 2011 alors même qu'il est établi que ce contrat n'a été porté à sa connaissance au plus tôt que le 25 juillet 2014. Il sera en outre relevé que la transmission de ce contrat le 25 juillet 2014 ou le 25 août 2014 est démentie par la société Batignolles Villiers et que la preuve de cette transmission n'est pas suffisamment rapportée par les courriels versés aux débats. En effet, les pièces versées aux débats ne permettent pas de vérifier le contenu des pièces jointes transmises avec lesdits courriels.

Enfin si l'article 10 du contrat litigieux prévoit que " En cas de cession du fonds de commerce, le contrat se continue de plein droit avec le cessionnaire. Le cédant est tenu d'inclure une clause de continuation du contrat dans l'acte de cession de fonds de commerce, à défaut, il resterait redevable, à l'égard du loueur, des indemnités prévues en cas de résiliation anticipée du présent contrat ", il n'est pas démontré que la société Hôtel Batignolles Villiers ait succédé à la société Hôtelière Berry dans l'exploitation de l'hôtel à la suite d'une cession de fonds de commerce ni qu'une telle cession ait inclus une clause de continuation du contrat.

Dans ces conditions, en vertu de l'effet relatif des contrats, les dispositions contenues dans le contrat conclu le 22 décembre 2011 entre la société RLD2 et la société Hôtelière Berry sont inopposables à la société Hôtel Batignolles Villiers. La société Kalhyge 2 est donc mal fondée à solliciter une indemnité pour résiliation anticipée du contrat ou encore le paiement de la clause pénale ou de dommages et intérêts contractuels. Le jugement entrepris sera confirmé sur ces points.

Sur la demande en paiement au titre d'une rupture brutale des relations commerciales établies

L'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis.

En l'espèce, l'existence de relations commerciales établies entre la société RLD2 et la société Hôtel Batignolles Villiers n'est pas discutée.

Par ailleurs, le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

En l'espèce, il est acquis que les relations existaient depuis un peu plus de deux ans à la date du préavis et ont généré un chiffre d'affaires mensuel moyen de 2 274,75 euros entre les mois de mars 2014 et février 2015. En outre, il est démontré que la société RLD2 a réalisé un chiffre d'affaires de 79 803 100 euros en 2015 de sorte que le pourcentage de son chiffre d'affaires réalisé avec la société Hôtel Batignolles Villiers s'élève à 0,03 %.

Eu égard à ces éléments, le préavis d'un mois et neuf jours observé par la société Hôtel Batignolles Villiers apparaît suffisant et la responsabilité de cette dernière pour rupture brutale des relations commerciales établies ne peut être retenue. La demande de dommages et intérêts de ce chef ne peut donc prospérer.

Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile

La société Kalhyge 2 succombe à l'instance d'appel. Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du Code de procédure civile. La société Kalhyge 2 sera en outre condamnée à supporter les dépens de l'instance d'appel et à régler à la société Hôtel Batignolles Villiers une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. La demande présentée sur ce fondement par la société Kalhyge 2 sera rejetée.

Par ces motifs / LA COUR, Confirme le jugement déféré ; Y ajoutant, Déboute la société Kalhyge 2 de sa demande de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies ; Condamne la société Kalhyge 2 à régler à la société Hôtel Batignolles Villiers une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute les parties de leurs autres demandes ; Condamne la société Kalhyge 2 à supporter les dépens de l'instance d'appel.