CA Colmar, 1re ch. civ. A, 12 février 2020, n° 17-05036
COLMAR
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Etablissements Paul Kihl (SAS)
Défendeur :
L'art du Bœuf (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Roublot
Conseiller :
M. Frey
FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
La société Établissements Paul Kihl exploite une activité d'entrepositaire et de grossiste en boissons.
La société l'Art du Bœuf est, pour sa part, une société qui exploitait à Rauwiller (67) deux établissements de restauration sous les enseignes " l'Art du Bœuf " et " la Dolce Vita ".
Toutes deux exercent sous la forme sociale de sociétés par actions simplifiée (SAS).
L'appelante invoque un contrat de livraison en date du 1er juillet 2015, qui lierait les deux parties, impliquant, en contrepartie de la mise à disposition de différents matériels d'exploitation d'une valeur totale de 7 842,88 euros par la société Établissements Paul Kihl, un engagement d'approvisionnement exclusif auprès d'elle-même par la société l'Art du Bœuf pour une durée de sept ans, à compter du 1er juillet 2015, outre un droit, pour une durée de dix ans à compter de la même date, au profit du fournisseur, d'acquérir par préférence à tout autre acquéreur, aux mêmes prix, charges et conditions du marché de l'époque, pour le cas où la cliente envisagerait de céder l'un de ses deux établissements.
Le 24 février 2017, la SAS l'Art du Bœuf a cédé son fonds de débit de boissons " la Dolce Vita " sans informer la SAS Établissements Paul Kihl de cette cession.
Par assignation délivrée le 18 mai 2017, la SAS Établissements Paul Kihl a fait attraire la SAS l'Art du Bœuf devant la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Saverne, afin d'obtenir le paiement de différentes sommes à savoir :
7 842,88 euros au titre du matériel fourni,
2 200,19 euros au titre de factures restées, selon elle, impayées,
14 773,20 euros au titre des pénalités de retard contractuelles.
La SAS l'Art du Bœuf n'a pas constitué avocat.
Par jugement, réputé contradictoire, rendu le 1er août 2017, le tribunal de grande instance de Saverne a, sous bénéfice de l'exécution provisoire, condamné la SAS l'Art du Bœuf à payer à la SAS Établissements Paul Kihl la somme de 2 200,19 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 18 mai 2017, date de la demande, déboutant la SAS Établissements Paul Kihl du surplus de ses demandes, et condamnant la SAS l'Art du Bœuf aux dépens, sans faire application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Retenant que la partie défenderesse restait redevable de factures demeurées impayées, elle a, en revanche, écarté la mise en œuvre des pénalités contractuelles, faute de la mise en demeure préalable prévue à l'article 7 de la convention.
La SAS Établissements Paul Kihl a interjeté appel de cette décision par déclaration déposée le 1er décembre 2017.
Dans ses dernières conclusions en date du 23 mai 2019, elle demande à la cour d'infirmer la décision entreprise, et statuant à nouveau, de condamner l'intimée à lui payer la somme de 16 973,39 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 18 mai 2017, outre une indemnité de procédure de 1 500 euros pour frais irrépétibles, ainsi que sa condamnation aux dépens.
Précisant que le premier juge n'a pas statué sur sa demande en indemnisation du matériel, tout en indiquant qu'elle renonce à cette demande au regard de la restitution, certes tardive selon elle, de ces éléments, elle conteste toute obligation de mise en demeure préalable à une assignation en justice, celle-ci ne s'appliquant que préalablement à la mise en œuvre d'une clause résolutoire de plein droit, outre qu'en l'espèce, l'assignation, venant sanctionner une fraude aux droits de la concluante, n'avait pas, à son sens, à être précédée d'une mise en demeure.
Elle ajoute que la société intimée reconnaît à tout le moins avoir été livrée en boissons et être redevable des factures correspondantes, outre qu'elle a accepté la livraison du matériel, de sorte qu'à supposer que le signataire du contrat n'ait pas eu la qualité pour engager la société l'Art du Bœuf, ce qu'elle conteste, le contrat comportant la signature du représentant désigné sous l'en-tête de chaque société, il constituerait à tout le moins un commencement de preuve par écrit, complété par les éléments précités. Dès lors, ni la convention ni, plus particulièrement, la clause pénale, ne seraient, à son sens, entachées de nullité. La demande adverse en modération de la clause pénale ne lui apparaît pas davantage justifiée, compte tenu de la mauvaise foi qu'elle impute à la partie adverse, qui a dissimulé l'existence du contrat de livraison au notaire et a tardé à lui restituer le matériel.
Quant à la demande adverse en dommages-intérêts, elle exclut tout comportement fautif de sa part, et, en tout cas, tout lien de causalité entre le préjudice invoqué et un tel comportement, le recours à une procédure de saisie conservatoire, prévu par la loi, n'étant pas fautif.
La SAS l'Art du Bœuf s'est constituée intimée le 28 décembre 2017.
Dans ses dernières écritures déposées le 1er juillet 2019, elle entend voir :
- constater que la Cour n'est saisie d'un appel ne portant que sur une demande de réformation de la condamnation de la concluante au paiement d'une indemnité de 1500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour la première instance,
- débouter la SAS Établissements Paul Kihl de ses demandes,
- confirmer le jugement entrepris,
À défaut,
- constater l'absence de contrat d'entreprise ;
- constater le défaut de pouvoir du directeur général de la SAS l'Art du Bœuf,
- dire que le contrat du 1er juillet 2015 est nul.
En conséquence,
À titre principal, dire que la clause pénale est nulle,
À titre subsidiaire, dire que la clause est réputée non écrite ;
À titre infiniment subsidiaire, constater l'absence de préjudice de la société appelante,
En conséquence, fixer le montant de l'indemnité à 0 euro.
À défaut, réduire à un euro le montant de l'indemnité,
- condamner la SAS Établissements Paul Kihl à lui verser la somme de 50 000 euros au titre de dommages et intérêts, outre la somme 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
À l'appui de ses prétentions, elle soutient, notamment :
- que l'appelant ne vise pas expressément l'étendue des chefs du jugement critiqués, sous réserve des frais irrépétibles, de sorte que, bien que l'appel soit recevable, la cour ne peut considérer être saisie d'une demande en réformation de la décision entreprise,
- que le contrat litigieux, qui n'est pas un contrat d'entreprise soumis à la liberté de la preuve commerciale, mais un contrat de livraison, est nul pour défaut du pouvoir, comme signé par le directeur général de la concluante, dont la partie adverse, elle-même une SAS, ayant entretenu de longue date des relations contractuelles avec elle, ne pouvait ignorer de bonne foi le défaut de capacité du signataire, qui a cru signer un simple bon de livraison, à représenter la société, par ailleurs non informée préalablement de son contenu, nonobstant l'apposition du timbre humide, outre que l'identité du signataire pour la SAS Établissements Paul Kihl est ignorée,
- que la clause pénale n'est pas due en l'absence de mise en demeure préalable prévue par l'article 7 de la convention,
- qu'elle est, en tout état de cause, nulle au regard du déséquilibre significatif entre les parties qu'elle induit, par application de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce,
- que son montant doit, au moins, être modéré, compte tenu de la mauvaise foi, selon elle patente, de l'appelante et de l'absence de préjudice subi par celle-ci, qui a continué à bénéficier de l'obligation principale du contrat, à savoir la livraison de boissons, après la cession de la " Dolce Vita ", le matériel n'ayant, de surcroît, pas été cédé avec le fonds de commerce,
- qu'elle-même a subi un préjudice du fait de la saisie conservatoire, selon elle injustifiée, pratiquée par la SAS Établissements Paul Kihl sur la somme de 26 000 euros, qui l'a placée en difficultés financières, la mettant dans l'impossibilité de faire face à ses obligations bancaires et fiscales.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens de chacune des parties, il conviendra de se référer à leurs dernières conclusions respectives.
La clôture de la procédure a été prononcée le 18 septembre 2019, et l'affaire renvoyée à l'audience de plaidoirie du 4 décembre 2019, puis mise en délibéré à la date du 10 février 2020 prorogé au 12 février 2020, par mise à disposition au greffe.
MOTIFS :
Sur l'étendue de l'appel de la société établissements Paul Kihl :
L'article 901 du Code de procédure civile, dans sa version en vigueur à la date de l'acte d'appel dispose, notamment que la déclaration d'appel est faite par acte contenant (...) à peine de nullité :
(...)
4°) Les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.
Par ailleurs, aux termes de l'article 562, alinéa 1, du Code précité, l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent.
En l'espèce, la société Établissements Paul Kihl indique, dans sa déclaration d'appel, que " L'appel tend à la réformation du jugement en ce qu'il n'a pas donné suite intégralement à la demande principale de la Société appelante. L'appel tend également à la critique du jugement en ce qu'il n'a pas donné suite à la demande de la Société Etablissements Paul Kihl au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile. "
Dans la mesure où le jugement entrepris a, à titre principal, condamné la SAS l'Art du Bœuf à payer à la SAS Établissements Paul Kihl la somme de 2 200,19 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 18 mai 2017, date de la demande, et débouté la SAS Établissements Paul Kihl du surplus de ses demandes, la formulation claire et non équivoque de la déclaration d'appel met autant la cour que la partie intimée en mesure d'appréhender l'étendue des dispositions critiquées.
Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que la cour est saisie de l'ensemble des demandes formulées par l'appelant, telles que reprises en dernier lieu dans ses plus récentes écritures.
Sur la validité du contrat conclu entre les parties :
La cour relève, tout d'abord, la nature commerciale du contrat litigieux s'agissant d'une convention d'approvisionnement exclusif passée entre deux commerçants.
Cela étant, il convient encore de relever que, si aux termes de l'article L. 227-6 du Code de commerce, la société par actions simplifiée est représentée à l'égard des tiers par un président désigné dans les conditions prévues par les statuts, il résulte de l'application de ces dispositions à la lumière de celles de l'article 10 de la directive 2009/101 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009, que les tiers peuvent se prévaloir à l'égard d'une société par actions simplifiée des engagements pris pour le compte de cette dernière par une personne portant le titre de directeur général ou de directeur général délégué de la société.
Or en l'espèce, comme le relève l'appelante, le contrat mentionne la représentation de la SAS l'Art du Bœuf tant par sa présidente, Mme H. que par son directeur général, M. A. Si le contrat comporte en première page deux paraphes, et en seconde et dernière page deux signatures et ce qui s'apparente, soit à un paraphe, soit à une signature, ce qui ne permet pas de s'assurer, alors que, par ailleurs l'engagement du représentant légal de la société Établissements Paul Kihl n'est pas mis en question, de la signature du contrat par la présidente de la société l'Art du Bœuf, cette société soutenant n'avoir été représentée que par son directeur général, il n'en demeure pas moins, au regard de l'application des dispositions qui précèdent, que la société l'Art du Bœuf est valablement engagée.
Sur l'obligation de mise en demeure préalable à la mise en œuvre des pénalités contractuelles :
L'article 7 de la convention conclue entre les parties stipule que : " la violation par la partie cliente de l'une quelconque de ses obligations autorisera le distributeur 15 jours après mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception restée infructueuse, à déclarer le présent contrat résilié de plein droit, et que dans ce cas seulement, la partie cliente sera tenue de payer au distributeur une pénalité calculée connue suit : " 30 % de la moyenne arithmétique mensuelle du chiffre d'affaires réalisé en produits énumérés au présent contrat de livraison pendant les 12 derniers mois, multiplié par le nombre de mois restant à courir sur la durée prévue à l'article 3. " En cas de cessation des relations d'affaires, il y a restitution des prestations non amorties. "
Si, en l'espèce, la société Établissements Paul Kihl a assigné la société l'Art du Bœuf devant le tribunal de grande instance de Saverne en lui réclamant des sommes au titre, notamment d'une absence de respect de son obligation d'exclusivité, il convient de relever que la mise en œuvre des pénalités contractuelles obéit, aux termes de la clause précitée, à la réunion de conditions restrictives et précisément énumérées, à savoir :
- une mise en demeure adressée par lettre recommandée avec accusé de réception,
- l'expiration d'un délai de quinze jours durant lequel cette mise en demeure est restée infructueuse,
- la déclaration de résiliation de plein droit, par le distributeur, du contrat.
Les stipulations contractuelles précisent que c'est dans ce cas seulement que la partie cliente sera tenue de payer une pénalité au distributeur, étant, au demeurant, relevé que la société Établissements Paul Kihl n'a à aucun moment constaté ou sollicité la résiliation du contrat litigieux.
Dans ces conditions, c'est à bon droit que le premier juge, constatant que ces dispositions n'avaient pas été respectées en l'absence de mise en demeure préalable, laquelle conditionne la mise en œuvre des pénalités contractuelles, a débouté la demanderesse, désormais appelante, de ses prétentions.
Il convient donc de confirmer le jugement entrepris de ce chef.
Sur le surplus des demandes en paiement formées par la société Établissements Paul Kihl :
La Cour relève d'une part que, si la demande initiale, telle que formée devant le premier juge par la société Établissements Paul Kihl incluait pour partie la valorisation du matériel mis à disposition, demande à laquelle il n'a pas été fait droit en première instance, sans qu'il y soit fait spécifiquement référence dans les motifs du jugement dont appel, cette demande est, en tout état de cause, sans objet, l'appelante exposant avoir obtenu restitution du matériel et ne pas maintenir ses prétentions à ce titre.
Pour le reste, en l'absence de contestation des parties, et notamment de la société l'Art du Bœuf, à cet égard, la cour estime que le premier juge a, par des motifs pertinents qu'elle approuve, fait une exacte appréciation des faits de la cause et des droits des parties en mettant à la charge de la société défenderesse, et dorénavant intimée, la somme de 2 200,19 euros, devant porter intérêts à compter de la date de la demande. Dès lors, le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.
Sur la demande de la société l'Art du Bœuf en dommages-intérêts :
La société l'Art du Bœuf réclame l'indemnisation, par la société Établissements Paul Kihl, des conséquences d'une saisie conservatoire, pratiquée selon elle abusivement, par cette dernière sur la somme de 26 000 euros.
Cela étant, si le recours à une procédure de saisie conservatoire prévue par la loi et autorisée par le juge de l'exécution ne fait pas, en soi, obstacle à l'allocation de dommages-intérêts en cas de préjudice causé à la partie saisie, la partie intimée ne caractérise pas en l'espèce de faute de nature à lui avoir causé préjudice, laquelle ne peut résulter du seul fait que l'appelante n'a pas obtenu gain de cause sur l'intégralité de sa demande au fond, étant, au demeurant, observé qu'il y a été fait droit pour partie, au titre d'une dette reconnue, et qu'une autre partie de la somme réclamée portait sur la valeur du matériel mis à disposition et restitué postérieurement à la saisie conservatoire, dont la mainlevée a, certes été sollicitée, mais à ce jour, en l'état des éléments du dossier, non obtenue par la société l'Art du Bœuf.
Dans ces conditions, la société l'Art du Bœuf sera déboutée de sa demande en dommages-intérêts.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
La société Établissements Paul Kihl succombant pour l'essentiel sera tenue des dépens de l'appel, par application de l'article 696 du Code de procédure civile, outre confirmation du jugement déféré sur cette question.
L'équité commande en outre de mettre à la charge de la société Établissements Paul Kihl une indemnité de procédure pour frais irrépétibles de 1 500 euros au profit de la société l'Art du Bœuf, tout en disant n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile à l'encontre de cette dernière et en confirmant les dispositions du jugement déféré de ce chef.
Par ces motifs, LA COUR, Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 1er août 2017 par la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Saverne, Y ajoutant, Déboute la SAS l'Art du Bœuf de sa demande en dommages-intérêts, Condamne la SAS Établissements Paul Kihl aux dépens de l'appel, Condamne la SAS Établissements Paul Kihl à payer à la société l'Art du Bœuf la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de Établissements Paul Kihl.