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Décisions

CA Nancy, 2e ch. civ., 6 février 2020, n° 19-00396

NANCY

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

CM-CIC Bail (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Martin

Conseillers :

M. Beaudier, Mme Abel

TGI Epinal, du 20 nov. 2018

20 novembre 2018

Exposé du litige :

Par acte sous seing privé en date du 6 novembre 2014, la société CM-CIC Bail a donné en location longue durée à M. X un véhicule Fiat Freemont que le garage Prestige automobiles lui a vendu pour un prix de 29 817,21 euros ttc. Cette location a été consentie moyennant le paiement de 60 loyers de 562,94 euros.

Par lettre recommandée avec AR du 3 mars 2016, la société CM-CIC Bail a mis en demeure M. X de payer le loyer du 7 février 2016 sous 8 jours, sous peine de résiliation du contrat de bail.

Suite à des loyers restés impayés, la société CM-CIC Bail a, par lettre recommandée avec AR du 22 avril 2016, résilié le contrat de location et mis en demeure M. X de lui régler la somme de 1 688,92 euros au titre des loyers échus et impayés et celle de 24 202,25 euros au titre de l'indemnité de résiliation.

Le 12 juillet 2016, le véhicule Fiat Freemont a été restitué à la société CM-CIC Bail qui l'a revendu pour un prix net de 14 542,40 euros.

Par acte d'huissier de justice en date du 14 février 2017, la société CM-CIC Bail a fait assigner M. X devant le tribunal de grande instance d'Epinal, afin de le voir condamner à lui payer la somme de 24 652,59 euros en principal, outre celle de 1200 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

M. X a conclu au rejet des demandes de M. X et, subsidiairement, a demandé au tribunal de réduire à un euro l'indemnité due au titre de la clause pénale.

Par jugement rendu le 20 novembre 2018, le tribunal de grande instance d'Epinal a débouté la société CM-CIC Bail de ses demandes et il l'a condamnée aux dépens, rejetant les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Le tribunal a considéré qu'il n'était pas possible, au vu des éléments produits, de vérifier l'exactitude du calcul de l'indemnité de résiliation revendiquée par la société CM-CIC Bail et qu'étant dans l'impossibilité de déterminer le montant de la créance de cette dernière, sa demande en paiement devait être rejetée.

Par déclaration enregistrée le 18 janvier 2019, la société CM-CIC Bail a interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions déposées le 14 octobre 2019, la société CM-CIC Bail demande à la cour d'infirmer le jugement déféré et, statuant à nouveau, de condamner M. X à lui payer la somme de 24 652,59 euros en principal, avec intérêts au taux légal à compter du 17 février 2017 (date de l'assignation), outre celle de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

A l'appui de son appel, la société CM-CIC Bail expose :

- que le point de départ du règlement du loyer doit être fixé au 7 novembre 2014 conformément à ce que prévoit le contrat,

- que trois termes de loyers de 562,94 euros étaient impayés lorsque le bail a été résilié le 22 avril 2016,

- que le calcul de l'indemnité de résiliation, conforme à ce que prévoit le contrat, est clair,

- que le déséquilibre au profit du bailleur dont se prévaut M. X n'est pas démontré,

- que l'indemnité de résiliation réclamée correspond à la stricte indemnisation du préjudice subi par le bailleur et n'a rien d'excessif.

Par conclusions déposées le 11 juillet 2019, M. X demande à la cour de confirmer le jugement déféré et, y ajoutant, de condamner la société CM-CIC Bail à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens. A titre subsidiaire, il demande à la cour de déclarer abusif l'article 15 des conditions générales du contrat de location, de le réputer non écrit et de confirmer le jugement déféré. A titre infiniment subsidiaire, il demande à la cour de requalifier ledit article 15 en clause pénale et de réduire à un euro la pénalité à appliquer.

M. X fait valoir :

- qu'il est curieux de lui réclamer une indemnité de 21 848,51 euros, alors qu'il a payé les loyers pendant un an et que le véhicule a été acheté 22 682,27 euros par le bailleur,

- que la société CM-CIC Bail ne justifie pas plus de sa créance (tant en ce qui concerne les loyers impayés que pour l'indemnité de résiliation) devant la cour qu'elle ne l'avait fait devant le tribunal,

- que la société CM-CIC Bail a résilié le bail alors qu'un seul loyer était resté impayé, ce qui rend cette résiliation abusive,

- que la résiliation n'a causé aucun préjudice à la société CM-CIC Bail à qui le véhicule a été rendu en bon état, ce qui lui a permis de le revendre facilement,

- que l'article 15 du contrat est une clause abusive, car elle fait peser sur le consommateur qui n'exécute pas ses obligations une indemnité d'un montant disproportionné, lequel résulte de ce que le prix de revente du véhicule n'est pas pris en considération,

- que l'accumulation de clauses pénales constitue un déséquilibre contractuel,

- qu'eu égard à la revente rapide du véhicule, l'indemnité réclamée par la société CM-CIC Bail n'est pas fondée, cette dernière n'ayant pas subi de préjudice ou à tout le moins sollicite une indemnisation excessive.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la créance de la société CM-CIC Bail

Par lettre recommandée avec AR du 3 mars 2016, la société CM-CIC Bail a mis en demeure M. X de payer le loyer du 7 février 2016 sous 8 jours, sous peine de résiliation du contrat de bail. M. B. ne justifie pas avoir réglé cette dette dans le délai ainsi imparti. C'est donc sans abus de droit que, le 22 avril 2016, le bailleur a pu notifier à son locataire la résiliation du bail.

La somme actuellement réclamée par la société CM-CIC Bail correspond pour partie aux loyers restés impayés (562,94 euros) et pour l'autre partie à l'indemnité de résiliation (24 089,65 euros).

1°) Les loyers impayés :

Lorsque, le 22 avril 2016, la société CM-CIC Bail a résilié le contrat de location, elle a mentionné dans sa lettre de résiliation le montant des trois derniers loyers qui seraient restés impayés, soit : 562,94 euros x 3 = 1 688,82 euros (et non 1 688,92 euros comme elle l'a indiqué par erreur).

Ce montant du loyer mensuel, soit 562,94 euros ttc, résulte du tableau d'amortissement joint au contrat. S'il est exact que le contrat mentionne lui-même un montant de 563,38 euros au titre du loyer mensuel, M. X ne peut valablement se plaindre de cette ambiguïté dès lors que la société CM-CIC Bail lui a appliqué le montant qui lui était le plus favorable.

La société CM-CIC Bail a déduit de ce montant des trois derniers loyers mensuels un règlement intervenu le 4 mai 2016 par chèque bancaire d'un montant de 1 125,88 euros, ce qui a réduit la dette de loyers à 562,94 euros.

M. X ne justifie pas d'autres règlements en déduction de sa dette. Cette somme de 562,94 euros est donc due par M. X.

2°) L'indemnité de résiliation :

L'article 15 du contrat de location liant les parties stipule qu'en cas de non-paiement du loyer à son échéance, le contrat sera résilié de plein droit par le bailleur 8 jours après l'envoi d'une lettre de mise en demeure restée sans effet ; que le locataire devra restituer le véhicule en bon état d'entretien et versera en sus des loyers impayés une indemnité de résiliation égale au prix d'achat du véhicule par le bailleur diminué de 60 % des loyers HT ; que le locataire devra également verser à titre de clause pénale, pour assurer la bonne exécution de la convention, une somme HT égale à 10 % des sommes précitées.

En l'occurrence, la société CM-CIC Bail retient un prix d'achat du véhicule HT et non TTC (ce qui est favorable au locataire et ne peut donc être critiqué par ce dernier) de 25 280,66 euros. Elle déduit de ce montant les 15 mensualités de loyer réglées à hauteur de 381,35 euros réduites à 60 %, soit : 25 280,66 euros - (15 x 381,35 x 60 %) = 21 848,51 euros ;

Elle ajoute à ce montant, au titre de la clause pénale, 10 % des sommes restant dues, soit : (21 848,51 euros + 562,94 euros) x 10 % = 2 241,14 euros, soit 24 202,25 euros en tout.

Dès lors, c'est à tort que le tribunal a considéré que la créance de la société CM-CIC Bail ne pouvait être calculée au vu des éléments chiffrés produits.

L'article R. 132-2 du Code de la consommation, dans sa rédaction applicable au jour de la conclusion du contrat dont s'agit, dispose que dans les contrats conclus entre un professionnel et un non-professionnel ou consommateur, sont présumées abusives au sens de l'article L. 132-1, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, les clauses ayant pour objet ou pour effet d'imposer au non-professionnel ou au consommateur qui n'exécute pas ses obligations une indemnité d'un montant manifestement disproportionné.

En l'espèce, le cumul des deux mécanismes stipulés à l'article 15 du contrat (qualifiés d'indemnité de résiliation et de clause pénale) a pour effet d'imposer au locataire une indemnité de résiliation d'un montant manifestement disproportionné. Cette disproportion résulte de la somme à laquelle aboutit la mise en œuvre de cette double pénalité : la société CM-CIC Bail réclame à M. X la somme de 24 202,25 euros HT, soit quasiment le prix HT (25 280,66 euros) auquel elle a acquis le véhicule donné en location, alors qu'elle a perçu les 17 premiers loyers versés par M. X et qu'elle a pu récupérer le véhicule en bon état et le revendre dès septembre 2016 pour un prix net de 14 542,40 euros. Par ailleurs, il convient de comparer les mensualités restant à échoir au jour de la résiliation, soit 42 mensualités de mai 2016 à octobre 2019 : 42 x 381,35 euros HT = 16 016,70 euros, avec le montant réclamé au titre de l'indemnité de résiliation, 24 202,25 euros.

La disproportion manifeste de cette indemnité de résiliation apparaît ainsi incontestable. La société CM-CIC Bail en se bornant à indiquer que l'indemnité de résiliation doit dissuader le locataire de restituer le véhicule de façon anticipée ne rapporte pas la preuve contraire.

Aussi les stipulations de l'article 15 du contrat se rapportant au calcul de l'indemnité de résiliation doivent-elles être considérées comme constituant une clause abusive et, par voie de conséquence, sont réputées non écrites. La société CM-CIC Bail ne peut donc réclamer aucune indemnité à ce titre.

Au total, M. X ne pourra être condamné à payer à la société CM-CIC Bail que le loyer resté impayé avant la résiliation de la location, soit la somme de 562,94 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 14 février 2017, date de l'assignation. Le jugement déféré sera réformé sur ce point.

Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile

M. X, qui est la partie perdante dans la mesure où il est déclarée débiteur envers la société CM-CIC Bail, supportera les dépens de première instance et d'appel et il sera débouté de sa demande de remboursement de ses frais de justice irrépétibles. En outre, il est équitable qu'il soit condamné à payer à la société CM-CIC Bail la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile, Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, Condamne M. X à payer à la société CM-CIC Bail la somme de 562,94 € (cinq cent soixante-deux euros et quatre-vingt-quatorze centimes) au titre du loyer impayé d'avril 2016, avec intérêts au taux légal à compter du 14 février 2017, Déboute la société CM-CIC Bail de sa demande en paiement de l'indemnité de résiliation, Déboute M. X de sa demande sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne M. X à payer à la société CM-CIC Bail la somme de 1 000 € (mille euros) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne M. X aux dépens de première instance et d'appel.