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Décisions

CA Rennes, 4e ch., 27 février 2020, n° 17-04629

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Le Patisseau (SARL), Motei (SCI)

Défendeur :

Menuiserie L. (SARL), P. Bois (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rauline

Conseillers :

Mmes Georgeault, Bourdon

CA Rennes n° 17-04629

27 février 2020

FAITS ET PROCÉDURE

La SCI Motei est propriétaire d'un camping situé [...], qui est exploité par la société Le Patisseau.

Selon devis accepté le 7 février 2009, elle a confié à la société Courtage Service Travaux Bâtiment (CSTB), aux droits de laquelle vient désormais la société CMB, la construction d'une terrasse en bois de 260 m² à réaliser autour de la piscine au prix de 16 356,50 € TTC.

Les lames composites WEX ont été fournies à la société CMB par la société P. Bois et elles ont été posées par la société Menuiserie L. le 1 avril 2009.

Courant avril 2013, la société Le Patisseau a constaté une déformation importante des lames de la terrasse à proximité de la piscine et de l'espace de sortie du restaurant et elle a procédé provisoirement, avant la saison touristique, au remplacement de 50 m² de lames de la terrasse.

La société Le Patisseau et la SCI Motei ont saisi le juge des référés d'une demande d'expertise, par acte d'huissier du 27 mars 2014.

Selon ordonnance en date du 22 avril 2014, M.de B. a été désigné et il a déposé son rapport le 26 février 2015.

Aux termes d'un acte d'huissier du 19 août 2015, la société Le Patisseau a fait assigner la société Menuiseries L. et la société P. Bois devant le tribunal de commerce de Saint-Nazaire. La SCI Motei est intervenue volontairement à l'instance par conclusions du 15 mars 2017.

Par jugement en date du 31 mai 2017, le tribunal a :

- déclaré la demande de la société Le Patisseau recevable mais mal fondée et l'en a débouté ;

- débouté la société Le Patisseau de sa demande de paiement pour préjudice de jouissance ;

- décerné acte à la SCI Motei de son intervention volontaire à la procédure ;

- dit la demande de la SCI Motei irrecevable comme prescrite ;

- condamné solidairement la société Le Patisseau et la SCI Motei à payer à la société P. Bois et à la société Menuiseries L., chacune, la somme de 800 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné solidairement la société Le Patisseau et la SCI Motei aux entiers dépens ;

- ordonné l'exécution provisoire du jugement

Par déclaration en date du 27 juin 2019, la société Le Patisseau et la SCI Motei ont interjeté appel de ce jugement.

Les parties ont conclu et l'ordonnance de clôture a été rendue le 5 novembre 2019.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans leurs dernières conclusions en date du 22 août 2017, la société Le Patisseau et la SCI Motei demandent à la cour de :

Vu les articles 1382 et 1641 et suivants du Code civil,

- réformer le jugement du tribunal de commerce de Saint-Nazaire en date du 31 mai 2017 ;

- déclarer la demande de la société Le Patisseau recevable et bien fondée ;

En conséquence,

- condamner la société Menuiserie L. et la société P. Bois in solidum à payer à la société Le Patisseau les sommes de :

28 795 € HT ou 32 442,24 € TTC au titre des travaux de reprise avec indexation sur l'indice BT01 du coût de la construction de février 2015 jusqu'à complet paiement ;

2 000 € au titre du préjudice de jouissance ;

5 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société Menuiserie L. et la société P. Bois aux entiers dépens ;

- débouter les sociétés requises de leurs demandes, fins et conclusions contraires ;

A titre subsidiaire, si la cour devait rejeter la demande de la société P. Bois,

- réformer la décision déférée en ce qu'elle a déclaré prescrite la demande de la SCI Motei ;

- constater que les lames Wex étaient atteintes d'un vice caché ;

- condamner la société P. Bois à régler à la SCI Motei la somme de 23 748,50 € ;

- condamner la société P. Bois à régler à la SCI Motei la somme de 5 000 € au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions en date du 20 octobre 2017, la société Menuiserie L. demande à la cour, au visa des articles 1147 et suivants du Code civil, de :

A titre principal,

- dire et juger que la société Le Patisseau n'a pas qualité de créancière de l'action ;

- dire et juger la société Menuiseries L. hors de cause dans la survenance du sinistre subi par la société Le Patisseau et la SCI Motei ;

- débouter la société Le Patisseau et la SCI Motei de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de la société Menuiseries L. ;

- débouter la société P. Bois de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de la société Menuiseries L. ;

A titre infiniment subsidiaire,

- dire et juger que la quote-part de responsabilité de la société Menuiseries L. dans la survenance du dommage ne saurait excéder 5 % ;

- débouter la société Le Patisseau et la SCI Motei de leur demande de condamnation in solidum

- dire et juger que la société Menuiseries L. ne sera tenue au versement des sommes allouées par la cour à la société Le Patisseau qu'à hauteur de sa quote-part de responsabilité dans la survenance du sinistre, soit 5 % ;

- débouter la société P. Bois de sa demande de garantie intégrale des condamnations prononcées contre elle ;

En tout état de cause,

- condamner toute partie succombante à verser à la société Menuiseries L. la somme de 5 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions en date du 22 août 2017, la société P. Bois demande à la cour de :

Vu les articles 1648, 1382 et 1383 du Code civil,

A titre principal,

- déclarer tardive comme prescrite l'action de la SCI Motei ;

- dire et juger que la société Le Patisseau n'est pas créancière de l'action en réparation des désordres constructifs examinés par M. de B., expert judiciaire ;

- débouter la SCI Motei et la société Le Patisseau de toutes ses demandes fins et conclusions en ce qu'elles sont dirigées contre la société P. Bois ;

- débouter la société Le Patisseau de toutes ses demandes fins et conclusions en ce qu'elles sont dirigées contre la société P. Bois ;

A titre subsidiaire,

- condamner la société Menuiserie L. à garantir intégralement la société P. Bois de toute condamnation à son encontre en principal, dommages et intérêts, frais et accessoires ;

En tout état de cause,

- condamner toute partie succombante au paiement d'une indemnité de 5 000 € par application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de la société Le Patisseau

- sur la recevabilité de la demande

La société Le Patisseau fonde sa demande d'indemnisation des préjudices qu'elle subit du fait des désordres affectant la terrasse sur les dispositions de l'article 1382 devenu l'article 1240 du Code civil.

Elle n'est pas liée par contrat avec les sociétés P. et Menuserie L. et, en tant que tiers, elle dispose à leur encontre, au titre des dommages qu'elle subit du fait de la construction, d'une action fondée sur la faute délictuelle.

Le moyen d'irrecevabilité tiré des dispositions du bail commercial conclu entre les appelantes, selon lesquelles les travaux engagés par le preneur en cours de bail restent la propriété du bailleur en fin de bail, est inopérant puisque la qualité de propriétaire des travaux n'est pas une condition de recevabilité de l'action exercée.

Le bénéfice de l'action n'est pas davantage réservé au propriétaire de l'ouvrage.

La société Le Patisseau est donc recevable en son action dirigée contre les sociétés Menuiseries L. et P. Bois.

Le jugement est confirmé

- sur le bienfondé de la demande

La société Le Patisseau doit rapporter la preuve d'une faute des intimées, d'un dommage subi et d'un lien de causalité.

Aux termes d'une jurisprudence constante de la cour de cassation, le tiers à un contrat peut invoquer sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage (Cass. Ass plén 6 octobre 2006, n° 05-13.255 P, 13 janvier 2020, n° 17-19.963).

Il ressort incontestablement des pièces du dossier et en particulier du procès-verbal de constat établi le 18 avril 2013, des photographies jointes à ce constat et au rapport d'expertise judiciaire, que la terrasse est affectée de désordres caractérisés par des déformations visibles des lames qui gondolent.

L'expert judiciaire a relevé que les zones de lames WEX restées en place présentaient d'importantes déformations avec des creux allant jusqu'à 6 cm ne permettant pas l'utilisation de la terrasse. Il considère que la sécurité des personnes est incompatible avec l'état de la terrasse et que la mise en sécurité par dépose et remplacement des zones les plus dégradées est une obligation avant la saison d'exploitation de l'été 2014.

S'agissant de l'origine des anomalies constatées, l'expert indique que la déformation des lames est la conséquence directe d'une variation dimensionnelle du matériau qui a été bloqué soit par une fixation (vis) inappropriée soit par des éléments du sol mis en œuvre perpendiculairement soit par la structure (béton, rocher...).

M. de B. note que la terrasse présente deux types de défauts :

- une malfaçon de mise en œuvre des lambourdes dont l'espacement est supérieur au maximum préconisé par le fournisseur des lames et par le DTU 51.4,

- un vice du matériau, dont les dilatations semblent dépasser les caractéristiques techniques indiquées et les espaces de dilatations préconisés, ce qui a conduit à une déformation définitive des lames.

S'agissant des responsabilités, l'expert retient à l'encontre de la société P. Bois, une mauvaise tenue des lames WEX pouvant constituer un vice du produit, et des préconisations de pose insuffisantes, voire erronées, ne permettant pas à un poseur, professionnel ou amateur, de soupçonner que les jeux de dilatation, liés à la variation thermique et à l'humidité, doivent être largement augmentées pour s'adapter à la réalité des dilatations des lames.

Il considère que les notices de pose de la société P. Bois pour les lames WEX concourent largement à la genèse du sinistre en ne permettant pas au poseur, qui suivrait scrupuleusement la notice, de se garantir contre un accident tel que celui constaté.

L'expert relève en ce qui concerne la société Menuiseries L. que le défaut potentiel de drainage des eaux sous le platelage a pu, d'une façon ou d'une autre, aggraver la reprise d'humidité des lames et ainsi participer à la genèse du sinistre.

Il estime en revanche que la malfaçon de mise en œuvre (vissage) n'a eu qu'un effet marginal voire négligeable sur le désordre constaté, ce qui est confortée par la notice de 2008 qui prévoit une méthodologie de pose vissée.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société P. Bois et la société Menuiseries L., tenues d'une obligation de résultat, ont été défaillantes dans l'exécution des travaux, la première en fournissant un produit affecté d'un vice caché tenant à sa dilatation importante, et des notices de pose erronées, et la seconde, en posant des lambourdes de manière non-conforme aux règles de l'art et aux prescriptions du DTU.

Ces fautes sont à l'origine de la déformation des lames de la terrasse et du préjudice subi par la société Le Patisseau, exploitante du camping, qui a été contrainte, pour assurer la sécurité de sa clientèle, de remplacer la terrasse.

La société Le Patisseau est bien fondée en son action à l'encontre de la société P. Bois et de la société Menuiserie L..

Le jugement est réformé.

-sur les préjudices

-Les travaux de reprise ont été chiffrés par l'expert à la somme de 29 058,43 € HT.

La société Le Patisseau indique que compte tenu de l'urgence dans laquelle elle s'est trouvée, après le dépôt du rapport d'expertise, de remettre en état la terrasse pour pouvoir continuer la saison, elle a procédé elle-même aux travaux de réfection, la dépose et la repose de la terrasse ayant été réalisée par les salariés du camping.

Elle chiffre le coût total de cette reprise à la somme de 28 795 € HT comprenant, le coût des heures de travail des salariés, le coût des matières premières et l'évacuation des lames retirées.

Cette somme est justifiée au vu des pièces produites.

Les critiques de la société P. tenant à ce que les factures en cause n'ont pas subi de contrôle expertal sont écartées, la demande présentée par la société Le Patisseau étant inférieure au chiffrage de l'expert et la rapidité de la mise en œuvre des travaux de reprise ayant permis d'éviter la fermeture du camping pendant la saison estivale 2015 et donc de limiter les préjudices.

Elle est par conséquent retenue.

-sur le préjudice de jouissance : la société le Patisseau invoque la difficulté d'exploiter le camping au regard de l'état de la terrasse. Cette difficulté est avérée au vu de l'importance et de l'étendue des déformations de la terrasse et de la dangerosité de celles-ci pour les utilisateurs.

Il lui est alloué à ce titre la somme de 2 000 €.

- sur la condamnation in solidum

Chacun des manquements ayant contribué de manière indissociable à la survenance des dommages, leurs co-auteurs sont condamnés in solidum à en réparer les conséquences

La société Menuserie L. et la société P. Bois sont donc condamnées in solidum à indemniser la société Le Patisseau des préjudices subis.

Sur la contribution à la dette et les demandes de garantie

La dette finale entre les deux sociétés est répartie en fonction des fautes de chacune.

Les lames étant vendues pour un usage extérieur, la société P. n'est pas fondée à soutenir qu'elle ignorait la destination particulière du produit vendu puisque son co-contracatent était la société CMB et non la société Le Patisseau.

La société P. relève en revanche à juste titre que la société Menuiseries L. n'a pas respecté la notice technique dans laquelle il est indiqué qu'en cas d'utilisation dans un lieu public, il est nécessaire de recueillir des informations auprès du fabricant. Si, comme elle le soutient, la société Menuiseries L. n'avait pas reçu cette notice, il lui appartenait, à tout le moins, en tant que professionnel de la pose, de s'informer des prescriptions du fabricant avant de poser la terrasse.

Au regard de ces éléments et de ceux développés plus haut concernant les fautes du fournisseur et du poseur, il apparaît que la responsabilité de la société P. Bois est prépondérante tandis que celle de la société Menuiserie L. est secondaire.

Le partage de responsabilité est fixé à 80% pour la société P. et 20% pour la société Menuiseries L. et il est fait doit aux demandes réciproques de garanties dans les limites ainsi fixées.

Sur les autres demandes

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et à l'article 700 du CPC en première instance sont réformées.

Parties perdantes, la société Menuserie L. et la société P. Bois sont condamnées in solidum aux dépens de première intance, incluant les frais de référé et d'expertise, et aux dépens d'appel et à payer à la société le Patisseau et la société Motei ensemble la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du CPC, leurs propres demandes à ce titre étant rejetées.

Par ces motifs Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a déclaré la société Le Patisseau recevable en sa demande, Statuant à nouveau et y addictant ; Condamne in soldum la société P. Bois et la société Menuiseries L. à payer à la société Le Patisseau les sommes suivantes : - 28 795 € HT, outre indexation sur l'indice BT 01 du coût de la construction, de février 2015 jusqu'au jour de l'arrêt, au titre des travaux de reprise, - 2 000 € au titre du préjudice de jouissance, Dit que la charge définitive des condamnations ci-dessus prononcées sera supportée à hauteur de 80 % par la société P. Bois et 20 % par la société Menuiserie L., Condamne la société P. Bois et la société Menuiseries L. à se garantir dans les limites ainsi fixées, Condamne in soldum la société P. Bois et la société Menuiseries L. aux dépens de première instance incluant les frais de référé et d'expertise, et aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du CPC, Condamne in soldum la société P. Bois et la société Menuiseries L. à payer à la société Le Patisseau et la société Motei ensemble la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du CPC, Dit que la charge définitive des condamnations aux dépens et au titre de l'article 700 du CPC sera supportée à hauteur de 80 % par la société P. Bois et 20 % par la société Menuiserie L., Condamne la société P. Bois et la société Menuiseries L. à se garantir dans les limites ainsi fixées, Rejette le surplus des demandes.