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Décisions

CA Bordeaux, 1er président, 28 janvier 2020, n° 18-03501

BORDEAUX

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Sogea Sud-Ouest Hydraulique (SAS)

Défendeur :

DIRECCTE Nouvelle Aquitaine

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Heyte

Avocats :

Me de Lacoste Lareymondie, Saint-Esteben

TGI Bordeaux, JLD, du 18 mai 2018

18 mai 2018

Par requête datée du 14 mai 2018 et reçue le 15 mai 2018 au tribunal de grande instance de Bordeaux, le directeur régional adjoint des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Nouvelle Aquitaine (DIRECCTE) saisissait le juge des libertés et de la détention d'une demande aux fins d'autorisation d'opérations de visites et de saisies au visa de l'article L. 450- 4 du Code de commerce, s'agissant de rapporter la preuve de pratiques prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce et l'article 101 du Traité de fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), dans le secteur des travaux de canalisations, indiquant que par demande en date du 7 mai 2018, le ministre chargé de l'Economie avait prescrit aux enquêteurs de la Direccte de mener une enquête, en application de l'article 5 du décret n° 2009-1377 du 10 novembre 2009, avec les pouvoirs de l'article L. 450-4 du Code de commerce dans le secteur des travaux de canalisations.

La requête motivée, accompagnée de pièces énumérées de façon détaillée dans celle-ci, exposait les faits suivants :

Par courrier en date du 13 juillet 2017, le président de la collectivité territoriale Bordeaux Métropole s'est plaint auprès du ministre chargé de l'Economie du comportement anticoncurrentiel des soumissionnaires à l'appel d'offres relatif à la réalisation de travaux de création, renforcement, renouvellement et d'extension des ouvrages assainissement et d'eau potable sur le territoire de Bordeaux Métropole lancé le 17 février 2017.

Quatre lots composaient ce marché à bons de commande et étaient décrits (pôle territorial rive droite, pôle territorial Ouest, pôle territorial Sud, pôle territorial Bordeaux). Un même candidat ne pouvait être désigné attributaire que d'un seul lot sur la base d'un ordre de priorité établi par lui-même.

Sept groupements ont répondu à la consultation, et leurs offres étaient détaillées, avec leurs ordres de priorité ; l'administration avançait qu'il pouvait être considéré que cinq groupements se sont portés candidats, deux étant composés des mêmes sociétés Canasout, Dubreuilh et Eiffage Génie Civil avec un mandataire différent pour chacun des trois lots auquel il a été répondu.

A l'occasion du dépouillement des offres, les services en charge de l'analyse de Bordeaux Métropole ont relevé plusieurs faits susceptibles de témoigner de comportements collusifs visant à fausser la concurrence sur ce marché, finalement déclaré infructueux.

En premier lieu, Bordeaux Métropole notait dans sa plainte que " les prix proposés par les candidats sont tous supérieurs à ceux du précédent marché public et à l'estimation financière des services, calculée en fonction des précédentes commandes. L'augmentation constatée est, par ailleurs, particulièrement significative avec un surcoût variant entre + 50 % à + 93,9 %. ". Elle relevait également que " d'une manière générale, la comparaison des prix proposés avec les montants de marchés d'autres collectivités notamment du sud-ouest font apparaître des offres de prix supérieures à l'issue de cette procédure ", les estimations de Bordeaux Métropole ayant cependant été réalisées à partir des prix pratiqués lors des marchés précédents.

En deuxième lieu, selon le maître d'ouvrage Bordeaux Métropole " Plusieurs candidats (le Groupement Fayot TP/Colas sud-ouest Agence Novello/Urbaine de travaux, le groupement Sogea SO Hydraulique/Chantiers Modernes Sud-Ouest/Sobebo SAS/Saramite TP SAS et le Groupement Chantiers d'Aquitain /Sade/Sud-Ouest Canalisation/Sopega TP) pratiquent en totalité, par une majoration générale, des offres financières différentes entre les lots, pour des prestations techniquement identiques ". Les exemples étaient détaillés et les incohérences des différentes offres explicitées. Il en résultait que, à l'exception du groupement Eiffage Génie Civil/Canalisations Souterraines/Dubreuilh, tous les groupements candidats à plusieurs lots ont donc proposé des prix différents selon les lots. Or les services de Bordeaux Métropole soulignaient que les postes constituants chacun des lots étaient pourtant identiques. En outre, les différences de prix observées n'étaient pas systématiquement corrélées aux ordres de priorité établis par les groupements, ni non plus corrélées d'un groupement à l'autre, ce qui aurait pu traduire à l'égard de ces lots un degré de difficulté particulier ou un intérêt objectif. Par ailleurs, à l'issue de l'ouverture des plis, sur la base du seul critère prix et de l'ordre de priorité établi par les groupements ayant soumissionné à plusieurs lots, il ressortait que chaque candidat s'est trouvé en position d'être désigné attributaire du lot dont il était le titulaire sortant, à l'exception du lot n° 1, précédemment attribué à Sogea mais dont Bordeaux Métropole soulignait que les travaux avaient été largement sous-traités au groupement Eiffage Génie Civil/Canalisations Souterraines/Dubreuilh, en situation de remporter ce lot. Ce résultat était donc obtenu malgré le fait que chacun d'eux n'ait pas remis son offre la meilleure sur le lot dont il était le titulaire sortant, et malgré le fait que chacun d'eux n'ait pas placé ce lot en premier dans son ordre de priorité.

En troisième lieu, Bordeaux Métropole relevait que le règlement de la consultation imposait la production de fichier sous format Excel relatifs aux prix, afin de faciliter l'analyse des offres.

L'examen des fichiers et, en particulier, des sauvegardes successives des fichiers Excel par la direction de l'informatique de Bordeaux Métropole a fait apparaître, pour une offre, un usage par un agent, susceptible de relever des effectifs d'un autre candidat concurrent : l'affichage des propriétés du document informatique correspondant au bordereau des prix unitaires (BPU) modifié en dernier ressort le 20 mars 2017 remis à Bordeaux Métropole par le mandataire Dubreuilh du groupement Dubreuilh/canalisations souterraines/Eiffage Génie Civil relatif au lot n° 2 faisait apparaître le nom d'une personne, dont il a été établi qu'elle était salariée de l'entreprise Fayot Entreprise TP, société également candidate pour l'obtention du lot n° 2 au titre du groupement Fayot TP/Colas sud-ouest Agence Novello/Urbaine de Travaux, ceci traduisant selon la plainte à tout le moins un échange d'informations stratégiques entre groupements concurrents avant la date de remise des offres, initialement fixée au 31 mars 2017.

Selon la plainte, les échanges d'informations stratégiques entre deux entreprises concurrentes avant la remise de leurs offres respectives à Bordeaux Métropole s'accompagnant de nombreux comportements troublants consistant pour les candidats à proposer des prix différents pour des prestations pourtant identiques et à établir des ordres de priorité décorrélés des efforts financiers réalisés n'ont de sens que s'ils s'inscrivent dans une stratégie de répartition globale adoptée par la majorité des candidats à l'appel d'offres.

Bordeaux Métropole a ainsi interpellé les groupements candidats :

" Cette répartition de fait de la commande publique entre les opérateurs, régulièrement constatée par la Métropole sur ses segments d'achats est troublante et me conduit une nouvelle fois à m'interroger sur le comportement des opérateurs envers la Métropole et le bon fonctionnement de la concurrence ".

Bordeaux Métropole a décidé, dans ces conditions, de déclarer l'appel d'offres infructueux.

Selon la requête, les agissements décrits peuvent s'analyser comme un ensemble de pratiques permettant de présumer une entente entre les sociétés Sogea Sud-Ouest Hydraulique, Chantiers d'Aquitaine, Entreprise Dubreuilh, Canalisations Souterraines, Fayat Entreprise TP, SOC, Sobebo et Colas Sud-Ouest, prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce et l'article 101 du TFUE.

De telles pratiques ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence en faisant obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché dans le secteur des travaux de canalisations.

La liste des marchés pour lesquels il existe des présomptions d'entente n'est probablement pas exhaustive, le marché mentionné dans la requête n'étant qu'une illustration des pratiques dont la preuve est recherchée dans le secteur concerné.

Elle avançait que l'utilisation des pouvoirs de l'article L. 450-3 du Code de commerce ne paraissait pas suffisante pour permettre à l'administration de corroborer ses soupçons car les actions concertées, conventions ou ententes ayant pour objet ou effet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché par une répartition en amont des marchés publics passés par les collectivités publiques sont établies selon des modalités secrètes, et les documents nécessaires à la preuve desdites pratiques sont vraisemblablement conservés dans des lieux ou sous une forme qui facilitent leur dissimulation ou leur destruction en cas de vérification.

Elle indiquait que le recours aux pouvoirs de l'article L. 450-4 du Code de commerce constituait donc le seul moyen d'atteindre les objectifs recherchés ; que les opérations de visite et de saisie ne sont pas disproportionnées, les intérêts des entreprises concernées étant garantis dès lors que les pouvoirs de l'Administration sont utilisés sous le contrôle du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Bordeaux.

Elle ajoutait que les documents utiles à l'apport de la preuve recherchée se trouvaient vraisemblablement dans les locaux des sociétés Sogea Sud-Ouest Hydraulique, Chantiers d'aquitaine, Entreprise Dubreuilh, Canalisations Souterraines, Fayot Entreprise TP, SOC, Sobebo et Colas Sud-Ouest et dans ceux des entreprises appartenant à ces groupes et situés pour certains à la même adresse et que, compte tenu de l'imbrication possible de leurs locaux, impossible à vérifier depuis l'extérieur, et de la possibilité d'une proximité géographique entre leurs bureaux, qui pourraient, en cas de vérification, mettre en échec l'efficacité de la mesure de vérification demandée, il convenait de retenir la société Sogea SO Hydraulique mais également les sociétés du même groupe Vinci Construction sises à la même adresse et, pour les mêmes raisons, de retenir la société Chantiers d'Aquitaine et les sociétés du même groupe Exedra sises à la même adresse.

En conséquence, l'administration demandait pour l'essentiel au juge des libertés et de la détention près le tribunal de grande d'instance de Bordeaux : d'autoriser les enquêteurs habilités par les articles L. 450-1-2, A. 450-1 et A. 450-2 du Code de commerce à procéder aux visites et saisies dans les locaux suivants :

- Sogea Sud-Ouest Hydraulique et les sociétés du même groupe situées à la même adresse : [adresse]

- Chantiers d'Aquitaine et les sociétés du même groupe situées à la même adresse : [adresse]

- Entreprise Dubreuilh : [adresse]

- Canalisations souterraines : [adresse]

- Fayot entreprise TP : 197, avenue Clément Fayot, anciennement avenue du Général de Gaulle - 33500 Libourne

- SOC - Sud-Ouest Canalisations : [adresse]

- Sobebo : [adresse]

- Colas Sud-Ouest : [adresse].

Par ordonnance du 18 mai 2018, le juge des libertés et de la détention autorisait l'administration à procéder ou à faire procéder dans les locaux des entreprises ci-dessus énoncées, aux visites et aux saisies prévues par les dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce afin de rechercher la preuve des agissements entrant dans le champ des pratiques prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce et par l'article 101 du TFUE dans le secteur des travaux de canalisations, ainsi que toute manifestation de ces comportements prohibés.

Le 5 juin 2018, la DIRECCTE procédait aux visites ainsi autorisées, en dressait procès-verbal ainsi que de l'inventaire des saisies, et les notifiait aux personnes habilitées.

Le 11 juin 2018, par déclaration au greffe du tribunal de grande instance, Me Gibaud avocat au barreau de Bordeaux déclarait interjeter appel de l'ordonnance du 18 mai 2018 pour le compte de la société Colas Sud-Ouest (RG 18-03381).

Le 14 juin 2018, par déclaration au greffe du tribunal de grande instance,

- la société SASU Chantiers Modernes Sud-Ouest (RG 18-03508)

- la société SAS Sogea Sud-Ouest Hydraulique (RG 18-03801),

Chacune représentée par son avocat, déclaraient interjeter appel de l'ordonnance du 18 mai 2018.

Le 15 juin 2018, par déclaration au greffe du tribunal de grande instance, les sociétés suivantes, représentés par leur avocat, déclaraient former appel au nom de leur cliente, de l'ordonnance du 18 mai 2018 :

- la société SAS Fayot Entreprise TP, (RG 18-3479)

- la société SAS Entreprises Dubreuilh, (RG 18-03492)

- la société SAS Canalisations Souterraines. (RG 18-03483).

La procédure a été communiquée au procureur général qui l'a visée.

Dans ses conclusions développées à l'audience, la société Sogéa Sud-Ouest Hydraulique demande à la cour,

Vu les articles 6 et 8 de la CEDH,

Vu l'article L. 450-4 du Code de commerce,

- constater qu'il manque une pièce annexée à la plainte de Bordeaux Métropole ;

- constater que cette pièce n'a jamais été communiquée à la DIRECCTE Nouvelle Aquitaine et au JLD de Bordeaux alors même qu'elle est citée dans la requête de la DIRECCTE Nouvelle Aquitaine et dans l'Ordonnance du JLD de Bordeaux, comme un des indices censés présumer les pratiques reprochées,

- juger en conséquence que le JLD de Bordeaux n'a pas exercé de contrôle effectif du bien-fondé de la requête qui lui a été soumise par la DIRECCTE Nouvelle Aquitaine ;

- constater que la requête de la DIRECCTE Nouvelle Aquitaine et ses pièces annexées, ainsi que l'ordonnance du JLD de Bordeaux, ne font état de présomptions de pratiques anticoncurrentielles que sur un marché bien identifié, lancé par Bordeaux Métropole le 17 février 2017, et non dans " le secteur des travaux de canalisations ainsi que toute manifestation de ces comportements prohibés " ;

- constater que le JLD de Bordeaux n'a pas démontré l'existence d'indices de pratiques anticoncurrentielles susceptibles de présumer une entente dans le secteur généralisé " des travaux de canalisations ainsi que toute manifestation de ces comportements prohibés " ;

Juger en conséquence que l'ordonnance a élargi de manière injustifiée l'objet de l'enquête ;

- constater que le JLD de Bordeaux n'a pas procédé à un examen du bien-fondé des arguments mis en avant dans la requête et/ou dans les documents annexés à cette dernière, censés confirmer les présomptions de pratiques anticoncurrentielles dans le cadre du marché précité.

- constater que le JLD de Bordeaux n'a pas rapporté l'existence de présomptions, précises, graves et concordantes de l'existence de telles pratiques anticoncurrentielles sur ce marché.

- constater que les mesures de visites et saisies étaient disproportionnées par rapport à la nature des pratiques visées ;

En conséquence, pour toutes ces raisons,

- juger que l'ordonnance du JLD de Bordeaux en date du 18 mai 2018 est nulle ;

- juger en conséquence que tous les actes d'enquête subséquents, notamment les visites et saisies qui ont eu lieu le 5 juin 2018 dans les locaux des sociétés visées dans cette ordonnance, sont nuls ;

- condamner la DIRECCTE Nouvelle Aquitaine aux dépens.

Dans ses conclusions développées à l'audience, le ministre chargé de l'Economie représenté par la Direccte prise en la personne de son directeur régional adjoint demande de dire et juger mal fondées les sociétés Sogéa Sud-Ouest Hydraulique et Chantiers Modernes Sud-Ouest en toutes leurs demandes et les en débouter, déclarer régulière l'ordonnance du juge des libertés et de la détention de Bordeaux, délivrée le 18 mai 2018, autorisant les opérations de visite et de saisie, notamment dans les locaux des sociétés Sogéa Sud-Ouest Hydraulique et Chantiers Modernes Sud-Ouest, rejeter en conséquence la demande formulée par les sociétés Sogéa Sud-Ouest Hydraulique et Chantiers Modernes Sud-Ouest d'annulation de l'ordonnance du JLD de Bordeaux du 18 mai 2018 et des actes d'enquête subséquents.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Les demandes de " constater " ne constituent pas des prétentions en tant que telles et n'appellent en conséquence aucune réponse.

L'éventuelle erreur du juge dans l'analyse ou l'examen des pièces ne constitue pas une cause de nullité de sa décision et de surcroît, par l'effet dévolutif de l'appel, la juridiction de second degré substitue le cas échéant sa motivation à celle éventuellement insuffisante du premier juge, la complétant.

Aux termes de l'article L. 450-4 du Code de commerce, le juge doit vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d'informations en possession du demandeur de nature à justifier la visite. Lorsque la visite vise à permettre la constatation d'infractions aux dispositions du livre IV du présent Code en train de se commettre, la demande d'autorisation peut ne comporter que les indices permettant de présumer, en l'espèce l'existence des pratiques dont la preuve est recherchée.

Il est constant qu'en la matière il n'incombe pas au juge des libertés de la détention de vérifier si l'administration rapporte la preuve suffisante des pratiques dénoncées dans la plainte puisque si la preuve était rapportée, les opérations de visites et saisies seraient dépourvues d'utilité.

Il faut et il suffit qu'au vu des éléments joints à la requête, après un examen concreto, le juge puisse apprécier si les indices mentionnés dans la requête sont justifiés par tout ou partie des pièces et constituent, considérés dans leur ensemble et non isolément, un faisceau d'indices permettant de retenir des présomptions d'agissements prohibés justifiant que soit recherchée la preuve au moyen d'une visite et de saisies.

La société appelante soutient que l'ordonnance du juge des libertés de la détention ne respecte pas les conditions requises par le Code de commerce et la jurisprudence dans la mesure où :

- le juge n'a pas exercé de contrôle effectif ;

- l'objet de l'ordonnance est trop général et n'est pas circonscrit à l'appel d'offres pour lesquels des documents sont soumis à son appréciation et annexés à la requête de la DIRECCTE Nouvelle Aquitaine ;

- s'agissant des pratiques reprochées et de l'implication des sociétés Sogea SO et Chantiers Modernes, il n'a pas vérifié, dans le cadre du contrôle in concreto, l'existence de présomptions suffisantes justifiant les visites et saisies ;

- en tout état de cause, les mesures de visites et saisies étaient disproportionnées par rapport à la nature des pratiques visées.

Sur le contrôle par le juge des pièces versées :

La société appelante soutient que la requête et l'ordonnance faisaient référence à une comparaison des prix de ce marché avec ceux relevés sur d'autres marchés du Sud-Ouest alors que cette pièce n'était pas versée par la Direccte.

De ce chef, il résulte de la lecture de l'ordonnance, en sa page 4, qu'elle mentionne : " Attendu que, en premier lieu, Bordeaux-Métropole note dans sa plainte que " les prix proposés par les candidats sont tous supérieurs à ceux du précédent marché public et à l'estimation financière des services, calculée en fonction des précédentes commandes (pièce n° 3). L'augmentation constatée est, par ailleurs, particulièrement significative avec un surcoût variant entre + 50 % à + 93,9 %. ". Elle relève également que " d'une manière générale, la comparaison des prix proposés avec les montants de marchés d'autres collectivités notamment du Sud-Ouest font apparaître des offres de prix supérieures à l'issue de cette procédure (pièce n° 6) ".

L'allusion à d'autres marchés du Sud-Ouest n'est mentionnée dans l'ordonnance que comme figurant dans la plainte et non comme une constatation faite par le juge lui-même.

Par contre il résulte des motifs de l'ordonnance que le juge a retenu comme indices l'analyse des prix remis pour l'accord-cadre de travaux de canalisation réalisée par les services de Bordeaux Métropole et faisant apparaître les prix proposés par les candidats seraient tous supérieurs et dans de grandes proportions à ceux du précédent marché, le fait que les candidats formulaient des offres financières différentes entre des lots pour des prestations décrites par le maître de l'ouvrage comme étant techniquement identiques, et le fait que l'affichage des propriétés du document informatique remis à Bordeaux Métropole par le groupement Dubreuilh ferait apparaître le nom d'une personne salariée de l'entreprise Fayot, entreprise elle-même candidate pour l'obtention du même lot, fait pouvant démontrer un échange d'informations stratégiques.

Il est constant qu'à la requête de la DIRECCTE étaient annexés une analyse des prix remis pour l'accord-cadre de travaux de canalisation réalisée par les services de Bordeaux Métropole, un comparatif des détails quantitatifs estimatifs des quatre lots et les bordereaux de prix unitaires et détails quantitatifs estimatifs des quatre lots pour chaque entreprise.

Le grief d'absence de contrôle effectif par le juge des pièces communiquées à l'appui de la requête n'est donc pas caractérisé, d'autant plus qu'aucune disposition légale ne fait obligation au juge de formuler un commentaire ou une appréciation sur chacune des pièces versées mais seulement de motiver sa décision au regard des pièces communiquées dans leur ensemble.

Sur l'objet de l'ordonnance :

Il résulte de l'ordonnance que le juge a etenu, au delà des indices de pratiques relevés à l'occasion du marché de travaux de canalisation lancé par Bordeaux Métropole en février 2017, que si les sociétés visées dans la requête ont pu mettre en œuvre des pratiques d'entente pour ce marché, de telles pratiques pouvaient concerner, par des mécanismes de compensation, d'autres marchés dans le secteur des canalisations en plus de celui mentionné dans la plainte de Bordeaux Métropole.

Le juge n'a pas étendu sans justification l'objet du contrôle puisque la requête de la Direccte (en sa page 7) mentionnait elle-même que la liste des marchés pour lesquels il existe des présomptions d'entente n'est probablement pas exhaustive, le marché mentionné n'étant qu'une illustration des pratiques dont la preuve est recherchée dans le secteur concerné des travaux de canalisation.

L'objet de la mesure ordonnée par le juge est suffisamment déterminé, sans qu'il eût été nécessaire de le limiter au marché de 2017, puisqu'il vise le secteur économique des travaux de canalisation dans lequel œuvre précisément la société appelante, détermine avec précision les entreprises visées, soumissionnaires au marché de 2017 et déjà directement ou indirectement soumissionnaires au marché de 2013, et le lieu des contrôles.

Ce grief tenant à l'objet de l'ordonnance est donc mal fondé.

Sur l'insuffisance des indices :

Il est constant, comme ci-dessus rappelé, s'agissant des indices, qu'il faut et il suffit qu'au vu des éléments joints à la requête, après un examen concreto, le juge puisse apprécier si le ou les indices mentionnés dans la requête sont justifiés par tout ou partie des pièces et constituent, considérés dans leur ensemble et non isolément, un faisceau d'indices permettant de retenir des présomptions d'agissements prohibés justifiant que soit recherchée la preuve au moyen d'une visite et de saisies.

En outre ces indices s'apprécient au moment de la requête et non au regard des éléments de discussion postérieurement avancés par la société appelante. Il n'incombe d'ailleurs ni au juge des libertés de la détention ni à la juridiction d'appel d'apprécier et de déterminer le juste niveau des prix en se livrant à une appréciation poste par poste, une telle vérification échappant à son office.

En l'espèce s'agissant des prix, quelle que soit la configuration du nouveau marché et les modalités mises en œuvre par le maître de l'ouvrage pour tenter d'assurer la liberté de l'accès à la commande publique, il résulte de la plainte de Bordeaux Métropole et du tableau comparatif dressé par ses services spécialisés, versés avec la requête, une augmentation constatée particulièrement significative avec un surcoût variant entre + 50 à + 93,9 % pour des lots d'une technicité équivalente.

D'autre part s'agissant de la cohérence des offres, il est constant qu'il n'y a pas lieu de s'attacher au seul lot pour lequel la société appelante formule son offre la plus basse, mais d'examiner la cohérence de cette proposition avec ses offres pour les autres lots ainsi qu'avec l'ensemble des pratiques des sociétés candidates à ce même appel d'offres.

De ce chef, il résulte des écritures même de la société appelante qu'elle a proposé son prix le plus bas pour le lot n° 2 dont elle a été précédente attributaire et ce alors que, selon les services spécialisés de Bordeaux Métropole maître d'ouvrage, les postes constituants chacun des lots en 2017 étaient identiques.

Le juge des libertés de la détention a ainsi examiné l'ensemble des pratiques des entreprises soumissionnaires puisqu'il a retenu " que les services de Bordeaux Métropole soulignent qu'à l'exception du groupement Eiffage Génie civil/Canalisations Souterraines/Dubreuilh, tous les groupements candidats à plusieurs lots ont donc proposé des prix différents selon les lots alors que les postes constituant chacun des lots étaient pourtant identiques; que les différences de prix observées ne sont pas systématiquement corrélées aux ordres de priorité établis par chacun des groupements ; qu'elles ne sont pas non plus corrélées d'un groupement à l'autre ce qui aurait pu traduire à l'égard de ces lots un degré de difficulté particulier ou un intérêt objectif ;

Qu'à l'issue de l'ouverture des plis, sur la base du seul critère prix et de l'ordre de priorité établi par les groupements ayant soumissionné à plusieurs lots, il ressort que chaque candidat s'est trouvé en position d'être désigné attributaire du lot dont il était le titulaire sortant, à l'exception du lot n° 1, précédemment attribué à SOGEA mais dont Bordeaux Métropole a souligné que les travaux avaient été largement sous-traités au groupement Eiffage Génie Civil/Canalisations souterraines/Dubreuilh, en situation de remporter ce lot .. "

Enfin, s'agissant du nom d'une salariée de l'entreprise Fayot dans les propriétés informatiques d'un document remis par le groupement ayant pour mandataire l'Entreprise Dubreuilh également visée à l'ordonnance, il faut et il suffit que cette situation soit celle apparaissant au jour de la requête et de l'ordonnance et il importe peu qu'a posteriori l'entreprise Fayot ou quiconque ait actualisé ses organigrammes :

En l'espèce, dans sa plainte, Bordeaux Métropole soulignait que l'examen des fichiers en particulier des sauvegardes successives des fichiers Excel par la direction de l'informatique de Bordeaux Métropole a fait apparaître, pour une offre, un usage par un agent, susceptible de relever des effectifs d'un autre candidat concurrent en l'espèce Mme C., assistante travaux.

La DIRECCTE quant à elle avait pris soin de croiser cette information par une fiche extraite du réseau social professionnel Viadeo.fr, la capture d'écran du 19 avril 2018 relative au profil de cette personne mentionnant : " En poste chez Fayot Entreprise TP " ainsi que " Parcours : assistante de direction travaux chez Fayot Entreprise TP de 2002 à aujourd'hui ", fiche qu'elle avait versée en annexe de sa requête.

La DIRECCTE verse en cause d'appel (sa pièce n° 12) l'organigramme remis par l'entreprise Fayot dans son dossier de candidature au marché 2017, lequel mentionnait le nom de Mme D. en tant qu'assistante travaux. Cet élément pouvait constituer à cette date un indice de collusion entre sociétés concurrentes.

De tout ceci il résulte que le juge des libertés et de la détention a procédé à l'analyse in concreto des indices pris dans leur ensemble au regard des pièces qui lui étaient soumises et après les avoir analysées, a retenu qu'il constituait un faisceau suffisant permettant de présumer une entente anticoncurrentielle. Cette appréciation se confirme en cause d'appel par la production de l'organigramme remis par l'entreprise Fayot, ci-dessus mentionné.

Sur la proportionnalité de la mesure de visite et saisies :

La société appelante soutient que le recours aux pouvoirs de visite et saisies était absurde dès lors que les preuves sur lesquelles se fonde la DIRECCTE et le juge sont purement factuelles, que les documents annexés à la requête sont principalement des rapports et comptes rendus en rapport avec l'appel d'offres, et que dans un premier temps l'administration aurait pu interroger des sociétés soumissionnaires au regard du prétendu grief, sur la base de l'article L. 420-3 du Code de commerce.

En l'espèce, l'administration a pris soin d'exposer dans sa requête en quoi l'utilisation des pouvoirs de l'article L. 450-3 du Code de commerce ne paraissait pas suffisante pour lui permettre de corroborer ses soupçons car les actions concertées, conventions ou ententes ayant pour objet ou effet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché par une répartition en amont des marchés publics passés par les collectivités publiques sont établies selon des modalités secrètes, et les documents nécessaires à la preuve desdites pratiques sont vraisemblablement conservés dans des lieux ou sous une forme qui facilitent leur dissimulation ou leur destruction en cas de vérification.

Elle indiquait que le recours aux pouvoirs de l'article L. 450-4 du Code de commerce constituait donc le seul moyen d'atteindre les objectifs recherchés.

Elle ajoutait que les documents utiles à l'apport de la preuve recherchée se trouvaient vraisemblablement dans les locaux des sociétés Sogea Sud-Ouest Hydraulique, Chantiers d'aquitaine, Entreprise Dubreuilh, Canalisations Souterraines, Fayot Entreprise TP, SOC, Sobebo et Colas Sud-Ouest et dans ceux des entreprises appartenant à ces groupes et situés pour certains à la même adresse et que, compte tenu de l'imbrication possible de leurs locaux, impossible à vérifier depuis l'extérieur, et de la possibilité d'une proximité géographique entre leurs bureaux, qui pourraient, en cas de vérification, mettre en échec l'efficacité de la mesure de vérification demandée, il convenait de retenir la société Sogea SO Hydraulique mais également les sociétés du même groupe Vinci Construction sises à la même adresse et, pour les mêmes raisons, de retenir la société Chantiers d'Aquitaine et les sociétés du même groupe Exedra sises à la même adresse.

Il résulte également de l'ordonnance que le premier juge a procédé au contrôle de proportionnalité avant de prendre sa décision puisqu'il a motivé en page 7 des raisons pour lesquelles le recours aux pouvoirs de l'article 450-4 du Code de commerce constituait le seul moyen d'atteindre les objectifs recherchés.

Contrairement à ce que soutient la société appelante l'administration ne pouvait pas utilement procéder à une demande de remise de documents officiels sur la base de l'article L. 450-3 précité, une telle demande ne lui permettant pas d'atteindre des éventuels documents confidentiels destinés à apporter la preuve matérielle des pratiques soupçonnées. Au regard de la nature, de l'ampleur des soupçons et des entreprises concernées, le recours aux visites domiciliaires apparaissait, lorsqu'il a été autorisé, comme l'unique moyen pertinent et proportionné pour éviter la déperdition des éléments de preuve nécessairement ignorés des enquêteurs puisque n'étant pas inclus dans les documents professionnels susceptibles d'être produits sur simple demande, étant par nature secrets et donc dissimulés.

Les opérations de visite et de saisie ne sont pas disproportionnées, les intérêts des entreprises concernées étant garantis dès lors que les pouvoirs de l'Administration sont utilisés sous le contrôle du juge des libertés et de la détention et celui du juge de second degré.

En conséquence, l'ordonnance du juge des libertés et de la détention est régulière et doit être confirmée, les motifs de la cour s'ajoutant à ceux du premier juge.

La société appelante sera donc déboutée de l'ensemble de ses prétentions et, partie succombante, condamnée aux entiers dépens.

Par ces motifs : Déclarons la société Sogéa Sud-Ouest Hydraulique recevable mais mal fondée en son appel, Déclarons régulière l'ordonnance du 18 mai 2018, Confirmons ladite ordonnance en toutes ses dispositions, Déboutons la société Sogéa Sud-Ouest Hydraulique de l'ensemble de ses prétentions, Condamnons la société Sogéa Sud-Ouest Hydraulique aux entiers dépens.