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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 2, 13 février 2020, n° 19-01045

DOUAI

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Cortex (SAS), Home Médical Service (SAS)

Défendeur :

Ergoconcept (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bedouet

Conseillers :

Mmes Cordier, Fallenot

T. com. Lille, du 17 janv. 2019

17 janvier 2019

FAITS ET PROCEDURE

La société Ergoconcept est une société de distribution de matériel médical. Elle importe de Chine un fauteuil roulant appelé Ergo 09L, fabriqué par la société chinoise Golden Motor Technology, qui a fait l'objet d'un certificat de conformité n° 16-053 délivré par le centre d'études et de recherches pour l'appareillage des handicapés (le CERAH) le

16 décembre 2016.

La société Home Medical Service H.M.S. exerce également l'activité de fabrication et de distribution de matériel médical.

La société Cortex exerce une activité de négoce et d'importation de matériel médical notamment. Elle importe quant à elle de Chine un fauteuil roulant appelé Emma TA1010, fabriqué par la société chinoise Golden Motor Technology, qui est distribué sur le marché français par un tiers, la société HMS Vilgo, auprès de revendeurs, distributeurs ou grossistes. Ce fauteuil Emma TA1010 s'est vu délivrer un certificat de conformité n° 17-020 par le CERAH le 3 juillet 2017.

Les sociétés Home Medical Service et Cortex sont toutes deux dirigées par M. Patrick J..

La société Ergoconcept, estimant que le fauteuil Emma TA1010 était la copie servile du fauteuil Ergo 09L, a adressé des courriers recommandés au comité économique des produits de santé (le CEPS), à la Direction départementale de la protection des populations (la DDPP) et au CERAH le 24 octobre 2017.

Elle a en outre obtenu, par ordonnance du président du tribunal de commerce de Lille Métropole rendue le 23 février 2018, l'autorisation de faire pratiquer des constats d'huissier dans les locaux du CERAH, effectivement réalisés les 15 et 21 mars 2018, et a, par suite, fait assigner les sociétés Cortex et Home Medical Service devant le tribunal de commerce de Lyon par actes d'huissier du 9 octobre 2018.

Les sociétés Cortex et Home Medical Service, s'estimant victimes d'un dénigrement constitutif d'un trouble manifestement illicite, ont à leur tour saisi en référé le tribunal de commerce de Lille Métropole.

Par ordonnance rendue le 17 janvier 2019, le juge des référés du tribunal de commerce de Lille Métropole a statué en ces termes :

DEBOUTONS les sociétés Home Medical Service et Cortex de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions

CONDAMNONS les sociétés Home Medical Service et Cortex, solidairement à régler à la société Ergoconcept la somme de 5 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile

CONDAMNONS les sociétés Home Medical Service et Cortex, solidairement aux entiers dépens, taxés et liquidés à la somme de 63,89 € en ce qui concerne les frais de Greffe.

Le premier juge a retenu que sur le site internet HMS -Vilgo, le fauteuil Emma TA1010 était présenté et garanti comme un produit de conception et de fabrication française ; que l'examen des certificats de conformité établis par le CERAH ainsi que des éléments recueillis à l'occasion des constats d'huissier permettait de constater des discordances avec la réalité, notamment sur l'autonomie du fauteuil, sa puissance, le montage obligatoire ou non d'un garde-boue... ; qu'il devait être considéré que la société Ergoconcept avait entrepris à juste titre ses démarches auprès des autorités administratives et judiciaires.

Par déclaration du 18 février 2019, les sociétés Cortex et Home Medical Service ont relevé appel de cette décision.

L'affaire a fait l'objet d'une fixation à bref délai en application des dispositions de l'article 905 du Code de procédure civile.

PRETENTIONS DES PARTIES

Par conclusions régularisées par le RPVA le 19 août 2019, les sociétés Cortex et Home Medical Service demandent à la cour de :

" Dire mal jugé et bien appelé.

Avant dire droit

Vu l'ordonnance royale du 25 août 1539 dite ordonnance de Villers Cotterêts

Ordonner à la société Ergoconcept de faire traduire par un traducteur assermenté toutes les pièces versées aux débats par elle figurant en langue étrangère (anglaise et/ou chinoise) en application des dispositions des articles 15 et 16 du Code de procédure civile.

En toute hypothèse, et sur le fondement des mêmes dispositions des articles 15 et 16 du Code de procédure civile, ordonner le retrait de toutes les pièces versées aux débats par la société Ergoconcept rédigées en langue étrangère et qui n'ont fait l'objet d'aucune traduction par un traducteur assermenté à l'initiative de la société Ergoconcept.

Au fond

Vu les dispositions de l'article 873 du Code de procédure civile,

Vu les dispositions des articles 1240 et 1241 du Code civil,

Infirmer l'ordonnance rendue par le juge des référés près le tribunal de commerce de Lille Métropole le 17 janvier 2019 en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau :

- Ordonner à la société Ergoconcept de cesser immédiatement toute démarche de dénigrement à l'encontre des sociétés Home Medical Service et Cortex auprès de tous tiers et notamment de tout organisme public ou privé tel que le CERAH, le CEPS ou encore la DDPP ou plus généralement la DGCCRF,

- Ordonner à la société Ergoconcept d'adresser un courrier, signifié par voie d'huissier de justice, aux frais de la société Ergoconcept, au CERAH, au CEPS ainsi qu'à la DDPP du département du Nord reprenant les termes suivants :

- en ce qui concerne le CEPS et la DDPP du Nord :

" Nous revenons vers vous à la suite de la correspondance que nous vous avons adressée le 24 octobre 2017 au terme de laquelle nous avions souhaité vous alerter de certaines pratiques des sociétés Home Medical Service et Cortex.

A la demande du président du tribunal de commerce de Lille, nous vous informons que les propos que nous avons tenus dans notre correspondance constituent un dénigrement des sociétés Home Medical Service et Cortex et par voie de conséquence un trouble manifestement illicite.

Nous vous demandons donc de ne pas tenir compte de notre correspondance ".

- à l'égard du CERAH :

" Nous vous avons fait signifier par huissier de justice le 21 mars 2018 une requête déposée auprès du tribunal de commerce de Lille et une ordonnance rendue par le président de ce tribunal le 23 février 2018.

A la demande du Président du tribunal de commerce de Lille, nous vous informons que les propos que nous avons tenus dans notre requête, constituent un dénigrement des sociétés Home Medical Service et Cortex et par voie de conséquence un trouble manifestement illicite.

Nous vous demandons donc de ne pas tenir compte de notre correspondance ".

- Assortir d'injonction de faire à la charge de la société Ergoncept d'une astreinte de 500,00 € par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir,

- Ordonner à la société Ergoncept d'adresser copie des significations à la société Home Medical Service ainsi qu'à la société Cortex dans les 8 jours de leur délivrance, toujours sous astreinte de 500,00 € par jour de retard à compter de l'expiration du délai,

- Se déclarer compétent ratione materiae pour statuer sur les demandes de condamnation provisionnelle présentées par les sociétés Cortex et Home Medical Service,

- Condamner la société Ergoncept à payer à chacune des deux sociétés Home Medical Service et Cortex, à titre provisionnel, la somme de 10 000,00 € à titre de dommages et intérêts sur le fondement des dispositions des articles 1240 et 1241 du Code civile,

- Débouter la société Ergoconcept de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

- Condamner la société Ergoconcept à payer à chacune des deux sociétés Home Medical Service et Cortex la somme de 6 500,00 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamner la société Ergoconcept aux entiers frais et dépens. "

Les sociétés Cortex et Home Medical Service se prévalent du caractère erroné et mensonger des assertions de la société Ergoconcept, qui tente selon elles de s'approprier la paternité et l'exclusivité de la distribution d'un fauteuil électrique pour lequel elle s'est contentée, tout comme l'a fait la société Cortex de son côté, de solliciter des adaptations afin que le fauteuil soit conforme aux spécifications techniques du marché français et des exigences du CERAH.

Elles reprochent à la société Ergoconcept de ne pas avoir fait traduire par un traducteur assermenté toutes les pièces qu'elle verse aux débats, en faisant état du caractère approximatif de certaines traductions. Elles demandent en conséquence, avant dire droit, qu'il soit ordonné à la société Ergoconcept de faire assurer la traduction de l'ensemble de ses pièces produites en langue étrangère par un traducteur assermenté afin de lever toute ambiguïté éventuelle quant à leur compréhension, ou que les pièces non traduites soient écartées des débats.

Elles plaident que la société Ergoconcept n'a bénéficié de l'exclusivité accordée par la société Golden Motor Technology qu'en ce qui concerne l'importation et la distribution de fauteuils électriques avec des roues de 8 pouces et de 12 pouces. Toutes les démarches administratives, judiciaires et commerciales qu'elle a engagées à l'encontre des sociétés Cortex et Home Medical Service n'ont d'autre objet que celui d'interdire totalement à la société Cortex d'importer et de distribuer le fauteuil " E-throne 10 " de la société Golden Motor Technology afin de se réserver l'exclusivité de la distribution sur le marché français du fauteuil sous toutes ses déclinaisons.

Les écrits adressés par la société Ergoconcept auprès du CEPS, du CERAH et de la DDPP du département du Nord constituent un dénigrement des sociétés Home Medical Service et Cortex, qui constitue une faute en application des dispositions des articles 1240 et 1241 du Code civil, et surtout, un trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser par application des dispositions de l'article 873 du Code de procédure civile.

En outre, le dénigrement auquel s'est livré la société Ergoconcept à l'égard des sociétés Home Medical Service et Cortex leur cause un préjudice d'image et de réputation auprès des organismes publics concernés, ainsi qu'un préjudice moral.

Si les sociétés Cortex et Home Medical Service entendent solliciter, à l'occasion d'une procédure au fond initiée par la société Ergoconcept devant le tribunal de commerce de Lyon, l'indemnisation de l'intégralité de leurs préjudices au titre des agissements de concurrence déloyale commis par la société Ergoconcept à leur encontre, il n'en demeure pas moins que dès à présent et en application de l'article 873 du Code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier.

Elles concluent que l'exception d'incompétence soulevée par la société Ergoconcept ne l'a pas été in limine litis. Il n'est pas précisé la juridiction de renvoi. En outre, le juge des référés de Lille est compétent.

Par conclusions régularisées par le RPVA le 30 avril 2019, la société Ergoconcept demande à la cour de :

" Vu la Loi du 2 juillet 1963,

Vu les articles L. 121-1 et suivants du Code de la Consommation,

Vu la jurisprudence relative au dénigrement en matière d'acte de concurrence déloyale,

Vu les articles 873 al. 1 et al. 2 du Code de Procédure Civile,

Vu les pièces versées aux débats ;

Confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ces dispositions.

Débouter les Sociétés Cortex et HMS de leurs prétentions concernant la condamnation à adresser des courriers sous astreinte et à cesser tout acte de dénigrement ou de concurrence déloyale.

Dire et juger que les propos de la société Ergoconcept en ses courriers du 24 octobre 2017 et sa requête du 11 décembre 2017, sont objectifs et neutres, dépourvus de caractère péjoratifs et n'ont pas été rendus publics.

Dire et juger en conséquence que les trois conditions devant être cumulativement réunies pour que des propos soient qualifiés de dénigrement ne sont pas remplies en l'espèce.

En conséquence, dire et juger que les propos de la société Ergoconcept en ses courriers du 24 octobre 2017 et sa requête du 11 décembre 2017 ne sont constitutifs ni du dénigrement allégué par les sociétés Cortex et HMS ni d'un trouble manifestement illicite.

En conséquence, débouter les sociétés Cortex et HMS de leurs prétentions relatives à la cessation du dénigrement et du trouble manifestement illicite et à l'envoi des courriers sollicités auprès du CEPS et DDPP et du CERAH.

Vu les contestations de la société Ergoconcept tant sur le principe du dénigrement que le trouble de jouissance que du préjudice ayant pu en résulter ;

Se déclarer incompétent rationae materiae en ce qui concerne la demande de provision et débouter en tant que de besoin les sociétés Cortex et HMS de leurs prétentions à ce titre.

Condamner les sociétés Cortex et HMS solidairement à régler à la société Ergoconcept la somme de 9 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers dépens. "

La société Ergoconcept affirme que c'est elle qui, depuis mars 2015, aux côtés de la société chinoise Golden Motor Technology, a mis au point le fauteuil E throne, pour l'adapter, l'améliorer, et lui permettre de répondre au cahier des charges du CERAH, grâce auquel ce produit a reçu son agrément.

Un accord d'exclusivité a ensuite été conclu avec la société Golden Motor Technology qui a concédé à la société Ergoconcept l'exclusivité de l'importation en Europe concernant le fauteuil de taille 12 pouces, vendu sous le nom Ergo 09L.

Considérant que l'accord d'exclusivité conclu entre les sociétés Ergoconcept et Golden Motor Technology pour l'importation du fauteuil E throne ne concernait que la version française modifiée de taille 12 pouces, les sociétés Cortex et HMS, afin d'importer un fauteuil pliant léger électrique en Europe, ont convaincu la société Golden Motor Technology de leur vendre le fauteuil E throne modifié en taille 10 pouces.

Le fauteuil Emma TA 1010, tout en étant équipé de roues arrière de 10 pouces, n'est que le clone du fauteuil Ergo 09L, équipé de roues arrières de 12 pouces.

Au surplus, la société Ergoconcept a constaté que le fauteuil Emma TA 1010, également fabriqué par la société Golden Motor Technology, tout en étant similaire au fauteuil Ergo 09L, était commercialisé dans des conditions contestables dès lors que :

- la société Cortex se présentait comme étant le concepteur et le fabricant français du fauteuil alors qu'il était conçu et fabriqué en Chine,

- la société Cortex se présentait comme le distributeur du fauteuil Emma TA 1010 alors qu'il était importé et distribué par la société HMS,

- la société Cortex se prévalait d'une déclaration CE faisant références, pour les parties électriques du fauteuil, aux données du CERAH, alors que ces données n'étaient pas respectées,

- la société Cortex commercialisait le fauteuil de série, sans garde-boue de protection des roues arrière, alors que l'agrément du CERAH exigeait leur présence permanente,

- les sociétés Cortex et HMS avaient édité des documents commerciaux comportant des inexactitudes par rapport aux réelles caractéristiques techniques du fauteuil, ce qui pouvait être constitutif du délit de publicité mensongère.

La société Ergoconcept, victime d'une concurrence déloyale, a critiqué le comportement des sociétés Cortex et HMS. Pour autant, le message n'est pas nécessairement dénigrant au regard des circonstances et de la jurisprudence.

C'est à bon droit que le juge des référés a considéré que ces démarches n'étaient pas susceptibles d'altérer, de manière substantielle, le comportement économique du consommateur normalement informé, et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service. En effet, ni les autorités administratives, ni le président du tribunal de commerce, ne sont assimilables à des consommateurs où à une clientèle pouvant ainsi être détournées.

Suivre le raisonnement des sociétés Cortex et HMS reviendrait à priver la société Ergoconcept de son droit de saisir une autorité administrative ou judiciaire, pour l'informer de faits dont elle s'estime victime.

Les sociétés Cortex et HMS, tout en sollicitant l'allocation d'une provision à valoir sur leur prétendu préjudice, n'apportent aucun élément de nature à en justifier, ce qui corrobore l'absence de troubles en lien avec les propos de la société Ergoconcept. A cet égard, il est constant que le magistrat des référés est radicalement incompétent pour connaître d'une demande de provision frappée d'une contestation plus que sérieuse, tant en ce qui concerne la réalité du trouble, puisque le dénigrement est catégoriquement contesté, que son quantum.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et des prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

SUR CE

I - Sur les demandes relatives aux pièces en langue étrangère

Aux termes de l'article 2 alinéa 1er de la constitution du 4 octobre 1958, la langue de la République est le français.

Cette obligation d'utiliser la langue française s'impose au juge ainsi qu'aux parties, tant pour leurs écritures que pour les actes et documents qu'elles présentent au juge.

Si l'ordonnance de Villers-Cotterêts du 25 août 1539 ne vise que les actes de procédure, le juge est fondé dans l'exercice de son pouvoir souverain, à écarter comme élément de preuve un document écrit en langue étrangère, faute de production d'une traduction en langue française.

1) Sur les pièces en langue étrangère

En application des textes susvisés, il appartient au juge du fond d'apprécier, y compris d'office et sans avoir à inviter au préalable les parties à fournir une traduction, s'il convient ou non d'écarter un document rédigé en langue étrangère.

En l'espèce :

- les pièces n° 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 25, 27, 36, 37 et 41 produites par les sociétés Cortex et Home Medical Service sont rédigées en langue anglaise et non traduites (étant précisé qu'elles sont en réalité traduites pour certaines d'entre elles, mais signifiées alors sous un autre numéro) ;

- les pièces 15, 16, 30, 34 et 35 produites par les sociétés Cortex et Home Medical Service sont en partie rédigées en langue anglaise et non traduites.

Il convient en conséquence d'écarter des débats les pièces n° 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 25, 27, 36, 37 et 41 en leur intégralité et les pièces 15, 16, 30, 34 et 35 pour leurs parties rédigées exclusivement en langue anglaise et non traduites.

2) Sur les pièces traduites par un traducteur non assermenté

Il ne saurait être fait droit à la demande des sociétés Cortex et Home Medical Service visant à voir écarter les pièces de la société Ergoconcept traduites par un traducteur non assermenté, d'ailleurs non spécifiquement listées, alors qu'il est tout à fait loisible à une partie d'offrir une traduction libre de documents rédigés en langue étrangère, sous réserve qu'elle soit compréhensible.

Les sociétés Cortex et Home Medical ne peuvent se contenter d'affirmer, sans le démontrer, le besoin d'une traduction assermentée en faisant état d'approximations et d'ambiguïtés, sans émettre de critique précise des traductions offertes et sans justifier de l'utilité des dites pièces pour la résolution du présent litige.

Elles seront donc déboutées de leur demande de ce chef.

II - Sur les demandes relatives au dénigrement

1) Sur l'existence d'un dénigrement

Aux termes de l'article 873 du Code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d'un fait qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit.

Les articles L. 121-1 et suivants du Code de la consommation rappellent que les pratiques déloyales sont interdites. Ils qualifient de pratique commerciale déloyale celle qui est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qui altère, ou est susceptible d'altérer, de manière substantielle, le comportement économique du consommateur normalement informé, et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service.

Le dénigrement consiste à jeter publiquement le discrédit sur les produits, l'entreprise ou la personnalité d'un concurrent pour en tirer un profit. Il s'agit de porter atteinte à l'image de marque d'une entreprise ou d'un produit désigné ou identifiable afin de détourner la clientèle en usant de propos ou d'arguments répréhensibles ayant ou non une base exacte, diffusés ou émis en tout cas de manière à toucher les clients de l'entreprise visée, concurrente ou non de celle qui en est l'auteur.

Le dénigrement comporte donc un message critique, sur un concurrent identifié, qui est diffusé.

Le dénigrement est malveillant et déloyal. Il se distingue de la critique. Il existe en effet un droit à la libre critique, si celle-ci est objective, neutre et justifiée. Une critique mesurée dans son contenu et dans sa forme est licite.

La distinction entre critique et dénigrement relève de l'appréciation souveraine des juges du fond.

La sanction du dénigrement est la mise en jeu de la responsabilité civile de son auteur et l'octroi de dommages-intérêts.

En l'espèce, il est établi que la société Ergoconcept a adressé, le 24 octobre 2017, au CEDPS un courrier ainsi libellé :

" Messieurs,

Je viens d'être saisi des intérêts de la société ERGO CONCEPT qui me demande de porter à votre connaissance les faits suivants pour enquête et poursuites éventuelles, de manière à ce que toutes mesures soient prises d'urgence pour faire cesser le préjudice dont elle est victime du fait d'agissements de concurrence déloyale résultant de publicité manifestement mensongère.

La société ERGO CONCEPT est une entreprise de matériel médical créée en 2014 dont l'objet principal est la commercialisation de fauteuils roulants électriques pliables, se distinguant des produits de la concurrence par une extrême légèreté.

A cet égard, la société ERGO CONCEPT commercialise un fauteuil ERGO09L dont l'agrément CERAH remonte au 16 décembre 2016.

Ce produit est concurrencé par la société CORTEX FRANCE [...] présidée par Monsieur Christian J. et par la société HMS VILGO sise à la même adresse, animée par le même Président, par le fauteuil dénommé EMMA TA1010. bénéficiant également de l'agrément du CERAH depuis le 7 juillet 2017.

Sans compter que le fauteuil EMMA TA1010 de la société CORTEX FRANCE est la copie servile du fauteuil ERGO 09L de la société ERGO CONCEPT, les sociétés CORTEX FRANCE et HMS VTLGO se livrent, pour en assurer la diffusion et la commercialisation, à des actes de concurrence déloyale en faisant usage de fausses qualités et d'informations inexactes sur le produit.

En premier lieu, sur la base des données du CERAH, la société CORTEX FRANCE se présente comme fabricant alors qu'elle ne l'est pas, au regard de la définition donnée par l'ANSM.

En effet, la société CORTEX FRANCE n'a pas participé à la conception du produit EMMA TA1010 et n'en assure pas davantage la fabrication.

L'entreprise ayant conçu le produit et en assurant la production est en réalité la société GOLDEN MOTOR TECHNOLOGY. Block 8 Modem Industrial Center, [...].

Ainsi, en revendiquant la qualité de fabricant, la société CORTEX FRANCE prone implicitement auprès des consommateurs que le produit qu'elle diffuse est fabriqué en France et non en Chine, ce qui est à la fois inexact et dévalorisant pour la société ERGO CONCEPT qui révèle en toute transparence quant à elle, que son produit est fabriqué en Chine.

En second lieu, la société CORTEX FRANCE se présente comme étant le distributeur officiel du fauteuil EMMA TA1010 alors que la distribution est en réalité assurée par la société HMS VILGO. ainsi que cela résulte de la brochure commerciale de cette dernière, jointe en annexe et accessible par tout public dans les magasins de matériels médicaux.

A cet égard, la première page du site Internet de la société HMS VILGO garantit ses produits comme étant de conception et de fabrication française, alors que cela est totalement faux.

Cette inexactitude à elle seule suffit à caractériser le délit de publicité mensongère.

En troisième lieu, la société CORTEX FRANCE se prévaut d'une auto-déclaration CE qui s'avère elle aussi inexacte.

En effet, les informations présentant les parties électriques sur la base de données du CERAH sont fausses, puisque la marque WSYG-24V n'existe pas et que le fabricant est [...].

En quatrième lieu, le fauteuil EMMA TA1010 est fabriqué dans la même usine que celle où est fabriqué le fauteuil ERG009 ; les deux produits étant identiques à l'exception du diamètre des roues arrières et du système de réglage du repose-pied ; le châssis en aluminium, les habillages textiles et les modules électroniques sont strictement les mêmes que ceux du fauteuil ERGO 09L.

Enfin, en dernier lieu, de nombreuses incohérences existent entre les brochures commerciales et les informations diffusées sur la base de données du CERAH.

Par exemple :

- La largeur utile entre les deux accoudoirs est indiquée entre 43 et 54 cm alors que dans la configuration 43 cm, le fauteuil perd sa fonctionnalité de pliage, ce qui n'est mentionné sur aucune documentation et démontre l'incompétence technique de la société CORTEX,

- L'autonomie indiquée sur la base du CERAH est de 13 kilomètres, alors que l'autonomie indiquée sur les brochures commerciales est de 28 kilomètres.

En considération de l'ensemble de ces éléments, la société ERGO CONCEPT, victime d'une manifeste concurrence déloyale sous couvert de la publicité mensongère à laquelle se livrent les sociétés CORTEX FRANCE et HMS VILDO, sollicite par la présente votre intervention auprès du CERAH pour que soit retiré l'agrément du fauteuil EMMA TA1010.

En effet, les énonciations fausses et mensongères ci-dessus visées, de nature à induire le consommateur en erreur, ne sauraient en pleine connaissance de cause être couvertes par ledit agrément, étant ici rappelé que celui-ci permet de surcroit au fauteuil EMMA TA1010 de figurer sur la liste LPPR et de bénéficier de ce fait d'un remboursement par la Sécurité Sociale.

Je vous remercie de bien vouloir m'informer de la suite que vous entendez donner à la présente, étant ici précisé que la société ERGO CONCEPT se réserve par ailleurs d'agir sur le terrain civil à l'encontre des sociétés visées se livrant à son détriment à une concurrence déloyale de nature à la mettre en péril.

Je vous prie d'agréer, Messieurs, l'expression de mes sentiments distingués. "

Les sociétés Cortex et Home Medical Service ne contestent pas la véracité des critiques ainsi formulées. Or s'il est exact, comme elles le soutiennent, que le fait d'écrire publiquement qu'une entreprise ne respecte pas les normes imposées peut être constitutif d'un dénigrement déloyal même si l'allégation est exacte, encore faut-il que la divulgation présente un caractère fautif.

En l'espèce, compte tenu des circonstances ayant conduit la société chinoise Golden Motor Technology à vendre aux sociétés Ergoconcept et Cortex des fauteuils similaires, hormis en ce qui concerne la taille des roues, il doit être considéré que la société Ergoconcept était légitime à défendre ses intérêts commerciaux face aux allégations mensongères des sociétés Cortex et Home Medical Service sur la fabrication française du fauteuil Emma TA1010.

En outre, il ne peut qu'être constaté que les termes employés par la société Ergoconcept sont mesurés et objectifs.

De surcroît, le courrier litigieux a été adressé non pas à la clientèle des sociétés parties au présent litige, mais à un professionnel en charge d'une mission de protection des consommateurs.

La cour observe, pour le surplus, que les sociétés Cortex et Home Medical Service ne produisent pas les courriers adressés à la DDPP et au CERAH, et n'établissent donc pas qu'ils ont été écrits en des termes dénigrants.

En tout état de cause, tant la DDPP que le CERAH sont là encore des interlocuteurs professionnels.

Dès lors, ni le CEPDS, ni la DDPP, ni le CERAH n'étaient, en raison de cette qualité, susceptibles d'être trompés sur la portée des courriers reçus.

La DDPP a d'ailleurs répondu à la société Ergoconcept, le 12 décembre 2017, qu'une enquête avait été menée et que toutes les suites utiles avaient été données, la renvoyant à saisir le tribunal de commerce en réparation de son éventuel préjudice.

Aucune publicité n'a été donnée aux dits courriers du fait de la société Ergoconcept. Le mail adressé le 6 février 2019 à M. Patrick J. par M. Thomas L.-D. indique uniquement que celui-ci connaît l'existence d'une procédure judiciaire entre les sociétés Cortex et Ergoconcept à propos du fauteuil Emma.

Il doit donc être considéré que ces courriers ne dépassent pas le droit de libre critique et ne constituent pas un dénigrement.

En conséquence, la preuve de l'existence d'un trouble manifestement illicite au sens de l'article 873 du Code de procédure civile n'est pas rapportée.

2) Sur la demande de dommages et intérêts à titre provisionnel

Aux termes de l'article 873 du Code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal de commerce peut accorder une provision au créancier.

a - Sur la compétence du juge des référés

Il s'impose de constater que c'est nécessairement par une maladresse de rédaction que la société Ergoconcept demande à la cour de se déclarer incompétente rationae materiae en ce qui concerne la demande de provision en se prévalant de l'existence d'une contestation sérieuse.

Elle excipe en réalité d'un moyen relatif aux pouvoirs de la juridiction des référés, dont il sera rappelé qu'il peut être présenté en tout état de cause.

b - Sur le bien-fondé de la demande

En l'espèce, l'obligation de l'intimée étant sérieusement contestable en l'absence de preuve de l'existence d'un trouble manifestement illicite, la demande de provision formée par les appelants sur le fondement de l'article 873 alinéa 2 du Code de procédure civile doit être rejetée.

III - Sur les demandes accessoires

1) Sur les dépens

Aux termes de l'article 696 du Code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

L'issue du litige justifie de condamner in solidum les sociétés Cortex et Home Medical Service aux dépens d'appel et de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle les a condamnées aux dépens de première instance

2) Sur les frais irrépétibles

Aux termes de l'article 700 du Code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

La décision entreprise sera confirmée en ce qu'elle a condamné les sociétés Cortex et Home Medical Service à payer à la société Ergoconcept la somme de 5 000,00 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Les sociétés Cortex et Home Medical Service, tenues aux dépens d'appel, seront en outre condamnées in solidum à verser à la société Ergoconcept la somme de 5 000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel, et déboutées de leurs propres demandes de ce chef.

Par ces motifs LA COUR, Ecarte des débats les pièces n° 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 25, 27, 36, 37 et 41 rédigées en langue anglaise et non traduites produites par les sociétés Cortex et Home Medical Service ; Ecarte des débats, pour leurs parties rédigées exclusivement en langue anglaise et non traduites, les pièces 15, 16, 30, 34 et 35 produites par les sociétés Cortex et Home Medical Service ; Déboute les sociétés Cortex et Home Medical Service de leur demande visant à voir écarter les pièces produites par la société Ergoconcept traduites par un traducteur non assermenté ; Confirme l'ordonnance rendue le 17 janvier 2019 par le juge des référés du tribunal de commerce de Lille Métropole en toutes ses dispositions ; Condamne in solidum les sociétés Cortex et Home Medical Service à verser à la société Ergoconcept la somme de 5 000,00 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel ; Déboute les sociétés Cortex et Home Medical Service de leur propre demande de ce chef ; Condamne in solidum les sociétés Cortex et Home Medical Service aux dépens d'appel.