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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 4 mars 2020, n° 18-20144

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Blay-Foldex (SAS), BF Holding (SAS)

Défendeur :

Gifi (SAS), Gifi Diffusion (SAS), Gifi Mag (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Conseiller :

M. Gilles

Avocats :

Mes Crespin, Heguin de Guerle, Dejean

T. com. Paris, du 2 juill. 2018

2 juillet 2018

FAITS ET PROCÉDURE

La SAS Blay Foldex est un acteur historique de l'édition cartographique.

La société BF Holding est spécialisée dans la prise de participations dans toute société opérant dans le domaine de l'édition et de l'impression.

La Sasu BF Sales, spécialisée dans la commercialisation de livres et de produits d'édition, a fait l'objet le 5 juillet 2016 d'une dissolution sans liquidation, avec transmission universelle de son patrimoine à son associé unique, la société BF Holding.

Les sociétés Blay Foldex et BF Holding ont le même président, qui était également partagé avec la société BF Sales jusqu'à la transmission universelle du patrimoine de celle-ci ; elles appartiennent au même groupe Articque Solutions.

Les sociétés Gifi, Gifi Diffusion et Gifi Mag appartiennent au groupe Gifi.

La SAS Gifi est l'animatrice du réseau de distribution à l'enseigne Gifi.

La SAS Gifi Diffusion est dédiée au commerce de gros et constitue la centrale d'achat du Groupe Gifi.

La SAS Gifi Mag opère dans le commerce de détail, en magasins non spécialisés.

Au mois d'août 2014, une phase de test a été mise en œuvre en vue de commercialiser une gamme de livres fournis par les sociétés Blay Foldex et BF Folding dans certains magasins sous enseigne " Gifi ".

Considérant que la phase de test avait été réussie, la société BF Holding a annoncé à ses interlocuteurs du groupe Gifi, le 9 mars 2015, que les commandes fournisseurs pour l'implantation dans les magasins Gifi étaient toutes passées.

Le 12 mai 2015, une commande a été émise par la société Gifi Diffusion.

Le 14 septembre 2015, la société Gifi Diffusion a reproché à la société BF Holding des difficultés d'organisation et de gestion, l'a informée de sa décision de cesser de recevoir les commerciaux de celle-ci dans les magasins, et a demandé l'annulation de toutes les commandes en cours.

S'estimant victime d'une rupture brutale de relation commerciale, les sociétés Blay Foldex et BF Sales (devenue " la société BF Holding ") ont, par acte en date du 11 avril 2016, assigné en responsabilité les sociétés Gifi, Gifi Diffusion et Gifi Mag devant le tribunal de commerce de Tours sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce.

Par jugement du 19 juin 2017, le tribunal de commerce de Tours s'est déclaré incompétent et à renvoyé les parties devant le tribunal de commerce de Paris.

C'est dans ces conditions que le tribunal de commerce de Paris, par jugement du 2 juillet 2018, a :

- dit n'y avoir lieu à mettre hors de cause la SAS Gifi et la SAS Gifi Mag ;

- condamné la SAS Gifi, la SAS Gifi Diffusion et la SAS Gifi Mag, in solidum, à verser aux SAS Blay Foldex et SAS BF Holding venant aux droits de la SAS BF Sales, la somme de 50 000 euros au titre du préjudice commercial,

- débouté la SAS Gifi, la SAS Gifi Diffusion et la SAS Gifi mag de l'ensemble de leurs demandes,

- condamné la SAS Gifi, la SAS Gifi Diffusion et la SAS Gifi Mag, in solidum, à verser à la SAS Nlay Foldex et à la SAS BF Holding venant aux droits de la SAS BF Sales, la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes autres, en particulier de la demande en indemnisation pour perte de la marge brute formée à titre principal par la société Baly Foldex pour rupture brutale de relations commerciales établies et, subsidiairement, pour rupture fautive de la relation commerciale, mais encore des demandes en dommages-intérêts formées par cette même société pour mévente du stock, pour remboursement de coûts induits et pour remboursement du coût des licenciements ;

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné in solidum la SAS Gifi, la SAS Gifi Diffusion et la SAS Gifi Mag aux dépens.

Par dernières conclusions notifiées le 28 novembre 2019, les sociétés Blay Foldex et BF Holding, appelantes de ce jugement, demandent à la cour de :

Vu l'article 1240 du Code civil,

Vu l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce,

- les déclarer recevables et bien fondées en leur appel,

- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il les a partiellement déboutées de leurs demandes,

En conséquence,

- débouter les sociétés Gifi, Gifi Diffusion et Gifi Mag de l'ensemble de leurs demandes,

- condamner les sociétés Gifi, Gifi Diffusion et Gifi Mag, in solidum, à verser à la société Blay-Foldex concluante les sommes de :

142 131,84 euros au titre de la marge brute perdue, sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce à titre principal et sur le fondement de l'article 1240 du Code civil à titre subsidiaire,

225 019,27 euros au titre de la mévente du stock,

47 930,02 euros au titre des coûts induits (désétiquetage, gestion du stock, transports),

- condamner les sociétés Gifi, Gifi Diffusion et Gifi Mag, in solidum, à verser à la société BF Holding concluante la somme de 128 896,69 euros, correspondant au coût des licenciements consécutifs à la rupture des relations commerciales,

- condamner les sociétés Gifi, Gifi Diffusion et Gifi Mag, in solidum, à verser aux deux sociétés concluantes, ensemble, la somme de 150 000 euros titre du préjudice commercial,

- condamner les sociétés Gifi, Gifi Diffusion et Gifi Mag, in solidum, à verser aux deux sociétés concluantes, ensemble, la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en appel, dépens en sus.

Par dernières conclusions notifiées le 14 février 2019, les sociétés Gifi, Gifi Diffusion et Gifi Mag demandent à la cour de :

Vu l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce,

Vu les articles 6, 11, 138 et 139 du Code de procédure civile,

Vu l'article 1315 du Code civil (ancien),

Vu le jugement du tribunal de commerce de Paris du 2 juillet 2018,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les sociétés Blay Foldex et BF Holding de leurs demandes au titre de la perte de marge brute sur le fondement de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce, en l'absence de relation commerciale établie entre les parties, de la mévente du stock, des coûts induits et du coût des licenciements,

- réformer le jugement entrepris dans toutes ses autres dispositions,

Statuant de nouveau :

- ordonner aux sociétés Blay Foldex et BF Holding pour la Société BF Sales de communiquer leurs bilans détaillés et comptes de résultat détaillés des exercices 2014 à 2016, à peine d'astreinte,

- mettre hors de cause les sociétés Gifi et Gifi Mag,

- dire que les sociétés Blay Foldex et BF Holding ont avoué judiciairement qu'elles envisageaient la relation commerciale litigieuse uniquement jusqu'à la fin de l'année 2015 et n'avaient par conséquent aucune forme de croyance en la stabilité ou la durée de cette relation,

- dire que la seule commande n'ayant jamais fait l'objet d'accord commercial en raison de l'incapacité des sociétés Blay Foldex et BF Holding à permettre la commercialisation des produits, ne caractérise pas des relations commerciales établies, mais simplement des pourparlers dans le cadre d'une relation commerciale ponctuelle et non suivie,

- dire que l'inconduite des Sociétés Blay Foldex et BF Holding a interdit la commercialisation des produits et la poursuite des pourparlers,

- condamner in solidum les sociétés Blay Foldex et BF Holding à payer à chacune des concluantes une somme de 10 000 euros pour procédure abusive,

- condamner in solidum les sociétés Blay Foldex et BF Holding à payer à chacune des concluantes une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner les mêmes aux entiers dépens.

SUR CE, la cour

Sur les fins de non-recevoir invoquées par les sociétés Gifi et Gifi Mag

A l'appui de leur demande de mise hors de cause, les sociétés Gifi et Gifi Mag soutiennent que :

- la société Gifi, qui a pour principal objet la participation la gestion des participations de ses filiales n'intervient pas dans les relations commerciales avec les fournisseurs des produits revendus dans les magasins du groupe sous enseigne Gifi ;

- l'absence de toute forme de rapport entre les sociétés Blay Foldex et Gifi et Gifi Mag rend impossible qu'une faute soit retenue contre ces deux dernières ;

- il est prouvé que la société Blay Foldex est entrée en pourparlers uniquement avec la société Gifi Diffusion.

Toutefois, la cour rappelle d'abord qu'elle ne peut faire dépendre la recevabilité de l'action en responsabilité de la preuve de la faute alléguée.

Ensuite, c'est par de justes motifs que la cour adopte que le tribunal de commerce a retenu que les interlocuteurs identifiés du groupe Gifi avec lesquels s'était nouée, développée et rompue la relation commerciale litigieuse, essentiellement au moyen de courriels, les avaient signés sans préciser de quelle société du groupe ils dépendaient, alors que le logo Gifi figurant sur ces messages donnait uniquement l'apparence de leur appartenance au groupe et qu'il en résultait que les demanderesses pouvaient légitimement penser qu'elles ne traitaient pas avec la seule société Gifi Diffusion.

En outre, l'adresse figurant avec la signature des interlocuteurs identifiés du groupe Gifi n'est pas celle figurant sur l'extrait Kbis de la SAS Gifi Diffusion (Zone Industrielle de la Barbière à Villeneuve-sur-Lot), mais une adresse (ZI La Boulbène à Villeneuve-sur-Lot) qui est à la fois celle du siège social de la SAS Gifi et d'un des établissements de celle-ci, dénommé entrepôt.

D'ailleurs, si les sociétés intimées soutiennent que la SAS Gifi est principalement une société dite " holding " l'objet social de celle-ci est beaucoup plus large que la seule prise de participations dans d'autres sociétés, puisqu'il comprend notamment l'animation du réseau, à laquelle a pu se rattacher la relation commerciale litigieuse qui a consisté en une tentative d'implantation d'une nouvelle gamme de produits, visant l'ensemble des magasins du groupe Gifi.

C'est encore légitimement et conformément aux indications de cette signature professionnelle que le président du groupe Articque a écrit à l'" acheteur Gifi ", à cette même adresse, lorsqu'il a voulu se plaindre de l'évolution de la relation commerciale.

Quant à la société Gifi Mag, il résulte de ce qui précède et de son objet social, qui comprend l'achat et la vente sédentaire ou ambulante de tous articles industriels ou artisanaux, que les conditions de la mise hors de cause ne sont pas davantage réunies, dès lors que les sociétés demanderesses ont été fondées à croire que l'ensemble des sociétés intimées étaient partenaires de la relation commerciale en cause. Les fins de non-recevoir invoquées par les sociétés Gifi et Gifi Mag seront donc rejetées, le jugement étant confirmé sur ce point.

Sur les manquements contractuels reprochés aux sociétés appelantes

Les sociétés intimées exposent que :

- la phase test n'a jamais pu être validée, du fait de " l'inconduite " de la société Blay Foldex, manifestée dès le mois de mai 2015 ;

- la société Blay Foldex n'est jamais parvenue à assurer une interface de gestion des produits fonctionnelle permettant de gérer utilement les quantités de produits livrés en magasin, l'état des stocks, les invendus et les avoirs.

Si les sociétés intimées se prévalent, au titre d'un manquement du fournisseur prétendument dénoncé le 13 mai 2015, de la présence de codes-barres illisibles sur les produits livrés dans les magasins, et qu'elles invoquent une pièce adverse n° 26 à l'appui de cette affirmation, non seulement la pièce n° 26 de la production des appelantes est sans rapport avec un tel fait (il s'agit d'un échange de courriels d'avril 2015 au sujet de la validation des commandes) mais encore, parmi les autres pièces produites, rien ne vient suppléer la carence de cette preuve.

Si les sociétés intimées se prévalent, au titre d'un manquement du fournisseur prétendument dénoncé le 11 juin 2015, de modalités de contrôle des stocks que les magasins ne pouvaient pas appréhender, et qu'elles invoquent une pièce adverse n° 28 à l'appui de cette affirmation, non seulement la pièce n° 28 de la production des appelantes est sans rapport avec un tel fait (c'est un échange de courriels des 12 et 13 mai 2015 relatifs à quelques non conformités de prix d'achats dans la commande passée, et au nombre de magasins concernés) mais encore, parmi les autres pièces produites, rien ne vient suppléer la carence de cette preuve.

En effet, la pièce n° 30 de la production des appelantes, la seule qui corresponde à la date du 11 juin 2015, concerne la plainte du service comptabilité du fournisseur, au motif que dans les quelques demandes d'avoir pour " manquants à la livraison " émanant des magasins Gifi, primo, n'était pas mentionné le numéro de bon de livraison (BL) et, secundo, la demande était faite en " code prix " alors que la gestion était réalisée par ce fournisseur selon la référence titre du livre.

Dans ce même courriel, il était demandé par le même service comptabilité qu'une note d'information soit adressée aux magasins afin que, lorsqu'ils détecteraient une erreur sur les quantités livrées pour un " code prix ", ils formulent la demande d'avoir en indiquant " l'EAN titre du livre + les quantités concernées ".

Ce même courriel concluait qu'à ce moment il n'y avait rien d'alarmant et affirmait que les commerciaux avaient pu s'assurer que les manquants étaient bien dans les rayons et qu'il s'agissait d'une erreur des magasins lors du contrôle à la réception.

la cour retiendra en l'espèce que rien ne prouve pour autant que les sociétés appelantes s'étaient obligées à cette date envers les sociétés intimées à gérer les stocks par code prix et le manquement allégué n'est donc pas prouvé.

En outre, aucune erreur prouvée dans les livraisons n'est imputable aux sociétés appelantes à la date considérée.

Cependant, les sociétés intimées se prévalent également, au titre d'un manquement du fournisseur dénoncé le 24 juin 2015, d'erreurs de stock dans les magasins en raison d'erreurs des codes prix, d'erreurs de quantité dans les bons de livraison et du refus d'établir les avoirs correspondants ; elles invoquent une pièce adverse n° 30 à l'appui de cette affirmation.

Or, si la pièce n° 30 déjà analysée ne prouve pas les manquements allégués, figure parmi les autres pièces produites par les appelantes, celle portant le n° 32, à savoir des échanges de courriel survenus entre le 23 et le 26 juin 2015.

Ces courriels démontrent que le service comptabilité de Gifi a sollicité l'assistante achats du groupe en ces termes :

" Le magasin de Dax reçoit sa livraison de juin. Je constate que pour la référence suivante, il n'y a pas de code Gifi rattaché : EAN : 344 [...] code prix - 2.00.

Peux-tu me dire sous quelle référence le magasin doit la réceptionner.

Urgent, le magasin est bientôt en inventaire. "

L'assistante achats du groupe Gifi a ensuite saisi par courriel la chargée de marketing de la société BF Sales qui a répondu que la collection en cause (" Martine as-tu trouvé ") avait changé de prix entre le moment où la commerciale a passé la commande avec le gérant du magasin et celui ou le BL a été validé, en précisant : " il est donc hélas normal que vous ayez des produits à 2 euros. Dans la mesure où le code prix est introuvable dans votre base de données, et que donc ce produit ne peut pas être intégré chez Gifi, nous allons vous préparer un avoir sur les deux références ci-dessous, et notre commerciale récupérera les produits la prochaine fois qu'elle passera dans le magasin. Merci donc de mettre les produits de côté [...] de notre côté, nous allons faire en sorte que ces produits ne puissent plus être commandés sur le réseau Gifi ".

Quelques minutes plus tard, le service comptabilité de Gifi interpelait la même chargée de marketing pour une différence de quantité entre le BL (312 livres) et la facture (321 livres).

Le lendemain matin, 24 juin 2015, la chargée de marketing expliquait en s'excusant que le BL était erroné mais que la facture était correcte en précisant que " 9 produits avaient sauté informatiquement dans le calcul du sous-total ".

Le service comptabilité de Gifi rappelait en retour que le BL devait être égal à la facture, que ce n'était pas un cas isolé puisque cette anomalie apparaissait avec d'autres magasins, expliquant : " il en découle des problèmes de contrôle en magasin ainsi que des écarts de quantité ".

Renouvelant des excuses, la chargée de marketing des appelantes répondait en retour : " Je comprends bien votre problème ainsi que votre mécontentement. J'ai alerté notre service informatique afin que ce problème ne se reproduise plus. Comme nous l'avons expliqué à X, nous avons mis en place le système des codes prix spécialement pour le réseau Gifi, et comme c'est une grande première pour nous (lors d'une implantation de masse réalisée en une fois), nous ne pouvons pas hélas être infaillible[s] du premier coup [...] ".

Le service comptabilité de Gifi répondait le même jour :

" Vous avez mis en place le système du code prix, certes.

Les magasins réceptionnent donc un global sur le code prix [...] en fonction du bon de livraison où les quantités sont déjà erronées. (Vu précédemment) Lorsqu'il y a des manquants, vous refusez de nous établir les avoirs car vous voulez le détail. Je peux comprendre. Vous faites des implantations de masse, comment voulez-vous que les magasins retracent au détail alors qu'on leur demande de réceptionner au code !

Le pointage est laborieux, aussi bien en magasin que dans notre service [...] En vue de ces éléments, pouvez-vous reconsidérer nos demandes d'avoir. "

Ces difficultés ont fait l'objet d'une réunion, le 2 juillet 2015, entre des représentants de Baly Foldex et de Gifi.

Le compte rendu de cette réunion diffusé au sein des sociétés appelantes indique que Gifi devait envoyer un tableau récapitulant les demandes d'avoir. Pour régler la difficulté, ce document indique qu'a été accepté le principe de la gestion en codes EAN titre et non plus en codes prix. Pour ce faire il était nécessaire d'éditer la liste des produits référencés chez Gifi avec les codes associés et de la mettre à jour.

Le 8 juillet 2015, les sociétés appelantes adressaient à Gifi ce nouveau catalogue, pour attribution des codes.

Le 24 août 2015, ce travail était retourné par l'assistante achats de Gifi au fournisseur, qui précisait : " Merci de passer au nouveau système au plus vite, cela provoque de nombreux problèmes en magasin ".

Gifi a demandé la correction d'une erreur de code le 26 août 2015.

Des courriels internes aux sociétés appelantes indiquent que les intimées ont bloqué le paiement de certaines factures à cause des difficultés non résolues sur les avoirs, et ce dès avant le 16 juillet 2015 (voir pièce n° 41 des appelantes).

Les sociétés appelantes ont considéré, de leur côté, que les demandes d'avoir se multipliaient anormalement et étaient formées trop tard après la livraison.

Le 14 septembre 2015, l'assistante achats de Gifi (pièce n° 43, échange de courriels) annonçait l'arrêt du passage des commerciaux dans les magasins Gifi en précisant : " Nous souhaitons clarifier et régulariser la situation concernant les réceptions et les stocks magasin ainsi que la mise à jour des référencements commerciaux. "

Cette décision faisait suite à un problème survenu au magasin Gifi de Dax qui s'était plaint le 11 septembre 2015 d'avoir reçu une livraison, pour laquelle :

- pour un produit, les références EAN étaient dépourvues de code Gifi rattaché ;

- pour deux produits, il existait des écarts de prix ;

- pour 5 références, les codes n'étaient pas sur la liste des produits vendus par Gifi.

L'assistante commerciale du fournisseur, saisie par l'assistante achats de Gifi - qui lui avait écrit que les magasins ne voulaient plus réceptionner la marchandise, que le chiffre d'affaires de la librairie baissait depuis la nouvelle organisation et que sa direction remettait en cause le choix de cette collaboration - a expliqué que pour certaines commandes préparées au moment de la bascule, lors du changement de système de référencement déjà indiqué, certains titres avaient été envoyés alors qu'ils ne faisaient plus partie de la sélection.

Cette assistante commerciale a ajouté : " je suis désolée de la confusion que cela a pu occasionner dans vos magasins. Nous faisons tout pour que cette situation se règle au mieux. "

Le courriel annonçant la décision de Gifi ayant été adressé en copie par l'assistante achats de Gifi au président du groupe Articque, celui-ci a présenté ses excuses pour la désorganisation de son équipe à cause d'arrêts maladies et a amorcé un échange dans lequel il a stigmatisé les demandes d'avoir et la rétention du paiement de factures échues impayées à hauteur de 61 000 euros, outre 120 000 euros de factures en cours d'échéance.

A cette occasion, il a imputé dans un premier temps au groupe Gifi d'avoir réclamé le retour à l'EAN, pour convenir par la suite que c'était en réalité le résultat d'une délibération entre les parties.

Par lettre du 13 octobre 2015, le président du Groupe Articque Solutions a écrit à l'acheteur de Gifi pour se plaindre de la situation, faisant valoir l'absence de contrat, l'interdiction de vendre sur la foi d'un simple courriel, l'importance du stock supporté de ce fait ainsi que les pertes de chiffre d'affaires. Cinq propositions étaient formulées pour sauver les ventes de fin d'année.

Les livraisons ne devaient cependant plus reprendre après leur interruption au mois de septembre 2015.

Il résulte de ce qui précède qu'indépendamment des questions relatives au prix des livres, dont les variations ne sont pas imputables aux distributeurs, il est établi que les sociétés appelantes ont commis des graves manquements à leurs obligations contractuelles, en particulier en ne parvenant pas à mettre en œuvre de manière satisfaisante le système de gestion en codes EAN titre et non plus en codes prix, tel qu'il avait été adopté par les parties le 2 juillet 2015, alors même qu'il s'était agi de faciliter, à la demande des sociétés appelantes, la gestion des avoirs pour erreurs de livraison.

Par ailleurs, de janvier 2015 à octobre 2015, la preuve est rapportée (en pièce n° 31 des appelantes) que de très nombreux avoirs ont dû être établis.

Il ne peut être retenu en l'espèce, faute de preuve, que ces avoirs auraient été accordés par le fait d'une pression exercée sur le fournisseur par le distributeur, celui-ci abusant de sa puissance économique pour faire admettre des erreurs non avérées du fournisseur, alors qu'en réalité le distributeur en aurait été responsable par mauvaise vérification à la réception dans les magasins.

Les sociétés appelantes ont d'ailleurs reconnu à plusieurs reprises les carences de leurs services et la gêne occasionnée aux magasins du réseau de distribution à l'enseigne Gifi.

Il ne peut être davantage retenu en l'espèce, faute de preuve, que les griefs formulés par l'assistante achats quant aux erreurs de référencement seraient en réalité imputables au distributeur.

Rien n'indique que les difficultés objectivement rencontrées par certains magasins ont été la conséquence des propres décisions, atermoiements et retards de Gifi durant l'été 2015.

En effet, il n'est pas établi que les difficultés ci-avant décrites ayant conduit à la rupture de la relation commerciale ne se seraient pas produites en l'absence des revirements d'attitude du Groupe Gifi stigmatisés par les appelantes.

En particulier, ces difficultés sont sans rapport avec le fait que le chef de produits de Gifi a tenté de modifier en profondeur la stratégie d'implantation par courriel du 19 mars 2015, pour une implantation d'ores et déjà prévue pour le mois d'avril 2015, avec annonce d'un report en juin.

Finalement, ce report n'a été que jusqu'au mois de mai et les parties, après négociation, se sont entendues sur les nouvelles conditions de l'implantation.

Il en résulte que les sociétés intimées, en présence des manquements du fournisseur, ont été fondées à mettre un terme au flux d'affaires avec les sociétés appelantes.

Sur la responsabilité des intimées pour rupture brutale des relations commerciales établies

A supposer même qu'une relation commerciale établie ait existé entre les parties il résulte de ce qui précède que les sociétés appelantes, à qui est imputable la rupture, ne peuvent valablement invoquer qu'elle a été brutale ; par conséquent, elles sont mal fondées à demander une indemnisation à ce titre.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la société Blay Foldex de sa demande en dommages-intérêts au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies.

Sur les autres fautes délictuelles reprochées aux sociétés intimées

Alors que l'indemnisation de la rupture brutale de la relation contractuelle est subsidiairement recherchée sur le terrain de la responsabilité délictuelle de droit commun, il résulte néanmoins de ce qui précède que les manquements contractuels du fournisseur ont causé la rupture.

Or, il n'est pas démontré que cette rupture aurait été également causée :

- par la négligence et la mauvaise foi prétendues des intimées pour négocier les contours et la date de la commande d'implantation ;

- par le fait d'avoir présenté comme un projet à soumettre à la direction de Gifi un nouveau calendrier et une nouvelle stratégie d'implantation, tout en reconnaissant que la société BF Holding n'avait pas les moyens de cette nouvelle stratégie.

Dans le même temps, se trouve indépendant de la rupture survenue et de ses motifs le fait d'avoir laissé les appelantes passer commande auprès des éditeurs, constituer un important stock dédié à l'opération, au vu du planning initialement prévu, et engager leur trésorerie dans l'opération.

Par conséquent, la demande subsidiaire en responsabilité délictuelle de droit commun visant à une indemnisation de la perte de marge brute doit également être rejetée.

Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

Dès lors que la rupture de relations contractuelles a été uniquement causée par les manquements contractuels du fournisseur, les demandes en dommages-intérêts au titre de la mévente du stock, des coûts induits (désétiquetage, gestion du stock, transports) et des coûts de licenciement sont également mal fondées, dès lors que ces préjudices prétendus procèdent de la rupture elle-même.

Le jugement sera donc confirmé sur ces points.

S'agissant du préjudice commercial, le jugement entrepris a retenu que :

- les sociétés intimées ont fait preuve de légèreté en laissant sciemment leur partenaire s'engager dans des dépenses significatives, alors qu'elles n'avaient pas de stratégie claire quant à la possibilité d'une diffusion dans leur réseau de magasins des produits du groupe Blay Foldex ;

- le groupe Gifi, professionnel de la distribution, se devait en fonction des informations dont il disposait de son partenaire, de clarifier sa position quant à la possibilité d'un accord de distribution de ses produits et de ne pas lui faire croire qu'un accord était à sa portée alors que des difficultés techniques se présentaient ;

- les sociétés Blay Foldex se sont pliées aux multiples exigences du groupe Gifi afin de lui donner satisfaction ;

- le groupe Gifi a imposé à la société BF Holding, quelques semaines avant la date d'implantation fixée, un changement complet de stratégie, nécessitant de revoir en profondeur le projet sur de nombreux points, comme des délais d'implantation, la codification des produits, le périmètre des points de vente, les métrages alloués et la validation de la matrice ;

- le groupe Gifi n'aurait pas dû exposer son fournisseur à de multiples retards, revirements, et changements de position, générateurs de charges, qui pouvaient légitimement lui faire penser qu'il était en passe de devenir un partenaire reconnu ;

- le groupe Gifi, en fonction de ces circonstances, a causé un dommage commercial aux sociétés demanderesses évalué par les premiers juges à la somme de 50 000 euros.

Tandis que les sociétés intimées demandent la réformation du jugement en ce qu'elles ont été condamnées au titre du préjudice commercial et qu'elles contestent toute faute, les sociétés appelantes, pour réclamer 150 000 euros au titre du préjudice commercial, soutiennent que :

- le comportement de Gifi tout au long de la relation commerciale a été abusif et de mauvaise foi ;

- le leader français de la distribution dans son secteur, avec un milliard de chiffre d'affaires n'a cessé de les laisser dans l'expectative et de soumettre à des exigences erratiques et contradictoires un fournisseur modeste en situation économique précaire tel la société BF Holding, qui de ce fait a été contrainte de cesser son activité ;

- le groupe Gifi a fautivement refusé d'établir un contrat cadre écrit qui s'imposait au vu de la relation commerciale mise en place ;

- le groupe Gifi a mis en péril la société Blay-Fodex en l'amenant à passer initialement commande auprès des éditeurs pour près de 300 000 euros avant de tenter de décaler de deux mois l'implantation dans son réseau ;

- le groupe Gifi n'a cessé de trouver des prétextes pour dissimuler ses propres manquements et ceux des magasins, le comble ayant été atteint avec les griefs formulés par l'assistante achats sur de prétendues erreurs de référencement alors que les difficultés rencontrées par certains magasins étaient la conséquence des propres décisions, atermoiements et retards de Gifi durant l'été ;

- le groupe Gifi a fait pression sur les demanderesses en bloquant le règlement des factures échues et non contestées et en " soutirant " à la société Blay-Foldex " des avoirs douteux " ;

- le groupe Gifi n'a pas su gérer correctement un produit tel que le livre, très différent de ce qu'elle distribue habituellement ;

- le groupe Gifi a abusé de sa position en sachant qu'elle la conduisait au bord de la liquidation, l'obligeant à licencier et à brader son stock ;

- le jugement a exactement retenu le principe d'une légèreté blâmable tel que déjà indiqué.

Toutefois, les circonstances alléguées ne caractérisent ni abus de négociation commerciale ayant causé un préjudice commercial prouvé, ni faute délictuelle ayant causé un tel préjudice commercial.

En effet, la cour retient en l'espèce que :

- les sociétés appelantes ne se sont jamais prévalues auprès des sociétés du groupe Gifi d'une situation économique précaire avant la rupture de la relation commerciale, bien que le directeur commercial de Blayfoldex, dans un courriel du 20 mars 2015 adressé à ses interlocuteurs du groupe Gifi, ait mis en avant la taille modeste de sa structure au regard de celle du distributeur, afin de négocier, avec succès, de ne pas différer jusqu'au mois de juin 2015 l'implantation dans les magasins Gifi ;

- l'abus de puissance économique allégué n'est nullement caractérisé ;

- si les sociétés appelantes ont été exposées à constituer un stock sans avoir pu le vendre aux sociétés du groupe Gifi comme il était prévu, ce fut uniquement à cause de leurs propres manquements en qualité de fournisseur ;

- nulle faute ni abus du distributeur n'est caractérisé pour ce qui concerne l'appréhension du produit particulier que constitue le livre ;

- rien n'établit que le distributeur a abusivement soutiré des avoirs douteux au fournisseur ;

- il n'est pas démontré que le distributeur a fait abusivement pression en retenant le paiement de certaines factures échues ;

- rien ne démontre que les difficultés objectivement rencontrées par certains magasins et ayant conduit à la rupture de la relation commerciale ont été la conséquence des propres décisions, atermoiements et retards de Gifi durant l'été 2015 ;

- il n'est pas prouvé qu'ait été abusif en soi, ni dommageable en l'espèce, le fait que le chef de produits de Gifi ait tenté de modifier en profondeur la stratégie d'implantation par courriel du 19 mars 2015, pour une implantation d'ores et déjà prévue pour le mois d'avril 2015, avec annonce d'un report en juin, dès lors que finalement un tel report et une telle modification n'ont pas été imposés au fournisseur ;

- il n'est pas prouvé que le groupe Gifi n'aurait cessé de trouver des prétextes pour dissimuler ses propres manquements et ceux des magasins ;

- si le groupe Gifi n'a pas donné suite à la demande du fournisseur d'établir un contrat cadre écrit, les appelantes échouent à démontrer le caractère dommageable de cette circonstance, dès lors qu'il revenait aux sociétés appelantes de s'abstenir, dans ces conditions, de rentrer en phase d'implantation, d'autant que rien ne prouve que les difficultés techniques ayant conduit à la rupture de la relation commerciale auraient été mieux anticipées et évitées par le moyen d'un tel contrat écrit ;

- en l'espèce, les parties à la relation commerciale - les sociétés appelantes tout particulièrement - voulaient aller le plus vite possible et ont pris le risque de se passer d'un contrat écrit ;

- les sociétés appelantes n'imputent pas valablement à l'abus ou à la faute des sociétés du groupe Gifi les difficultés économiques qu'elles ont rencontrées après la rupture de la relation commerciale en cause.

En conséquence, le jugement sera réformé en ce qu'il a alloué aux appelantes des dommages-intérêts au titre du préjudice commercial, ces sociétés devant être déboutées de toute demande à ce titre, de sorte que la demande de mesure d'instruction formée par celle-ci se trouve sans objet.

Sur la demande reconventionnelle des sociétés du groupe Gifi

Si les sociétés appelantes ont fait erreur sur leurs droits, elles n'ont pas pour autant commis d'abus de procédure en saisissant les juridictions, dès lors qu'il n'est pas établi qu'elles ont agi par intention de nuire ou par légèreté blâmable.

La demande reconventionnelle des sociétés du groupe Gifi seront donc rejetées.

Sur les frais

Le sens de l'arrêt conduit à réformer le jugement entrepris sur les dépens et les frais.

Les sociétés appelantes, qui succombent en toutes leurs demandes, seront condamnées aux entiers dépens et, en équité, verseront aux sociétés intimées une somme au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, telle que précisée au dispositif du présent arrêt.

Par ces motifs la cour, Ecarte les fins de non-recevoir dirigées contre la SAS Gifi et la SAS Gifi Mag, Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a condamné in solidum les sociétés intimées à payer aux SAS Blay Foldex et BF Holding, celle-ci venant aux droits de la SAS BF Sales, outre les dépens, une somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts et une somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Statuant à nouveau sur ces chefs et y ajoutant : Déboute les sociétés Blay Foldex et BF Holding de leurs demandes en dommages-intérêts pour préjudice moral, Rejette toutes les demandes des sociétés Blay Foldex et BF Holding, Les Condamne, in solidum, à payer aux sociétés Gifi, Gifi Diffusion et Gifi Mag, ensemble, une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne in solidum les sociétés Blay Foldex et BF Holding aux entiers dépens de première instance et d'appel, Rejette toute autre demande.