ADLC, 10 décembre 2019, n° 19-DCC-238
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à la prise de contrôle exclusif par la coopérative Océalia de la Société Financière Cormouls Houlès
L'Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 5novembre2019, relatif à la prise de contrôle, par la coopérative Océalia, de la Société financière Cormouls Houlès et de ses filiales, formalisée par un contrat de cession d'actions en date du 2 août 2019 ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ; Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l'instruction ; Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l'opération
1. Océalia est une société coopérative agricole dont la circonscription territoriale recouvre les départements de la Charente (16), la Charente-Maritime (17), les Deux-Sèvres (79), la Dordogne (24), la Gironde (33), la Haute-Vienne (87) et la Vienne (86). Ses activités sont organisées autour de 4 pôles : agriculture ; viticulture et grand public ; élevage ; industriel. Au travers de sa filiale Sphere Production, Océalia produit et commercialise du maïs soufflé (pop- corn).
2. La Société Financière Cormouls Houlès (ci-après " Soficor " ou " le groupe Menguy's ") est la holding de tête du groupe Menguy's actif dans le secteur de la production et de la commercialisation de produits apéritifs tels que les olives de tables, les graines et fruits secs, les produits soufflés et extrudés ou le pop-corn.
3. L'opération est formalisée par un contrat de cession d'actions signé par les parties le 2 août 2019. Elle consiste en l'acquisition par la société Soc Développement Atlantique, filiale intégralement détenue par Océalia, de 75 % des titres de Soficor, qui aura préalablement acquis 100 % des participations de ses propres filiales (1). En ce qu'elle entraîne l'acquisition ducontrôle exclusif par Océaliadu groupe Menguy's, l'opération constitue une opération de concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce.
4. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d'affaires hors taxes total sur le plan mondial de plus de 150 millions d'euros (Océalia : [= 150 millions] d'euros pour l'exercice clos au 30 juin2018 ; Soficor : [= 150 millions] d'euros pour l'exercice clos au 30 septembre2018). Chacune d'entre elles a réalisé, en France, un chiffre d'affaires supérieur à 50millions d'euros (Océalia : [= 50 millions] d'euros pour l'exercice clos au 30 juin2018 ; Soficor : [= 50 millions] d'euros pour l'exercice clos au 30 septembre 2018). Compte tenu de ces chiffres d'affaires, l'opération ne relève pas de la compétence de l'Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l'article L. 430-2 du Code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatives à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
5. Les parties sont simultanément actives sur le marché de la productionet de la commercialisation d'amuse-gueules salés auprès de la grande distribution (2). À travers son pôle agriculture, Océalia est également active, comme vendeur, sur le marché de la commercialisation de céréales, oléagineux et protéagineux, lequel présente un lien vertical avec le marché de la production et de la commercialisation d'amuse-gueules salés.
A. LES MARCHÉS DE PRODUITS
1. LE MARCHÉ DE LA FABRICATION ET DE LA COMMERCIALISATION D'AMUSE-GUEULES SALÉS AUPRÈS DU COMMERCE DE DÉTAIL
6. Tout en laissant la question ouverte, la pratique décisionnelle, tant nationale (3) qu'européenne (4), a envisagé de distinguer, au sein des amuse-gueules salés commercialisés aux enseignes de la grande distribution, d'une part, les chips (fines tranches de pommes de terre frites, parfumées ou non) et d'autre part, les produits salés pour apéritifs. Parmi les produits salés pour apéritifs, la pratique décisionnelle antérieure (5) a envisagé, tout en laissant la question ouverte, de segmenter ce marché en plusieurs produits : les crackers (biscuits fins, croustillants et sans sucre, assaisonnés ou non, tels que les bretzels ou les sticks), les extrudés (biscuits à la texture légère et aérée, tels que les tortillas ou les pop-corns), les graines et fruits secs et les tuiles (chips reconstituées produites à partir de farine de pommes de terre séchées). En outre, la pratique décisionnelle a envisagé, tout en laissant la question ouverte, de distinguer entre les amuse- gueules commercialisés sous marque de fabricant (ci-après "MDF") et sous marque de distributeur (ci-après " MDD ") (6). Enfin, la pratique décisionnelle a identifié un marché intermédiaire de la fourniture de biscuits apéritifs sous MDD à la grande distribution (7).
7. La quasi-totalité des répondants au test de marché a confirmé la délimitation retenue par la pratique décisionnelle antérieure. Seule une minorité des acteurs interrogés a également indiqué que le marché des amuse-gueules salés pouvait également inclure d'autres produits, tels que, notamment, les olives.
8. En tout état de cause, la délimitation exacte des marchés peut être laissée ouverte en l'espèce, car les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurent inchangées quelles que soient les solutions retenues.
9. Au cas d'espèce, les parties sont simultanément actives sur le secteur de la commercialisation au détail de produits salés pour apéritifs auprès de la grande distribution sous marque de fabricant et sous marque de distributeur, plus spécifiquement sur le segment des extrudés.
2. LE MARCHÉ DE LA COMMERCIALISATION DE CÉRÉALES, OLÉAGINEUX ET PROTÉAGINEUX
10. Tout en laissant la question ouverte, la pratique décisionnelle nationale a estimé, s'agissant des marchés de la commercialisation des céréales, oléagineux et protéagineux (ci-après, " COP ") qu'il existait un marché pertinent par céréales (8). L'Autorité a également envisagé, tout en laissant la question ouverte, de distinguer entre les céréales, oléagineux et protéagineux d'origine biologique et non biologique (9). Enfin, l'Autorité a envisagé de sous-segmenter en fonction de la catégorie d'acheteurs, industriels ou négociants, qui se fournissent auprès des producteurs (10).
11. Océalia collecte et commercialise plusieurs types de COP dont, notamment, du maïs. À cet égard, la partie notifiante fait valoir que seul le segment spécifique de la commercialisation de maïs à éclater est pertinent en l'espèce puisque le maïs à éclater est la seule variété de maïs permettant de produire du popcorn et qu'il n'est pas substituable aux autres variétés de maïs.
12. Au cas présent, la délimitation exacte des marchés peut toutefois être laissé ouverte, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurant inchangées quelles que soient les solutions retenues.
B. DÉLIMITATION GÉOGRAPHIQUE
13. La pratique décisionnelle antérieure a considéré que le marché de la fabrication et de la commercialisation des amuse-gueules salés auprès du commerce de détail était, au moins, de dimension nationale (11).
14. S'agissant du marché de la commercialisation de céréales, protéagineux et oléagineux, la pratique décisionnelle, tout en laissant la question ouverte, considère ce dernier comme étant de dimension nationale, voire européenne (12).
15. La partie notifiante estime que le marché de la commercialisation de maïs à éclater est de dimension européenne, voire mondiale.
16. Au cas d'espèce, la délimitation exacte des marchés peut être laissée ouverte, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurent inchangées quelles que soient les solutions retenues.
III. Analyse concurrentielle
17. Compte tenu des activités des parties, les effets horizontaux de l'opération seront examinés sur le marché de la commercialisation de produits apéritifs salés. En outre, il convient d'évaluer les effets verticaux de l'opération liés à la présence d'Océalia sur le marché de la commercialisation de COP.
A. ANALYSE DES EFFETS HORIZONTAUX
18. Selon les estimations fournies par les parties (13), sur le marché global de la fabrication et de la commercialisation des produits salés pour l'apéritif (sans distinction MDD / MDF), la part de marché de la nouvelle entité sera de [10-20] % avec une augmentation de part de marché liée à l'opération d'un point. Sur le segment des MDF, la nouvelle entité détiendra une part de marché de [5-10] % avec une augmentation de part de marché liée à l'opération de [0-5] points. Sur le segment des MDD, la part de marché de la nouvelle entité sera de [30-40] % mais avec une augmentation de part de marché liée à l'opération très inférieure à 1 point. Enfin, sur l'éventuel segment des produits extrudés (incluant le pop-corn), la part de marché de la nouvelle entité s'élèvera à [0-5] %toutes marques confondues (14).
19. Sur l'ensemble des délimitations envisagées ci-dessus, la nouvelle entité demeurera en outre confrontée à la concurrence d'acteurs puissants tels que PepsiCo Inc, Mondelez International, Intersnack ou encore, aux acteurs de la grande distribution au travers de leurs marques propres.
20. Au cas d'espèce, les effets de l'opération concernent plus particulièrement le pop-corn puisque, selon les estimations des parties, la nouvelle entité représente, à date, [70-80] % de la production totale de ce produit (15). Néanmoins, malgré la position importante de la nouvelle entité sur ce produit spécifique, l'instruction a permis d'écarter tout problème de concurrence lié à l'opération sur ce segment de marché. En premier lieu, 8 répondants sur 12 au test de marché ont indiqué que la nouvelle entité ne détiendra aucun actif incontournable par rapport à ses concurrents et clients. En second lieu, 6 clients interrogés sur 8 ont fait valoir qu'ils disposaient d'une alternative aux produits de la nouvelle entité. Enfin, la très grande majorité des acteurs interrogés lors du test de marché a indiqué que l'opération n'était pas de nature à emporter des effets négatifs sur l'ensemble des marchés pertinents.
21. L'opération n'est donc pas susceptible de porter atteinte à la concurrence par le biais d'effets horizontaux sur le marché de la fabrication et de la commercialisation des produits salés pour l'apéritif, quelle que soit la segmentation retenue.
B. ANALYSE DES EFFETS VERTICAUX
22. Une concentration verticale peut restreindre la concurrence en rendant plus difficile l'accès aux marchés sur lesquels la nouvelle entité sera active, voire en évinçant potentiellement les concurrents ou en les pénalisant par une augmentation de leurs coûts. Ce verrouillage peut viser les marchés aval, lorsque l'entreprise intégrée refuse de vendre un intrant à ses concurrents en aval ou concerner les marchés amont lorsque la branche aval de l'entreprise intégrée refuse d'acheter les produits des fabricants en amont et réduit ainsi leurs débouchés commerciaux. Toutefois, la pratique décisionnelle des autorités de concurrence écarte en principe les risques de verrouillage lorsque la part de marché des parties à l'opération sur les marchés concernés ne dépasse pas 30 %.
23. En l'espèce, Océalia est active sur le marché de la commercialisation de COP puisqu'elle commercialise du maïs, notamment du maïs à éclater, qui est utilisé, à l'aval, par les producteurs de pop-corn. Les parties ont indiqué que la part de marché d'Océalia sur les différents segments du marché du maïs est inférieure à 5 %.
24. En ce qui concerne spécifiquement le maïs à éclater, selon les estimations des parties, la nouvelle entité collecte [...] tonnes (16) de ce produit en France ce qui représente une part de marché de [20-30] % au niveau national et de [10-20] % au niveau européen (17). À l'issue de l'opération, la nouvelle entité sera confrontée à la concurrence de fournisseurs importants de maïs à éclater en France, comme Nataïs qui indique collecter en France plus de 45 000 tonnes de maïs à éclater (18). En outre, les parties font valoir qu'une part importante du maïs à éclater commercialisée en Europe est importée, notamment, d'Argentine et d'Afrique du Sud. L'instruction a donc permis d'écarter tout risque de forclusion lié à l'impossibilité, pour les concurrents de la nouvelle entité à l'aval, de s'approvisionner en maïs à éclater.
25. Par ailleurs, à l'issue de l'opération, malgré le poids important d'Océalia en tant que fournisseurs de pop-corn aux enseignes de la grande distribution, les producteurs de maïs à éclater continueront de disposer de débouchés à l'aval. À cet égard, l'un des répondants interrogé lors de l'instruction a indiqué que le marché de la fourniture de maïs à éclater se répartissait à parts égales entre les ventes aux enseignes de la grande distribution et les ventes destinées à l'approvisionnement des salles de cinéma. Ce point est confirmé par les parties, qui indiquent que plus de 60 % de la consommation de pop-corn en France est effectuée dans les salles de cinéma, ce pop-corn étant soit produit sur place directement à partir de maïs à éclater soit acheté sous forme de pop-cornprêt à manger. En conséquence, il existe d'autres débouchés que la nouvelle entité pour les producteurs de maïs à éclater.
26. Par conséquent, pour les raisons exposées ci-dessus, l'opération n'est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence par le biais d'effets verticaux entre le marché de la commercialisation de COP, en particulier sur le segment du maïs à éclater, et celui de la production et de la commercialisation d'amuse-gueules salés.
DÉCIDE
Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 19-206 est autorisée.
NOTES
1 Les 25 % d'actions restantes resteront détenues par M. Nicolas Cormouls pendant une période transitoire de trois ans maximum. À l'issue de cette période, Océalia acquerra le solde du capital de Soficor. En tout état de cause, la participation de M. Nicolas Cormouls dans la cible ne lui confère aucun contrôle.
2 Océalia commercialise également du pop-corn destiné à l'approvisionnement des salles de cinéma. La cible n'est pas active sur ce marché.
3 Voir la lettre du Ministre de l'économie n° C2006-139 du 22 novembre 2006, au conseil de la société Vico, relative à une concentration dans le secteur de l'alimentation et les décisions de l'Autorité n° 12-DCC-130 du 4 septembre 2012 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Groupe Unipex par la société IK Invest BV et n° 10-DCC-170 du 24 novembre 2010 relative à la prise de contrôle de la société la Financière Auroise par la société IK Invest BV.
4 Voir les décisions COMP/M.5633 du 26 octobre 2010, Pepsicio/The Pepsico Bottling Group ; COMP/JV.32 du 28 mai 2000, Granaria/ültje/Intersnack/May-Holding et IV/M.232 du 5 août 1992, Pepsico/General Mills.
5 Voir la décision COMP/JV.32 du 28 mai 2000, précitée.
6 Voir la lettre du Ministre de l'économie n° C2006-139 du 22 novembre 2006, précitée.
7 Voir la décision n° 12-DCC-130, précitée.
8 Voir notamment la décision de l'Autorité n° 16-DCC-147 du 21 septembre 2016 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Agri-Négoce par la société Axéréal Participations.
9 Voir notamment les décisions n° 18-DCC-200 du 4 décembre 2018 relative à la fusion entre les coopératives agricoles Cap Seine et Interface Céréales et n° 17-DCC-210 du 13 décembre 2017 relative à la fusion par absorption de la société Coopérative des Agriculteurs de Mayenne par la coopérative agricole Terrena.
10 Voir notamment la décision n°16-DCC-147, précitée.
11 Voir les décisions n° 12-DCC-13 et 10-DCC-170, précitées.
12 Voir la décision n° 18-DCC-200, précitée.
13 Les parties ont indiqué ne pas être en mesure d'estimer la taille du marché de la commercialisation des amuse-gueules salés et de ses éventuelles segmentations et ont déterminé leurs parts de marché à partir des chiffres d'affaires sortis de caisse mesurés par Nielsen en 2018.
14 Les parties n'ont pas été en mesure de distinguer leurs parts de marché MDD et MDF mais considèrent qu'elles demeurent inférieures à 25 % pour chacune des éventuelles segmentations
15 La totalité des opérateurs s'étant prononcés sur la question indique que, s'agissant du pop-corn, il n'y a pas lieu de distinguer les produits vendus sous MDD et ceux vendus sous MDF, compte tenu notamment de la faible différence de prix entre ces deux catégories de produits.
16 Les parties estiment la production française de maïs à éclater à 49000 tonnes et à 120000 tonnes pour la production européenne.
17 Dans l'hypothèse où serait retenu un marché plus large de la commercialisation de maïs, quel que soit l'usage, la part de marché de la nouvelle entité est inférieure à 5 % sur ce segment, quelle que soit la segmentation retenue.
18 Sur son site internet, Nataïs déclare collecter 55 000 tonnes de maïs à éclater dont entre 5 et 15 % au Portugal et en Afrique du Sud.