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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 5 février 2020, n° 17-18260

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

DK Star (SARL), Opale Star Automobiles (SARL)

Défendeur :

Suzuki France (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Conseiller :

M. Gilles

Avocat :

Me Guerre

T. com. Lille Métropole, du 11 juill. 20…

11 juillet 2017

FAITS ET PROCÉDURE

La société Suzuki France a pour activité l'importation en France de véhicules de marque Suzuki qu'elle distribue à travers son réseau de concessionnaires.

Les sociétés DK Star, implantée à Dunkerque, CL Star implantée à Calais et Opale Star, implantée à Boulogne-sur-Mer, ont le même dirigeant, sont filiales de la Holding FRF et sont spécialisées dans le secteur d'activité du commerce de voitures et de véhicules automobiles légers.

Entrées en relations commerciales en 1995, ces sociétés ont formalisé leurs relations par contrats conclus le 26 septembre 2003, de concession pour DK Star et, pour Opale Star, de réparateur agréé rattaché au site de CL Star, mise en liquidation judiciaire sans poursuite d'activité par jugement du tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer du 13 décembre 2012.

Par jugements du 26 mai 2015, les sociétés DK Star et Opale Star ont été placées en liquidation judiciaire respectivement par le tribunal de commerce de Dunkerque et le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer, Maîtres X et Y étant désignés en qualité de liquidateurs judiciaires.

Par acte du 12 avril 2016, ces derniers, ès qualités ont assigné la société Suzuki France sur le fondement des articles L. 442-6 I 5° du Code de commerce et 1382 du Code civil devant le tribunal de commerce de Lille Métropole qui, par jugement du 11 juillet 2017 a rejeté leurs demandes et les a condamnés in solidum, ès qualités à payer chacun à la société Suzuki France une indemnité de procédure de 10.000 euros et aux dépens par moitié.

Les sociétés X et Associés et Y Mandataires et Associés, ès qualités, intervenantes volontaires et appelantes de ce jugement, demandent à la cour, par conclusions transmises par RPVA le 02 décembre 2019, de :

Vu l'article 783 du Code de procédure civile,

- dire recevable et bien fondée l'intervention volontaire de la Selarl X & Associés et de la Selarl Y Mandataires et Associés ès qualités de liquidateurs judiciaires des sociétés DK et Opale Star.

- les Dire recevables et fondées en leur appel.

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel.

Vu les articles 442-6-I-5° du Code de commerce et 1382 du Code civil.

- dire que la société Suzuki France a rompu brutalement, à effet immédiat du 3 février 2015, la relation commerciale établie qu'elle entretenait avec les sociétés DK et Opale Star ;

- condamner la société Suzuki France à payer :

* à la Selarl X & Associés en la personne de Me X ès qualités de Liquidateur Judiciaire de la société DK, la somme de 506 000 euros de dommages et intérêts,

* à la Selarl Y Mandataires et Associés en la personne de Maître Y ès qualités de Liquidateur Judiciaire de la société Opale Star, la somme de 384 000 euros de dommages et intérêts

- condamner la société Suzuki France à payer à la Selarl X & Associés et la Selarl Y Mandataires et Associés ès qualités la somme de 10 000 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

- condamner la société Suzuki France en tous les dépens de première instance et d'appel.

La société Suzuki France, intimée, par conclusions transmises par RPVA le 15 novembre 2019 par lesquelles il est demandé à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris en date du 11 juillet 2017 en toutes ses dispositions ;

En conséquence,

- débouter Maître X, ès qualités de Liquidateur Judiciaire de la société DK, et Maître Y, ès qualité de Liquidateur Judiciaire de la société Opale Star, de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;

En tout état de cause,

- condamner in solidum Maître X, ès qualités de Liquidateur Judiciaire de la société DK, et Maître Y, ès qualité de Liquidateur Judiciaire de la société Opale Star, à payer chacun à la société Suzuki France la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner in solidum Maître X, ès qualités de Liquidateur Judiciaire de la société DK, et Maître Y, ès qualités de Liquidateur Judiciaire de la société Opale Star, aux entiers dépens.

La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.

SUR CE LA COUR

Vu l'article 783 du Code de procédure civile, il y a lieu de recevoir l'intervention volontaire de la Selarl X & Associés et de la Selarl Y Mandataires et Associés en qualité de liquidateurs judiciaires des sociétés DK Star et Opale Star, remplaçant MM. X et Y suivant décisions du tribunal de commerce de Dunkerque du 30 novembre 2018 et du tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer du 2 novembre 2018, laquelle n'est d'ailleurs pas contestée.

Par courrier du 3 avril 2012, la société Suzuki France a informé les membres de son réseau de la résiliation formelle de leur contrat de concession exclusive à l'issue d'un préavis de deux ans, soit en avril 2014, en raison de sa réorganisation en réseau de distribution sélective ainsi que des critères de distribution sélective désormais définis, joints en annexe à ce courrier.

Le 7 février 2013, un protocole d'accord valant transaction a été conclu entre la société Suzuki France, d'une part et la société DK Star et son dirigeant, d'autre part, au terme duquel il était prévu :

- le rattachement du secteur de Calais, précédemment concédé à la société CL Star, à la société DK Star ;

- le respect d'un objectif de ventes annuel de 100 véhicules neufs en 2013 ;

- l'octroi à la société DK Star d'un encours de 120 000 euros pour l'achat de véhicules neufs et de pièces détachées, sous réserve du maintien d'une caution de 72 000 euros au profit de la société Cofiplan, partenaire financier de la société Suzuki France ;

- le règlement par la société DK Star de la créance de 33 316,25 euros restant due à la société Cofiplan.

Le 15 janvier 2014, la société Suzuki France a indiqué à la société DK Star qu'elle entendait mettre un terme à leurs relations commerciales en avril 2014 compte tenu du non-respect des critères applicables au réseau de distribution sélective.

Le 2 juillet 2014, la société Suzuki France, la société DK Star et son dirigeant ont conclu un nouveau protocole d'accord fixant les modalités de la poursuite des relations commerciales pour l'année 2014 et prévoyant :

- en son article 5, l'engagement des parties de rechercher activement et de bonne foi un repreneur pour les deux secteurs de Calais et Boulogne-sur-Mer afin qu'une cession intervienne dans les meilleurs délais

- en son article 6, le respect par le dirigeant de la société DK Star au 31 décembre 2014 de l'ensemble des critères de distribution sélective définis par la société Suzuki France, " notamment l'absence de recours au dépôt-vente, un fonds de roulement reconstitué et des paiements aux échéances normales ".

Par courrier du 3 février 2015, la société Suzuki France a informé la société DK Star de la fin des relations commerciales en application de l'article 6 du protocole d'accord du 2 juillet 2014, faute pour elle de pouvoir exercer une activité de concessionnaire conforme aux stipulations de son contrat de distribution sélective.

En cet état, les appelantes reprochent à la société Suzuki France, à qui elles imputent la responsabilité des impayés litigieux, la rupture brutale de leurs relations commerciales et un comportement déloyal dans l'application du protocole de 2014, notamment quant à la vente du fonds de commerce de Calais et l'installation d'un nouveau concessionnaire à Saint Omer. Elles demandent en conséquence sa condamnation à payer les sommes de 506 000 euros à la société DK Star et 384 000 euros à la société Opale Star correspondant à un préavis supplémentaire de deux ans à compter du 3 février 2015.

la cour retient cependant, à l'instar du jugement entrepris dont elle adopte les motifs qu'aucun argument des appelantes ne remet en cause, d'une part, que la rupture ne peut être qualifiée de brutale en l'état d'un préavis de 34 mois à compter du courrier du 3 avril 2012 permettant soit de remplir les conditions contractuelles du nouveau réseau sélectif soit de disposer d'un temps suffisant pour se réorienter et, d'autre part, qu'il ne peut être imputé à la société Suzuki France un quelconque comportement fautif de nature à engager sa responsabilité pendant la période de ce préavis.

Ainsi, sur la rupture brutale alléguée, les appelantes soutiennent vainement que la société Suzuki France n'avait pas l'intention de rompre le 3 avril 2012 mais de conserver l'ensemble des concessionnaires de son réseau, les protocoles de 2013 et 2014 ayant opéré novation des obligations des parties dans le cadre d'un contrat de distribution sélective à durée indéterminée, conformément à l'article 1er du protocole du 2 juillet 2014.

En effet, la lettre du 3 avril 2014 mentionne expressément une " résiliation ", " formelle " en raison du changement de système de distribution qui n'est plus exclusive mais sélective et qui ne sera telle que si les critères en sont remplis dès lors qu'il est encore expressément énoncé que pour demeurer dans le réseau à l'issue du délai de préavis, les critères de distribution sélective, joint en annexe, devront être satisfaits. A cet égard la référence à l'article 9.2 du contrat de concession prévoyant un préavis de deux ans et non à son art 9.3 b réduisant ce délai à un an en cas de réorganisation du réseau ne suffit pas, dans ce contexte, à remettre en cause cette volonté de résiliation du contrat de concession exclusive, au profit, le cas échéant, d'un contrat de distribution sélective.

Quant à la novation des obligations des parties dans le cadre d'un nouveau contrat de distribution sélective à durée indéterminée - prétendument opérée par les protocoles de 2013 et 2014 - le jugement entrepris retient exactement au visa de l'article 1271 devenu 1329 et 1330 du Code civil, que les conditions n'en sont pas remplies. En effet, l'objet de ces protocoles était, suite aux difficultés financières des sociétés DK Star et Opale Star tels qu'évoquées au point 5 du protocole de 2013 et aux points 1 et 3 du protocole de 2014, de permettre au concessionnaire d'atteindre les critères sélectifs, sans préjuger du résultat atteint à l'issue du délai de préavis, prorogé au 31 décembre 2014.

A cet égard, peu importe l'article 1er du protocole du 2 juillet 2014 prévoyant :

- la poursuite dans les conditions qu'il définit, de la relation jusqu'au 31 décembre 2014,

- la signature, concomitamment à celui-ci, d'un nouveau contrat de distribution sélective portant sur le même territoire que celui accepté dans le cadre du protocole de 2013,

- et que ce protocole de 2014 constitue un avenant dérogatoire à ce contrat de distribution sélective.

En effet, le 2 juillet 2014, compte tenu du changement de système de distribution de Suzuki, la poursuite de la relation commerciale des parties jusqu'au 31 décembre 2014 ne pouvait avoir lieu suivant le contrat de distribution exclusive ayant lié les parties, formellement résilié le 3 avril 2012 avec un préavis de deux ans expiré à cette date. D'autre part, il ne résulte pas de cet article 1er du protocole que le contrat de distribution sélective qu'il vise est, comme allégué, à durée indéterminée mais, au contraire, au vu notamment des termes sans ambiguïté de l'article 6 de ce protocole, que les critères sélectifs n'étaient pas satisfaits lors de sa signature et que s'ils ne devaient pas l'être à l'issue du préavis prorogé au 31 décembre 2014, la société Suzuki France " se réserve la possibilité de mettre fin immédiatement au contrat de distribution sélective signé concomitamment au présent protocole d'accord et au contrat de réparateur agréé, et ce, sans aucune indemnité de part et d'autre ".

Il s'en déduit, alors que la novation ne se présume pas, que la volonté sans équivoque des parties d'opérer la novation de leurs obligations en un contrat de distribution sélective à durée indéterminée remettant en cause la résiliation et le préavis de deux ans notifié le 3 avril 2012 ne résulte pas de ce protocole.

Au surplus, les appelantes ne remettent pas utilement en cause les motifs des premiers juges quant au bien-fondé des motifs invoqués par la société Suzuki France dans sa lettre précitée du 3 février 2015 ou quant à ses manquements contractuels prétendus, étant relevé :

- sur les retards de paiement, qu'ils ne peuvent être imputés à la société Suzuki France dès lors que les concessionnaires ne payaient pas les véhicules dès leur vente au client final qui les leur avaient payés et que ces impayés auraient d'autant plus suffi à justifier la résiliation sans préavis que DK Star a bénéficié de conditions commerciales dérogatoires avantageuses grâce à la mise en place du système de dépôt-vente lui permettant d'améliorer sa trésorerie dans les conditions détaillées ci-dessous,

- sur la prétendue dépendance économique, que l'article 1.4.1 des contrats de concessions du 26 septembre 2003 précise que les parties reconnaissent qu'il n'existe aucune interdiction au concessionnaire de vendre des véhicules concurrents de la marque Suzuki, que DK Star a pu représenter la marque Subaru jusqu'en 2009 et que l'exigence d'un hall d'exposition d'au moins 200 mètres résultant des critères sélectifs n'a fait l'objet d'aucune remarque particulière antérieurement au procès, de sorte que DK Star ne peut valablement prétendre avoir été contrainte par la société Suzuki France de limiter son activité,

- sur les conséquences fiscales (TVA) de la mise en place des contrats de dépôt-vente, que les premiers juges relèvent exactement que ce système dérogatoire qui a permis à DK Star de se constituer de la trésorerie en la dispensant de payer le prix des véhicules avant leur revente a été accepté en sa faveur et qu'elle ne peut faire grief à la société Suzuki France d'avoir à restituer une TVA déjà déduite sur des véhicules qui en définitive ne sont pas vendus,

- sur la vente du fonds de commerce de Calais, que le seul fait pour le représentant de la société Suzuki France de ne pas avoir honoré le rendez-vous du 12 janvier 2015 fixé pour une vente éventuelle à la préparation de laquelle cette société a participé (pièces appelantes 16-17) ne suffit pas à caractériser un manquement à son obligation de faire ses meilleurs efforts pour rechercher un repreneur, telle que rappelée ci-dessus, alors même qu'il n'est fourni aucun élément sur les suites de ce rendez-vous,

- sur la nomination, fin février 2015, d'un nouveau concessionnaire sur le secteur de Saint Omer concédé à la société DK Star, que cette nomination qui est postérieure à la cessation des relations des parties, n'est pas fautive.

Enfin, la cour retient ce qui suit sur l'exigence contractuelle d'un fonds de roulement de 1 200 euros par véhicule neuf, sur la base de 100 véhicules neufs, convenue pour 2014, dont les appelantes soutiennent qu'elle était satisfaite compte tenu du blocage du compte courant du dirigeant de la société DK Star détenu par la holding FRF à hauteur de 85 521 euros et de compensations intragroupes.

Il a été vu plus haut qu'au terme de l'article 6 du protocole du 2 juillet 2014, le dirigeant de la société DK Star s'est expressément engagé à respecter au 31 décembre 2014 l'ensemble des critères de distribution sélective définis par la société Suzuki France, " notamment l'absence de recours au dépôt-vente, un fonds de roulement reconstitué et des paiements aux échéances normales ".

la cour considère que la société Suzuki France a pu, sans faute de sa part, tenir ce blocage pour aléatoire le 31 décembre 2014, peu important l'évolution de la situation financière de la holding FRF et des différentes sociétés du groupe, fût-elle à ce jour favorable, et peu important l'apport au capital de cette holding de 300 000 euros en novembre 2012 dès lors :

- qu'aucune garantie n'était fournie quant à ce blocage,

- que plusieurs des sociétés du groupe, débitrices envers les sociétés DK Star ou Opale Star, faisaient l'objet de procédures collectives,

- que les impayés de la société DK Star subsistaient en 2013 - 2014 sans que celle-ci puissent en imputer la responsabilité à la société Suzuki France, nécessitant le maintien de la solution dérogatoire du dépôt vente à laquelle il était convenu de mettre fin.

En tout état de cause, il n'est pas en débat que ce fonds de roulement de la société DK Star hors ce blocage n'était que de 66 847 euros au lieu des 120 000 euros requis contractuellement. Ainsi, il ne permettait de couvrir que la vente de 55 véhicules neufs au lieu des 100 convenus, soit à peine plus de la moitié, alors pourtant que cet objectif de 100, identique à celui de 2013, était très favorable à la société DK Star, compte tenu du rattachement par le protocole de 2013, au secteur de Dunkerque qui lui était concédé, du secteur de Calais précédemment concédé à CL Star, qui avait à lui seul un objectif annuel de vente de l'ordre de 140 véhicules neufs entre 2007 et 2012.

Par suite, il n'est pas démontré que la consolidation de la structure financière de la société DK Star était acquise au terme fixé par le protocole de 2014 soit le 31 décembre 2014 et il est établi en revanche qu'elle ne pouvait à cette date exercer une activité de concessionnaire conformément aux dispositions de l'article 6 du protocole de 2014 reprises plus haut. Il ne peut donc être reproché à la société Suzuki France d'avoir mis un terme à leurs relations commerciales en vertu de ces dispositions, sans laisser à cette société, au-delà de ce terme du 31 décembre 2014, le temps nécessaire à la poursuite du redressement de son exploitation et à la finalisation de sa structure financière, au travers de la réalisation de sa branche de fonds de commerce Suzuki de Calais et de Boulogne.

Conformément aux articles 696 et 700 du Code de procédure civile, les appelantes, partie perdante doivent supporter la charge des dépens sans pouvoir prétendre à une indemnité de procédure et l'équité commande de les condamner à ce dernier titre dans les termes du dispositif de la présente décision.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en toutes ses dispositions.

Par ces motifs : la cour, Reçoit l'intervention volontaire des sociétés X & Associés et Y Mandataires et Associés en qualité de liquidateur judiciaire respectifs des sociétés DK Star et Opale Star ; Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Y ajoutant, Condamne in solidum les sociétés X & Associés et Y Mandataires et Associés en qualité de liquidateurs judiciaires respectifs des sociétés DK Star et Opale Star aux dépens d'appel et à payer chacun à la société Suzuki France une indemnité de procédure en appel de 12 000 euros.