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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 19 février 2020, n° 16-16522

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

La Fibule (SARL)

Défendeur :

Delane Conseils (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Bodard Hermant, M. Gilles

Avocats :

Mes Boccon Gibod, Mallet

T. com. Marseille, du 7 juin 2016

7 juin 2016

FAITS ET PROCÉDURE

Vu le jugement assorti de l'exécution provisoire rendu le 7 juin 2016 par le tribunal de commerce de Marseille qui a :

- condamné la société La Fibule à payer à la société Delane conseils la somme de 47 840 euros, au titre des factures impayées, avec intérêts au taux légal à compter de la demande en justice,

- débouté la société La Fibule de ses demandes reconventionnelles,

- dit que la société La Fibule a rompu brutalement les relations commerciales le 26 novembre 2013,

- condamné la société La Fibule à payer à la société Delane conseils :

La somme de 9 000 euros, à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement conformément aux dispositions de l'article 1153-1 du Code civil,

La somme de 1 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la société La Fibule aux dépens,

- rejeté toutes autres demandes ;

Vu l'appel relevé par la société La Fibule et ses dernières conclusions notifiées le 20 février 2017 par lesquelles elle demande à la cour, au visa des articles 1108 et suivants, 1131, 1134 et suivants, 1165, 1184, 1315, 1235 et 1376 du Code civil ainsi que de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce, d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :

- rejeter l'ensemble des demandes de la société Delane conseils,

- condamner la société Delane conseils à lui rembourser la somme de 11 960 euros et à lui payer :

La somme de 30 000 euros, à titre de dommages-intérêts, pour brusque rupture,

La somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Delane aux entiers dépens,

- à titre subsidiaire, sur l'appel incident partiel de la société Delane conseils, le rejeter en ce qu'il tend à asseoir l'indemnisation éventuelle sur un chiffre d'affaires et non sur une marge brute ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 21 décembre 2016 par la société Delane conseils qui demande à la cour, au visa de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce ainsi que des articles 1382, 1134 et 1147 du Code civil, de :

1) confirmer le jugement en ce qu'il a :

- condamné " la société Marshel " à lui payer la somme de 47 840 euros au titre des factures impayées suivantes :

Facture n° 209/213 du 21 novembre 2013 de 11 960 euros TTC,

Facture n° 210/2013 du 21 novembre 2013 de 11 960 euros TTC,

Facture n° 211/2013 du 21 novembre 2013 de 11 960 euros TTC,

Facture n° 218/2013 du 31 décembre 2013 de 11 960 euros TTC,

- dit que la société La Fibule a rompu brutalement les relations commerciales établies avec elle,

- débouté la société La Fibule de ses demandes reconventionnelles,

2) réformer le jugement en ce qu'il a condamné la société La Fibule à lui verser la somme de 9 000 euros, à titre de dommages-intérêts, et condamner la société La Fibule à lui verser la somme de 40 000 euros, à titre de dommages-intérêts, représentant 4 mois de préavis,

3) dire que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter de l'assignation,

4) condamner la société La Fibule aux entiers dépens et à lui payer la somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

SUR CE LA COUR

La société holding La Fibule détient des participations dans les sociétés Marshel, Marveine et MMG qui exploitent chacune un établissement franchisé Mc Donald's ; toutes ces sociétés sont dirigées par M. X.

A compter de mars 2009, la société Delane conseils, dirigée par M. Y et qui a pour activité le conseil aux entreprises, la gestion administrative, le marketing et les ressources humaines, a entamé des relations commerciales avec chacune des filiales de la société La Fibule ; puis à partir de janvier 2011, elle a engagé des relations commerciales avec la société La Fibule.

Par lettres recommandées du 31 mai 2013 avec accusés de réception signé le 8 juin 2013, les sociétés Marshel, Marveine et MMG ont notifié à la société Delane conseils la résiliation de leurs relations à effet au 30 juin 2013.

Suivant courriels du 26 novembre 2013, M. Y a réclamé à M. X le paiement des prestations facturées par sa société aux trois filiales ainsi que le paiement des prestations effectuées pour la société La Fibule d'août à octobre 2013 ; M. X lui a répondu en proposant une rencontre pour aborder l'ensemble des sujets; M. Y a persisté dans sa demande en précisant que, sans règlement, il ne pourrait envisager de poursuivre ses prestations, ni envisager une rencontre ; M. X l'a avisé qu'il ne fonctionnait pas sous la pression et qu'il n'y aurait donc pas de rencontre.

Le 19 septembre 2014, la société Delane conseils a mis en demeure la société La Fibule de lui payer :

- la somme de 47 840 euros TTC, montant total de trois factures du 21 novembre 2013 pour prestations d'août, septembre et octobre 2013 et d'une facture du 31 décembre 2013 pour prestations de novembre 2013,

- la somme de 24 676 euros représentant 4 mois de préavis, pour rupture brutale des relations commerciales établies.

N'obtenant pas satisfaction, la société Delane conseils a fait assigner la société La Fibule le 28 novembre 2014 devant le tribunal de commerce de Marseille ; par le jugement déféré, la société La Fibule a été condamnée à payer à la société Delane conseils la somme de 47 840 euros TTC et celle de 9 000 euros, à titre de dommages-intérêts, pour rupture brutale de la relation commerciale; sa demande reconventionnelle en remboursement de la somme de 11 960 euros payée au titre des prestations de juillet 2013 a été rejetée.

Sur la demande de la société Delane conseils en paiement de la somme de 47 840 euros et sur la demande de la société La Fibule en remboursement de la somme de 11 960 euros

Pour contester devoir paiement de la somme de 47 840 euros, facturée pour des prestations d'août à novembre 2013 et réclamer le remboursement de la somme versée au titre des prestations de juillet 2013, la société La Fibule rappelle qu'il incombe au créancier de prouver que sa créance est certaine, liquide et exigible, ce que ne ferait pas la société Delane conseils, et qu'elle-même est en droit de lui opposer l'inexécution de ses obligations pour se trouver dispensée des siennes; elle fait valoir :

- que les factures ont été établies a posteriori,

- qu'à partir du 14 juin 2013, la société Delane conseils a cessé quasiment toute prestation au profit de ses filiales et d'elle-même,

- que parmi les courriels ou échanges de courriels produits par la société Delane conseils, seuls 7 la concernent elle, les autres concernant ses filiales ayant aussi été communiqués dans des instances distinctes engagées contre ses filiales,

- qu'il convient de les détailler pour apprécier si, entre juin et novembre 2013, la société Delane conseils démontre des prestations réelles justifiant des factures mensuelles de 10 000 euros HT,

- que M. Y n'a écrit que 6 lignes de courriel sans grand intérêt et que 3 courriels dont il a été destinataire sont restés sans réponse,

- que la société Delane conseils ne peut se prévaloir de l'attestation de Mme Z, ancienne salariée de la société MMG, qui a été licenciée pour faute grave, ni de l'attestation de M. W, directeur senior de la société MRN laquelle n'a jamais été en relation avec la société Delane conseils, M. W ayant été aussi licencié par son employeur.

Mais il ressort de la lecture des courriels versés aux débats par la société Delane conseils que :

- le 19 juin 2013, M. X a informé M. Y qu'il était inscrit à la " Mc Donald's Digital University " prévue le 26 novembre 2013, en tant que " directeur des opérations ", ce qui est difficilement concevable avec une cessation des prestations de la société Delane conseils qui serait intervenue à la mi-juin 2013,

- le 18 juillet 2013, M. X a échangé directement avec M. Y sur un problème de ressources humaines et sur un problème de concurrence,

- le 18 juillet 2013, M. Y a donné des consignes pour la résiliation d'un contrat de téléphone mobile à M. A, qui était alors responsable administratif et financier de la société La Fibule,

- le 16 août 2013, M. Y a interrogé M. A sur le règlement d'une facture et celui-ci lui a répondu le 19 août suivant,

- le 19 août 2013, M. A a demandé à M. Y de valider sa note de frais,

- le 12 septembre 2013, M. X a donné des consignes à M. Y et à M. B en vue d'une négociation relative à un bail,

- le 21 octobre 2013, M. X a demandé à M. Y de se rapprocher de son expert-comptable à propos d'une contestation de facture,

- le 25 novembre 2013, Inextenso, comptable de la société La Fibule a adressé à M. Y le fichier des règlements de la société MRN (qui gérait l'établissement Mc Donald's sur le Vieux port),

- le 26 novembre 2013, M. X a répondu à Inextenso de mettre le virement fournisseurs, copie de ce courriel étant destinée à M. Y

L'ensemble de ces éléments démontre la poursuite des prestations de la société Delane conseils entre juin et novembre 2013, celle-ci assistant la société La Fibule dans sa gestion comptable et financière; pendant ce laps de temps aucun reproche ne lui a été fait relativement à une inexécution ne serait-ce que partielle des prestations qui lui avaient été confiées ; il importe peu que les factures n'aient pas été établies au fur et à mesure de l'exécution des prestations, cette circonstance n'ayant pas d'incidence sur l'obligation au paiement ; la société Delane conseils est ainsi bien fondée en sa demande en paiement de la somme de 47 840 euros TTC qui produira intérêts au taux légal à compter de l'assignation ; la demande de la société La Fibule en remboursement de la somme de 11 960 euros est quant à elle mal fondée.

Sur les demandes de chacune des parties pour rupture brutale de la relation commerciale établie

La société La Fibule soutient ne pas avoir rompu brutalement les relations avec la société Delane conseils en novembre 2013, mais avoir été victime d'un ralentissement brutal des prestations de cette société à compter du mois de juin 2013 ; cependant elle ne rapporte pas la preuve de ses allégations, la société Delane conseils ayant poursuivi ses prestations comme exposé plus haut.

Il apparaît que le 26 novembre 2013 c'est la société La Fibule qui a décidé de rompre les relations commerciales entre les parties, refusant de payer les factures de la société Delane conseils pour les mois d'août à octobre 2013 et lui notifiant son refus de la rencontrer ; cette rupture intervenue sans préavis écrit, au mépris des dispositions de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce, ouvre droit à réparation du préjudice en résultant pour la société Delane conseils.

La société Delane conseils prétend qu'elle se trouvait en état de dépendance économique, l'intégralité de sa clientèle étant constituée de la société La Fibule et de ses filiales ; elle précise que la société La Fibule représentait 14,6 % de son chiffre d'affaires.

Mais la société La Fibule réplique à juste raison que la société Delane conseils n'était tenue par aucune clause d'exclusivité, qu'il lui était loisible de diversifier sa clientèle et qu'elle ne démontre aucunement avoir procédé à des investissements spécifiques pour exécuter ses prestations.

Au regard de l'ensemble de ces éléments et de la durée des relations, limitée à 2 ans et 11 mois, la société La Fibule aurait dû respecter un préavis de 2 mois pour permettre à la société Delane de réorganiser son activité de conseil aux entreprises.

Au soutien de sa demande de dommages-intérêts, la société Delane conseils expose que s'agissant de son activité de prestation de services elle n'employait pas de salarié et ne procédait à aucun achat, sa marge brute étant équivalente à son chiffre d'affaires ; elle se borne à produire une attestation de son expert-comptable aux termes de laquelle elle a réalisé un chiffre d'affaires de 90 000 euros HT avec la société La Fibule en 2013, ce qui correspond à une moyenne mensuelle de 7 500 euros.

En l'absence d'autres justificatifs et étant rappelé qu'il convient de tenir compte de la perte de marge sur coût variable, le préjudice de la société Delane conseils sera fixé à la somme de 9 000 euros qui produira intérêts au taux légal à compter du jugement.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile

La société La Fibule qui succombe en ses prétentions doit supporter les dépens de première instance et d'appel.

Vu les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, il y a lieu d'allouer la somme de 4 000 euros à la société Delane conseils et de rejeter la demande de la société La Fibule de ce chef.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement en toutes ses dispositions, sauf celle allouant la somme de 1 000 euros à la société Delane conseils par application de l'article 700 du Code de procédure civile, Statuant à nouveau, Condamne la société La Fibule à payer la somme de 4 000 euros à la société Delane conseils par application de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute les parties de toutes leurs autres demandes, Condamne la société La Fibule aux dépens de première instance et d'appel.